1.5 Le modèle électrique de Franklin

 

            Benjamin Franklin (1706-1790) examine les expériences faites jusqu'ici et en ajoute de nouvelles. En 1747, dans une première expérience, un premier individu, A , isolé du sol par une couche de cire, frotte un tube de verre avec une feuille de caoutchouc et l'électrifie. Un second individu, B , isolé lui-aussi du sol par la couche de cire, touche le tube de verre pour en recueillir la charge. Franklin remarque alors que A donne un choc à un troisième C en contact avec le sol juste avant de le toucher; et que B donne un choc à C dans la même condition.

 

            Dans une seconde expérience, toujours sur la couche de cire afin de rester isolés du sol, A et B se touchent. A frotte alors avec le caoutchouc le tube de verre que tient B . Franklin note que, ni l'un, ni l'autre ne donnent de choc à C en contact avec le sol juste avant de le toucher.

 

            Franklin explique ces résultats ainsi: l'électricité est normalement présente dans une même proportion dans la matière. Dans la première expérience, le frottement du verre par le caoutchouc transfère du fluide électrique de A au verre, puis par attouchement, du verre à B. Il s'ensuit que A manque maintenant de fluide électrique, et que B en a de trop. C en a juste la bonne proportion. L'étincelle subie a comme rôle d'égaliser la distribution d'électricité entre les deux corps qui vont se toucher puisqu'elle est due à un mouvement de fluide électrique. Dans la seconde expérience, le frottement du verre par le caoutchouc transfère du fluide électrique de A au verre, puis du verre à B par attouchement, mais de B à A à nouveau comme ceux-ci se touchent durant l'opération. C'est pourquoi les trois individus, ayant même proportion d'électricité, ne se donnent pas de choc.

 

            Dans chaque cas, le fluide électrique gagné par le verre est perdu par le caoutchouc. Il y a donc conservation du fluide électrique. Remarquons que pour Franklin le fluide électrique n'est que d'un type. Puisque B dans sa première expérience en a de trop, Franklin dit que sa quantité d'électricité est positive. (Il est chargé positivement.) Et puisque A, dans sa première expérience, a perdu du fluide électrique, Franklin dit que sa quantité d'électricité est négative. (Il est chargé négativement.)

 

            Du Fay aurait dit, lui, que l'électricité que porte B est vitreuse (comme elle provient de l'électrification du verre) et que celle portée par A est résineuse (comme elle provient de l'électrification du caoutchouc). Il nous est donc possible d'identifier l'électrification vitreuse de Du Fay avec l'électricité positive de Franklin, et l'électrification résineuse de Du Fay avec l'électricité négative de Franklin. Mais il reste une différence conceptuelle: pour Franklin il n'y a qu'un seul fluide électrique; pour Du Fay, il y en a deux.

 

            Pour Franklin donc, ce qui se déplace dans un conducteur est un fluide électrique qui, lorsqu'accumulé, est une charge positive. Ce qui revient à dire que ce sont les charges positives (associées à l'électricité vitreuse) qui se déplacent. Pourquoi avoir fait ce choix? Pourquoi ne pas avoir associé la charge positive à l'électricité résineuse et avoir ainsi postulé que ce sont les charges associées à l'électricité résineuse qui se déplacent dans les conducteurs?

 

            Si sa sphère est chargée par sa machine électrostatique avec de l'électrification vitreuse, il remarque qu'elle produit des aigrettes après un certain temps de charge, s'il n'y a pas de seconde sphère qui peut lui faire faire une étincelle. Ces aigrettes sont de petites étincelles qui se perdent dans l'air. Si sa sphère est chargée avec de l'électrification résineuse, il observe une étoile à la surface de la sphère, au lieu d'une aigrette. Il interprète ses résultats ainsi: l'aigrette, comme l'étoile, est due au passage du fluide électrique dans l’air. Dans le premier cas, celui de l'aigrette, le fluide électrique va de la sphère chargée vers l'air comme l'étincelle, partie de la sphère, se perd dans l'air; dans le second cas, celui de l'étoile, le fluide électrique va de l'air vers la sphère comme s'il y faisait une éclaboussure, d'où la forme d'une étoile. Le fluide électrique a quitté la sphère chargée par frottement contre le verre parce que sa proportion y était trop forte; et est venu frapper la sphère chargée par frottement avec le caoutchouc parce que sa proportion y était trop faible. Il s'ensuit que le cas d'un surplus de fluide électrique est associé à l'électrification par le verre et le manque, à l'électrification résineuse.

 

            Dans la nomenclature de Franklin, des charges de même type sont de même signe et se repoussent; et des charges de types différents sont de signes opposés et s'attirent. Nous allons essentiellement utiliser cette nomenclature à partir de maintenant.

 

fig17a.gif  Bouteille de Leyde

modifiée

            Sir William Watson (1715-1787) modifie la bouteille de Leyde: elle est maintenant formée par trois gobelets, placés l'un dans l'autre et en contact: un gobelet métallique interne J (relié à un conducteur B ) en contact avec la surface interne d'un gobelet de verre G , lui-même en contact avec la surface interne d'un gobelet métallique externe E .

 

            Franklin comprend que l'un des deux gobelets métalliques a un excédent du fluide électrique et l'autre, le manque correspondant (de telle sorte que la charge de l'un égale, au signe près, la charge de l'autre). Mais cela n'est pas suffisant pour expliquer la quantité de fluide électrique accumulé: il faut, montre-t-il, qu'une grande partie de celui-ci se trouve dans le verre placé entre les deux gobelets métalliques. Mais, sait-il, le verre est un isolant, et donc est imperméable au fluide électrique. Il faut donc que le fluide électrique associé au verre soit placé sur ses surfaces en contact avec une surface métallique, et que ce soit par cette surface métallique que le fluide puisse se déplacer. Encore une fois, la charge est superficielle pour un isolant.