9.11 Le triphasé
a) transformateur triphasé
Oskar von Miller et Tesla réalisent tous deux une solution supérieure au biphasé en 1891. L'idée est de produire non pas deux courants de même grandeur qui vont s'annuler dans le fil de retour parce qu'ils sont déphasés de 180°, mais trois courants de même grandeur qui vont s'annuler dans le fil de retour parce qu'ils sont déphasés l'un par rapport à l'autre de 120°. Le diagramme vectoriel ci-contre montre bien que la somme des trois vecteurs de phase représentant les trois courants égaux ainsi déphasés donne bien zéro.
Évidemment il faut encore le fil de terre de retour, qui normalement porte un courant négligeable et donc ne consomme pas de puissance réelle et ne produit pas de champ magnétique. Le système triphasé requiert donc quatre fils, alors que le biphasé en requiert trois. Trois de ses quatre fils portent des courants égaux, soit 75%, alors que seulement 2 des trois du biphasé portent des courants égaux, soit 67%. Ce qui est donc plus avantageux. Ajouter un seul fil à la ligne de transmission permet donc d'augmenter la puissance transportée par 50%. La première ligne européenne de triphasée, installée près de Francfort en 1891 par Miller, transmet 240 kVA sur une distance de 200 km; la première américaine, due à Tesla en 1891 également, transmet sur une distance de 175 km.
La ligne de transmission est également de 78 km comme celle du biphasé. Elle est constituée par quatre fils de cuivre de même section. Le fil de retour ne porte pas de courant: c'est donc tout comme s'il n'existait pas. La réactance inductive de chaque phase de la ligne est donc de 78 km fois 0,5 Ω par km, soit de 39 Ω. Le fil de cuivre choisi a une résistance de 0,3 Ω par km environ pour une résistance totale de 23 Ω.
Chaque phase alimente la même charge que dans le cas précédent. L'impédance totale aux bornes d'une phase du secondaire du transformateur survolteur est donc de 125 Ω.
Si la tension aux bornes d'une phase du secondaire du transformateur survolteur est de 10 kV, il s'ensuit que le courant débité par une phase du secondaire est de 10 kV divisé par 125 Ω, soit de 80 A.
Comme dans le cas précédent, la puissance réelle donnée aux consommateurs d'une phase est de 77 Ω fois 80 A au carré, soit de 492,8 kW; celle consommée par une phase de la ligne de transmission, de 23 Ω fois 80 A au carré, soit de 147,2 kW. La puissance réelle totale donnée au réseau est le triple de 640,0 kW, soit 1 920 kW. La puissance réelle donnée aux consommateurs des trois phases, de 492,8 kW fois trois, soit 1478,4 kW, 77% de celle donnée au réseau.
Mais comment produire des tensions ainsi déphasées? Il n'est pas question ici d'utiliser un transformateur pour réaliser pareil effet. L'alternateur qui alimente un réseau triphasé a donc quelques différences par rapport à l'alternateur examiné jusqu'ici, alternateur dit monophasé. L'alternateur monophasé, avons-nous déjà vu, possède un certain nombre de segments placés dans des encoches de son stator, segments qui sont reliés en série et dont les extrémités forment les bornes du circuit interne du stator.
b) alternateur triphasé
L'alternateur triphasé diffère de l'alternateur monophasé en ce qu'il possède trois circuits internes identiques indépendants semblables à celui de l'alternateur monophasé, mais placés dans des encoches choisies pour que la tension induite dans chacun soit déphasée de 120° par rapport à la tension induite dans l'autre. Un alternateur triphasé de deux pôles pourrait alors n'avoir que deux encoches par phase, et donc six encoches en tout, disposées à 120° l'une de l'autre.
La tension produite à une borne d'une phase oscille par rapport à celle produite à l'autre qui agit comme borne de référence. Cette dernière est alors normalement mise à la terre. Ceci se produit évidemment pour chacune des trois phases. Il s'ensuit que trois des six bornes de ce type d'alternateur sont reliées ensemble à la terre et que ce dernier n'a donc vraiment que quatre bornes, dont une de terre. Cette façon de relier les phases de l'alternateur est dite en étoile. La tension trouvée entre la borne de terre commune et une des bornes de phase est dite étoilée. C'est cette tension que l'alternateur produit aux bornes du réseau alimenté par sa phase en question.
c) tensions composée et étoilée
La tension trouvée entre deux phases n'est pas égale à la tension étoilée comme le montre clairement le diagramme ci-contre. Celle-ci est dite tension composée. Nous noterons la tension composée Vpp pour la différencier de la tension étoilée, qui ne sera pas notée différemment de la tension monophasée V , vu que les tensions étoilée et monophasée sont mesurées entre la terre et la phase d'intérêt.
Deux des trois vecteurs de tension étoilée sont indiqués sur le diagramme ci-contre. Le vecteur qui représente la tension composée Vpp est donné par l'hypoténuse
du triangle illustré de base et hauteur reliées à la tension étoilée V . La tension composée devient
une fois indiquées les valeurs des sinus et cosinus. La tension composée Vpp est donc
radical trois fois la tension étoilée V .
La tension étoilée V est celle qui existe vraiment aux bornes de chaque phase alimentée par l'alternateur. Malheureusement en ce qui nous concerne, la tension est souvent mesurée non pas entre une phase et la terre mais bien entre deux phases, en quel cas la tension mesurée est la tension composée Vpp . Mais nous savons maintenant comment elles sont reliées.
Dans le cas de l'exemple précédent, la tension aux bornes d'une phase du secondaire du transformateur survolteur de 10 kV est une tension étoilée. La tension entre deux phases, la tension composée, est de 17,3 kV.
La première centrale hydro-électrique au Québec à utiliser des alternateurs triphasés est celle de Rapid Plat près de Saint-Hyacinthe, qui entre en opération en 1895: ses alternateurs, construits par la Canadian General Electric, fournissent une puissance apparente de 150 kVA à une fréquence de 60 Hz.