10.12 L'accélérateur linéaire
Rutherford a remarqué en 1919 que le bombardement d'atomes d'azote trouvés dans l'air avec des particules α (des ions d'hélium de charge + 2 e ) produit deux éléments différents: de l'oxygène et de l'hydrogène. Ceci constitue la première réaction de transmutation artificielle observée.
Des réactions de transmutation sont produites naturellement lors de la production de particules α ou β. Mais celle trouvée par Rutherford est différente en ce qu'elle est due au bombardement d'un élément par d'autres, dotés d'une énergie cinétique importante: les particules α utilisées sont produites naturellement avec des énergies cinétiques de l'ordre de 6 MeV. Celles-ci ne sont guère contrôlables.
L'idée d'accélérer artificiellement des ions à l'aide de champs électriques vient donc à l'esprit des chercheurs. Mais obtenir des différences de potentiel de l'ordre de 6 MV n'est certes pas une mince affaire. Aussi plusieurs explorent une solution différente pour obtenir le même résultat: obtenir cette énergie cinétique à l'aide d'accélérations successives plus faibles.
Gustav Ising (1883-1960) suggère en 1925 une méthode mise en application par Rolph Wideroë (1902-) en 1928. Une série de cylindres creux métalliques sont placés à la suite sur un même axe à l'intérieur d'un tube dans lequel est fait un vide poussé. Les tubes impairs sont reliés à la borne de tension V (t) d'un générateur de tension sinusoïdale, de période Te et de tension de crête V0 . Les tubes pairs sont reliés ensemble à la borne de terre du générateur, ainsi qu'au boîtier de la source S d'ions à accélérer.
Nous avons vu dans notre chapitre deux que le champ électrique est nul à l'intérieur d'un cylindre creux conducteur; son potentiel est donc le même partout dans son intérieur. Si le potentiel du cylindre creux change dans le temps, il change partout à l'intérieur du cylindre à la fois. Et ce, sans y créer de champ électrique. Une particule chargée qui voyage à l'intérieur d'un tel cylindre conducteur creux ne change donc pas de vitesse, et donc, pas d'énergie cinétique lors de son vol à travers la région interne du cylindre conducteur creux.
Si, par contre, le cylindre (la région) qu'elle quitte est au potentiel de crête + V0 par rapport au cylindre suivant à ce moment, elle va voir son énergie potentielle chuter de q V0 à son arrivée au cylindre creux conducteur suivant, et son énergie cinétique, augmenter d'autant. Supposant que les ions produits par la source S n'ont, à leur sortie de celle-ci, qu'une énergie cinétique négligeable, il s'ensuit que l'énergie cinétique K de ceux qui ont été produits à ce moment est + q V0 après leur passage de la source au premier cylindre.
Si le temps qui s'écoule durant le vol de ces ions à travers le premier cylindre est égal à la moitié de la période Te du générateur, ceux-ci vont gagner la même énergie cinétique à leur passage du premier au second cylindre et donc se retrouver avec une énergie cinétique de + 2 q V0 après cette traversée. Si la longueur des cylindres successifs est ajustée de telle sorte que les ions gagnent toujours la même énergie cinétique à leur traversée entre cylindres, celle-ci
sera de + n q V0 après leur passage au n ième cylindre.
La vitesse vn , constante durant le vol dans la région creuse d'un cylindre particulier, est donnée par
en isolant la vitesse de l'énergie cinétique Kn déjà trouvée.
Le principe de cet accélérateur est donc de causer des accélérations abruptes, lors du passage d'un cylindre à l'autre; ceci en s'assurant qu'à son arrivée à la zone entre deux cylindres creux conducteurs, le potentiel de celui quitté est + V0 par rapport au suivant. Ce qui nécessite que les tensions V (t) changent de signe lors d'une traversée de cylindre. Ce temps de traversée t doit donc être égal
à la moitié de la période électrique Te du générateur.
Puisque les ions accélérés ont des vitesses vn constantes durant leur vol dans un cylindre, de plus en plus rapides, la distance qu'ils doivent parcourir durant le temps t est de plus en plus grande. La longueur Ln du n ième cylindre doit donc être donnée par
le produit de la vitesse, alors constante, vn des ions par le temps qu'ils doivent y passer, soit la moitié de la période Te du générateur.
L'accélérateur comprend donc des tubes creux de plus en plus longs placés sur un même axe et réunis à un générateur de tension alternative. Ce qui lui a valu le nom d'accélérateur linéaire. Il est également connu sous son acronyme anglais Linac (pour Linear accelerator).
Le problème de pareil accélérateur est qu'il est construit pour accélérer un ion particulier, de masse m et de charge q données, avec un générateur de période Te et de tension de crête V0 données puisque ce sont tous ces paramètres qui déterminent la longueur des cylindres. De plus le tube dans lequel il faut faire un vide poussé est d'autant plus long que l'énergie finale demandée est très grande.
Considérons un accélérateur linéaire dont la tension de crête du générateur de 250 kHz de fréquence est de 42 kV. La période électrique, l'inverse de sa fréquence, est alors de 4,0 μs. Le temps de vol dans chaque cylindre, de la moitié, soit 2,0 μs, selon l'équation (10.12.3). Cet accélérateur sert à fournir à des ions de mercure, dont la charge est + e, une énergie cinétique finale de 1,26 MeV à l'aide de 30 gains de 42 keV chacun. L'énergie cinétique après le premier gain est de 42 keV; la vitesse des ions de mercure, dont la masse est de 3,3⋅10-25 kg, est alors de 2,02⋅105 m/s selon l'équation (11.12.2), une fois l'énergie convertie en joule. La longueur du premier tube doit donc être, selon l'équation (11.12.4), de 404 mm vu qu'il doit être parcouru en 2,0 μs. L'énergie cinétique après le deuxième gain est de 2 fois 41 keV, soit 84 keV. La vitesse des ions de mercure est alors de 2,85⋅105 m/s selon l'équation (11.12.2) et la longueur du deuxième tube, de 571 mm selon l'équation (11.12.4). La vitesse des ions dans le 30 ième tube est de 1,11⋅106 m/s selon l'équation (11.12.2) compte tenu de leur énergie cinétique de 30 fois 42 keV, soit 1,26 MeV.