3.9 La contribution d'Ampère

 

a) attraction et répulsion de courants

 

            Nous avons déjà remarqué dans notre chapitre premier que le fer doux s'aimante une fois placé aux alentours d'un aimant permanent; et qu'il a tendance à s'orienter dans le sens du champ magnétique qui existe là où il se trouve, s'il a la forme d'une aiguille. Aussi des fines parcelles de limaille de fer doux s'orientent alors toutes selon le sens du vecteur champ magnétique, présent là où elles se trouvent. Qui plus est, comme elles s'attirent l'une l'autre, elles ont tendance à se placer à la suite, à la queue-leu-leu, suivant la direction du champ magnétique local. Elles se trouvent ainsi à rendre visible ce que Faraday baptise en 1831 les lignes de force magnétique: la forme du champ magnétique dû, dans notre cas, à un aimant permanent.

 

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            En 1820, Arago montre qu'une bobine de courant cause l'aimantation d'une aiguille de fer doux. Mais en plus, que celle-ci agit sur la limaille de fer doux tout comme l'aimant permanent, et y cause des formes très similaires. La bobine semble donc avoir des pôles, nord et sud, tout comme un aimant, tant et aussi longtemps qu'il y circule un courant. Ces pôles se situent sur son axe, de chaque côté. Dans le cas d'une bobine dont le courant coule dans le sens anti-horaire dans le plan horizontal, le pôle nord se trouve au-dessus, et son pôle sud, en dessous.

 

            Ampère montre alors que deux bobines agissent exactement comme deux aimants, qui s'attirent ou se repoussent selon le sens de rotation de leur courant. Supposons deux bobines superposées avec des courants dans le même sens: dans ce cas, les pôles se suivent, disons, nord-sud et nord-sud. Les pôles avoisinants des deux bobines étant différents, les bobines s'attirent.

 

            Supposons maintenant que le sens de rotation de leur courant soit opposé. Les pôles se suivent alors, disons, nord-sud et sud-nord. Les pôles avoisinants des deux bobines sont identiques et celles-ci se repoussent.

 

            Oersted, Biot et Savart ont montré qu'un courant cause une force magnétique sur une boussole, Ampère vient de montrer que deux courants s'attirent et se repoussent comme deux aimants. Il montre, le 18 septembre 1820, que deux longs fils rectilignes, proches et parallèles, s'attirent si leurs courants sont de même sens, et se repoussent s'ils sont de sens opposés.

 

b) balance de courant

 

             Pour ce faire, il fixe un fil rectiligne mobile, de longueur L , au-dessus d'un autre fil fixe et plus long, de telle sorte qu'il ne surplombe que la région centrale du fil fixe. Il ajuste le fil mobile de longueur L à une distance d du premier à l'aide d'un balancier.

 

fig20c.gifBalance de courant

            Il fait passer maintenant un courant I1 dans le fil fixe et un courant I2 dans le fil mobile. Il remarque que les deux fils s'éloignent si les courants sont de sens contraires; c'est donc que le fil mobile subit une force magnétique de répulsion Fm . Il place une petite masse m sur le fil mobile de telle sorte que celui-ci revienne à sa position originale, à la distance d du fil fixe. La force magnétique Fm est alors contrée exactement par le poids P de la petite masse m . Il peut donc la mesurer. Refaisant cette expérience pour des courants différents qu'il peut additionner, et pour des distances d différentes ainsi que pour des longueurs L différentes, il trouve que la force magnétique subie par le fil mobile de longueur L

est proportionnelle à celle-ci; qu'elle est inversement proportionnelle à sa distance d du fil fixe; et proportionnelle au produit des courants I1 et I2 .

 

            Évidemment, il est possible de faire couler le même courant dans chacun des deux fils; isoler le courant de notre équation précédente nous donne

une relation où celui-ci dépend de deux longueurs, d'un poids et de la constante km . Il s'ensuit qu'une fois la valeur de la constante fixée, la valeur du courant est calculée en fonction de ces paramètres.

 

c) définition de l’ampère et du coulomb

 

            Aussi est-il décrété, mais cela seulement en 1881, que, par définition de l'unité de courant nommé ampère et noté par la lettre A , la constante km vaut 2⋅10 - 7 N / A 2 . Si la force magnétique subie par un fil mobile de 200 mm de longueur et distant de 1 mm du fil fixe est de 4⋅10-5 N, il s'ensuit que le courant qui traverse les deux fils est de 1 A exactement.

 

            Nous avons vu (à la section 3.4) que la décharge d'une bouteille de Leyde cause un courant électrique. Il s'ensuit que le courant électrique I est un mouvement de charges.

 

            Une machine électrostatique, avons-nous vu, amène des charges sur une sphère, par exemple, à un taux constant dQ / dt si sa manivelle est tournée à vitesse constante. Elle se trouve donc à causer un mouvement de fluide électrique à ce taux. C'est ce taux de mouvement de fluide électrique qui est le courant électrique

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            L'unité de la charge, le coulomb, est maintenant bien définie comme étant le produit de l'unité de courant électrique, l'ampère, par l'unité de temps, la seconde: C = A ⋅ s ; et le volt, comme un joule par coulomb: V = J / C .

 

d) courant et tension

 

            Ampère éclaircit le rôle de la tension et du courant électriques, encore peu clairs à l'époque, malgré le travail de Volta. Il monte un circuit électrique comprenant une pile électrique et un bac à électrolyse, reliés par deux fils conducteurs. Il place un électroscope entre les points A et B , les bornes de la pile électrique, alors que le second fil conducteur n'est pas relié à la borne du bac en D . Il remarque une tension aux bornes de la pile, puisque la feuille mobile de son électroscope dévie de la verticale. Mais il n'y a alors ni formation de dépôt autour des plaques de son bac, ni déviation de l'aiguille du montage de Biot et Savart placé proche de l'un des deux fils. La tension, réaffirme-t-il, est ce que mesure l'électroscope. La tension de la pile n'est donc pas la cause du dépôt électrolytique puisqu'il n'y en a pas, quoiqu'elle ne soit pas nulle.

 

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            Si le fil conducteur est relié à la borne du bas en D , il remarque alors la création d'un dépôt électrolytique et la déviation de l'aiguille aimantée. Ce qui lui permet d'affirmer que c'est le courant électrique produit par la pile qui est la cause de ces deux phénomènes, comme de celui des étincelles, et non pas sa tension.

 

            Il obtient les mêmes résultats, dans l'expérience décrite précédemment, en utilisant une pile électrique où les plaques sont assez éloignées l'une de l'autre. Il est alors en mesure de placer le montage de Biot et Savart juste dans la région de l'acide dilué entre les deux plaques de sa pile électrique. Il remarque alors un courant électrique dans la pile électrique, et montre ainsi, le premier, que le courant électrique circule dans tout le circuit comprenant la région interne de la pile, le premier fil conducteur, le bac et le second fil conducteur. Il montre aussi que le courant est partout le même dans ce circuit en le mesurant à plusieurs endroits.