9.6 Les alternateurs

 

            Nous avons déjà mentionné l'alternateur Siemens qui fournit du courant alternatif au théâtre Savoy de Londres en 1881 dans notre chapitre huit, ainsi que les alternateurs Siemens fournissant 250 kW sous une tension de 2 kV installés, à Londres également, en 1882, et à Pittsburg, par Westinghouse, en 1884. Il est plus que temps de voir comment ceux-ci fonctionnent.

 

a) pôles et segments

 

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            Nous avons vu dans notre chapitre six qu'il va apparaître aux bornes d'un segment de longueur L tournant à vitesse angulaire ω sur un cercle de rayon R une force électromotrice

qui dépend du champ magnétique B là où il se trouve à ce moment.

 

            Construisons une culasse C de fer de longueur L munie d'un nombre pair n de dents D de longueur L protubérant vers son intérieur, et roulons sur celles-ci des bobines de fil B afin de créer ainsi n pôles d'électro-aimant, alternativement nord N puis sud S . Ces électro-aimants doivent être alimentés par un courant continu pour créer leur champ magnétique.

 

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            Faisons tourner à vitesse angulaire ω , sur un arbre A dont l'axe correspond à l'axe de la culasse C , un induit I dont le noyau comprend n encoches U de longueur L dans lesquelles sont insérés à une distance R de l'arbre les segments M. Ces segments y sont roulés de telle sorte que parcourir le fil d'un bout à l'autre nous fait aller dans un sens dans une encoche U et dans le sens opposé dans la suivante.

 

            Le champ magnétique B va de la culasse C vers l'induit I là où se trouve un segment M qui, disons, s'enfonce dans la feuille. Il va donc de l'induit I vers la culasse C dans le segment suivant qui, lui, sort de la feuille. Le sens du courant induit est, avons-nous vu dans la section 6.5, donné par le produit vectoriel , sens qui, s'il s'enfonce dans la feuille pour le segment dans ce sens en sort pour le suivant.

 

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            Nous avons la même tension induite, dans le même sens lors du parcours des segments, dans chacun des n segments puisqu'ils sont, au même moment, dans un même champ magnétique.

 

            Un segment donné est momentanément placé dans un champ magnétique qui va de la culasse C à l'induit I lorsque devant un pôle nord N , puis dans un qui va de l'induit I à la culasse C lorsque devant un pôle sud S , pour se retrouver dans la même situation qu'au début lorsqu'il se retrouve à nouveau devant un pôle nord N . Puisque la culasse comprend en tout n pôles, il s'ensuit qu'un segment rencontre n / 2 pôles nord lorsqu'il parcourt un tour complet, dans une période de rotation TR . Durant ce temps, la tension à ses bornes a été celle correspondant à un pôle nord n / 2 fois: elle a donc vu n / 2 périodes électriques Te durant le temps correspondant à une seule de rotation TR . Il s'ensuit que la période électrique Te

est plus courte que la période de rotation TR par ce facteur n / 2 .

 

            La tension induite aux bornes de chaque segment en série VS (t) , qui varie dans le temps puisque les segments voient alternativement des pôles nord et sud, est donnée

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par la valeur trouvée par notre équation (9.6.1), avec la valeur instantanée B (t) du champ magnétique.

 

            La tension due à l'ensemble des segments, qui apparaît aux bornes de l'induit en rotation, est transférée à des points fixes à l'aide de deux balais B en contact avec deux bagues C en rotation.

 

 

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            Les lignes de champ magnétique produites par les pôles nord N des électro-aimants doivent traverser l'entrefer E , puis aller à travers le noyau de l'induit I aux pôles sud S avoisinants pour revenir à leur point de départ à travers la culasse C . Le courant continu requis pour causer le champ magnétique désiré dans l'entrefer E dépend d'abord et avant tout de l'épaisseur de ce dernier, comme nous avons déjà vu. Il doit être produit par une génératrice de courant continu auxiliaire. Les régions de l'induit, en rotation, se trouvent à couper les lignes de champ magnétique qui le parcourent, créant ainsi des courants de Foucault importants. Aussi le noyau de l'induit est-il feuilleté à partir de 1883.

 

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            Les alternateurs, comme ceux construits par Westinghouse en 1889 qui fournissent une puissance de 125 kW sous une tension de 1 kV, débitent un courant important sous une tension assez élevée, courant qui doit circuler des bagues aux balais. Or cela peut causer problème: s'il n'y a pas un bon contact entre la bague et le balai, la différence de potentiel produit une étincelle, qui porte ce courant et qui donc chauffe ces pièces dangereusement.

 

b) alternateur à champ tournant

 

            C'est pourquoi l'alternateur à champ tournant est introduit dès 1888. Alors que, dans l'alternateur original, les segments coupent des lignes de champ magnétique fixes mais alternativement d'un sens puis de l'autre en se déplaçant à une vitesse donnée sur un cercle, dans l'alternateur à champ tournant, les segments, fixes, coupent des lignes de champ magnétique alternativement d'un sens puis de l'autre qui, elles, se déplacent à une vitesse donnée sur le cercle.

 

            Les bobines des électro-aimants, qui forment l'inducteur, sont placées sur un tambour en rotation, dit rotor R . Ces bobines sont alimentées en courant continu à l'aide d'un commutateur par une génératrice à courant continu, dite excitatrice. Les segments sont placés dans des encoches sur la surface interne d'une forme cylindrique creuse faite en tôles. Cet induit fixe est dit stator S . Les connexions aux deux bornes des segments connectés en série qui forment l'induit, fixes, sont directes et il n'y a donc pas de risque d'étincelles.

 

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            Une tension alternative est donc induite dans les segments du stator. Mais il n'y a aucune garantie qu'elle est sinusoïdale: en fait, comme le montrent les courbes ci-contre, les premiers alternateurs ne produisent pas une telle tension. Ce qui n'est guère surprenant. Ce n'est qu'une fois qu'il est possible de produire l'équivalent d'un oscilloscope, soit vers 1897, que la forme de la tension peut être observée. Il est alors possible de modifier la forme obtenue en modifiant la forme des bobines composant les électro-aimants, et en variant quelque peu la largeur de l'entrefer en rendant les pôles saillants. La forme de la tension est maintenant vraiment celle d'une sinusoïde.

 

c) circuit représentant un alternateur

 

turboful.gifAlternateurs multipolaires (1901); des bobines du rotor du premier sont visibles puisque la partie supérieure de son stator est enlevée.

            Les segments dans lesquels la tension est induite sont résistifs: aussi tout alternateur a-t-il une résistance interne, comme toute pile électrique a une résistance interne. Si l'alternateur est branché sur une charge, il va débiter un courant alternatif. Ce courant alternatif cause un champ magnétique alternatif dans le noyau feuilleté du stator qui agit alors comme une inductance. Aussi le stator n'est-il pas seulement résistif, mais inductif. Et sa réactance inductive est beaucoup plus importante que sa résistance, qui peut être réduite en augmentant la section des segments de cuivre.

 

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            Aussi allons-nous représenter le stator d'un alternateur à l'aide d'un cercle dans lequel se trouve le sigle sinus, pour représenter la tension efficace qui y est induite Vi , puis, à part mais à côté, le symbole de la résistance pour représenter sa résistance interne R et finalement, à part mais à côté, le symbole de la réactance inductive pour représenter sa réactance inductive interne X . La tension efficace qui apparaît aux bornes de l'alternateur VA n'est égale à celle induite que dans le cas où ce dernier ne débite aucun courant. C'est la tension efficace aux bornes de l'alternateur VA que l'on cherche à maintenir constante durant son opération, ceci en ajustant la tension induite Vi .

 

 


d) tension induite aux bornes d’un alternateur

 

            La tension induite dans chaque segment composant le stator de l'alternateur dépend, avons-nous vu, de la valeur du champ magnétique alors subi B (t) sur toute sa longueur L lorsqu'il coupe les lignes de force magnétique à une vitesse v donnée par le produit de sa vitesse angulaire ωR fois le rayon R . Cette tension se retrouve dans tous les segments placés dans toutes les encoches, disposées de telle sorte que la tension induite soit la même en grandeur. Ces segments sont normalement reliés de telle sorte que la tension induite dans chacun s'additionne: la tension due à l'ensemble de N segments placés dans chacune des n encoches est alors donnée par notre équation (9.6.3) modifiée

pour tenir compte, d'une part, du nombre total de segments en série et du fait que le champ magnétique apparaît osciller de façon sinusoïdale à une fréquence angulaire ωe .

 

            L'amplitude de la tension induite dans le stator, le terme devant la fonction sinus dans notre équation précédente,

dépend de ses dimensions, de son nombre de pôles, du nombre de segments par encoche, de la fréquence angulaire de rotation et de l'amplitude du champ magnétique. La plupart de ces caractéristiques sont fixes une fois l'alternateur construit. Même la fréquence angulaire de rotation doit être maintenue telle que la fréquence électrique soit de 60 Hz. Il s'ensuit que la seule variable possible est l'amplitude du champ magnétique créé par les électro-aimants du rotor: c'est donc en variant celle-ci que l'amplitude de la tension induite peut varier.

 

            La tension induite dans le stator est donc proportionnelle au champ magnétique produit par le courant continu qui circule dans les électro-aimants du rotor, courant débité par l'excitatrice. Ce courant qui circule dans un certain nombre de spires pour former le bobinage de chaque électro-aimant est une force magnétomotrice qui cause un certain flux magnétique donné par la loi d'Hopkinson. Or le circuit magnétique comprend ici trois sections en série: un entrefer et deux tronçons dans le fer (un dans la culasse du stator, l'autre dans le noyau du rotor). La réluctance résultante est alors la somme des réluctances des trois tronçons.

 

            Nous avons vu que la réluctance d'une section dans le fer doux est d'autant plus faible que sa constante magnétique est grande: or celle-ci diminue fortement une fois atteint un champ magnétique de 1 T. Jusqu'à cette valeur, la réluctance des tronçons dans le fer doux est faible comparée à celle, constante, dans l'entrefer. Mais augmenter le champ une fois cette valeur atteinte augmente maintenant la réluctance totale du circuit magnétique puisque celle des tronçons de fer devient de plus en plus grande au fur et à mesure que le champ augmente. Une augmentation du courant de l'excitatrice ne cause plus une augmentation correspondante du champ magnétique, mais une plus faible. Ce qui est loin d'être une situation acceptable. Aussi le champ magnétique ne doit pas excéder 1 T dans l'entrefer.

 

e) exemple

 

Considérons un alternateur moderne qui alimente un réseau avec une tension sinusoïdale à la fréquence de 60 Hz. Son rotor comprend 36 pôles (soit 18 pôles nord et 18 pôles sud). Il tourne dont à une fréquence qui est 18 fois plus faible que la fréquence électrique, soit à une fréquence de 3,33 Hz (200 révolutions par minute) par notre équation (9.6.2). Sa vitesse angulaire est sa fréquence fois 2 π , soit 20,94 rad/s.

 

La culasse de fer doux feuilleté de son stator, de 2,0 m de longueur et 4,5 m de rayon interne, comprend 36 encoches (une par pôle), chacune accomodant 4 segments, pour un total de 144 segments, tous reliés en série de telle sorte que la tension induite aux bornes du stator est la somme des tensions identiques induites dans chacun. La résistance interne de ces segments et leurs raccords est de 0,2 Ω. Et leur réactance inductive interne est de 6,6 Ω.

 

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Cet alternateur est bâti pour débiter un courant de 2 kA sous une tension de 7,0 kV. Il s'ensuit que l'impédance du réseau est de 7 kV divisé par 2 kA, soit de 3,5 Ω. Cette tension est celle qui doit donc apparaître à ses bornes. Cette valeur est, comme toute tension normalement mesurée, une tension efficace. Il s'ensuit que la tension de crête demandée, soit l'amplitude, est radical de 2 fois cette valeur, soit de 9,90 kV.

 

Considérons d'abord le cas où l'alternateur ne fournit pas de courant. Dans un tel cas, la tension induite est égale à la tension à ses bornes et le champ magnétique du rotor doit donc fournir une tension induite de crête de 9,90 kV, soit de 365 mT selon l'équation (9.6.5).

 

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Considérons maintenant le cas où l'impédance de 3,5 Ω du réseau externe normalement à ses bornes peut être ramené à une résistance de 2,8 Ω et une réactance inductive de 2,1 Ω en série. La résistance totale du circuit est alors de 2,8 Ω plus 0,2 Ω, soit de 3,0 Ω. La réactance inductive totale, de 2,1 Ω plus 6,6 Ω, soit de 8,7 Ω.

 

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L'impédance totale du circuit est alors de 9,20 Ω par notre équation (8.8.3). La tension induite est le produit de l'impédance totale fois le courant, soit 9,20 Ω fois 2 kA, soit 18,4 kV. Sa valeur de crête, de 26,00 kV. Le champ magnétique requis est maintenant de 959 mT par l'équation (9.6.5).

 

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Considérons finalement le cas où l'impédance de 3,5 Ω du réseau externe normalement à ses bornes peut être ramené à une résistance de 2,8 Ω et une réactance capacitive de 2,1 Ω en série. La résistance totale du circuit est alors de 2,8 Ω plus 0,2 Ω, soit de 3,0 Ω. La réactance (inductive) totale, de 6,6 Ω moins 2,1 Ω, soit de 4,5 Ω.

 

L'impédance totale du circuit est alors de 5,41 Ω par notre équation (8.8.3). La tension induite est le produit de l'impédance totale fois le courant, soit 5,41 Ω fois 2 kA, soit 10,8 kV. Sa valeur de crête, de 15,30 kV. Le champ magnétique requis est maintenant de 564 mT par l'équation (9.6.5).

 

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Le champ magnétique requis du rotor varie donc, dans nos exemples, de 365 mT sans charge, à 959 mT lorsque le facteur de puissance de la charge est de 0,8 dans le cas d'une charge partiellement inductive à 564 mT dans le cas d'une charge partiellement capacitive. Il se trouve donc à varier entre ces deux dernières quantités lorsque l'alternateur est en charge et que son facteur de puissance varie entre 1 et 0,8 .

 

Cet alternateur produit alors pour le réseau extérieur une puissance apparente nette de 7 kV fois 2 kA, soit 14 MVA par l'équation (8.7.2). La puissance réelle qu'il produit pour le réseau extérieur est, dans nos deux exemples en charge, de 2,8 Ω fois 2 kA au carré, soit de 11,2 MW, selon notre équation (8.4.15). La puissance mécanique que requiert son stator est de 3 Ω, la résistance totale du circuit, celle qui comprend sa résistance interne, fois 2 kA au carré, soit de 12 MW.

 

            L'excitatrice a donc comme rôle de fournir aux électro-aimants du rotor le courant continu requis pour causer un champ magnétique tel que la tension VA trouvée aux bornes du stator de l'alternateur soit égale à sa valeur nominale, quelle que soit la charge à ses bornes, du moins dans certaines limites. Mais, du reste, d'où provient la puissance mécanique requise pour faire tourner le rotor de l'alternateur?

 

            Les premières génératrices, comme celles de 1881, sont entraînées par des machines à vapeur. Dans pareille machine, la vapeur, sous pression, entre dans une chambre dont une des parois, mobile, est un piston. Sa pression est telle que le piston est déplacé de telle sorte que le volume de la chambre grandit; ce qui refroidit la vapeur et diminue sa pression. Mais il reste qu'elle a entraîné un mouvement du piston, relié à une bielle qui fait, sous l'action du mouvement du piston, tourner un axe. Un mouvement de va-et-vient d'un piston est alors transformé en un mouvement rotatif. Ce qui est le cas du moteur à explosion trouvé dans les automobiles. Ce système, il va sans dire, est particulièrement inefficace.