1.7 La charge par influence
a) induction
En 1753, John Canton (1718-1772) colle, aux points D et C d'un conducteur allongé B isolé du sol, deux petites feuilles d'or de telle sorte que celles-ci puissent s'éloigner de la surface qui leur est voisine si celle-ci est chargée, puisque le signe de leur charge sera alors le même que celui de la surface avoisinante. Il s'assure que le corps B est bien initialement déchargé en plaçant son doigt dessus. (Rappelons-nous que le corps humain est un conducteur.) Les deux feuilles d’or sont alors verticales.
Il approche, mais sans y toucher, un corps chargé A (disons positivement). Il remarque que la partie C du conducteur allongé isolé B , celle la plus proche du corps chargé A , possède une charge; sa partie la plus éloignée D , également: ceci puisque les feuilles d'or placées en ces régions sont repoussées. Il touche le corps en C avec une autre feuille d'or, placée sur un manche isolant, et l'approche toute seule de A ; il remarque qu'elle est attirée, ce qui nécessite que sa charge soit de signe opposé à celle de A (soit négative, dans notre cas). Il trouve que le signe de la charge en D de la même façon en remarquant que la feuille d'or, placée sur un manche isolant, approchée de A après avoir été mise en contact avec D , est repoussée par A et donc est de même signe (soit dans notre cas, positive).
Il comprend que le fluide électrique du corps allongé B s'est déplacé sous l'action de la charge du corps extérieur A , de telle sorte que la charge nette du corps B demeure la même: le gain de fluide électrique d'une partie est dû à la perte de fluide électrique de l'autre. Ces charges ne sont pas apparues par frottement mais bien par l'action à distance des charges du corps extérieur A . Les charges du corps A causent une force électrique qui est ressentie à distance par d'autres charges, comme les corps matériels causent une force gravitationnelle qui est ressentie à distance par d'autres corps matériels. (La loi de la gravitation de sir Isaac Newton, qui montre que la force gravitationnelle va comme l'inverse du carré de la distance entre deux corps, publiée en 1687 dans son Principia, est la seule autre sorte de force alors connue avec la force magnétique qui agit également à distance.)
Le corps chargé extérieur A , peut-il remarquer, a une zone d'influence, zone dans laquelle il peut agir sur le conducteur B et y induire des charges en déplaçant assez de fluide électrique pour que cet effet soit mesurable. Cette zone d'influence mesurable porte le nom de champ électrique. (Ce terme n'apparaît en fait que beaucoup plus tard.)
Un conducteur, placé dans le champ électrique d'une charge externe, voit donc son fluide électrique mis en mouvement de telle sorte que les charges induites proches de la charge externe soient de signes opposés à celle-ci; dans notre cas où la charge externe est positive, le fluide électrique est repoussé par celle-ci. Nous pouvons définir le sens de l'action de la charge externe sur le fluide électrique du conducteur: il s'éloigne de la charge qui la cause si celle-ci est positive et s'en approche si celle-ci est négative. Nous savons déjà que l'action d'une charge sur le fluide électrique d'un conducteur diminue en fonction de sa distance. La zone d'une certaine influence électrique va donc être limitée pour une charge. Mais celle-ci est plus grande si la charge est plus grande.
Plus l'influence électrique d'une charge est grande donc, plus il y a de mouvement du fluide électrique dans un conducteur. Mais voilà que le mouvement a cessé: après tout, les feuilles d'or ne bougent plus, ce qui indique que les charges ne changent plus.
Il s'ensuit que l'influence électrique totale, celle de toutes les charges maintenant en présence, soit en A , C et D , doit être nulle dans le conducteur. La somme des influences électriques de chaque charge, induite ou non, doit donner zéro puisque le fluide électrique n'est plus en mouvement.
Si Canton touche le conducteur B avec son doigt en un point proche de D, il se trouve à le relier à la terre (le symbole de la terre est une série de lignes horizontales, d'autant plus courtes que plus basses, comme vu ci-contre): la charge de même signe que celle de A est alors éliminée par un mouvement du fluide électrique entre la région D du conducteur B et la terre. La feuille d'or attachée en D tombe, ce qui indique qu'il ne s'y trouve plus de charge électrique nette. Par contre la feuille d'or placée en C continue d'être repoussée.
La charge externe a donc, dans le cas où celle-ci est positive, repoussé vers la terre assez de fluide électrique pour que se forme en C une charge suffisamment grande pour contrer l'action de A dans le reste du conducteur. À ce moment, l'action électrique de toutes les charges en présence en C et en A est telle qu'il n'y a plus de déplacement de fluide électrique.
Il enlève maintenant le doigt et éloigne finalement la charge A . Il remarque que les deux feuilles d'or sont repoussées, autant l'une que l'autre, mais moins qu'avant. Il touche avec sa feuille d'or placée sur un manche isolant n'importe quel point de la surface de B et il remarque à chaque fois que la feuille est attirée par la charge du corps A qu'il a placée plus loin: le corps B est maintenant chargé avec des charges de signe opposé à celui du corps extérieur (négativement, dans notre cas). Ce processus de charge est dit charge par influence.
L'éloignement de la charge externe A a évidemment eu comme effet d'éliminer son influence sur le conducteur B . Le fluide électrique de B se répartit, somme toute, sur toute sa surface.
b) électrophore
Ce processus est utilisé un peu différemment en 1775 par le comte Allessandro Volta (1745-1827). Il fabrique une tarte de résine A et l'électrifie par frottement avec de la flanelle ou de la soie. Il attache au milieu d'un disque conducteur B un manche isolant. Il place maintenant le disque conducteur, manche vers le haut, sur la tarte de résine électrifiée: le disque ne touche réellement la tarte qu’en peu de points, et puisque les charges ne peuvent se déplacer sur la tarte, peu de celles-ci peuvent se retrouver sur le disque. La situation est donc telle que le disque est pratiquement juste au-dessus de la tarte de résine électrifié. Des charges de signe opposé à celles sur la résine apparaissent par influence sur la surface C du disque conducteur qui lui est la plus proche, et des charges égales mais de signe opposé sur la surface D qui lui est la plus éloignée.
Il touche maintenant le disque conducteur sur s surface D: les charges sur la tarte de résine A entraînent alors un mouvement de fluide électrique, de la terre dans notre cas, qui entraîne la formation d'une charge en C telle que l'influence résultante des charges de A et C soit zéro. Il éloigne maintenant le disque conducteur B de la tarte de résine A qui a encore toute sa charge. Son disque chargé B est un électrophore, ce qui signifie: porteur de charge, qu'il a chargé par influence.
c) champ électrique
Nous avons appelé la zone d'influence mesurable d'une charge électrique sur le fluide électrique d'un conducteur son champ électrique. Nous avons vu que l'action électrique varie en grandeur à l'intérieur de celle-ci; et que cette action entraîne un mouvement du fluide dans une direction et un sens précis, pour un point donné dans cette zone.
Comme dans cette zone la force de l'action sur le fluide électrique varie en grandeur et en direction, nous allons dire maintenant que le champ électrique, que nous notons E , est un vecteur dont la grandeur nous donne l'intensité de l'action sur le fluide électrique, et dont le sens nous indique le mouvement du fluide électrique.
Le champ électrique est donc l'influence électrique d'une charge ou d'un ensemble de charges; et celle-ci diffère d'ordinaire d'un point à l'autre. Remarquons que ce concept d'influence électrique en un point ne demande même pas qu'il y ait physiquement un conducteur en ce point pour en ressentir l'effet: l'influence existe, indépendamment de lui, mais ne peut tout simplement pas être mesurée.