10.2 Décharges électriques dans des gaz raréfiés
Il est remarqué, après l'invention de la pompe à vide, que les étincelles qui requièrent une certaine tension pour se produire dans l'air à pression atmosphérique normale dans une situation donnée, se produisent sous une tension plus faible lorsque l'air est évacué partiellement. Elles entraînent alors une perte de charge d'autant plus faible dans un temps donné que l'évacuation d'air est complète.
Aussi à une pression suffisamment faible, la quantité de charge perdue peut être compensée par le taux de charge d'une machine électrostatique: la décharge dure alors, comme dans le cas de l'électrolyse: il y a un courant continu entre les électrodes. L'espace entre les électrodes est alors lumineux.
Faraday entreprend en 1833 l'étude de la décharge électrique dans les gaz raréfiés; il remarque, comme d'autres avant lui, que la région entre les électrodes est de lueur rose. Mais, regardant de plus près, il découvre que la lueur rose P ne remplit pas tout l'espace entre les électrodes: il trouve près de la cathode (l'électrode négative) une lueur bleue N de faibles dimensions séparée de la lueur rose par un espace sombre F: l'espace obscur de Faraday. Sa pompe à vide ne lui permet pas de réduire sa pression résiduelle à une valeur inférieure à environ 400 Pa.
L'étude des gaz raréfiés peut être poussée plus loin, une fois inventée par Heinrich Geissler (1814-1879) en 1855 une pompe à faire le vide qui permette de réduire la pression résiduelle à environ 50 Pa. Julius Plücker (1801-1868) découvre alors en 1858 que la région de la lueur bleue N devant la cathode a pris plus d'importance, que la colonne rose P a été remplacée par des stries et que l'espace obscur de Faraday F a pris de l'ampleur. La largeur de la colonne bleue dépend de celle de la cathode. Si celle-ci est essentiellement ponctuelle, la lueur bleue dévie sous l'action d'un aimant. (Davy avait déjà remarqué en 1821 qu'un arc électrique dévie sous l'action d'un champ magnétique.) Le verre frappé par la lueur bleue dans la région en face de la cathode devient fluorescent, région qui se déplace sous l'action du champ magnétique, tout comme la lueur elle-même.
En 1861 Sprengel invente la trompe à mercure qui permet de baisser la pression résiduelle du gaz à 10 Pa. En 1869, Johann Wilhelm Hittorf (1824-1914) place un solide entre sa cathode quasi-ponctuelle et la région de verre en face et remarque l'ombre de l'objet qui se découpe de la région fluorescente du verre. Ce qui amène Cromwell Varley (1828-1883) à suggérer en 1871 que la lueur est due à des petites particules matérielles négativement chargées et projetées par l'électrode négative. Et que c'est pour cela que celles-ci sont déviées par un champ magnétique.
En 1875 sir William Crookes (1832-1919) remarque, pour une pression résiduelle de 10 Pa, un espace sombre C entre la cathode et la lueur bleue qui n'était pas important à la pression de 50 Pa: l'espace obscur de Crookes.
En 1876 Eugen Goldstein (1850-1930) reprend l'expérience d'Hittorf avec une cathode non ponctuelle et trouve le même phénomène d'ombre si l'objet qui la cause est suffisamment proche de la cathode. Il invente alors le terme rayons cathodiques pour ces rayons bleus qui semblent être émis de la cathode presque seulement dans la direction normale à celle-ci et qui semblent causer l'illumination du verre qu'ils iraient frapper. Le caractère non isotrope des rayons cathodiques les différencie des rayons lumineux qui, eux, sont émis d'un corps incandescent dans toutes les directions également.
En 1879 sir William Crookes, reprenant les expériences déjà faites, ajoute celle où le faisceau lumineux exerce une force sur un objet placé sur son passage comme il fait tourner une légère roue à aubes placée sur son passage dans le tube. De quoi il conclut que les rayons cathodiques sont des particules chargées: particules vu qu'elles agissent sur un objet et que leur trajectoire est rectiligne en l'absence de champs, et chargées parce qu'elles dévient dans un champ magnétique.
En 1884 sir Arthur Schuster (1851-1934) examine le problème de la décharge électrique dans les gaz, raréfiés ou non. Il décide que le processus doit être semblable à celui qui se passe lors de l'électrolyse: c'est par la dissociation des molécules et la formation d'ions que le courant va d'une électrode à l'autre dans le tube. Evidemment, les molécules ionisées produites sont diffusées suite à des collisions à des taux différents selon leur masse. Et il trouve que les ions positifs sont beaucoup plus lents.
En 1886 Goldstein découvre avec un tube comprenant une cathode trouée que le verre derrière celle-ci devient lumineux lors de la décharge. Il nomme rayons-canaux les nouveaux rayons qui proviennent de l'anode et causent cette lumière.
Il est découvert en 1892 que les rayons cathodiques peuvent traverser de minces feuilles de métal puisque la lueur continue alors de l'autre côté dans l'air. Ceci amène Hertz à considérer impossible que ce soient des particules puisqu'il considère impossible que celles-ci traversent les solides. Philipp Lenard (1862-1947) bâtit un tube cathodique avec une fenêtre d'aluminium de quelques microns d'épaisseur pour permettre aux rayons cathodiques d'être étudiés ainsi à l'air libre et en 1894 mesure que la lueur qui a traversé la fenêtre perd la moitié de son intensité lumineuse après un parcours de 5 mm dans l'air; ces rayons sont alors dits rayons de Lenard.
De plus, Hertz remarque que les rayons cathodiques ne dévient pas lorsqu'il place leur faisceau entre deux plaques chargées; ils doivent donc être neutres. Il remarque d'ailleurs que ceux-ci continuent en ligne droite même si l'anode est latérale, ce qui se comprend fort mal si ceux-ci forment le courant qui circule entre les électrodes.
En 1895, Jean Perrin (1870-1942) envoie une partie de ses rayons cathodiques dans un petit cylindre métallique B placé à l'intérieur de son tube très bien évacué. Il le relie à un électroscope externe au tube: celui-ci se charge négativement. Il en conclut que les rayons cathodiques sont des charges négatives émises par la cathode, l'électrode négative. Mais il reste que ce que son expérience démontre vraiment est l'existence d'un courant de charge qui provient de la cathode, et non pas que ce courant de charges négatives est la cause de la fluorescence du verre, propriété des rayons cathodiques.