3.2 La tension électrique

 

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            Volta se sert d'un instrument analogue en 1781. Mais voici qu'il l'utilise de façon quelque peu différente: à l'aide d'un fil conducteur, il relie le plateau P de l'électroscope à un point d'une sphère conductrice C chargée et isolée du sol. Il remarque une certaine déviation de l'angle que fait la feuille mobile A de l'appareil avec la verticale. Il remarque maintenant que la déviation de la feuille mobile A ne change pas lorsqu'il déplace son point de contact sur la sphère conductrice chargée C isolée du sol.

 

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            Il met maintenant une deuxième sphère métallique D, identique à la première mais initialement déchargée, en contact avec celle-ci. Il remarque que la feuille mobile A fait maintenant un angle avec la verticale qui est à peu près deux fois moindre qu'avant. Encore une fois, l'angle avec la verticale reste le même pour tout point de contact, et pour les deux sphères.

 

            Volta cherche à comprendre ses résultats. Il part avec le principe de la conservation de la charge. Sa première sphère C avait une charge donnée. Celle-ci a dû en perdre une partie lorsqu'il l'a mise en contact avec le plateau de son électroscope, comme celui-ci doit en avoir reçu pour que sa feuille mobile dévie. Certes, la déviation angulaire de sa feuille A doit dépendre de sa charge. Quand il met les deux sphères en contact, la charge doit maintenant se répartir sur les deux sphères et l'électroscope: il y en a donc moins pour chacun, à peu près la moitié moins, et donc l'angle de déviation de la feuille d'or avec la verticale n'est plus que la moitié de ce qu'il était.

 

            Mais les deux sphères en contact ne font-elles pas un seul corps électrisé conducteur? Et sa charge n'est-elle pas essentiellement la même que celle de la sphère conductrice originale?

 

            L'électroscope, ainsi branché, ne mesure pas la charge du corps conducteur auquel son plateau est relié: en effet la charge est la même sur l'ensemble des deux sphères métalliques en contact que sur la sphère originale alors que la déviation angulaire est différente. Que mesure-t-il alors? Quelque chose qui a diminué de moitié lorsque deux corps conducteurs identiques ont porté la charge que l'un seulement portait. Ou, dit autrement, quelque chose qui diminue de moitié quand la charge du corps particulier C diminue de moitié.

 

            La charge électrique placée sur la sphère C est d'un même signe: ses parties se repoussent donc; et ce, d'autant plus que la charge est grande. Les forces électriques qui cherchent à les repousser les unes des autres sont donc d'autant plus fortes que chacune des parties est fortement chargée. Mais les parties en question ne sont pas repoussées. Il faut donc qu'il existe une force de cohésion qui retienne chaque partie chargée sur la sphère.

 

            La même chose se produit lorsqu'on suspend une charge à un ressort: des forces apparaissent dans ce dernier, qui cherchent à l'étirer; mais il y a une force de cohésion, sa tension, qui les contrecarre et maintient ensemble les parties du ressort. Cette tension requise doit être, pour un ressort donné, d'autant plus grande que la charge qu'il supporte est grande.

 

            Volta décide donc d'appeler tension électrique Te cette "force" requise pour tenir ensemble la charge Q de la sphère, "force" qui est d'autant plus grande que la charge qui s'y trouve est grande

La tension électrique Te a donc diminué de moitié quand la charge Q de la sphère C a diminué de moitié.

 

            Il remarque que la tension électrique a une différence importante d'avec la tension d'un ressort; alors que celle du ressort est toujours positive, la tension électrique est négative si la charge du corps est négative.

 

            Volta reprend ses expériences. Lors de la charge d'une sphère conductrice C avec son électrophore, il remarque une étincelle entre l'électrophore et la sphère juste avant que ceux-ci ne se touchent. Après contact, le sphère conductrice reçoit une charge Q et donc a une tension électrique Te , mesurée comme une déviation angulaire de la feuille d'or de son électroscope. Il remarque qu'une seconde sphère D, déchargée, ne cause pas de déviation angulaire de la feuille d'or avec la verticale de son électroscope. Et, puisqu'elle est déchargée, elle n'a pas de tension électrique selon notre équation (3.2.1). Il amène la seconde sphère conductrice D en contact avec sa première: il remarque à nouveau une étincelle entre les deux sphères juste avant qu'elles se touchent. Il sait que l'étincelle indique le passage du fluide électrique d'un corps à l'autre. C'est donc l'indication d'un transfert de charge d'un corps à l'autre. Il remarque, encore une fois, que la déviation angulaire de la feuille d'or de son électroscope avec la verticale n'est plus que la moitié, situation dans laquelle la charge de l'ensemble des deux sphères est la même mais la tension électrique sur chaque est la moitié. Il remarque que la déviation angulaire de la feuille d'or de son électroscope avec la verticale ne change pas s'il éloigne les deux sphères l'une de l'autre et ce, quelle que soit la sphère reliée à son électroscope. Et, s'il les remet en contact, il n'y a pas d'étincelle entre elles juste avant le contact.

 

            Volta peut donc conclure que son électroscope, mis en contact avec un corps conducteur, ne mesure pas sa charge mais bien sa tension électrique puisque c'est elle qui a diminué de moitié. Il peut conclure également qu'il n'y a pas de transfert de charge (vu qu'il n'y a pas d'étincelle) entre deux conducteurs qui ont même tension électrique. Ce qui est fort raisonnable, comme la force de tension électrique qui les retient est aussi forte sur l'une que sur l'autre; mais qu'il y a transfert de charge (vu la présence de l'étincelle) entre deux conducteurs qui n'ont pas même tension électrique, comme les forces de tension électrique ne sont pas égales. Ce n'est que lorsque les tensions électriques des deux corps en contact se seront égalisées que le mouvement de fluide électrique cessera.

 

            Volta imagine alors une autre analogie de la tension électrique: la tension élastique de la membrane qui retient l'air à l'intérieur d'un ballon. Celle-ci équilibre la pression de l'air qui presse contre elle, tout comme la tension élastique du ressort équilibre le poids suspendu. Cette tension élastique doit être constante partout sur la membrane du ballon puisque la totalité de celle-ci subit la même pression de l'air. De même la tension électrique doit être partout constante sur la surface du conducteur puisqu'il y a même pression (de charges) électrique. Comme il existe souvent des points faibles sur les surfaces des membranes, points où se produisent à des pressions trop fortes des fuites d'air, il existe des points faibles sur les surfaces conductrices, points où se produisent à des pressions électriques trop fortes des fuites de fluide électrique.

 

            Les aigrettes et les étoiles se produisent donc lorsque la pression électrique à la surface du corps conducteur excède la tension électrique possible en ce point de la surface: comme la tension électrique n'équilibre plus la pression électrique, le fluide fuit alors la surface.

 

            Il s'ensuit de cela que toutes les parties d'un ensemble conducteur doivent sentir la même tension électrique. Toute la surface d'un corps ellipsoïde chargé doit être sous la même tension électrique; et c'est bien ce que l'électroscope indique: la déviation angulaire de sa feuille d'or d'avec la verticale reste la même quel que soit le point du corps électrisé conducteur en contact avec son plateau.

 

            L'électroscope mesure donc la tension électrique du corps auquel il est relié. Mais celle-ci ne cause souvent qu'une très faible déviation de la feuille d'or, si faible qu'elle est très difficile à mesurer.