Au congrès Noëliste de Vannes, Mgr Gaurand formula cette remarque: «Alors que l’on trouve les jeunes gens très sensibles à l’idée d’être de l’élite, de former une élite, les jeunes filles paraissent indifférentes à cette idée.» Qu’est-ce à dire puisqu’aussitôt il ajoute: «En fait, il y a des élites féminines.»! Des élites de femmes, donc! Mais les femmes d’élite, elles sont d’abord... jeunes filles!
Mgr Gaurand a-t-il voulu entendre que chez nous l’âge, le mariage, la religion ou le célibat déterminaient les élites? Peut-être... la femme pratique par nature n’envisage que distraitement les idées qui ne se présentent pas à elles avec leurs possibilités de réalisation immédiate ou leur utilité. Or les romans, les conversations, les moeurs nous ont littéralement imbues de fausses notions, nous & nos futurs époux. Il s’en est suivi que pour obtenir l’amour «cette chose entre toutes désirable» nous avons préféré être des poupées qu’on cajole et qu’on peut leurrer; des poupées perfectionnées qui s’habillent, prennent le thé, font même la cuisine et un brin de couture, plutôt que des jeunes filles d’élite...
Avec une pareille formation ou plutôt un tel manque de formation, une femme pourra-t-elle s’élever jusqu’à l’élite de la société? Oui, si son mari est un homme remarquable – et il s’en trouve de ces êtres supérieurs qui pour former une femme à leur gré préfèrent la prendre à l’état de page blanche. Comme si c’était possible d’éprouver subitement de l’attrait et un enthousiasme durable pour des choses en dehors desquelles l’on a vécu ou vu vivre et être heureux!... Tout de même, parce que l’épouse et l’époux ne font qu’un, cette femme, si elle a du tact, fera partie de l’élite de la société; mais elle-même ne sera jamais une femme d’élite!
Une jeune fille d’élite, qu’est-ce donc? Une jeune fille d’élite, c’est une jeune fille équilibrée et pas autre chose! Équilibrée dans le sens que son éducation l’aura formée physiquement, intellectuellement et moralement en vue de sa perfection, de son bonheur, et de sa destination sociale.
Le développement physique de la jeune fille équilibrée n’est pas celui qui mène aux championnats. C’est celui qui aide au maintien de la santé, en tant que facteur de la vigueur de l’âme.
Sa culture intellectuelle n’aura rien de l’entassement savant des pédantes. Elle lui sera une arme pour la conquête de la vérité qu’elle saura chercher sans prévention ni précipitation. Elle sera même une discipline pour le caractère à cause de l’habitude à la sincérité, à l’initiative, à l’effort qu’elle exige.
Quelle formation morale déterminera l’équilibre parfait que nous rêvons? La seule véritable, celle qui consiste à amener la volonté à vouloir par elle-même; à lui inspirer la conscience du devoir & l’espoir tenace de le réaliser.
Or qu’y a-t-il d’extraordinaire dans le portrait que je viens d’esquisser? Orienter notre intelligence vers le vrai et notre volonté vers le bien, n’est-ce pas ce que le petit catéchisme nous enseigne? N’est-ce pas la fin même de l’homme? Alors, alors, pourquoi ne sommes-nous pas toutes des êtres d’élite?
Nous ne sommes pas des êtres d’élite parce que précisément nous ignorons la portée immense de ce mot: devoir. Nous regardons notre petit devoir quotidien, rien au-delà, et nous sommes satisfaites. Nous avons peur, dirait-on, de regarder les choses sous plus d’une face. Nous marchons avec des oeillères. Combien d’entre nous se sont jamais arrêtées, et prenant un crayon et du papier, ont fait de leur âme un état de compte, clair et précis? Et comment prétendre atteindre idéal sans connaître d’abord l’actif & le passif de ses ressources & de ses misères?
Nous ne sommes pas des êtres d’élite parce que nous avons renversé l’échelle des valeurs en acceptant celle toute faite par les préjugés & les habitudes, tristes facteurs de médiocrité. Nos études terminées, le temps est venu de notre formation. Mais nos connaissances demeurent inertes. Il nous faudrait du tact, un peu de psychologie pour discerner entre tant de matériaux les moins et les plus conformes à notre personnalité; ceux-ci mis en évidence et embellis donneraient à notre édifice intellectuel son caractère.
Il faudrait de l’audace, de la confiance en l’avenir. Avez-vous songé à l’amour qu’offrirait une âme parfaitement équilibrée? Trop beau? Et pourquoi? Ne croyez-vous pas que plus d’un ménage réussirait mieux si la femme y apportait non seulement un coeur épris mais une bonne tête? Ne croyez-vous pas qu’un dévouement plus clairvoyant parce que plus intelligent et réfléchi serait plus effectif?
Toutes ici vous rêvez d’amour – prince charmant, petits enfants – C’est pourquoi je m’attache à vous convaincre qu’une formation d’élite ne vous en détournera pas, au contraire! Elle donnera à vos foyers toute leur splendeur rayonnante.
Mais je devine une inquiétude. Se perfetionner ainsi même en vue du mariage, cela semble si rigide et austèrre que mieux voudrait être nonnette au couvent! Détrompez-vous! Le bridge, le thé à cinq heures, les jolies toilettes, la dnse, le théâtre, demeureront à votre usage. Mais vous les goûterez avec un autre esprit. Au lieu de remplir votre vie, ils seront ce qu’ils doivent être: des distractions. Vous ne les laisserez pas vous déborder, vous envahir. Vous ne tolèrerez pas qu’ils deviennent de tyranniques habitudes. Votre surcroît d’énergie, votre besoin d’action, mais ils peuvent servir à tant de choses belles & nobles, qui, croyez-moi, vous donneront autant de joie. Pour vous y aider, débarrassez-vous d’un autre préjugé qui veut qu’une lecture sérieuse, un beau concert, un geste utile & secourable ne puissent être des délassements.
Et puis, quoi! y a-t-il deux religions? L’une qui permet aux gens du monde toutes leurs fantaisies – et une autre qui exige des voeux contre nature? Allons donc! Une mère de famille a tant de mérite, dit-on! Sans doute, si elle remplit son devoir. Mais le devoir ne consiste pas à avoir beaucoup d'enfants. Il consiste à former des âmes. Lisez la vie des hommes, des femmes illustres. À leur berceau, vous trouverez toujours une mère vigilante. Entourant et gardant leur jeunesse, une affection maternelle. Or pensez-vous qu’une tâche semblable s’accomplisse uniquement par grâce d’état?