3.8 La contribution de Biot et Savart
a) montage utilisé pour mesurer le champ magnétique
François Arago (1786-1853) annonce en France la découverte d'Oersted le 11 septembre 1820. Jean-Baptiste Biot (1774-1862) et Félix Savart (1791-1841) retrouvent aussitôt les résultats d'Oersted. Mais ils cherchent en plus à mesurer la grandeur de la force magnétique Fm subie par les pôles de la boussole lorsque placée à une distance d d'un long fil rectiligne.
Mais comment mesurer la grandeur d'un champ magnétique? Ils placent leur boussole au bout d'un fil de suspension et la laisse s'orienter librement: celle-ci tourne et pointe, comme nous avons vu dans notre section (1.12), dans le sens du champ magnétique, le champ magnétique terrestre par exemple, dans ce cas où il n'y a pas de courant.
Ils tournent maintenant d'un angle β la tête du fil de suspension de telle sorte que la boussole, suspendue à l'extrémité inférieure du fil, soit à angle droit avec le champ. La boussole, attachée à l'extrémité inférieure du fil, n'a donc tourné que d'un angle de 90° alors que la tête du fil a, elle, tourné d'un angle β : le fil lui-même a donc été tordu d'un angle de torsion θ
donné par la différence de ces deux angles.
Le moment de force résultant MR , qui est dû à deux moments de force Mm causé par le champ magnétique B sur la boussole, est alors
puisque les deux forces magnétiques Fm , égales, à angle droit avec le bras de levier R , sont données par notre équation (1.12.4).
Le fil, avons-nous vu, a dû être tordu d'un angle θ pour mettre notre boussole à angle droit avec le champ. C'est alors que le moment de torsion Mt du fil de suspension, au bout duquel se trouve la boussole, se trouve à égaler le moment de force magnétique résultant MR .
La mesure de l'angle de torsion θ requis pour amener la boussole à angle droit avec le sens du champ magnétique
est donc une mesure de la grandeur du champ magnétique là où elle se trouve.
b) sens et grandeur du champ magnétique d’un courant rectiligne
Ils laissent de nouveau leur boussole libre de s'orienter à sa guise. Ils font couler un courant électrique dans leur long fil rectiligne placé juste en dessous de leur boussole. Celle-ci change d'orientation. C'est donc qu'elle subit le champ magnétique du courant en plus du champ magnétique terrestre. Ils remarquent que c'est lorsque le courant du fil coule vers l'ouest que leur boussole pointe strictement vers le nord.
Ils utilisent la méthode décrite plus haut pour mesurer le champ magnétique résultant là où se trouve leur boussole; le champ magnétique dû au courant seul est la différence des deux valeurs trouvées si les deux champs magnétiques sont, comme dans ce cas, de même sens.
Biot et Savart vérifient ainsi que le champ magnétique décrit bien des cercles, dont l'axe est le fil rectiligne parcouru par le courant électrique I , comme l'avait trouvé Oersted. Ils trouvent, également, que le champ magnétique trouvé dans la région centrale du fil rectiligne
va comme l'inverse de la distance d au fil.
c) proportionnalité entre le champ magnétique et le courant qui le cause
Ils trouvent qu'il leur faut tordre le fil de suspension par un angle de torsion supplémentaire θ1 pour placer la boussole à angle droit avec le champ lorsque le fil est parcouru par un courant I1 quelconque; de même, qu'il leur faut tordre le fil par un angle de torsion supplémentaire θ2 lorsqu'il est parcouru par un courant I2 , ces deux courants étant, tous deux, inconnus. Ils remarquent que l'angle de torsion requis supplémentaire θR pour amener la boussole à angle droit avec le champ lorsque les deux courants coulent à la fois est donné par la somme des deux angles trouvés préalablement
alors que le courant est certes également la somme des courants précédents
Le champ magnétique est proportionnel à l'angle de torsion; il s'ensuit que le champ magnétique résultant BR , provenant des courants, est donné par la somme des champs magnétiques précédents
qui sont, eux, causés par ces courants dont la somme donne le courant résultant.
Ceci n'est théoriquement possible que si le champ magnétique trouvé en un point est proportionnel au courant I qui coule dans le fil
puisque le champ magnétique résultant est alors donné par la somme des champs
grâce à nos équations (3.8.9), (3.8.7) et (3.8.8); calcul bien en accord avec l'expérience.
Biot et Savart ont donc montré que le champ magnétique B spécifique au courant, en un point situé à une distance d d'un long fil rectiligne, dans lequel circule ce courant I ,
est à la fois proportionnel à l'intensité de ce courant (notre équation (3.8.9) et inversement proportionnel à la distance d (notre équation 3.8.5).
d) montage pour mesurer le courant
La mesure de l'angle de torsion requis pour amener la boussole à 90° avec le champ est une mesure du champ magnétique là où se trouve la boussole, nous dit notre équation (3.8.4). Et la mesure du champ magnétique à un endroit donné, une mesure du courant dans le fil, nous dit notre équation (3.8.9). Biot et Savart ont maintenant une méthode pour mesurer l'intensité du courant qui coule dans un fil: il est proportionnel à l'angle de torsion requis pour amener la boussole à angle droit avec le champ là où elle se trouve.
Johann Salomo Christoph Schweigger (1779-1857) invente, encore en 1820, afin de mesurer plus facilement des faibles courants, un montage qu'il appelle le multiplicateur: il bobine autour d'un cadre rectangulaire N tours de fil isolé et place sa boussole en son milieu de telle sorte qu'elle soit à même distance d des deux portions de fil horizontales. Le courant I qui circule dans chaque portion horizontale cause alors le même champ magnétique BI dans la même direction sur la boussole: si le courant va vers le sud dans la portion supérieure du cadre, son champ est alors vers l'est sur la boussole alors sous lui. Puisque le courant revient alors vers le nord dans la portion inférieure du cadre, son champ est également vers l'est sur la boussole placée au-dessus de lui.
Et cet effet est multiplié N fois puisque le même courant circule dans les N tours de fil. Le champ résultant vers l'est dû au courant I est alors 2 N fois plus grand que dans le cas d'un seul fil et l'angle θ fait avec le nord par la résultante de ce champ et du champ magnétique terrestre, donné par notre équation (3.7.1), est plus important. C'est d'ailleurs ce que Schweigger remarque expérimentalement avec une bobine de 100 tours placée selon l'axe nord-sud pour mesurer ainsi les courants. Le voilà avec un montage qui lui permet de mesurer facilement le courant vu qu'il n'a pas à tordre de fil, mais seulement à mesurer l'angle que fait sa boussole avec le nord. André Marie Ampère (1775-1836) baptise aussitôt galvanomètre le multiplicateur de Schweigger.