Mes racines / my roots

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L'affaire Shortis (Huitième partie):

Extraits de La Patrie
concernant l'affaire Shortis
(huitième partie: articles de 1896
placés par ordre chronologique
_______




  1. jeudi 2 janvier 1896, page 1

    SHORTIS
    Il ne sera pas pendu
    La défense a coûté $60,000

    Ottawa, 2. - Son Excellence le Gouverneur-Général, exerçant son droit de grâce, a décidé que le meurtrier Shortis serait emprisonné pour la vie dans une maison de fous. Ceci a été annoncé par M. Shortis père, mardi soir.

    Le père et la mère du meurtrier sont partis hier à trois heures de l'après-midi, pour Valleyfield: ils vont voir leur fils avant qu'il ne sorte de Beauharnois.

    Pendant son séjour à Ottawa, M. Shortis a dit que la défense de son fils coûtait $60,000.

  2. samedi 4 janvier 1896, page 8

    SHORTIS
    Son voyage sensationnel de Beauharnois à Montréal
    Une entrevue avec le meurtrier de Valleyfield
    A Rockfield, un individu s'informe auprès de Shortis du sort du meurtrier de Valleyfield
    Il ne sera pas transféré aujourd'hui à Kingston

    Il était de très bonne heure encore, hier matin, quand le shérif Laberge reçut à sa maison, située à l'extrémité ouest de la jolie petite ville de Beauharnois, un message téléphonique lui annonçant qu'une foule, assez nombreuse et turbulente, s'était réunie autour de la prison et que ses services étaient requis immédiatement pour empêcher cette multitude d'en venir à employer la force pour s'introduire dans l'établissement et faire passer un mauvais quart d'heure au meurtrier de Valleyfield, Valentine Cuthbert Shortis.

    Quand le shérif arriva à la prison il aperçut sur le haut de la côte cinq à six cents personnes qui faisaient des démonstrations à la porte.

    Le shérif Laberge, en arrivant en appela alors à leur bon sens et à leur respect des lois. Il leur dit qu'il était désarmé et que sa seule défense était dans l'illégalité de leurs faits et gestes. Ayant un peu par ces paroles calmé les passions de la foule, il prit à part quelques-uns des meneurs de cette organisation, leur expliqua longuement tout le dommage que des hostilités de la part de la multitude lui causerait, puis les invita tous à descendre à l'hôtel avec lui.

    L'assemblée se dispersa.

    Quelques-uns demandèrent de laisser entrer un des leurs, qui s'assurerait si Shortis était bien encore dans la prison. Le shérif leur répondit qu'il ne pouvait pas condescendre à cette demande, vu le trop grand nombre de personnes qui stationnaient à la porte de la prison et la crainte d'une émeute générale.

    Quand le shérif revint à la prison, il s'aperçut qu'on avait forcé l'entrée de la prison et que la barre de fer qui protège la porte de l'entrée principale avait été tordue.

    Dans le cours de l'après-midi, le shérif Laberge ayant appris qu'un autre détachement animé de mauvaises intentions venait de Valleyfield par le train de 3 heures 20, il fit circuler la rumeur que Shortis serait conduit jusqu'à la Jonction Ste-Martine et que là il prendrait le train pour Montréal. Cela eut pour résultat de dépister complètement cette multitude qui se rendit à la Jonction Ste-Martine.

    Pendant ce temps, le shérif avait fait préparer une voiture et avait réussi à s'esquiver, par derrière la prison, accompagné de son précieux prisonnier. Ils se rendirent jusqu'à Châteauguay. Là, on loua une chaloupe et on traversa la rivière.

    Le shérif loua alors de bons chevaux et on se dirigea à fond de train du côté de Caughnawaga, où on traversa le pont du Pacifique.

    On prit ensuite le premier train qui passa. Le shérif crut plus prudent de descendre à St-Henri, et de là Shortis fut conduit à la prison de Montréal où il a passé la nuit.

    ___________

    Valentine Cuthbert Shortis, le meurtrier de Valleyfield, condamné à être pendu le 3 janvier, et dont la sentence a été commuée, est actuellement à la prison de Montréal, l'hôte distingué du gouverneur Vallée, via le département des aliénés à la station pénitenciaire de Kingston. Shortis parait assez bien portant, quoique un peu pâle et le dos peut-être un peu plus courbé.

    Lorsqu'il a été vu ce matin par le représentant de la PATRIE, dans un des corridors de la prison, il était justement après lire le récit d'un célèbre procès criminel dans le Illustrated London News, qui paraissait vivement l'intéresser.

    Après les salutations d'usage, questionné par notre représentant, il corrobora le rapport que nous publions ci-haut sur son voyage sensationnel de Beauharnois à Montréal.

    Il y ajouta certains détails intéressants. Entr'autres choses, quand il arriva à Rockfield, après sa traversée périlleuse, à pied, sur le pont du Pacifique, il rentra dans un hotel, en compagnie du shérif et, dit-il, on nous servit a glass of hot water with something in it.

    Arrivé à la gare de cette dernière localité, le shérif et son prisonnier durent rentrer pour attendre le train.

    Shortis, qui portait un épais capot de chat sauvage, ce qui cachait les menottes qu'il avait aux poignets, fut abordé par un anglais qui lui demanda des nouvelles du fameux Shortis et ce qu'il pensait de cette affaire. Sur les réponses évasives de ce dernier, l'individu lui dit qu'il était bien content que la sentence avait été commuée, parce que Shortis était un homme bien brave et qu'il avait montré du pluck dans cette affaire. He is a brave and plucky man.

    Interrogé sur ce qu'il pensait du verdict rendu, le meurtrier de Valleyfield répondit: When a fellow does wrong, he should suffer I suppose. Quand quelqu'un fait du mal, il devrait souffrir, je crois.

    Malheureusement, il ne lui fut pas demandé s'il avait tort.

    Shortis a fait de grands compliments de la conduite du shérif Thibodeau, du shérif Laberge et de M. Montpetit. Il dit que ces messieurs ont tous été bien bons pour lui.

    - Avez-vous vu la foule au-dehors de la prison, à Beauharnois?

    - Oui, j'ai vu qu'il y avait quelques personnes rassemblées.

    - N'avez-vous pas eu peur en entendant les cris et en voyant l'agitation de cette multitude?

    - Non, je n'ai pas eu peur. Les gens de Beauharnois sont les meilleures gens du monde. Il n'y en avait pas un seul parmi eux qui aurait voulu me toucher. Si j'avais quelque chose à craindre, c'était de la part des Anglais de Valleyfield.

    Parlant ensuite de sa mère et de la reconnaissance éternelle qu'il lui devait, Shortis manifesta une grande admiration pour sa mère et dit: Ma mère, c'est un ange, et je donnerais ma vie pour elle.

    ___________

    D'un moment à l'autre, Shortis peut partir pour Kingston, où il est condamné à passer le reste de ses jours.

    Il est tout probable qu'il ne passera pas le dimanche ici.

    Les autorités n'ont cependant reçu, à l'heure de mettre sous presse, aucun ordre pour transférer Shortis à la station pénitentiaire de Kingston.

    Plsus tard. - On nous mande par téléphone qu'on n'a rien reçu au bureau du shérif concernant la transportation de Shortis et que le meurtrier de Valleyfield ne peut partir sans ces ordres.

    Conséquemment, Shortis passera le dimanche à Montréal.

    Beauharnois, 4. - Le shérif Laberge a réussi à enlever le meurtrier Shortis à la foule indignée qui voulait le lyncher. Pendant toute la matinée des hommes de Valleyfield arrivaient par petits groupes. Les uns venaient par des trains, les autres en voiture. A part ces circonstances suspectes, il y avait une agitation extraordinaire dans la population si paisible d'ordinaire de Beauharnois, et chacun craignait qu'il n'y eût un soulèvement.

    La nouvelle s'était répandue que le prisonnier partirait par le convoi de l'après-midi. La commutation avait été reçue le jour de l'an et le bourreau Radcliffe avait immédiatement reçu son congé.

    Shortis a été enlevé de quelque manière mystérieuse par le shérif, cet après-midi, pendant que les amis de ce dernier amusaient les meneurs aux hôtels.

    On croit que les fuyards ont dû traverser la ferme derrière la prison, jusqu'au chemin de Laprairie. Ils étaient alors hors de vue et avant qu'on ne s'aperçut de leur fuite ils avaient mis plusieurs milles entre eux et les turbulents.

    Beaucoup de personnes ont été grandement désappointés lorsque l'heure du train arriva et ni shérif ni prisonnier n'apparut. On s'aperçut alors qu'on avait été joué.

    Au départ du train, lorsqu'on compris la vérité, une cinquantaine des plus indignés sautèrent à bord, espérant retrouver le shérif et son prisonnier plus loin, lorsqu'on tenterait de monter dans le train; mais encore une fois ils furent désappointés.

    A Valleyfield

    Valleyfield, 4. - L'opinion publique a été fortement excité par la commutation de la sentence de Shortis. On répète que c'est l'argent du père qui a sauvé le fils et qu'il y a une loi pour les riches et une autre pour le pauvre.

    Il y a eu quelques menaces d'une démonstration, jeudi, mais les conseils des plus pacifiques l'emportèrent.

  3. mardi 7 janvier 1896, page 4

    SHORTIS
    IL POURRAIT BIEN ETRE PENDU
    On lui ferait subit un autre procès pour le meurtre de Leboeuf
    Shortis parti hier pour St Vincent de Paul
    Mme Shortis et Melle Anderson vont lui rendre visite
    Assemblées de protestations contre l'attitude du gouverneur général
    Valleyfield, Beauharnois et Coteau Landing indignés

    Cuthbert Valentine Shortis, le meurtrier de Valleyfield, est encore à la prison de Montréal.

    Le gouverneur Vallée n'a pas encore reçu d'instructions du gouvernement d'Ottawa pour la transportation du prisonnier.

    On croit que Shortis partira pour la station pénitentiaire de St-Vincent quelque jour cette semaine pour y attendre les ordres de Sa Majesté.

    Une dépêche de Kingston, Ont., nous dit que Shortis n'est pas pour aller à cet endroit, mais au pénitencier de St Vincent de Paul.

    Dimanche après-midi, Mme Shortis et Melle Anderson sont allées rendre visite au jeune Valentine.

    La mère du prisonnier semblait de bonne humeur.

    Quant à Melle Anderson, on aurait dit qu'elle partait pour un voyage de noces, tant elle était souriante et gaie.

    ___________

    Le procureur général, l'hon. T. C. Casgrain, de Québec, vient de télégraphier à Montréal que la question de savoir si Valentine Shortis peut subir un autre procès pour le meurtre de Maxime Leboeuf est sous considération.

    Conséquemment, malgré que Valentine Shortis ait échappé à la corde pour avoir tué John Loy le meurtrier de Waterford n'est pas encore trop sûre de son affaire.

    Le jury du coroner de Valleyfield a trouvé trois chefs d'accusation contre lui: 1o pour avoir volontairement tué John Loy; 2o pour avoir volontairement tué Maxime Leboeuf et 3o pour avoir attenté à la vie de Hugh Wilson.

    Il vient d'échapper à la première de ces accusations, qui a été prouvée réelle; les autorités peuvent encore lui faire subit un nouveau procès pour le meurtre de Maxime Leboeuf.

    M. MacLennan, l'associé de M. MacMaster qui est à Ottawa, interviewé, a dit que la chose dépendait entièrement du procureur-général à Québec. L'attitude prise par le gouverneur général ne peut être un empêchement à l'institution de nouvelles procédures. Il ne pourrait intervenir qu'après la sentence prononcée et sur la demande de ses ministres.

    Le meurtre de Leboeuf

    Maxime Leboeuf était le gardien de nuit à la manufacture de coton de Valleyfield. Le soir du meurtre, Leboeuf faisait sa ronde et passa dans le voisinage de la voûte du bureau, durant lequel Shortis était assis attendant l'apparition de Loy et d'Arthur Leboeuf. John Loy était mort à ce moment et Hugh Wilson avait été blessé plusieurs fois et avait été laissé par le meurtrier comme mort. Shortis rencontre Leboeuf, tire sur lui et le tua. Shortis reprit ensuite sa place devant la voûte de sûreté et c'est là qu'il fut pris après que le blessé Wilson eût donné l'alarme.

    A Valleyfield

    Valleyfield, 7. - L'assemblée publique tenue à l'Hôtel de Ville, samedi soir, pour protester contre l'action du gouverneur-général qui a commué la sentence du meurtrier Valentine C. Shortis, a été une des plus nombreuses jamais tenues dans Valleyfield. Cependant, toutes les procédures ont été transigées d'une manière vraiment parlementaire, et quoique les résolutions adoptées à l'unanimité ont été très explicites, il n'y a pas eu de désordre.

    Le fauteuil présidentiel était occupé par le maire, M. Geo. M. Loy, le père d'une des victimes de Shortis. M. Loy se contenta de lire la proclamation convoquant cette assemblée dans le but de considérer la commutation de la sentence de Shortis.

    Le docteur Sutherland, qui avait été témoin pour la couronne pendant ce procès mémorable, agissait comme secrétaire.

    M. Louis Simpson, gérant des Montreal Cotton Mills, fut le premier à adresser la parole. Il est certain, dit-il, que toutes les personnes présentes à cette assemblée sont de bons et loyaux sujets de Sa Majesté. Ils se sont assemblées pour discuter une affaire qui les intéresse.

    Quoiqu'il soit indiscutable que Sa Majesté a toujours été bonne et sage souveraine, il sde peut qu'elle ait délégué ses pouvoirs à des personnes qui ne seraient pas aussi sages qu'elle-même. Dans la mère-patrie, la reine ne s'est jamais trompée, pour la bonne raison qu'elle est conseillée par ses ministres, et si un de ceux-ci se trompait, il perdait son siège et un autre le remplacerait. Ici, au Canada, cependant les choses sont différentes, car le gouverneur-général a agi sans l'aide des conseils de ses ministres, et non pas dans l'intérêt général du public.

    Lorsqu'eût lieu le terrible drame du mois de mars dernier, continua-t-il, plusieurs de ceux qui l'écoutent avaient voulu prendre sur eux d'administrer justice au meurtrier et de lyncher Shortis; mais confiants en l'intégrité et en l'esprit de justice de leurs concitoyens et des juges du pays, on a laissé la loi suivre son cours.

    L'orateur fut alors heureux du bon esprit du public en cette occasion, mais avec le temps on commença à douter de l'impartialité de la justice et à craindre que l'argent dont disposait la défense, n'influença cette impartialité.

    Tous connaissent ce qui s'est passé après que Shortis eût été déclaré coupable et responsable de ses actes. Chacun des ministres fut assiégé à tour de rôle pour obtenir une commutation.

    Enfin on s'adressa au gouverneur-général et à sa noble épouse. Il n'y a que ces cas où le représentant de la reine peut exercer son pouvoir discrétionnaire. Soit qu'il existe de nouvelles preuves tendant à prouver l'innocence du condamné à mort, ou que le gouverneur-général ait cru que les douzes jurés et le juge ne savaient pas ce qu'ils faisaient, lorsqu'ils le condamnèrent.

    Après quelques remarques, M. Simpson termina ainsi: "Nous ne demandons pas le sang du prisonnier: ce que nous demandons et voulons c'est l'administration de la justice de manière à permettre que nos épouses et nos enfants puissent passer dans les rues sans crainte d'être assassinés." Il lut alors une résolution adressée au gouverneur-général et couchée en termes énergiques, protestant vigoureusement contre son attitude.

    Le Dr Lussier appuya M. Simpson et parla en français pendant quelques instants. Il mentionna l'affaire Riel et termina en disant que, connaissant très bien le prisonnier, il le considère parfaitement responsable.

    La motion fut adoptée à l'unanimité.

    On fit alors lecture de la lettre suivante de M. G. N. Bisson, représentant ce comité au Parlement provincial:

    M. E. Dion.
    Valleyfield
    Monsieur,

    Je regrette sincèrement de ne pouvoir me rendre à votre invitation. Mes devoirs comme maire de Beauharnois me retiennent ce soir, mais je désire dire aux citoyens de Valleyfield que je joins mes larmes aux leurs sur la tombe des victimes de ce célèbre meurtrier, et d'autant plus que ce dernier échappe à la honte du gibet. Avec vous j'enregistre ma voix contre une telle manière d'agir, et je trouverai bien l'occasion d'exprimer mon opinion sur l'humiliation que l'on inflige à la jolie petite ville de Valleyfield ainsi qu'à tout le pays.

    Je suis votre serviteur,

    G. N. Bisson

    Il est très remarqué que M. Bergeron, représentant à Ottawa, n'a pas donné signe de vie.

    Une résolution de protestation fut également adressée à sir Mackenzie Bowell, premier ministre.

    Après que plusieurs orateurs eurent protesté contre cet abus de pouvoir, l'assemblée se dispersa après avoir lancé trois hourras pour la Reine.

    Au Coteau Landing

    Côteau Landing, 7. - Un mannequin, très bien réussi, représentant le meurtrier Shortis, a été brûlé samedi soir au milieu de toute la population du village et du pays environnant. Un gibet avait été élevé sur la glace vis-à-vis l'hôtel de ville dans l'après-midi et tout avait été préparé pour l'exécution de Shortis, qui a eu lieu vers 8 heures du soir au milieu des applaudissements et des décharges d'armes à feu.

    Un grand mécontentement existe ici sur l'attitude du gouvernement pour sauver Shortis de l'échafaud. On est quelque peu surpris de voir un meurtrier échapper à la corde aussi facilement.

    A BEAUHARNOIS
    (Correspondance spéciale)

    Dimanche 5 janvier, après la messe, avait lieu à l'hôtel St Laurent une assemblée des citoyens de la ville et de la paroisse de Beauharnois.

    M. Chas Boyer fut appelé à présider et M. S. Brabant agissait comme secrétaire. Au-delà de 200 personnes assistaient à cette assemblée.

    M. Boyer annonça le but de la réunion: suivant lui les électeurs de Beauharnois ne pourraient rester indifférents ou muets après ce qui venait de se passer au sujet de Shortis, puis il invite M. Thos Brossoit, C.R., à adresser la parole.

    M. Brossoit résume en peu de mots les différents évènements qui ont eu lieu depuis la tragédie du 2 mars à Valleyffield. Le procès commencé le 2 octobre, terminé le 3 novembre et la condamnation à mort par l'hon. juge Mathieu le 4 novembre. Il rappelle les évènements qui précédèrent la pendaison de Ls Riel à Régina, le refus d'intervention des ministres lorsqu'il fut question de commuer la peine du pauvre fou de Baroche; l'orangisme l'emportait. Tout récemment un Canadien était exécuté à Ontario après un procès sommaire; celui-là était certainement aussi fou que Shortis, les ministres et le gouverneur se gardèrent bien d'intervenir. Chatelle n'avait pas de parents et amis influents, d'ailleurs il était pauvre, il n'avait pas d'argent.

    Responsables au peuple, les membres du cabinet devaient user des prérogatives attachées à leur charge et leur abstention était contraire aux principes du gouvernement constitutionnel.

    En 1843, sir Charles Metcalfe, alors gouverneur du Canada, prétendit n'être pas obligé de consulter ses conseillers sur les nominations aux emplois publics. C'était, suivant lui, dégrader le caractère de sa charge et violer son devoir que de faire un tel abandon de la prérogative royale.

    Les ministres du cabinet Lafontaine et Baldwin prétendaient être consultés sur ces nominations et voyant l'esprit d'antagonisme qui existait, donnèrent aussitôt leur démission.

    Les membres du cabinet ont hésité, puis le gouverneur est intervenu. Shortis a été virtuellement gracié, et les ministres, moins chatouilleux que Lafontaine et ses amis sur la question, se considèrent et se disent les aviseurs de lord Aberdeen!

    La sentence de mort portée contre Shortis, meurtrier de Leboeuf et Loy avait été justement infligée et il aurait du subir la peine attachée à son crime.

    Le pauvre comme le riche doivent être égaux devant la justice. La responsabilité de cette commutation repose sur le cabinet et je vous demande d'adopter une résolution à cet effet.

    Il est alors proposé par MM Narcisse Goyette, Théo Daoust, Horm Monarque, Geof Hébert, Ls Brazeau, Guil Leduc, Jos Boyer, Alex Patenaude, Norb Gendron, J Gendron, Nicolas Boyer, Ant Leduc, Mich Gendron, jr, M Lafontaine, Ls Maheu, P Gauthier, Am Montpetit, V St Michel, Jos Lefebvre, Jos S Daoust, Léandre Maheu, Alp Hénault, L Monette, Ant Leduc, D Legault, Jos Trudel, Jos Gauthier, Théo Paquet, Paul Primeau, Alph Allard, Aug Hébert, Jos. Pitre Lajambre, Michel Leduc, André Leduc, M. Boyer et Séraphin Brière.

    Secondé par MM. Xavier Pineault, Octave Laurin, Alf Corbeil, O Daoust, L Daigneault, L A Boivert, P Legault, Ls Petit, A Petit, M Laurin, J Laurin, L Legault, Jos Leduc, C Brunet, E Lemieux, Oct Allard, Jos Brière, D Brunet, T Patenaude, Ed Renaux, C Anger, E Emond, D L Lefebvre, T Montpetit et nombre d'autres;

    Que les citoyens de la ville et de la paroisse de Beauharnois, présentement réunis, ont appris avec grande surprise la commutation de la sentence de mort portée contre Shortis, le meurtrier de Leboeuf et Loy: que cette sentence avait été justement infligée et qu'elle aurait dû être appliquée;

    Que la responsabilité de cette commutation repose entièrement sur le cabinet, qui, par son abstention coupable a été cause que les crimes abominables de Shortis, qui ont été préparés et exécutés de sang froid, resteront impunis.

    Cette motion est adoptée à l'unanimité.

    Des remerciements sont votés au président et au secrétaire et la foule se disperse.

    Beauharnois, 5 janvier 1896.

    CHARLES BOYER,
    Président
    S. BRABANT,
    Secrétaire.

    __________

    Vers trois heures, hier après-midi, Francis Cuthbert Valentine Shortis a été transporté en voiture, par le shérif Laberge et le géolier Montpetit de Beauharnois à la station pénitenciaire de St Vincent de Paul.

    Le trajet s'est accompli sans incident. On ne peut rien dire encore si cette détention est temporaire ou décisive.

    On n'a reçu au bureau du shérif, aucun ordre à ce sujet.

  4. lundi 27 janvier 1896, page 3

    MADAME SHORTIS

    Mme Shortis part ce soir pour New York, où elle s'embarquera pour l'Irlande. Son intention est de revenir deux fois par an revoir son fils.

    La conduite de ce dernier, à St Vincent de Paul est, dit-on, très satisfaisante.

  5. jeudi 30 janvier 1896, page 2

    PARLEMENT FEDERAL
    CHAMBRE DES COMMUNES
    L'affaire Shortis devant la chambre
    On demande la production de tous les documents

    Ottawa, 30.

    ...

    L'AFFAIRE SHORTIS

    M. Bergeron demande copie des pétitions, demandes, lettres, etc., demandant la commutation de la sentence de mort prononcée contre Valentine Shortis en emprisonnement à vie, ainsi que les lettres, etc, demandant que la loi suive son cours. Aussi, le rapport du juge Mathieu, le rapport du ministre de la justice et tout ordre portant sur cette matière.

    En proposant cette motion, M. Bergeron passe en revue les circonstances du triple meurtre commis par Shortis.

    La commutation de la sentence de Shortis, dit-il, est une violation de la justice et elle aura un déplorable effet sur la population. Si, demain, un crime semblable à celui de Shortis se produisait dans le comté de Beauharnois, il est à craindre qu'il n'y eût ni procès, ni commutation de la sentence. La population indignée pendrait le meurtrier au premier arbre du chemin.

    M. Bergeron veut savoir s'il n'y a pas moyen de défaire ce qui a été fait Shortis, dit-il, se vantait, durant son procès, que sa sentence serait commuée. Aujourd'hui dans le pénitencier où il se trouve détenu au lieu d'être dans un asile d'aliénés, il se vante qu'il sera libre bientôt de fouler encore le sol de l'Irlande.

    Il faut espérer que, cette fois, il se trompe. Dans tous les cas, s'il devait être remis en liberté, puisse-t-il débarasser pour toujours le pays de sa présence.

    Sur la nature et l'horrible caractère du crime, il n'y a pas de doute, mais ce n'était pas la question. L'exercice du droit de grâce fait partie de l'administration de la loi criminelle, et la Chambre n'oubliera pas que c'est un des plus douloureux devoirs des membres du conseil d'avoir à décider de la vie ou de la mort d'un homme.

    Il est à espérer que la Chambre maintiendra sa propre dignité ou discutant cette affaire sur laquelle on peut être d'opinion qu'une grave injustice a été faite.

    L'hon. M. Laurier admet que ce n'est pas le temps de discuter la question. Il ne sait pas même si dans les circonstances, cette question devrait être discutée par la Chambre. Mais il y a ce point important: le gouvernement a-t-il fait son devoir en refusant d'aviser Son Excellence?

    Les journaux ont rapporté que c'est sur ce refus que le gouverneur, exerçant sa discrétion, a commué la sentence.

    Je suis sous l'impression, dit M. Laurier que le gouvernement a manqué gravement à son devoir envers le Souverain et le peuple.

    Sir Chs H. Tupper se refuse à discuter cette affaire avant que les documents soient devant la Chambre.

    La discussion se continue quelques temps encore, puis la motion est adoptée.

    ...

  6. jeudi 13 février 1896, page 1

    PARLEMENT FEDERAL
    Les documents dans l'affaire Shortis
    ...

    Ottawa, 13.

    ...

    L'AFFAIRE SHORTIS

    Tout le dossier dans l'affaire Shortis a été mis sur le bureau de la Chambre. Plusieurs des documents formant ce dossier sont intéressants. On y trouve, entre autres choses, un nombre considérable de requêtes demandant la commutation de la peine de Shortis. Elles sont signées par Mgr Cleary, archevêque de Kingston, par les évêques et membres d'associations et confédérations de Clonmel, Waterford, Tipperary, Dublin, Irlande, et de Liverpool. On y trouve de plus des rapports de divers médecins aliénistes concluant à la folie de Shortis, et un rapport du docteur Villeneuve, de l'asile St-Jean-de-Dieu, déclarant que, dans son opinion, Shortis était un déséquilibré, mais responsable de ses actes.

    A la date du 21 décembre 1895, le ministre de la justice a fait rapport au Conseil Exécutif recommandant que la loi suive son cours. Sur ce rapport, les ministres furent divisés en nombre égal, et ne purent pas aviser le gouverneur général.

    Lord Aberdeen fit alors demander un rapport spécial à l'honorable juge Mathieu, et voici la traduction de ce rapport:

    "Je crois que d'après notre loi, telle qu'elle existe aujourd'hui, il pouvait être rendu un autre verdict que celui de culpabilité, parce que je crois qu'à l'époque du meurtre Shortis n'agissait pas sous l'influence d'une imbécilité naturelle ou d'une aberration mentale assez grande pour le rendre incapable d'apprécier la nature et l'étendue du meurtre et de savoir que ce meurtre était mal. Je crois qu'il savait ce qu'il faisait et qu'il faisait mal. Les circonstances du meurtre et les paroles de Shortis à Smith, lorsqu'il fut arrêté: "Tue-moi, ou prête-moi ton revolver que je me tue moi-même" établissent, à mon avis, qu'il connaissait ce que c'est que de faire le mal, et savait qu'il avait mal fait. En même temps, je suis tenu de dire que la preuve des actions de Shortis, avant le meurtre conduit à la conclusion qu'il n'est pas entièrement sain d'esprit."

    "Ces actions semblent démontrer que Shortis n'était pas comme les autres jeunes gens de son âge et de son éducation. S'il avait été entièrement sain d'esprit, il aurait peut être compris la difficulté et les risques de son projet, mais, quoique je crois qu'il n'était pas parfaitement sain d'esprit, je crois qu'il n'était pas fou au point d'ignorer que le meurtre qu'il commettait était mal. Ceci est ma conviction personnelle."

    "Je dois faire remarquer que la preuve des experts aliénistes, tous du côté de la défense, m'a donné beaucoup d'anxiété. Ces hommes sont habiles et honnêtes: ils sont d'une haute réputation et ils ont juré positivement que Shortis ne pouvait pas apprécier la qualité du meurtre, et, en réalité, ne savait pas ce qu'il faisait. Prenant en considération la preuve résultant des actions de Shortis, antérieurement au meurtre, et spécialement ses actions en Irlande, et aussi la preuve médicale et toutes les autres circonstances peut-être, est-ce un cas où la clémence de Son Excellence le gouverneur en conseil peut être exercée par l'envoi de Shortis dans un pénitencier pour sa vie, au lieu de le laisser exécuter."

    Lord Aberdeen demanda les instructions au ministre des colonies, lui exposant que les ministres n'avaient fait aucune recommandation, et donnant la partie du rapport du juge Mathieu.

    Le ministre des colonies répondit que: "dans les circonstances, le gouverneur devait agir d'après son propre jugement." Lord Aberdeen commua alors la sentence de Shortis.

    ...

  7. mardi 25 février 1896, page 4

    AU PENITENCIER
    ...
    Une courte visite à la station pénitentiaire
    ...

    ...

    Shortis est dans la département des menuisiers et ne cause pas de trouble à ses gardiens. Il est en bonne santé et ne parait pas s'occuper de son sort.

    ...

  8. lundi 31 août 1896, page 4

    LA MERE DE SHORTIS
    Arrivée à Montréal samedi soir

    Le transatlantique "Parisian" de la ligne Allan est arrivé dans notre port samedi soir, vers 7 heures, ayant à son bord un grand nombre de passagers et une cargaison générale.

    Mme Shortis en débarquant du transatlantique a pris une voiture et s'est fait conduire au No 49 rue St Denis où elle a pensionné pendant le procès de son fils et c'est à cet endroit que notre représentant s'est rendu pour l'interviewer sur le but de son voyage au Canada.

    Mme Shortis est très bien portante, malgré toutes les missères qu'elle a endurées, et elle a dit à notre représentant qu'elle était heureuse de revenir au Canada pour voir son fils.

    Elle restera quelques semaines au Canada, puis elle retournera en Angleterre.

  9. jeudi 24 septembre 1896, page 4

    SHORTIS
    Sa mère retournera la semaine prochaine
    Les détenus du pénitencier

    Ce matin, un de nos représentants a rencontré le préfet du pénitencier St Vincent de Paul, M. Ouimet, et ced dernier nous a dit que tout était tranquille au pénitencier.

    Les détenus sont paisibles et attendent avec impatience leur liberté.

    Shortis est en bonne santé; sa mère qui était à St Vincent de Paul depuis un certain temps s'embarque la semaine prochaine pour retourner chez elle en Irlande.

    Pendant ses visites au pénitencier la mère de Shortis n'a pu lui apporté de douceurs.






Jacques Beaulieu
jacqbeau@canardscanins.ca
Révisé le 23 janvier 2018
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