11.2 Mouvement de charges dans les conducteurs solides

 

a) structure atomique des solides

 

            En 1858 Rudolph Emmanuel Clausius (1822-1888) bâtit en partie la théorie cinétique des gaz. Il considère la chaleur comme due à l'agitation moléculaire et la force entre les molécules comme négligeable sauf lorsqu'elles s'approchent trop l'une de l'autre, en quel cas elles entrent en collision. Elles voyagent donc en ligne droite entre deux collisions. Il introduit le concept de libre parcours moyen, la distance moyenne parcourue par une molécule entre deux collisions avec d'autres. Il montre que sa grandeur est inversement proportionnelle au nombre de molécules par unité de volume, soit leur concentration, ainsi qu'à leur section efficace. En 1865, Joseph Loschmidt (1821-1895) détermine approximativement le nombre d'Avogadro (le nombre de molécules dans une mole d'un gaz à pression et température normales) et trouve une valeur approximative de 0,1 nm pour le rayon moléculaire. En 1873 Maxwell évalue la masse de l'atome d'hydrogène à 4,6⋅10-27 kg, et son rayon, à 0,58 nm.

 

            Comme la masse atomique relative des éléments est établie, il est maintenant possible de déterminer, au moins approximativement, la masse de l'atome de cuivre , par exemple, et à partir de la densité du cuivre, le nombre d'atomes de cuivre trouvés dans un volume donné, et donc la distance entre ceux-ci; et de comparer cette distance au rayon de l'atome d'hydrogène. Il apparaît alors que les atomes des solides sont très proches les uns des autres.

 

            Ce qui fait beaucoup de sens. Après tout, chaque parcelle d'un solide demeure à sa place vis-à-vis les autres parcelles. Il y a bien possibilité de déformation (étirement, contraction ou rotation) de parcelles les unes par rapport aux autres, mais il reste qu'elles demeurent approximativement à la même place. Ce qui implique des forces de cohésion à l'échelle atomique. Or les atomes n'agissent l'un sur l'autre que lorsqu'ils sont proches.

 

            Évidemment cela implique que nous ne pouvons pas avoir de déplacements d'ions moléculaires dans les conducteurs solides comme nous avons dans les électrolytes. Ce n'est donc pas ainsi que le courant électrique s'y produit.

 

b) détermination des charges mobiles dans les conducteurs solides

 

            Nous avons vu dans notre chapitre dix qu'Edison découvre en 1883 l'effet qui porte son nom: un courant électrique circule entre une plaque et un conducteur solide chauffé du moment que le potentiel de la plaque est légèrement positif par rapport au conducteur solide chauffé. Il n'y a pas de courant lorsque les polarités sont inversées.

 

            Nous avons également vu qu'est découvert en 1897 le corpuscule négatif, dont le rapport masse sur charge est deux mille fois plus petit que celui de l'ion monovalent d'hydrogène. Ce corpuscule émane de tous les conducteurs, quels qu'ils soient. Dès 1898 il est montré que le courant découvert par Edison en 1883 est dû à l'émission par le filament d'un nombre de corpuscules d'autant plus grand que celui-ci est chaud. Ces corpuscules, avons-nous vu, ont pris le nom d'électrons. Il s'ensuit que les conducteurs solides doivent posséder un grand nombre de ces électrons, fort mobiles vu leur faible masse et l'aisance qu'ils ont de quitter le conducteur lorsque sa température est assez grande.

 

            Il est alors raisonnable de supposer que l'électron est le porteur de la charge négative dans tous les conducteurs solides. C'est lui qui cause le fluide associé à l'électricité résineuse. Il est en effet raisonnable de penser que la particule dont la masse est la plus faible va être celle qui va se déplacer le plus facilement dans des champs et donc constituer la composante la plus mobile du fluide en question. La charge positive, elle, est alors vue comme associée au reste de l'atome lui-même, atome qui, comme nous avons vu, est, à toutes fins pratiques, fixe dans le solide.

 

            Les seules particules chargées qui apparaissent du conducteur solide dans l'effet Edison sont les électrons. Il est donc raisonnable de supposer que ce sont les seules particules qui y sont mobiles. Il semble donc que les atomes du solide sont à toutes fins pratiques fixes, et que certains de leurs électrons sont libres de se déplacer de l'un à l'autre, et ce, d'autant plus que la température du conducteur est grande. Le fluide électrique dans un conducteur solide est selon ce modèle d'un seul type, comme l'avait suggéré Franklin. Mais, contrairement à sa suggestion, c'est l'électricité résineuse (négative) qui est en mouvement et non l'électricité vitreuse (positive).

 

            Le courant I dans un conducteur métallique de section A est alors vu comme un mouvement homogène d'un ensemble de n électrons de charge q par unité de volume, mouvement à vitesse v par rapport au fil conducteur,

l'équivalent de notre équation (10.4.2) dans le cas des rayons cathodiques.

 

            Ces électrons, vont pouvoir subir une force électrique Fe

et une force magnétique Fm

donnée par notre équation (10.4.5).

 

            Le courant dans les conducteurs métalliques serait donc dû à une concentration n de corpuscules libres (électrons) se déplaçant à vitesse constante v par rapport au fil conducteur, possédant une concentration n de charges positives fixes égale à celle des corpuscules libres afin que le conducteur soit neutre.

 

 


c) preuve expérimentale de la nature des charges libres dans les conducteurs solides

 

            En 1916, Richard Chace Tolman (1881-1948) et T.D. Stewart font tourner une bobine de fil très rapidement sur son axe, bobine dont les extrémités sont reliées par deux bagues collectrices à un galvanomètre très sensible. Ils ne remarquent alors aucun courant comme les électrons libres du fil conducteur sont entraînés dans le mouvement de rotation de la bobine.

 

            Ils stoppent abruptement le mouvement de rotation de la bobine. Les électrons, entraînés par la rotation de la bobine, continuent sur leur lancée comme les passagers d'une rame de métro lors d'un arrêt soudain: il y a alors création d'un courant électrique momentané, dont le sens est donné par la déviation de l'aiguille de son galvanomètre. Le sens de la vitesse des électrons est celui de la rotation originale de la bobine. Ils montrent alors que les charges en mouvement sont négatives vu que les vecteurs courant et vitesse sont de sens opposés.

 

            L'accélération a apparente des charges libres de masse m par rapport au fil est due à une force F donnée par la deuxième loi de sir Isaac Newton, force qui, semblant mettre des charges en mouvement, joue le rôle de force électrique Fe ,

donnée par notre équation (11.2.2). C'est donc comme si une tension V existait aux bornes du fil de longueur L , tension donnée

par le produit de sa longueur et du champ E qui aurait causé leur accélération. Un courant I apparaît alors dans le circuit électrique, courant donné par le quotient de la tension

et de la résistance totale RT du circuit, fil en mouvement et galvanomètre. La charge totale mise en mouvement Q peut maintenant être mesurée à l'aide du galvanomètre. Elle est donnée

par la somme des produits du courant I par l'intervalle de temps dt durant lequel il existe, vu notre équation (3.9.3). Le rapport masse sur charge m / q de nos charges mobiles est donc trouvé

une fois la charge Q évaluée pour une vitesse de rotation donnée v . Et Tolman et Stewart trouvent une valeur en accord avec le rapport masse sur charge trouvé pour l'électron et ce, pour différents métaux.

 

Un de leurs conducteurs comprend 466 m de fil roulé sur un cylindre de 120 mm de rayon tournant à une vitesse de 55,2 m/s. La résistance totale du circuit, incluant leur galvanomètre, est de 40 Ω. L'arrêt abrupt du cylindre entraîne une charge de 3,6 nC, pour un rapport masse sur charge de 5,7⋅10-12 kg/C. Ce rapport correspond avec celui de l’électron puisque sa masse est de 9,1⋅10-31 kg et sa charge est de 1,6⋅10-19 C.

 

            Ce sont donc les électrons qui, en mouvement, causent le courant à l'intérieur d'un conducteur solide.

 

d) modèle atomique requis pour expliquer la diffusion des particules alpha

 

            Ce résultat est confirmé d'une autre façon par le bombardement de feuilles d'or à l'aide de particules α. Ces dernières avaient été trouvées être des ions positifs d'hélium de charge égale à deux fois la charge élémentaire grâce à une série d'expériences entreprises par Rutherford et son équipe entre 1902 et 1908. Hans Geiger (1882-1945) sous la direction de Rutherford montre en 1908 que pratiquement toutes les particules α qui frappent des minces feuilles d'or les traversent sans déviation appréciable. Ce qui ne s'explique que si le volume dans lequel se trouvent les atomes d'or est essentiellement vide pour que les ions d'hélium puissent les traverser sans collision appréciable.

 

            Mais voilà que Geiger trouve en 1909 avec Ernest Marsden (1889-1970) que ces particules α rebondissent quelquefois! Ce qui demande d'avoir alors subi une collision violente.

 

            Ces résultats, à première vue contradictoires, sont expliqués par Rutherford en 1911: l'atome, conçoit-il, est constitué d'une région très petite où se trouve concentrée pratiquement toute sa masse, région qu'il baptise noyau en 1913, ainsi que d'électrons qui gravitent autour sur des orbites comme les planètes autour du soleil. La charge Q nette du noyau est alors égale à la charge totale des électrons orbitaux, de telle sorte que l'atome soit neutre. L'hélium, par exemple, comprend un noyau de charge 2 e et deux électrons orbitaux, puisque les particules α, de charge 2 e , ne peuvent avoir d'électrons orbitaux vu leurs énergies cinétiques.

 

            Rutherford considère que le nombre d'électrons orbitaux est approximativement donné par la moitié de masse atomique A de l'atome. Antonius Johannes van den Broek (1870-1926) suggère en 1913 que la charge Q nette du noyau est en fait égale au produit de la charge élémentaire e fois le numéro atomique Z de l'atome en question. Cette hypothèse est doublement vérifiée la même année grâce à des expériences qui dépassent les limites de ce cours.

 

            Une charge q qui se trouve à une distance r du noyau se trouve donc à subir la force électrique Fe de Coulomb

(où est un vecteur unité allant de la charge agent à la charge patient) une fois qu'elle a pénétré à l'intérieur des orbites électroniques. Une particule α d'une énergie cinétique donnée qui, neutre, s'approcherait à une certaine distance du noyau d'or, se trouve, chargée, à subir cette force qui change la grandeur et la direction de sa vitesse. Elle va dévier d'un angle de diffusion d'autant plus grand qu'elle se serait approchée du noyau. C'est lors de sa distance minimale d'approche véritable qu'elle subit, selon notre dernière équation, une répulsion maximale.

 

            Puisque la chance qu'une telle particule se serait approchée ainsi à une telle distance se calcule, Rutherford trouve comment le nombre de particules α va varier selon l'angle de diffusion. L’équation de Rutherford est vérifiée expérimentalement par Geiger en 1911 pour des distances minimales d'approche supérieures à environ 10-14 m: c'est donc que la charge du noyau n'apparaît plus comme Q , situation qui se produit si la particule α pénètre alors le noyau d'or.

 

e) modèle atomique de Bohr

 

            Ce modèle de l'atome est repris en 1913 par Neils Bohr (1885-1962). Il conçoit les électrons orbitaux sur des couches de rayons spécifiques, de telle sorte que seuls les électrons de la dernière couche de l'atome sont capables de subir l'influence des atomes environnants et donc d'agir comme électrons de valence. Les charges mobiles d'un solide conducteur ne peuvent donc provenir que de cette couche externe de l'atome: le noyau est fixe comme nous avons vu, et la plupart des électrons orbitaux lui sont fortement liés par la force électrique d'attraction de Coulomb entre charges de signes opposés, à l'exception possible d'un électron de la dernière couche, qui, lui, subit à la fois l'attraction de plusieurs noyaux comme les autres environnants lui sont pratiquement aussi proches, et que les autres électrons orbitaux le repoussent.

 

f) comportement des électrons libres dans les conducteurs solides

 

            Les électrons mobiles à l'intérieur d'un conducteur métallique ne se déplacent pas vraiment comme ceux des rayons cathodiques: ils entrent en collision très fréquemment contre les atomes et les autres électrons, dans ce dernier cas un peu comme les atomes d'un gaz. C'est pourquoi ils ont une vitesse constante dans un conducteur homogène lorsqu'une différence de potentiel est placée à ses bornes: le champ électrique veut bien les accélérer constamment, mais les collisions multiples qu'ils subissent sur des distances très courtes font qu'ils semblent avoir une vitesse constante, qui est en fait leur vitesse moyenne, vitesse que nous avons notée v .