1.4 Conducteurs et isolants

 

            En 1660, Otto von Guericke (1602-1686) met au point la première machine électrostatique. Il produit, par moulage, une sphère de soufre traversée par un axe. Il la fait tourner de telle sorte qu'elle frotte contre sa main. Il remarque que le globe produit des petites étincelles en plus d'attirer les fétus de paille. Une plume d'oiseau, remarque-t-il, est d'abord attirée par sa boule électrisée, tout comme les fétus de paille. Mais après avoir touché la boule, elle s'en éloigne, comme si elle était maintenant repoussée: elle peut, dans certains cas, flotter au-dessus du globe de soufre.

 

            En 1729, Stephen Gray (1670-1736) informe Jean Théophile Desaguliers (1683-1744) que l'électrisation de son bâton de verre, due au frottement, peut être transportée à distance à l'aide d'un fil de chanvre qui lui est attaché, mais qu'elle est perdue si le fil de chanvre touche le sol. Par contre, si celui-ci est suspendu par des fils de soie, l'électrification peut être transportée sur une distance d'au moins 100 m. Son problème est que son fil de chanvre n'est pas assez solide. Aussi tente-t-il la même expérience avec des fils métalliques: il remarque que l'électrification se transporte beaucoup mieux à travers le fil en question. Desaguliers nomme en 1736 conducteurs les corps qui transportent ainsi l'électrification; les corps qui ne transportent pas l'électrification, comme le fil de soie, sont des isolants. En fait, les corps comme l'ambre, le soufre, le jais, les pierres précieuses, sont tous des isolants: ils gardent en place l'électrification qui y a été produite par frottement. L'électrification doit donc être un fluide qui coule dans (ou sur) les conducteurs et qui est emprisonné dans (ou sur) les isolants.

 

            En 1729, Gray fabrique deux cubes en chêne, l'un plein, l'autre creux. Il les frotte de la même façon pour les électriser. Il remarque ensuite que les deux cubes attirent des petits objets métalliques exactement de la même façon; ce qui n'est le cas que si le fluide électrique est emprisonné sur (ou très proche) de la surface du cube. La répartition du fluide électrique est donc essentiellement superficielle dans le cas des isolants frottés en surface.

 

            Charles François de Cisternay Du Fay (1698-1739) reprend les expériences de Gray en 1733. Il remarque qu'une mince feuille d'or, suspendue par un isolant, est attirée par un bâton de verre électrifié par frottement (comme l'aurait d'ailleurs remarqué Gilbert en 1600). Mais si son bâton touche la feuille d'or, celle-ci, au lieu d'être attirée, est maintenant repoussée (comme la plume dans l'expérience de Guericke). L'électrification cause ici une force de répulsion, comme dans le cas des pôles semblables de deux aimants. C'est évidemment le fluide électrique qui provient du bâton de verre que reçoit la feuille d'or, comme dans l'expérience des conducteurs de Gray. Il s'ensuit que l'électrification produite par frottement sur le verre repousse l'électrification produite également par frottement sur le verre.

 

            Il remarque maintenant qu'un bâton de résine dont l'électrification est produite par frottement attire la feuille d'or dont l'électrification provient du frottement sur le verre. Et, finalement, que l'électrication produit par frottement sur la résine, une fois transférée sur la feuille d'or, en cause la répulsion. Du Fay conclut donc qu'il y a deux types d'électrifications: l'électricité vitreuse (due au frottement contre le verre et le cristal) et l'électricité résineuse (due au frottement contre la résine, ainsi que la soie, l'ambre, le papier); que l'électricité résineuse attire l'électricité vitreuse comme les pôles sud attirent les pôles nord, et que les électricités vitreuses se repoussent, comme les pôles nord se repoussent, et que les électricités résineuses se repoussent, comme les pôles sud se repoussent.

 

            On produit des machines électrostatiques, supérieures à celle de Guericke, où l'électrification est produite par frottement de la boule de soufre contre un linge caoutchouté et lui est soutirée par une languette de métal flexible en contact avec une sphère métallique isolée du sol. Lorsque la boule de soufre est mise en rotation, le fluide électrique est accumulé sur la sphère métallique qui, alors, peut attirer très facilement les fétus de paille. Au fur et à mesure que davantage de fluide électrique est accumulé, des crépitements se font entendre. Toucher à la sphère cause des chocs électriques.

 

            Si une autre sphère métallique, reliée au sol, est placée proche de la première, des étincelles se produisent à intervalles à peu près réguliers alors que la boule de soufre est tournée à vitesse régulière. Ces étincelles sont accompagnées d'un bruit sec. On remarque que la largeur de l'étincelle produite, sa luminosité et la force du bruit dépendent de la grosseur des sphères utilisées: elles augmentent avec la grosseur des sphères. On remarque de plus qu'éloigner les sphères a pour effet d'augmenter le temps entre les étincelles, et que celles-ci sont alors plus longues. Ce que remarque Du Fay en 1737. Il remarque de plus qu'une mince feuille d'or, flexible, en contact avec une feuille de métal fixe verticale, reliée à la sphère, s'écarte de plus en plus de la verticale au fur et à mesure que la sphère est chargée de fluide électrique par la machine électrostatique. Mais qu'elle retombe à la verticale après l'étincelle, pour reprendre le même cycle. Plus la sphère est chargée de fluide électrique, plus il y en a sur les deux feuilles métalliques, et plus la feuille mobile s'éloigne par répulsion. Celle-ci retombe après l'étincelle; la sphère a alors perdu son fluide électrique: l'étincelle est donc la manifestation dans l'air de l'écoulement du fluide électrique.

 

            Il remarque également que le fluide électrique accumulé sur la sphère se perd avec le temps après l'arrêt de la machine (avant la production de l'étincelle). Évidemment, une façon pour la sphère de perdre son fluide électrique est qu'un individu la touche: ce qu'il ressent alors comme un choc électrique.

 

fig16a.gif  Bouteille de Leyde

originale

            En 1745, Pieter van Musschenbroek (1692-1761), habitant de la ville de Leyde, cherche à contrer ce problème de la perte d'électrisation des corps placés à l'air libre (aussi dit déperdition de l'électricité). Il décide d'emprisonner le fluide électrique à l'intérieur d'une bouteille de verre remplie d'eau et placée sur le plancher en reliant la sphère à l'eau de sa bouteille par un fil conducteur. Il arrête la machine électrostatique juste avant que l'étincelle ait lieu dans cette nouvelle situation. Il touche la sphère reliée à sa bouteille après quelque temps pour voir si la perte de fluide électrique a été réduite: il prend un choc violent, beaucoup plus fort que les autres! C'est donc que celle-ci possédait encore une quantité énorme de fluide électrique.

 

            Cette bouteille est nommée bouteille de Leyde par Jean-Antoine Nollet (1700-1770). Les étincelles produites par une sphère sont beaucoup plus larges, brillantes et le bruit qui les accompagne est beaucoup plus fort lorsque cette bouteille est reliée à la sphère que lorsqu'elle ne l'est pas. C'est donc que la quantité de fluide électrique, qui cause la brillance de l'étincelle et son bruit lorsqu'elle s'écoule dans l'air, est beaucoup plus grande dans le cas où la bouteille de Leyde est reliée à la sphère que dans le cas où elle ne l'est pas. La bouteille de Leyde doit donc accumuler facilement une grande quantité de fluide électrique.