10.13 Le cyclotron

 

            Ernest Orlando Lawrence (1901-1958) décide en 1932 de mettre au point un nouvel accélérateur. Comme le précédent, il fournit aux ions une énergie cinétique K supplémentaire donnée par le produit de leur charge par la tension de crête + q V0 à chaque fois que ceux-ci passent d'une zone à une suivante où le potentiel est inférieur par rapport à la précédente de V0 . Encore une fois, ces zones équipotentielles sont reliées aux bornes d'un générateur. La tension V (t) produite à une de ses bornes par le générateur est sinusoïdale, de période Te et de tension de crête V0 , par rapport à l'autre borne reliée, elle, à la terre.

 

fig32.gifDés

            L'idée nouvelle est que son accélérateur n'a besoin que de deux zones équipotentielles A et B , délimitées par des demi-boîtes de conserve plates découpées selon leur diamètre et évidées puisque les ions vont passer successivement d'une demi-boîte creuse à l'autre. Ceci est produit en les faisant tourner dans un champ magnétique B. Les cylindres creux conducteurs d'Ising sont donc remplacés par ce que Lawrence baptise dés vu leur forme vue de haut, soit celle de la lettre D. Ceux-ci sont faits en cuivre.

 

            Nous avons déjà vu que le temps requis pour que la particule décrive un cercle complet dans une zone de champ magnétique B est sa période TR donnée par

notre équation (10.5.7). Elle dépend seulement de son rapport masse sur charge m / q et du champ B . Il s'ensuit que la période de rotation TR de la particule ne dépend pas de sa vitesse v .

 

fig33.gifTrajectoire des ions

            Les ions voient leur énergie cinétique K changer seulement lorsqu'ils passent de la zone délimitée par un dé à celle délimitée par l'autre, et donc seulement lors de leur passage dans l'entre-dés E , puisque la zone délimitée par chaque dé est une équipotentielle.

 

            Si les ions, qui sont produits en S juste avant l'entre-dés E , subissent alors à l'entre-dés E une augmentation de leur énergie cinétique de + q V0 , ils subiront cette même augmentation à chaque passage de ce même entre-dés E si la période de la tension du générateur Te est égale à

la période de leur rotation TR . Ils verront alors leur énergie cinétique Kn augmenter de + q V0 à chaque passage de l'entre-dés de telle sorte qu'elle sera donnée par

n fois leur gain d'énergie à chaque passage + q V0 .

 

            Remarquons que la vitesse vn des ions

ne change pas lors de leur vol dans la région délimitée par un dé, mais seulement lors de leur passage de l'entre-dés. Ils décrivent donc des demi-cercles de rayon Rn

dans la région délimitée par un dé, demi-cercles joints à leurs extrémités à l'entre-dés. Les rayons de gyration, qui dépendent du rapport masse sur charge m / q de l'ion accéléré, augmentent avec leur vitesse v et donc avec leur énergie cinétique Kn .

 

mag1.gif   cyclotron et électro-aimants (vue de coupe)

            Le cyclotron requiert, comme l'accélérateur linéaire, une région où est créé un vide poussé de telle sorte que les ions accélérés n'entrent pas en collision avec des molécules d'air résiduelles et perdent leur chemin. Mais ce volume est limité à une région cylindrique mince confinée essentiellement par les deux dés A et B qui se font face. Ce qui facilite le pompage à vide. Mais il requiert, en plus du générateur de tension sinusoïdale branché aux deux dés par les électrodes E, un électro-aimant puissant pour créer la zone de section A de champ magnétique B constant dans lequel toute cette région doit être immergée. Le circuit magnétique requis comprend deux pièces polaires P où sont roulées les spires parcourues par le courant qui alimente l'électroaimant, l'entrefer F où sont placés les dés A et B , qui sépare les pièces polaires P , et la culasse de fer C . La perméabilité μ du fer est telle que la force magnétomotrice Γ est surtout requise pour créer le flux magnétique φm de l'entrefer F , qui est tenu aussi mince que possible. Evidemment ceci limite la valeur du champ magnétique puisque la permittivité du fer varie selon le champ requis. Aussi la réluctance de la culasse C et des pièces polaires P n'est plus négligeable pour des forts champs magnétiques.

 

sc1025b.gifCyclotron et électrodes (vue de haut)

            Une fois que les ions ont acquis l'énergie cinétique maximale qu'il leur est possible d'acquérir dans cette machine, ils frôlent somme toute les parois des dés et sont alors éjectés à l'aide de plaques chargées J (placées dans le dé A) qui contrecarrent en majeure partie la force magnétique qu'ils subissent dans le champ magnétique: ils quittent la machine avec l'énergie cinétique acquise. La source d'ions est pratiquement au centre de la machine.

 

            Le cyclotron ne fonctionne correctement que si la période de rotation des ions TR est égale à celle du générateur Te , avons-nous vu à notre équation (10.3.2). Or la période du générateur Te n'est pas ajustable. Il nous faut donc ajuster la période de rotation des ions TR pour que celle-ci égale celle du générateur. Cet ajustement s'obtient, pour des ions de rapport masse sur charge m / q particulier, en ajustant le champ magnétique B produit par l'électro-aimant.

 

            L'énergie cinétique maximale que les ions peuvent acquérir dans cette machine dépend de deux facteurs: le premier dépend des paramètres de la machine: une fois le champ magnétique B réglé pour que la période de rotation TR soit égale à celle du générateur Te pour des ions de rapport masse sur charge m / q spécifique, la vitesse maximale vmax possible est

définie par l'équation (10.6.4) réorganisée, où le rayon R en question est celui des dés RD . De là s'ensuit l'énergie cinétique maximale Kmax si, évidemment, la vitesse trouvée est inférieure à 7⋅107 m/s. Une vitesse supérieure à celle-ci entraîne un changement sensible dans la période de rotation des ions, qui, ne coïncidant plus avec celle du générateur, fait que les ions ne sont plus accélérés: c'est le deuxième facteur qui limite l'énergie maximale que les ions peuvent acquérir dans la machine.

 

Considérons le cyclotron de l'Université de Pittsburg. Le rayon de ses dés est de 530 mm. L'entrefer de son électroaimant est de 120 mm. Son générateur fournit une tension de crête de 80 kV à une fréquence de 12 MHz.

 

Si celui-ci est utilisé pour accélérer des ions positifs d'hydrogène, dits protons, dont la charge est celle de l'électron de Stoney, son champ magnétique doit être de 790 mT afin que la période de rotation des protons de masse 1,67⋅10-27 kg soit de 83,33 ns selon l'équation (10.13.2). La vitesse maximale de ceux-ci est de 4,0⋅107 m/s par notre équation (10.13.6) puisque le rayon des dés est de 530 mm. Celle-ci est inférieure à 7⋅107 m/s et donc constitue la vraie valeur maximale atteinte. L'énergie cinétique correspondante, donnée par la moitié de la masse fois la vitesse au carré, est de 1,30⋅10-12 J, soit 8,3 MeV.

 

Comme le gain d'énergie cinétique à chaque passage de l'entre-dés est de 80 keV selon l'équation (10.13.3), il s'ensuit que 104 passages sont requis pour atteindre l'énergie maximale de 8,3 MeV, ce qui constitue 52 révolutions et donc, à 83,33 ns par révolution, un temps d'accélération total de 4,3 μs.

 

spir1.gif

L'énergie cinétique des ions d'hydrogène juste après avoir traversé l'entre-dés pour la première fois en a est de 80 keV; ce qui correspond à une vitesse de 3,92⋅106 m/s selon notre équation (10.13.4) avec n égal à un. Ils décrivent un demi-cercle de 51,7 mm de rayon dans la zone confinée par le premier dé selon notre équation (10.13.5). C'est donc en b , à une distance de 103,4 mm de leur point de départ a , qu'ils subissent leur deuxième accélération. Leur énergie cinétique augmente de 80 keV à 160 keV au passage de l'entre-dés. Leur vitesse passe alors à 5,54⋅106 m/s selon l'équation (10.13.4). Ils décrivent dans la zone confinée par le dé d'où ils sont partis au départ un demi-cercle de 73,2 mm de rayon selon l'équation (10.13.5). Ils sont en c à une distance de 146,3 mm du point b d'où ils ont passé l'entre-dés pour la deuxième fois. Leur distance de c à leur point de départ a est donc de 42,9 mm, soit la différence entre ces deux valeurs. Leur énergie cinétique augmente à nouveau de 80 keV à 240 keV à leur troisième passage de l'entre-dés. Leur vitesse est alors de 6,78⋅106 m/s. Le rayon de courbure de leur arc de cercle, de 89,6 mm de rayon.

 

            Remarquons bien que la trajectoire des ions dans un cyclotron n'est pas une spirale. Celle-ci est formée de demi-cercles joints ensemble et de rayons différents selon la vitesse de l'ion dans le dé.