8.2 Génération de courant alternatif
Nous avons vu dans notre section précédente que le courant sinusoïdal produit des étincelles, tout comme le courant continu. Il peut alimenter les lampes à arc que nous avons vues dans notre chapitre cinq. Il n'y a donc aucune raison, à prime abord, pour rechercher une tension aussi continue que possible pour nos générateurs, comme nous l'avons fait dans notre chapitre six.
a) alternateurs
Aussi sont développés en même temps que nos magnétos et dynamos des générateurs alternatifs, également dits, depuis 1893, alternateurs. Ceux-ci ne produisent pas une tension, et donc un courant, purement sinusoïdaux, mais qui alternent de façon périodique. Il est montré, aussitôt l'ampoule électrique mise au point, que ceux-ci peuvent l'alimenter tout aussi bien que les dynamo et magnéto. C'est avec un générateur alternatif, fabriqué par Siemens, que des lampes à incandescence éclairent le tout nouveau théâtre Savoy de Londres, bâti en 1881 par la compagnie D'Oyly Carte.
Le baron Joseph Fourier (1768-1830) avait découvert en 1812 que toute fonction périodique peut être écrite en termes d'une série de fonctions sinus et cosinus dont les arguments sont des multiples entiers de l'argument du premier terme. La valeur, obtenue à un moment, de tout courant alternatif produit par un générateur alternatif, est obtenue à nouveau une période plus tard. La fréquence angulaire correspondant à cette période est donnée par notre équation (8.1.6). Il s'ensuit, selon Fourier, que la fonction sinus du premier terme de la série a comme argument cette fréquence angulaire fois le temps correspondant au moment qui nous intéresse. Les autres fonctions sinus de la série vont avoir des fréquences angulaires double, triple, quadruple, et ainsi de suite, de la fréquence angulaire initiale.
Le développement de réseaux électriques alternatifs débute en 1882: une ligne de transmission alternative, sous une tension de 2 kV, est alors installée à Munich sur une longueur de 50 km; deux alternateurs Siemens de 250 kW chacun fournissant une tension de 2 kV sont installés à Londres. Alexander Siemens invente le moteur alternatif à vitesse variable en 1884. George Westinghouse (1846-1914) installe des alternateurs Siemens à Pittsburg en 1885. Sa compagnie développe son propre alternateur en 1886. Sebastian Ziani de Ferranti (1864-1930) installe à Londres deux alternateurs de son invention, de 400 kW chacun, à une tension de 2,4 kV, également en 1886. En 1889, des alternateurs entrent en production à Calgary et à Ottawa. Les alternateurs de la centrale hydro-électrique de Chambly de la Royal Electric Company alimentent des quartiers de Montréal en 1893. Et en 1894 dix alternateurs sont installés aux chutes Niagara.
L'analyse (théorique) détaillée des phénomènes reliés au caractère sinusoïdal du courant alternatif ne vient que dix ans après le début des réseaux alternatifs, avec la publication, en 1892, des Electrical Papers de Heaviside et, en 1893, du Theory and Calculation of Alternating Current Phenomena de Charles Proteus Steinmetz (1865-1932). Ces analyses permettent alors de comprendre un certain nombre de phénomènes observés mais non compris correctement, et de montrer l'utilité de rechercher la production d'un courant alternatif qui soit purement sinusoïdal, c'est-à-dire un courant où l'amplitude de chacun des autres termes de la série de Fourier est nulle.
b) le téléphone
Un autre cas de production du courant alternatif est le téléphone. Philipp Reis découvre en 1861 qu'une membrane conique sur le col de laquelle est roulée une bobine de fil placée dans le champ magnétique d'un aimant permanent, va, en vibrant, faire bouger la bobine dans le champ magnétique et ainsi causer une force électromotrice induite selon la loi de Faraday à la fréquence du mouvement de la membrane. Si les fils, reliés à la bobine vibrant alors, dite émetteur, sont reliés à une autre bobine identique, dite récepteur, elle aussi placée dans le champ magnétique d'un aimant permanent sur le col d'une membrane conique, le courant qui y circule va causer une force magnétique qui va entraîner la membrane dans le même mouvement de va-et-vient que la membrane originale. Et donc, le mouvement que subit la première membrane (l'émetteur) est copié par la seconde (le récepteur). Il appelle téléphone cet appareil qui reproduit ainsi des sons à distance mais ne le développe pas.
Remarquons que le récepteur en question est l'ancêtre du haut-parleur de nos systèmes de son. L'aimant permanent est, dans ce dernier cas, tubulaire. La partie de droite de l'aimant sur notre croquis, son pôle sud, est en contact avec un disque de fer doux B lui-même en contact avec une tige T également en fer doux. La partie gauche de l'aimant, son pôle nord, est en contact avec un anneau épais de fer doux P . Le col C de la membrane se trouve dans l'entrefer créé entre les pièces de fer doux P et T magnétisées de telle sorte que le champ magnétique est de la pièce P vers la pièce T . Chaque spire de la bobine de fil F va donc subir une force magnétique quand un courant va y circuler, force qui sera vers la gauche ou vers la droite selon le sens du courant. La membrane, le diaphragme D ,va donc aller ou venir à la fréquence du courant, produisant ainsi un son identique à celui de l'émetteur.
Ignorant le travail de Reis, Alexander Graham Bell (1847-1922) examine le travail de Helmholtz, qui avait montré que la voix est due à la superposition d'ondes sinusoïdales, et arrive en 1875 aux mêmes résultats que Reis: le son produit est très faible.
Bell avait remarqué préalablement que, si le courant du télégraphe, coupé et réintroduit plusieurs centaines de fois par seconde, alimente son récepteur R , celui-ci vibre plusieurs centaines de fois par seconde et le son correspondant est alors obtenu. Il invente alors en 1876 un émetteur E dont la résistance varie selon la pression que subit un diaphragme sous l'action de la voix. La résistance, variable dans le temps, joue, en quelque sorte, le rôle de la clef de télégraphe, modulant le courant fourni par la pile P selon la résistance totale du circuit, résistance constituée surtout par cette résistance variable E .
Cette dernière résistance est une courte colonne constituée d'une solution d'acide très diluée entre un disque métallique et une tige métallique attachée au diaphragme. La résistance de la solution, dont la résistivité est grande, varie selon sa longueur, déterminée par la position du diaphragme mobile, qui varie selon la pression de l'air causée par l'onde sonore.
David Edward Hughes (1831-1900) remarque en 1878 que la résistance de granules G de carbone placés librement dans un contenant, entre deux électrodes conductrices C , varie de façon importante selon la pression que l'ensemble subit, sous l'action du mouvement du diaphragme D , puisque les granules G sont en plus ou moins bon contact selon la pression. Cette résistance variable, solide, est beaucoup plus commode que celle, liquide, trouvée par Bell. Aussi la remplace-t-elle rapidement. Hugues baptise cette résistance, qui varie selon la pression de la voix exercée contre un des deux disques conducteurs, microphone, puisqu'elle permet d'amplifier de faibles sons une fois placée dans le circuit de la pile et du récepteur.
Ce téléphone est produit commercialement à partir de 1877 et le premier échangeur téléphonique ouvre à New Haven, au Connecticut, en 1877. Le premier au Canada ouvre en 1878 à Hamilton; plus de 2000 téléphones sont bâtis au Canada entre 1879 et 1881. Le premier échangeur téléphonique voit le jour en Angleterre en 1879.
Le récepteur comprend aujourd'hui un aimant permanent M et deux tiges de fer doux P autour desquelles sont roulées deux bobines de fil de telle sorte que leurs forces magnétomotrices s'additionnent. Le diaphragme D est placé proche des deux tiges de fer doux P et est fait d'un matériau ferromagnétique. Il est donc plus ou moins attiré, selon l'intensité du courant. Encore une fois, ses vibrations sont à la même fréquence que le courant: ce sont elles qui sont entendues.