6.11 Ferromagnétisme
a) processus d’aimantation par un courant
Nous avons déjà vu, dans notre section 4.11, l'effet d'un courant sur le fer. Ampère a, en 1822, magnétisé des aiguilles de fer aigre à l'aide d'un courant: il place l'aiguille de fer aigre à magnétiser dans un solénoïde, y fait circuler temporairement un courant qu'il coupe avant de retirer son aiguille, alors aimantée. S'il refait la même expérience avec une aiguille en fer doux, il remarque que celle-ci est aimantée durant le passage du courant mais que son aimantation est fortement réduite après la coupure du courant.
Le champ magnétique qui demeure dans le fer une fois que le courant est coupé est le champ rémanent; important dans le cas du fer aigre, faible dans le cas du fer doux. Aussi le fer aigre donne-t-il des aimants permanents, avec comme champ magnétique leur champ rémanent, et le fer doux, des électro-aimants, avec un champ rémanent pratiquement négligeable.
Il est remarqué dans les années 1830 que les champs magnétiques atteints lors du passage du courant sont plus grands que les champs rémanents des aimants permanents. Aussi l'utilisation des électro-aimants a-t-elle lentement lieu, culminant, comme nous venons de voir, dans le travail de Siemens, Wheatstone et Edison, par exemple. Il est remarqué de plus que le champ magnétique rémanent d'un fer doux, quoique faible, est suffisant pour permettre de démarrer le processus de production de la force électro-motrice induite aux bornes du cadre tournant.
Lorsque Siemens, Wheatstone et Edison, par exemple, mettent au point une dynamo, il leur faut décider de la forme de leur électro-aimant, le nombre de tours de fil roulés sur ses branches ainsi que la grosseur du fil choisi. Leur choix est basé strictement sur l'expérience de leurs essais passés puisque le phénomène de la magnétisation du fer n'est pas encore bien compris. Cette étude n'est entreprise qu'à partir des années 1870 et n'aboutit qu'en 1881 par le travail de sir James Alfred Ewing (1855-1935).
b) montage pour mesurer le champ magnétique dû à une bobine de courant
Celui-ci doit d'abord isoler le problème de la magnétisation du fer des autres problèmes en présence. Pour ce faire, il considère un tore mince de rayon r fait du matériau ferromagnétique qu'il veut étudier. Il roule un certain nombre NT de tours de fil isolé sur ce noyau de fer de forme toroïdale. Il y fait circuler un courant I . Ce courant cause un champ magnétique Ba donné par notre équation (4.9.11). Il a donc une valeur connue pour un courant connu. Et c'est lui qui va agir sur le matériau ferromagnétique sur lequel est roulé le fil.
Le noyau de fer qui subit le champ magnétique agent Ba , dû au courant qui circule dans les spires du tore, devient aimanté: le champ magnétique réel Br , là où il se trouve, est donc plus grand que le champ agent Ba . Mais comment le mesurer?
Sir James Alfred Ewing roule un certain nombre NB de tours de fil autour de la section de son tore pour en faire une bobine mince et en relie les extrémités à un galvanomètre, comme avait fait Faraday en 1831. Toute variation temporelle du flux magnétique, qui traverse chaque spire de la bobine qu'il vient de rouler, va causer une force électromotrice induite à ses bornes. Puisque la section des spires ne varie pas, il s'ensuit que cette variation temporelle du flux magnétique n'est due qu'à la variation ΔB durant un temps Δt du champ magnétique réel Br qui la traverse.
Un courant est donc induit temporairement dans le galvanomètre, courant qui va en causer une certaine déviation, déviation qu'il peut relier à la variation du champ magnétique ΔB qui traverse chaque spire en faisant l'expérience avec un tore creux pour lequel il sait que le champ magnétique réel Br est le champ magnétique agent Ba . Il peut ainsi varier à volonté la variation du champ magnétique ΔB et mesurer la déviation alors obtenue sur son galvanomètre: il calibre son montage.
Il mesure la déviation, obtenue sur son galvanomètre, chaque fois qu'il augmente, d'une même valeur, le courant qui circule dans le tore. Cela lui permet de déterminer le champ magnétique réel Br dans le noyau ferromagnétique pour un courant I donné, ou plus exactement, pour un champ magnétique agent Ba donné. Il trouve, dans le cas d'un matériau non magnétisé au départ, une courbe qui augmente lentement au tout début, puis très rapidement, ensuite de plus en plus lentement, pour finir par être pratiquement constante.
c) courbe d’hystérésis
A partir d'un certain champ magnétique agent Ba , donc, le champ magnétique réel Br n'augmente pratiquement plus: la valeur qu'il a atteinte est sa valeur de saturation BS . Il est donc inutile de fournir au tore un courant plus grand que celui correspondant à cette valeur du champ agent Ba .
Partant du courant qui a causé un champ réel de saturation, sir James Alfred Ewing mesure maintenant la déviation, obtenue sur son galvanomètre, chaque fois qu'il diminue, d'une même valeur, le courant qui circule dans le tore. Cela lui permet de déterminer à nouveau le champ magnétique réel Br dans le noyau ferromagnétique pour un champ magnétique agent Ba donné. Il trouve une courbe différente de celle qu'il vient d'obtenir: le champ magnétique réel Br est alors plus grand que celui trouvé dans le premier cas. Il remarque de plus un champ magnétique réel dans le noyau non nul lorsque le courant est nul dans le tore, et donc quand le champ magnétique agent Ba est nul. Ce champ magnétique réel, qui demeure dans le noyau du tore une fois le courant coupé, est le champ magnétique rémanent Bn . Il trouve que ce dernier est important dans le cas des fers aigres et faible dans le cas des fers doux, ce qui était déjà connu.
(fer aigre)
Partant de la situation d'un champ rémanent Bn , il mesure maintenant la déviation obtenue sur son galvanomètre chaque fois qu'il augmente, d'une même valeur, le courant qu'il fait circuler dans l'autre sens dans le tore afin de causer un champ magnétique agent dans l'autre sens. Il remarque que le champ réel Br diminue pour finalement tomber à zéro pour un certain champ magnétique agent Ba : ce champ agent requis pour éliminer le champ réel dans le matériau ferromagnétique est le champ coercitif Bc .
S'il continue, le champ magnétique réel s'établit maintenant dans le sens opposé au sens initial et augmente, rapidement d'abord, puis de plus en plus lentement pour atteindre à nouveau la valeur de saturation BS , pour le même champ magnétique agent que précédemment.
(fer doux)
S'il réduit à nouveau le courant et donc le champ magnétique agent, il trouve une courbe identique à celle qu'il avait obtenue à partir du champ réel de saturation, courbe qui, pour un champ agent nul, donne le même champ magnétique réel rémanent, mais de sens inverse au cas précédent. Et, s'il crée maintenant un champ agent dans le sens original, il annule le champ réel pour un champ agent coercitif de même valeur que celui trouvé précédemment. Et finalement, atteint à nouveau le champ magnétique réel de saturation pour le même champ agent qu'au départ.
Les valeurs du champ magnétique réel Br sont typiquement de l'ordre du tesla alors que celles du champ magnétique agent Ba , celui causé par le courant, de l'ordre du millitesla. Les courbes obtenues sont différentes selon que le matériau ferromagnétique est aigre ou doux.
Les champs réel rémanent Bn et agent coercitif Bc sont tous deux plus grands chez le fer aigre que le fer doux.
Sir James Alfred Ewing baptise en 1881 les courbes trouvées de courbes d'hystérésis, du grec qui signifie être en retard, puisque le champ réel obtenu dépend non seulement du champ agent du moment mais également de son champ passé.
d) constante et perméabilité magnétiques
La constante magnétique Km est définie
comme le rapport des champs réel Br et agent Ba .
Le champ agent Ba est celui qui est dû seulement au courant I ; c'est donc celui que donne le théorème d'Ampère, l'équation (4.6.8),
où le champ magnétique de l'équation est clairement indiqué comme ce dernier.
Cette dernière équation peut se réécrire en termes du champ réel Br
en remplaçant le champ agent Ba par sa valeur, en termes du champ réel, donné dans l'équation (6.11.1).
La perméabilité magnétique μ est définie
comme le produit de la constante magnétique Km par la perméabilité du vide μ0 . Un corps ferromagnétique a donc une plus grande perméabilité que le vide, puisqu'il supporte plus aisément un champ magnétique. Une éponge est d'autant plus perméable qu'elle peut absorber de liquide; de même un corps magnétique a une perméabilité magnétique d'autant plus grande qu'il peut absorber de lignes de force magnétique.
Notre équation (6.11.3) peut s'écrire
une fois les deux termes divisés par la perméabilité du vide et après avoir fait appel à notre équation (6.11.4)
Le travail fait par sir James ne s'applique qu'au cas où le noyau est constitué d'un seul matériau ferromagnétique. Ce qui n'est pas suffisant pour comprendre le cas des dynamos.