9.8 Les alternateurs lents

 

a) les turbines hydrauliques

 

            Il existe un deuxième type de turbines, plus ancien que celui de sir Charles Parsons: la turbine hydraulique. Sous sa forme la plus simple, elle consiste en une roue à aubes, dont l'axe de rotation est horizontal, mise en rotation par le mouvement de l'eau contre ses ailerons. Son mouvement de rotation entraîne le rotor d'une génératrice. La première station hydro-électrique est mise en opération à Niagara en 1881.

 

La compagnie Ottawa Electric Light alimente avec un système semblable 325 lampes à arc à Ottawa en courant continu la même année. En 1889 la première centrale hydraulique produisant du courant alternatif au Canada entre en opération à Calgary, suivie de très près par une à Ottawa.

 

A Montréal, la première installation hydro-électrique, sur le canal Lachine, date de 1892. La compagnie Royal Electric met en chantier en 1893 une centrale hydro-électrique à Chambly, dont l'axe de rotation des alternateurs est horizontal, et qui entre en service en 1899 et produit 4,5 MW. En 1897, la Lachine Rapids Hydraulic and Land Company utilise la hauteur de chute de 3,4 m des rapides pour installer une centrale de 3 MW de puissance, ensuite augmentée à 7,6 MW. La première centrale de la Shawinigan Light and Power, mise en chantier en 1899, produit 7,5 MW en pleine opération en 1909; la seconde, en 1911, produit 29,8 MW. Cette dernière est augmentée avec l'introduction de trois nouveaux groupes, à axe horizontal comme les premiers; de plus, la hauteur de chute est passée à 43 m: la centrale produit 163 MW en 1915. Le développment des compagnies privées d'électricité continue rapidement.

 

turbo2l.gifRotor T d'un alternateur hydraulique, relié par l'arbre A à sa turbine Francis, avec sa couronne C et sa conduite d'échappement P .

En 1937 le gouvernement du Québec fonde une compagnie d'état pour la production, le transport et la distribution d'électricité: Hydro-Québec, qui prend en mains quelques compagnies privées et en 1944, la centrale de Beauharnois dont la puissance produite est de 538 MW en 1948. Ce n'est qu'en 1963 que presque toutes les compagnies privées de production, transport et distribution d'électricité sont nationalisées au Québec et amalgamées à Hydro-Québec. Le second producteur d'électricité au Québec est la compagnie Alcan, qui produit avec ses propres centrales l'électricité requise pour transformer la bauxite en aluminium et pour éclairer ses usines et les petites villes où vivent ses employés.

 

            La turbine hydraulique a subi quelques modifications depuis ses débuts. Le modèle utilisé par Hydro-Québec est essentiellement celui produit en 1849 par James Bicheno Francis (1815-1892).

 

            Contrairement aux machines examinées jusqu'ici, les axes de rotation des turbines hydrauliques modernes sont verticaux comme le montre le croquis de la page précédente. La turbine est placée juste en dessous de son alternateur. Tout comme dans le couple turbo-alternateur de Parsons, les rotors de la turbine hydraulique R et de l'alternateur T comprenant les électro-aimants E ont même arbre de rotation A . Les aubes B du rotor R de la turbine sont placées selon des rayons, mais légèrement courbées. Elles reçoivent de l'eau qui provient d'une conduite forcée dont l'embouchure est au pied du barrage. Une vanne décide la quantité d'eau qui s'écoule dans la conduite forcée. L'eau de la conduite est dirigée vers une bâche en spirale qui entoure la turbine. Cette bâche, dite la couronne C , est munie d'aubes directrices fixes D incurvées vers le rotor de la turbine, pour distribuer l'eau également sur chacune des aubes du rotor. Après avoir entraîné les aubes du rotor de la turbine à sa vitesse angulaire ωR en développant un moment de force mécanique Ma , l'eau est évacuée par une conduite d'échappement P qui comporte une cheminée de succion et un canal de fuite.

 

b) transfert de puissance

 

turbcour.gifCouronne (à l'avant-plan) et ses aubes (à l'arrière-plan) en construction

            L'eau fait donc tourner la turbine Francis reliée à son alternateur. Dans le cas du turbo-alternateur, avons-nous vu, le débit de vapeur doit être réglé pour que la puissance mécanique fournie par la turbine égale la puissance électrique dépensée; sinon les rotors vont changer de vitesse, ce que nous avons vu être strictement inacceptable. De même ici, le débit d'eau doit être réglé pour la même raison.

 

            L'eau qui est amenée à la turbine voit son niveau baisser d'une hauteur de chute h qui correspond à la différence entre le niveau d'eau trouvé devant le barrage et celui trouvé à la turbine. Si l'énergie potentielle gravitationnelle dUg d'une masse d'eau dm est considérée nulle à la hauteur de la turbine, elle est de

au niveau de l'eau devant le barrage. C'est cette énergie potentielle qui est transformée en énergie électrique lorsque la masse d'eau fait tourner la turbine s'il ne lui reste pratiquement pas d'énergie cinétique à sa sortie. Puisque cette énergie potentielle est pratiquement toute utilisée durant un laps de temps dt pour faire tourner la turbine Francis à sa vitesse angulaire d'opération, il s'ensuit que la puissance mécanique Pa est donnée par

le produit du débit d'eau fourni à la turbine dm / dt par la constante de gravitation g fois la hauteur de chute h .

 

c) les barrages et lacs artificiels

 

            Le fait que la puissance mécanique Pa fournie soit proportionnelle à la hauteur de chute h a amené la construction de barrages aussi hauts que possible: elle est de 70 m à Manic 2 (1965), 120 m à Outardes 4 (1965), 155 m à Manic 5 (1968), 94 m à Manic 3 (1976), 137 m à La Grande 2 (1980). Cela n'est pas toujours possible: la centrale de Beauharnois, sur le Saint-Laurent, qui n'a pas de lac artificiel, n'a une hauteur de chute que de 24 m et La Grande 1, une hauteur de chute de 23,5 m.

 

            La fréquence de rotation des rotors des turbines Francis dépend dans une large mesure de la hauteur de chute. Ils tournent à 133,33 révolutions par minute à La Grande 2, entraînant des alternateurs de 54 pôles, où la hauteur de chute est de 137 m, alors qu'ils tournent à 94,67 révolutions par minute à Beauharnois, entraînant des alternateurs de 76 pôles, où la hauteur de chute n'est que de 24 m.

 

            Construire un énorme barrage a l'avantage de permettre une hauteur de chute plus considérable et donc, d'obtenir plus de puissance d'un même débit d'eau. Créer un énorme lac artificiel a également l'avantage que sécheresse ou pluie abondante n'ont guère d'influence sur son niveau d'eau. Malheureusement, d'autres facteurs entrent en ligne: ces lacs artificiels deviennent de forts contaminants de la faune de la région et ainsi affectent la vie de ses habitants non seulement par leur nouvelle existence mais aussi par cette contamination. De plus, une évaporation a lieu à partir de tout plan d'eau, évaporation d'autant plus grande que le plan d'eau est vaste et que l'air est froid: c'est pourquoi l'Atlantique Nord est constamment couvert de nuages. Une quantité d'eau importante est ainsi perdue, d'autant plus grande par rapport à la masse d'eau que le lac artificiel a une profondeur moyenne faible. Ce problème est beaucoup plus important pour les barrages de la Grande Rivière, situés sur un terrain relativement peu accidenté, retenant des lacs de grande superficie mais de profondeurs moyennes faibles, que pour ceux de la Manicouagan, en terrain plus accidenté, retenant des lacs de plus faible superficie mais de plus grande profondeur moyenne.

 

            Évidemment, rien n'empêche de construire plusieurs barrages retenant des lacs artificiels beaucoup plus petits sur la même rivière plutôt qu'un seul: la même puissance est obtenue alors du même débit d'eau. Les pertes par évaporation sont fortement réduites, les coûts de construction des barrages, également, ainsi que la contamination produite. Le seul inconvénient est une plus grande fluctuation possible du niveau de chute, mais, après tout, Hydro-Québec s'accomode bien de centrales au fil des eaux comme celles de Carillon et de Beauharnois, où il n'y a pas du tout de lac artificiel, et donc aucune contamination à ce niveau.

 

            Remarquons pour terminer cette section l'avantage du barrage à fil d'eau (choisi parce qu'il n'y a pas vraiment de modification profonde de l'environnement) par rapport à une centrale thermique. Pratiquement toute l'énergie gravitationnelle de l'eau est transformée en énergie électrique dans le cas de la centrale hydro-électrique. Seulement environ 40% de l'énergie thermique est transformée en énergie électrique dans les meilleurs turbo-alternateurs. Ceci ne peut pas être amélioré pour des raisons qui dépendent du cycle de Carnot et qui dépassent les limites de ce cours. Il s'ensuit que 60% de l'énergie est perdue sous forme de chaleur. Le mazout et le charbon ne sont pas renouvelables contrairement à l'eau de la rivière, et leur combustion produit des déchets toxiques qui doivent être interceptés. De même pour l'uranium, dont les déchets doivent être traités avec soin.

 

            L'inconvénient sérieux des centrales hydro-électriques est que celles-ci doivent être situées là où le lit d'un cours d'eau assez important change de niveau par une valeur assez importante; ce qui est souvent fort loin des villes importantes, quand pareils cours d'eau existent; alors qu'une centrale thermique peut d'ordinaire être située près de celles-ci. Les pertes de puissance lors du transport peuvent être bien plus facilement minimisées avec un réseau de centrales thermiques qu'avec un réseau de centrales hydro-électriques comme celui d'Hydro-Québec.