6.9 Développement des premières dynamos

 

a) principe de la dynamo

 

            L'idée d'utiliser des électro-aimants plutôt que des aimants permanents vient à plusieurs chercheurs à partir de 1838, mais surtout à partir de 1851. Ceux-ci permettent de produire des champs magnétiques beaucoup plus forts. Ces électro-aimants requièrent du courant: aussi leur en fournissent-ils avec une magnéto. Ces nouvelles machines ne se suffisent donc pas à elles-mêmes.

 

            Il est remarqué, après un certain temps, que certains fers doux ne perdent pas toute leur magnétisation une fois le courant arrêté. Aussi les fils conducteurs en rotation dans une machine dotée d'un électro-aimant coupent-ils des lignes de force même quand il n'y a pas de courant pour alimenter l'électro-aimant. Évidemment, le champ magnétique en question est beaucoup plus faible que celui d'un électro-aimant; mais il n'est pas nul. Il y a donc une force électromotrice induite, faible mais non nulle, aux bornes du collecteur. Force électromotrice qui peut alimenter un réseau électrique comprenant l'électro-aimant, et donc, lui fournir un courant. Ce courant va augmenter le champ magnétique de l'électro-aimant, et donc les lignes de force, la force électromotrice, et ainsi la machine va rejoindre son régime d'opération normal.

 

fig27.gif         Excitation série

b) dynamo d’excitation série

 

            William (Carl Wilhelm) Siemens (1823-1883) bâtit en 1867 la première machine qui d'une part, utilise un électro-aimant et donc obtient des champs magnétiques plus forts, et d'autre part fournit elle-même le courant dont cet électro-aimant a besoin. Il la baptise dynamo. Il utilise le même induit que dans la magnéto de Werner von Siemens mais remplace les aimants permanents par des électro-aimants. Il place le fil conducteur roulé sur le noyau de l'électro-aimant en série avec la résistance externe qu'alimente la dynamo, dite résistance de charge, Rc . Puisque le courant qui circule dans le fil de l'électro-aimant se trouve à exciter la création d'un fort champ magnétique, la résistance de ce dernier est dite résistance d'excitation Re . Quand l'enroulement de l'électro-aimant est placé en série avec la résistance de charge, la dynamo est dite d'excitation série. Les bobines de fil de l'induit ont aussi une résistance, dite résistance de l'induit Rn . Nous avons donc le réseau électrique ci-contre où la force électromotrice de l'induit est représentée par un cercle et deux lignes brisées, le schéma du collecteur en forme de tambour avec deux lames métalliques, ses balais. Ici encore, nous représentons séparément la force électromotrice induite et la résistance (interne) de l'induit.

 

c) dynamo d’excitation parallèle

 

fig28.gif      Excitation parallèle

            Wheatstone produit, lui-aussi, mais juste après William Siemens, soit en 1867, une dynamo, mais d'excitation parallèle: la résistance d'excitation Re est en parallèle avec la résistance de la charge Rc . Au lieu d'utiliser tout le courant produit par l'induit pour alimenter les spires de son électro-aimant comme le fait William Siemens, Wheatstone n'en utilise qu'une partie, partie qui est normalement plutôt petite, comme nous verrons.

 

d) dynamo de Gramme

 

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            Zénobe Gramme (1826-1901) réussit en 1870 à construire la première dynamo vraiment commerciale, produisant un courant important presque continu. Pour ce faire, il retrouve une idée qu'avait eu en 1860 Antonio Pacinotti (1841-1912), à savoir de recouvrir le tambour de l'induit d'un anneau de fer A assez épais. Cet induit est alors placé entre les pièces polaires cylindriques de l'électro-aimant de telle sorte que la région de l'entrefer E est assez faible. Il roule le fil de cuivre conducteur de l'induit sur l'anneau de fer A de telle sorte que des segments du fil coupent les lignes de force qui vont directement, dans l'entrefer, de la pièce polaire à l'anneau. Nous savons en effet, grâce à la limaille de fer, que les lignes de force vont venir toucher l'anneau de fer à angle droit avec sa surface dans la région de l'entrefer E . Gramme produit ainsi une région de champ magnétique plus fort que précédemment (pour un même courant d'excitation) et beaucoup plus constant dans toute la région de l'entrefer E .

 

e) enroulement imbriqué

 

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Le fil conducteur de son induit est donc roulé N fois (disons 360 fois), de façon uniforme, tout autour de l'anneau de fer. Une fois le tour de l'anneau effectué, le bout du fil conducteur est connecté à son début. Une connexion est faite à tous les 45 tours, disons, de telle sorte qu'il y en ait 8 dans notre cas.

 

Ces connexions sont reliées à autant de segments de cuivre, isolés les uns des autres, montés uniformément dans le même ordre sur un petit tambour lui-même monté sur l'axe de rotation de l'induit. Un enroulement ainsi branché et connecté est dit imbriqué.

 

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Deux balais, des lames de cuivre, sont placés pour toucher les deux segments opposés qui sont dans le plan perpendiculaire à l'axe de symétrie des pièces polaires. Ces balais sont donc connectés et aux bornes des enroulements de l'induit qui sont dans la zone de la pièce polaire nord et aux bornes des enroulements de l'induit qui sont dans la zone de la pièce polaire sud. Les enroulements de chaque moitié sont en série, et ces deux séries, montées en parallèle.

 

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Le sens du courant induit I est, avons-nous vu dans notre section 6.4, donné par le sens du produit vectoriel . Supposons que l'induit tourne dans le sens horaire et que les enroulements se suivent également dans le sens horaire de telle sorte que les vecteurs déplacement infimes sortent proche des pièces polaires, circulent pour entrer dans la région la plus éloignée centrale. Les segments des enroulements en trait plein sont au-dessus du tambour, ceux qui nous sont visibles; ceux en traits pointillés, ceux qui sont en dessous du tambour et donc invisibles.

 

Supposons de plus que le champ magnétique dans l'entrefer de droite est essentiellement vers la pièce polaire, placée contre le pôle sud de l'électro-aimant. Le sens du courant induit I est celui du vecteur dans cet entrefer, soit sortant à l'entrefer sur notre croquis. Puisque les enroulements se suivent dans le sens horaire, il s'ensuit que le courant induit circule d'un enroulement vers le suivant dans le sens horaire, et donc de la brosse du haut à la brosse du bas dans les enroulements en série de droite.

 

Le champ magnétique dans l'entrefer de gauche est essentiellement vers l'anneau de l'induit, comme la pièce polaire qui lui fait face est placée contre le pôle nord de l'électro-aimant. Le sens du courant induit I est celui du vecteur dans cet entrefer, donc entrant à l'entrefer sur notre croquis. Puisque les enroulements se suivent dans le sens horaire, il s'ensuit que le courant induit circule d'un enroulement vers le suivant dans le sens anti-horaire, et donc de la brosse du haut à la brosse du bas dans les enroulements en série de gauche. Puisque nous avons disposé nos enroulements de façon symétrique, la tension induite, produite par nos enroulements de gauche et de droite aux bornes des balais, est la même.

 

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Nous remarquons ici qu'il arrive souvent qu'un balais touche deux segments de cuivre à la fois: ceux-ci doivent donc être au même potentiel s'il ne doit pas y avoir d'étincelles entre ces deux segments contigus court-circuités. Or, les enroulements entre ces deux segments sont ceux qui ne sont pas dans la zone de l'entrefer et donc qui n'ont pas de tension induite: ces segments sont donc au même potentiel et il n'y a donc pas de problème sur ce chef.

 

            Le contact entre les balais et les segments qui leur font face doit être suffisamment intime pour que le courant électrique n'ait pas à traverser l'air, en quel cas il y aurait production d'étincelles qui pourraient, à la longue, endommager ces éléments. Mais aussi le contact ne doit pas être si fort que les pièces s'usent et chauffent par un frottement excessif. Les balais de métal sont remplacés à partir de 1883 par des balais de carbone, tenus contre le tambour à l'aide de ressorts, comme le carbone, assez bon conducteur et moins dur, ne cause pas autant d'usure.

 

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            Soit L la longueur de l'entrefer et R la distance, à l'axe de rotation, à laquelle se trouve le fil de cuivre de l'induit qui peut y couper les lignes de force causées par un champ magnétique B que nous savons être essentiellement radial dans la zone de l'entrefer. La force électromotrice induite dans cette longueur L qui tourne à vitesse v est donnée par notre équation (6.5.4)

 

que nous pouvons réécrire en terme de la vitesse angulaire ω puisque la vitesse de rotation du segment est donnée

par le produit de la vitesse angulaire ω fois le rayon R du cercle qu'il parcourt.

 

Dans le cas de l'enroulement de Gramme, il existe, pour chaque enroulement, un segment, de longueur L à la surface externe de l'anneau, dans lequel est induite la force électromotrice donnée par l'équation précédente: il y en a donc N , le nombre de ces enroulements.

 

            La proportion des N segments qui traversent la zone d'un entrefer donné, dépend de l'angle que ce dernier sous-tend. Cet angle est typiquement de 120°. Il s'ensuit que le tiers du nombre total N des segments produit, en moyenne, la tension donnée par l'équation (6.9.1). Ces segments sont dits actifs. Leur nombre Ni est donc approximativement égal au tiers du nombre total N de segments à la surface externe de l'anneau.

 

            La tension produite aux bornes des balais est donc

la valeur de l'équation (6.9.1) fois le nombre Ni de segments actifs connectés en série. Il a déjà été remarqué qu'un nombre égal de segments produit une tension égale dans l'entrefer voisin à l'autre pôle; de telle sorte qu'il y a vraiment deux séries de Ni segments, séries placées en parallèle, qui fournissent même tension et même courant. Le courant total fourni par l'induit est la somme des deux; la tension induite, celle de chacune.

 

Le type d'enroulement de Gramme est fort compliqué au point de vue de manufacture: il est beaucoup plus simple de placer des enroulements dans des rainures profondes, mais pratiquées dans des tambours de fer. Aussi le type d'enroulement de Werner Siemens commence assez rapidement à concurrencer celui de Gramme, et l'a maintenant remplacé.

 

            Il reste que la tension produite par le nombre de segments actifs Ni de longueur L est donné par la même équation que dans le cas de l'enroulement de Gramme; le bobinage est tout simplement monté différemment.

 

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            Les lignes de force magnétique traversent alors tout le tambour de fer comme illustré sur la figure ci-contre. Comme celles-ci traversent l'entrefer exactement de la même façon que dans le cas de l'anneau de Gramme, toutes nos équations sont encore correctes.

 

Des dynamos de plus en plus puissantes sont produites à partir de 1880; Edison installe en 1880 sa première dynamo, baptisée "Jumbo", à Holborn Viaduct dans la ville de Londres; celle-ci peut faire fonctionner environ 1000 lampes. Il remarque alors, comme d'autres d'ailleurs, que le noyau de fer de l'induit chauffe de façon appréciable.