Mes racines / my roots

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Procès de Pasquali Ciarlo

Pasquale Ciarlo, accusé d'avoir poignardé à mort
Frédéric Linteau père le 1er janvier 1897

[Ce dernier fut inhumé le 5 janvier au cimetière Notre-Dame-des-Neiges.]
Dates du procès: 8 au 13 mars 1897
Verdict: non-coupable



  1. jeudi 21 janvier 1897, page 4

    L'AFFAIRE LINTEAU

    L'enquête préliminaire dans l'affaire du meurtre de la rue Montcalm s'est ouverte hier après-midi, à 2 heures.

    L'accusé, Pasqualo Cisrle, a comparu. Il est défendu par M. H. C. St Pierre. Plusieurs témoignages ont été entendus, entre autres, celui du jeune Linteau. Aucun n'a pu jeter beacoup de lumière sur cette malheureuse affaire.

    L'enquête se continuera demain à deux heures.

  2. lundi 8 mars 1897, page 1

    COUR DU BANC DE LA REINE
    ...
    On commence le procès de Pasquali Ciarlo accusé de meurtre

    ...

    Alors Paschali Ciarlo, accusé du meurtre de Linto est appelé à la barre. Il plaide non coupable à l'accusation qui est portée contre lui.

    Le jury suivant est assermenté: Benjamin Cousineau, Wm P B Brown, J Bte Crevier, A E Blanchard, Thos Skaley, Alf Lecavalier, Frs Clermont, Henry Junnot, Hugh Gilmour, T Prévost, Wm Copling et Julius Goldber.

    M. H C St Pierre défend l'accusé. Avant l'instruction de la cause il demande la production des documents se rattachant à cette affaire, mais ils ont été écartés on peut savoir au juste par qui, car personne n'a semblé empressé de s'avouer coupable.

    M. St Pierre dit que ces documents sont de la plus haute importance, vu qu'on a tantôt rejeté le poids de l'accusation sur Ciarlo selon qu'il était possible ou impossible de capturer les autres complices, tantôt sur les autres, selon qu'il y avait probabilité qu'ils seraient arrêtés. Et quand on a vu qu'ils avaient pris la fuite, on s'est jeté sur Ciarlo afin d'avoir une victime.

    MM. Archambault et Quinn ont successivement adressé le jury. Il est évident, d'après leurs adresses, que la couronne n'a pas de preuves très fortes contre l'accusé.

    Ce procès se terminera probablement d'une façon un peu brusque, car selon toutes les probabilités la couronne libérera l'accusé.

    A 11.30, M. Doucet déclare que trois pièces manquent au dossier et qu'il va faire diligence pour les retrouver.

  3. mardi 9 mars 1897, page 6

    LE MEURTRE DE LA RUE MONTCALM

    On a commencé hier après-midi l'audition des témoins de la Couronne dans l'affaire de l'italien Ciarlo, accusé du meurtre de Linteau.

    M. Peter Fichera a été assermenté comme interprète.

    Pour l'intelligence du lecteur nous allons lui donner un court résumé des circonstances qui ont entouré le meurtre.

    La veille du jour de l'an, le fils de la victime s'en allait à son domicile quand il fut rencontré par quatre italiens.

    Une querelle s'en suivit, au cours de laquelle le jeune Linteau appela au secours. Le père Linteau reconnaissant la voix de son fils se précipite hors de sa demeure pour voler au secours de son fils. C'est alors que le couteau a été employé comme arme de combat.

    En aussi peu de temps qu'il en faut pour le dire, les italiens avaient pris la fuite. C'est alors qu'on constata que deux hommes étaient restés blessés sur le champ du combat.

    [transcription ligne par ligne:]

    On les transporta à l'hôpital Notre-
    tre de la tragédie un razoir et un cou-
    succomba à ses blessures.. Le matin
    de la bagarre, on trouva sur le théâ-
    tre de la trggédie un razoir et un cou-
    teau; ce dernier ayant été identifié
    comme étant la propriété du prison-
    nier, et le razoir est soupçonné avoir
    appartenu à un des suspects fuyards
    et dont le nom est Fiorito.

    [fin de la transcription ligne par ligne:]

    LA DEPOSITION DU FILS DE LA VICTIME

    Le premier témoin amené dans la boîte a été Frédéric Linteau.

    Il a raconté les circonstances du meurtre. "Je m'en allais chez moi dans la soirée du premier janvier dernier, quand je rencontrai quatre personnes qui, selon toutes probabilités étaient ivres. Ils me provoquèrent et me convrirent de quolibets. Je n'y fis aucune attention et me rendis au foyer. Quand je racontai à mon père ce qui était arrivé; il me dit de sortir pour voir à cela et qu'il lui aiderait.

    Quand ils furent sortis, ils virent deux personnes dans la cour et l'une d'elles n'était autre que le prisonnier lui-même. Il est positif à dire qu'il l'a bien reconnu. Il demanda à l'accusé Ciarlo:
    - Qu'est-ce que tu veux, et il répondit:
    - Qu'est-ce que tu veux, toi-même?

    "Je me rappelle bien qu'avant de lui avoir adressé la parole, il avait les mains dans les poches de son pardessus et aussitôt qu'il eut répondu je vis Pasquelo Ciarlo sortir un poignard et se précipiter sur moi. Je ne m'aperçus pas que j'avais été frappé, mais je continuai à me défendre contre un des combattants, et mon père se chargea de l'autre, qui était le prisonnier à la barre. Mon père le frappa si bien qu'il tomba à la renverse et aussitôt les deux autres qui se trouvaient sur la rue Dorchester, traversèrent la rue au pas de course et se précipitèrent sur mon père. Il en frappa un et l'autre s'éloigna un peu, puis prit la fuite avec ses compagnons.

    "C'est alors qu'il sentit une douleur aigue à son côté gauche, et s'aperçut qu'il avait été poignardé. Voyant un chapeau qui gisait sur le sol, il le ramassa, retourna à la maison, et c'est alors qu'il constata que son père aussi avait été frappé par un des agresseurs qu'il reconnaît être Pasquale Ciarlo.

    Rendu à la maison de son père lui demanda s'il avait été blessé, et sur sa réponse affirmative il lui dit: - Moi aussi je suis grièvement blessé.

    Le témoin Linteau est positif à dire qu'il a vu le prisonnier et un autre homme se battant avec son père.

    LE POIGNARD

    Le grand connétable Bissonnette produit le poignard, un razoir, et deux chapeaux, qui lui ont été remis par M. Lacroix, un employé du coroner.

    M. Lacroix vient de dire que ce sont bien là les objets qui lui ont été donnés par l'agent de police Desjardins.

    L'agent de police Desjardins dit qu'il reconnait le poignard et le razoir et qu'ils lui ont été remis par Mme Linteau. Les deux chapeaux ont été apportés au bureau de police par les constables Brodeur et Lefebvre. Ce soir-là ils étaient en devoir. M. Desjardins dit qu'il a arrêté l'accusé entre 10 et 11 heures du matin, le deux janvier dernier, au no 86, rue Ste-Elizabeth, dans une cour. Il n'a pu trouver de poignard en possession du prisonnier.

    Ré-examiné par M. H. C. St-Pierre, le témoin Desjardins dit que le prisonnier a été bien docile, et qu'il s'est rendu au bureau de police bien paisiblement. Il lui a montré des blessures qu'il avaient reçues à la tête, il lui a aussi dit que le razoir lui appartenait, mais que le poignard n'était pas à lui.

    Les agentt de police Lefebvre et Bourdon comparaissent et corroborent le témoignage précédent. Puis on a examiné successivement deux bambins âgés l'un de 12 et l'autre de 9 ans du nom de Philippe et Alex. Deschamplain. Ils disent qu'ils ont trouvé le poignard et le razoir le matin du 2 janvier dernier. Ils jouaient près de la maison de Lingteau entre 8 et 10 heures. Le plus vieux des deux a trouvé le poignard dans le passage et l'a apporté à Madame Linteau et alors avec un autre jeune garçon, ils se mirent à chercher s'ils n'en retrouveraient pas d'autres. Le plus jeune a alors trouvé le razoir sur la rue Montcalm, dans la route des voitures. Il y avait du sang sur le poignard, mais il n'y en avait pas sur le razoir.

    M. le docteur Wyatt Johnson rend témoignage:
    - J'ai trouvé des traces de sang sur le poignard, mais il n'y avait rien sur le razoir.

    M. Bissonnette a alors produit deux chemises, une veste et un veston. L'accusé portait les dits habits le soir de la tragédie.

    Le jeune Linteau est de nouveau appelé à la boîte aux témoins. Il montra son veston, sa veste et sa chemise au jury, montrant la déchirure faite par le poignard. Il dit que le docteur Jeannotte a été appelé après la tragédie et le médecin a déclaré qu'il était plus prudent de faire venir la voiture de l'ambulance de l'hôpital Notre-Dame.

    La victime et son fils ont été conduits à cette institution. Le père du témoin Linteau a succombé à ses blessures dans la matinée du 3 janvier et lui-même y resta neuf jours avant de se rétablir. Après l'audition de ce témoin M. St-Pierre demande qu'on procède in forma pauperis.

    Le président du tribunal fait droit à cette demande en autant qu'elle se rapporte au coroner McMahon, l'officier Lacroix et quelques autres.

    Les pièces qui manquaient au dossier ont été retrouvées.

    _____

    La séance de ce matin a été ouverte à 10 1-4 hrs.. L'assistance n'est pas aussi nombreuse, cependant on prend un grand intérêt aux procédures de la cour. Le prisonnier est d'un grand calme. On dirait qu'il est le moins intéressé des personnes qui composent l'assistance.

    LE FILS DE LA VICTIME

    On a fait venir de nouveau le jeune Linteau, le fils de la victime de la tragédie du 1er janvier dernier. M. St Pierre, avocat de l'accusé à la barre, demande qu'on produise la déposition que le jeune Linteau a donné à l'enquête préléminaire, afin, dit-il, d'établir les contradictions du témoignage du témoin.

    M. le juge dit qu'il ne peut pas permettre la chose, attendu que la déposition a été traduite par un interprète et que ce ne sont pas les paroles mêmes qui ont été dites, que ces traductions sont parfois incorrectes. Il n'y a rien qui prouve que cette traduction a été bien faite. Pour avoir pu se servir de cette traduction il aurait fallu qu'elle eut été assermentée. Néanmoins, dit le juge, je puis vous permettre de vous en servir pour votre usage, mais il est impossible qu'on en fasse la lecture.

    Alors M. St-Pierre fait la même demande pour ce qui est de la déposition du témoin devant le coroner et obtient la même réponse. Puis il commence à interroger le jeune Linteau.

    Le témoin Linteau dit que de la galerie au coin de la rue Dorchester, la distance est d'environ 150 pieds. Il y a au coin sud-est un petit fanal, il ne donne pas beaucoup de lumière. C'est la lumière électrique qui éclaire. Un des quatre Italiens avait un pardessus roussâtre; c'est lui que j'ai frappé, il était saoul et n'avait pas de poignard. L'autre, l'accusé, avait le même pardessus que je lui vois sur le dos. Il faisait assez claire pour connaitre une personne qu'on rencontre. La bataille a duré cinq minutes en tout, puis j'en ai frappé un autre qui était saoul; il est tombé à la renverse. Mon père s'est battu plus longtemps que moi. Je n'ai pas l'habitude de me battre avec des couteaux.

    - Après que j'ai été frappé je n'ai pas crié à mon père: "Prends garde, il a un couteau!" C'est seulement trois minutes après que j'ai crié: "Je suis frappe."

    M. St-Pierre - Avez-vous vu l'accusé à la barre frapper votre père; pouvez-vous le jurer?

    Le témoin - Non, je ne le sais pas; mon père ne me l'a pas dit.

    M. St-Pierre a produit un plan du théâtre de la tragédie qu'il a fait dresser par un agent de police.

    M. Archambault, avocat de la couronne, s'objecte à ce que ce plan soit accepté comme plan officiel.

    Après que le témoin eut examiné les plans communiqués par M. St-Pierre, l'interrogatoire se continue. L'avocat de l'accusé interroge alors le témoin sur son témoignage devant le coroner, il a dit que l'accusé n'avait pas de couteau, et la seconde fois, il a dit le contraire la deuxième fois. Le témoin tente d'expliquer ce fait à cause de la grande chaleur et la fatigue dont il était accablé. Il était dans son lit, à l'hôpital sous les soins du médécin. Il a dit à son voisin de lit: je me suis trompé, j'aurais du dire que c'est Caelo qui m'q frappé et qui a frappé mon père. Je ne me rappelle plus son nom.

    M. Archambault, avocat de la Couronne, ré-examine longuement le témoin. En réponse aux questions, il dit que le soir de la tragédie, il est allé veiller avec ses parents et sa "blonde". Ils ont chanté et pris un "petit coup", mais pas trop, ils ne se sont pas dérangés.

    Le témoin suivant est Mde Linteau, la veuve de la victime [Rose Paradis]. Comme elle était malade on a envoyé un cocher la chercher.

    Elle se rappelle le soir du meurtre. Elle a été veiller avevc son mari et son fils. A peine était-elle de retour que son fils son fils est rentré effaré et lui et le père sont sortis; elle n'a pas eu connaissance de ce qui s'est passé dehors. Peu de temps après, son fils est entré en se tenant le côté et disant:
    - Je suis "dardé!"
    - Moi aussi dit le père en entrant.

    Le fils avait du sang au côté et le père en avait à la figure. Il était affaibli et il a demandé une chaise et s'est assis. Il est parti la même nuit pour l'hôpital. Il est mort le lendemain, il était avant en très bonne santé et n'était âgé que de 44 ans.

    Madame Linteau, après avoir vu le couteau et le razoir jure que ces effets n'appartenaient pas à sa maison; ce sont deux enfants qui les ont rapportés. Ni son mari ni son garçon n'ont jamais porté d'armes dangereuses. Le témoin examine la camisole, une chemise et les reconnaît pour ceux que portait son mari. Lorsque son fils est entré, il s'est déshabillé; elle a vu le sang qui coulait. Sa maison était éclairée au moyen de lampes. Elle a entendu son fils demander du secours à son père. Le père est sorti avec le fils après avoir été blessé, pour poursuivre ceux qu'ils appelaient les irlandais. Ils sont entrés une dizaine de minutes après. Le fils du témoin est allé reconduire sa "blonde", ce qui explique son retard.

    M. RONDEAU

    Je demeure vis-à-vis de Linteau. Je les connais très peu. Ce soir-là je suis allé veiller, je suis arrivé à minuit. A mon retour j'ai rencontré quatre personnes, puis j'ai entendu du bruit dans la cour de M. Linteau, j'ai appelé la police mais en vain. Je me suis avancé et ai entendu M. Linteau qui criait: - Il a un couteau! Je n'ai pas remarqué la présence du jeune Linteau. J'étais à environ deux cents pieds du théâtre de la tragédie. Je ne me rappelle pas les figures des quatre individus.

    On lit au témoin sa déposition à l'enquête préliminaire.

    Il est alors interrogé par M. St-Pierre. Il dit que l'endroit où le meurtre a été commis est très sombre et que Linteau demeure dans la cour arrière.
    - Vous êtes bien certain que vous avez vu quatre personnes et que peu de temps après la bagarre a commencée?
    - Oui.
    - Vous ne reconnaissez pas l'accusé.
    - Non. Ma femme était avec moi et a dû remarquer à peu près les mêmes choses que moi.

    En réponse au juge le témoin dit qu'il faisait très noir et qu'il aurait fallu porter beaucoup d'attention pour reconnaître un passant.

  4. mercredi 10 mars 1897, page 6

    LE MEURTRE DE LA RUE MONTCALM
    La Couronne continue sa preuve
    UN DES JURES MALADE

    A la séance d'hier après-midi, la Couronne a continué sa preuve. Le premier témoin appelé dans la boîte a été M. Alphens Armstrong.

    Il dit qu'il descendait la rue Montcalm le soir du jour de l'an alors qu'il était environ minuit. Il rencontra un Italien qui lui demanda s'il le connaissait.

    Le témoin répondit:
    - Je ne connais pas votre nom et je ne vous connais pas.

    Puis il continua sa route. Quelques minutes plus tard, une bataille s'engagea.

    - Pouvez-vous dire si c'est le prisonnier qui vous a adressé la parole et vous a demander si vous le connaissiez?
    - Non. Je ne puis jurer cela.
    - Avez-vous remarqué comment il était habillé et de quelle couleur étaiednt ses habits?
    - Non, je n'ai pas remarqué la chose; je n'y ai même pas songé. D'ailleurs la rue est très sombre à cet endroit-là.

    Mlle LINTEAU

    Après que le témoignage de M. Alphens Armstrong eut été entendu, on a examiné la fille de la victime de la tragédie de la rue Montcalm.

    Mlle Linteau se rappelle la nuit fatale où son père et son frère ont été poignardés.

    Elle a trouvé un chapeau dans la maison de M. Boucher.
    - Savez-vous à qui appartient ce chapeau?
    - Non, monsieur, je ne le sais pas.

    Alors le grand connétable Bissonnette lui montra un chapeau, et quand on lui demanda à qui appartenait ce chapeau, elle répondit que c'était celui de son père.

    M. St Pierre.- Etiez-vous à la maison de votre père lorsque la querelle a eu lieu?

    - Mlle Linteau.- Oui, je me rappelle quand mon frère est venu ôter son chapeau et qu'il a dit que papa venait d'être blessé. J'ignore si mon frère s'est caché derrière la galerie. Je me rappelle très bien que mon père et mon frère ont dit qu'ils avaient été frappés avec un couteau.

    Le témoin suivant a été Alfred Villeneuve. Il demeure au No 104 rue Montcalm; quand Armstrong rentra à sa demeure, il ouvrit sa porte, ayant entendu du bruit, il constata qu'une bataille très vive était engagée dans la rue.

    Peu de temps après, il vit quatre hommes qui montaient la rue du côté droit; l'un d'eux traversa la rue. Il n'avait pas de chapeau sur la tête.

    En réponse à M. St-Pierre, il dit qu'il ne peut reconnaître le prisonnier. Il lui est impossible de jurer si celui qui est maintenant à la barre était là.

    Le constable Landriaut, ayant été assermenté, dépose et dit: "Le soir du meurtre, j'étais en devoir sur la rue Jacques Cartier, quand trois Italiens vinrent vers moi et me demandèrent d'aller avec eux à la recherche d'un chapeau. Ils me dirent que l'un d'eux avait été frappé et qu'il avait perdu son chapeau. Je me rendis avec eux à la recherche du chapeau en question. Quelques minutes plus tard, j'entendis venir la voiture d'ambulance et la suivis jusqu'à la demeure de Linteau. Alors, je fus informé de la bagarre. Le lendemain, je me mis à la recherche des Italiens et j'ai trouvé le prisonnier sur la rue Ste Elizabeth. C'est un des trois qui m'ont demandé d'aller avec eux chercher le chapeau.

    Le prisonnier a identifié un chapeau qui lui a été apporté au bureau de police No 2. Ce chapeau aurait été apporté par l'agent de police Desjardins.

    M. St-Pierre.- Etes-vous positif à dire que le prisonnier est un de ceux qui vous ont demandé d'aller avec eux à la recherche d'un chapeau?
    - Oui.

    L'un des jurés du nom de Julius Goldberg, se plaint de maux de tête et dit qu'il ne comprend pas bien ce qui se dit dans la boîte aux témoins.

    Le docteur Villeneuve, qui assistait aux séances de la cour, est appelé en consultation. Après avoir examiné le juré Goldberg, il dit qu'il ne peut pas suivre les témoignages, mais il dit qu'il sera mieux demain, selon toutes les probabilités.

    Sur ce, le président du tribunal ajourna la cour à ce matin.


    A l'ouverture de la séance, le juge demande au juré Julius Goldberg, s'il est assez bien pour continuer à remplir ses fonctions. Le juré répond que oui.

    Leonardo Franza, un jeune Italien, journalier de son état, est appelé à la boîte des témoins. Il demeure à Montréal depuis six ans. Il ne connaissait pas l'accusé avant la bagarre en question. Il l'a vu ce soir-là pour la première fois. Il connait ce nom, Pasquale Ciarlo, depuis quatre ans. Il y a des contradictions dans le témoignage de Franza, mais la cause de ce fait s'explique, car il a donné son témoignage en français à l'enquête préliminaire. Il a rencontré l'accusé dans un hôtel, le soir de la bagarre. L'accusé et lui sont allés dans la petite rue Marie-Louise où le témoin demeure.

    Ils sont sortis avec Caloutchi pour aller au bureau de police pour avoir deux agents de police pour aller sur le théâtre du meurtre pour recouvrer le chapeau perdu. Caloutchi est le neveu du propriétaire de l'hôtel où il a rencontré l'accusé. Ils sont allés dans la cour où demeure Linteau; le prisonnier lui dit que la bagarre avait eu lieu là, sur le trottoir. Ils ont cherché pendant quelques minutes, puis ils s'en sont allés chacun chez soi. Il a revu l'accusé, le lendemain, qui s'en allait au bureau de police avec deux agents. Il lui a dit qu'il allait chercher son chapeau et l'a eu. C'était son chapeau; il l'a reconnu.

    On montre au témoin deux chapeaux, mais il ne peut pas les reconnaître, car ils se ressemblent trop.

    Le témoin Franza dit que c'est lui qui a donné aux agents de la police le nom Fuirito. C'est Ciarlo qui lui a donné ce nom. Ciarlo connaissait Fuirito, il a dit qu'il était avec lui et qu'il a pris part à la bagarre. Le prisonnier a mentionné seulement les noms de Colouchi et Fuirito. Le témoin connait Venelli, mais il ne l'a pas vu depuis la bagarre.
    - Pourquoi le prisonnier est allé le trouver, quelle explication a-t-il donnée?
    - Il a dit qu'il venait de se faire battre par les Canadiens. Colouchi est arrivé le premier, puis Ciarlo: Colouchi est arrivé environ 4 ou 5 minutes avant l'autre.
    - Colouchi et Ciarlo ont-ils parlé ensemble?
    - Non.

    Quand Colouchi est arrivé à l'hôtel, il portait une casquette. Le soir en question, ils avaient pris quelques consommations, mais ne s'étaient pas dérangés. Quand ils ont tous été rentrés à l'hôtel après la bagarre, ils en ont parlé, mais seulement entre eux trois, c'est-à-dire entre Colouchi, Ciarlo et lui.
    - Savez-vous où est Colouchi, maintenant?
    - Non, je ne sais pas.

    Durant la conversation, ils ont parlé seulement du coup qu'il avait reçu sur la tête.
    - Le nom de Linteau a-t-il été prononcé?
    - Non. Ils ont seulement dit qu'il y avait deux canadiens. L'accusé n'avait pas d'armes, il n'en a pas été question, je n'en ai pas vu.

    On montre le couteau au témoin; il dit qu'il ne l'a pas vu avant.

    M. H. C. St-Pierre a transquestionné longuement le témoin, il s'en tient aux faits qu'il a énumérés dans son examen en chef.

    Il dit que l'accusé jouit d'une bonne réputation et qu'il est d'un caractère doux. Le témoin dit aussi qu'il faisait trop noir pour trouver le chapeau.

    Le jeune Linteau a répondu aux questions du témoin. Ce n'est pas le prisonnier qui lui a donné le coup de couteau; cependant il était avec les quatre.

    Ré-examiné par M. J. L. Archambault, le témoin réitère ce qu'il a déjà dit, à savoir que le jeune Linteau a dit que ce n'était pas Ciarlo qui l'avait frappé.

    Franza, qui connait l'accusé, est sorti quelquefois avec lui, mais pas souvent. Cependant, il a dit dans son examen en chef qu'il le connaissait de non seulement.

    Il ne sait pas si le prisonnier est connu sous le nom de "Little Thomy".
    - Est-il vrai que le témoin a été menacé par ses compatriotes s'il disait la vérité?
    - Non. Personne ne m'a jamais parlé de la sorte.
    - Votre frère, Leonardo, vous a-t-il menacé au sujet du meurtre?
    - Non, il m'a seulement dit de ne pas me mêler de cela, que cela ne me regardait pas.

    Le témoin déclare de plus que Linteau lui a dit que celui qui l'a frappé était plus petit que l'accusé.

    Ce témoignage a été très long. Il a était donné en langue italienne et il fallait le traduire en français et en anglais.

  5. jeudi 11 mars 1897, page 6

    LE MEURTRE DE LA RUE MONTCALM
    Dépositions des médecins

    On a continué hier après midi le procès de Pasquelo Ciarlo, accusé du meurtre de Frédéric Linteau, dans la nuit du Jour de l'An.

    Comme on se le rappelle, on a interrogé un seul témoin hier matin, ce témoin était Leonardo Franza.

    Hier après-midi, la couronne a continué sa preuve et le premier témoin appelé dans la boîte a été le

    DOCTEUR DEROME

    médecin interne à l'hôpital Notre-Dame. Le docteur ayant été assermenté dépose et dit:

    "Le [illisible] janvier dernier, j'ai été appelé à la maison de la victime, Frédéric Linteau, avec la voiture d'ambulance. La victime a perdu une quantité considérable de sang et aussitôt qqu'il eût été placé dans la voiture, il a restitué quantité d'aliments.

    "Aussitôt arrivé à l'hôpital, le défunt s'est écrié à plusieurs reprises "Je suis blessé mortellement." La blessure la plus considérable qu'a reçu Linteau père est dans l'abdomen."

    On montre au témoin le poignard qu'on a trouvé sur la scène du meurtre, et on lui demande si cet instrument aurait pu produire une telle blessure; cependant le témoin ne croit pas qu'on aurait pu faire de telles blessures avec le rasoir.

    En réponse à l'avocat de la défense, le témoin dit qu'il croit que la cause directe de la mort a été un choc nerveux et que ce choc nerveux a été causé par la blessure qu'il a reçue dans l'abdomen.
    - Etiez-vous présent quand la victime Linteau est morte?
    - Non, je n'étais pas là.

    Alors un long interrogatoire s'en est suivi; il y a eu aussi des passe-d'armes assez vives. La cause de tout ceci a été le fait que Linteau père aurait dénoncé le meurtrier avant sa mort et aurait dit son nom. Cependant, il ne peut se le rappeler. Il lui semble que le nom prononcé par le défunt ressemble à celui de l'accusé, mais il ne peut rien jurer.

    M. St-Pierre le presse de questions, sans plus de résultat.
    - Vous ne pouvez jurer qe c'est le nom de Ciarlo que Linteau a prononcé avant sa mort?
    - Non.
    - Cependant vous trouvez que ce nom de Ciarlo a à peu près la même consonnance?
    - Oui.
    - C'est-à-dire que ces deux noms se ressemblent comme à peu près tous les noms italiens pour un homme qui ne connait pas la langue italienne?
    - Peut-être.

    Le docteur Derome a été suivi du

    DOCTEUR WYATT-JOHNSON,

    médecin du gouvernement. Il a dit qu'il a fait l'autopsie de Frédéric Linteau, le 3 janvier dernier, avec le docteur Villeneuve et en présence du Dr Derome.

    La victime Linteau avait deux blessures dont l'une à la joue gauche et l'autre au côté gauche dans la région de l'abdomen. C'est cette dernière blessure qui a causé la péritonite qui, elle, a amené la mort du blessé.

    Le docteur, après avoir examiné le couteau, déclare que ces blessures ont été faites par une arme tranchante et que le couteau en question a pu les produire.

    Lorsqu'on a montré pour la première fois au docteur le couteau il n'y avait pas de sang ni sur l'un ni sur l'autre côté, mais comme il y avait assez longtemps que le meurtre avait eu lieu le sang a pu disparaître, attendu que l'acier a la propriété de consumer le sang, mais il lui faut quelques jours.

    En transquestion par M. St Pierre, avocat de l'accusé
    - Le blessé a-t-il pu mourir d'une hémorragie causée par la blessure qu'a reçu la victime?
    - Non, il n'a pu mourir d'une hémorragie. Je suis d'opinion que la mort a été causée par une péritonite.
    - Avez-vous entendu le Dr Derome quand il a dit que la mort avait été causée par un chox nerveux?
    - Oui, mais je ne partage pas cette opinion.

    Le Dr Villeneuve est appelé ensuite et corrobore en tout point le témoignage que vient de donner le Dr Wyatt Johnson.

    Alors la couronne dit qu'elle a encore un témoin qu'elle ne juge pas à propos de le faire entendre et qu'elle met ce témoin à la disposition de la défense.

    M. St Pierre réplique que la couronne doit faire entendre tous les témoins qu'elle a assignés à l'enquête préliminaire quand même le nom de ce témoin ne serait pas sur le verso de l'acte d'accusation. Le juge réplique que la couronne peut ne pas faire entendre ce témoin, si elle le juge à propos, et que M. H. C. St-Pierre peut le faire, s'il le juge à propos. Alors on appelle dans la boîte,

    Mme A. LAURA

    Elle déclare que Fioriti pensionne chez sa belle-mère; elle reconnait le poignard et elle l'a vu souvent dans la valise de Fioriti et dans la poche de son paletot où il avait l'habitude de le mettre.

    Elle a vu Fioriti le jour du meurtre à 5 heures du soir, puis le lendemain et ne l'a pas revu depuis.

    Elle connait bien le prisonnier, elle l'a vu le jour de l'an; elle le connaissait depuis longtemps. "Il lui a déjà fait la cour."
    - Ainsi, dit M. St-Pierre, vous jurez que ce poignard est la propriété de Fioriti.
    - Oui, je le jure.
    Vous jurez qu'il le portait constamment dans la poche d'intérieur de son paletot.
    - Oui, je le jure.

    Le témoin Jacques Jolie dit qu'il connait le prisonnier.

    On lui montra le poignard, il le reconnut pour celui de Fioriti, il l'a vu dans la boîte de Fioriti environ un mois avant la bagarre. Il dit aussi qu'il avait l'habitude de porter un poignard. Après la bagarre, Fioriti lui a dit qu'il avait poignardé deux hommes et qu'il était certain que l'un d'eux en mourrait.

    "J'ai aussi demandé à Fioriti ce qu'il avait fait avec son poignard et il m'a dit qu'il l'avait jeté.

    On lui demande pourquoi il n'a pas rapporté la conversation qu'il a eu avec Fioriti quand il avait eu l'occasion de la répéter au prisonnier.

    Il répond que personne ne le lui avait demandé. Il ne se rappelle pas non plus d'avoir vu du sang sur les habits de Fioriti; d'ailleurs, il n'a vu que sa chemise. Plus tard il a aussi vu son paletot mais il n'y avait pas de sang dessus.

    LARDO CAPURICCI

    dépose et dit:

    Je demeure au No 397 de la rue Jacques Cartier, dans la même maison que Fioriti. Je n'ai jamais vu le poignard avant, Fioriti est arrivé à la maison, à minuit, le soir du meurtre, mais il n'avait pas de chapeau.

    Il a aussi eu connaissance de la conversation de Fioriti et de Jolie.

    "Je me rappelle très bien qu'il lui a dit de ne rien dire au sujet de ce qui est arrivé et qu'il allait bientôt quitter le pays, qu'il avait poignardé deux hommes et que l'un d'eux était pour mourir. Il a aussi dit qu'il avait perdu son chapeau et son poignard. Je connais le prisonnier. C'est un garçon paisible; il jouit d'une bonne réputation et il est attentif à ses affaires.

    En transquestion par M. Archambault, le témoin dit qu'il n'a jamais vu le poignard dans les mains de Fioriti. Il n'a pas vu de sang sur son habit.

    Et le témoin de dit rien de plus.

    Puis la cause a été ajournée à ce matin.

    _________
    SÉANCE DE CE MATIN

    A dix heures, cematin, on a continué le procès de Carlo, le premier témoin qui a été:

    LEOPOLD FRANZA

    dépose et dit:

    "Je connais le prisonnier depuis longtemps et aussi Fiorito. Je ne connais pas Linteau bien qu'il prétende me connaître. A la demande de l'agent de police Lapointe je me suis rendu à l'hôpital Notre-Dame, le dimanche, 3 janvier. Je me rappelle que ce jour-là le prisonnier était sous garde. Tout le monde le savait. On avait amené tous les Italiens de Montréal; on les a fait passer devant la victime pour identifier le meurtrier. Le jeune Linteau a prétendu me reconnaître mais moi je ne le connaissais pas. Quand Carlo a passer devant Linteau père, il a dit qu'il le connaissait mais que ce n'est pas lui qui l'a frappé. Il a dit: Celui qui m'a frappé est un plus petit. Je crois que Linteau avait sa connaissance, qu'il savait ce qu'il disait. Je connais le prisonnier depuis un peu plus de deux ans; il a déjà travaillé pour moi pendant six mois.
    - Quelle est sa réputation générale.
    - Sa réputation générale a toujours été très bonne; il n'a jamais été mêlé à aucune bagarre.

    En transquestion, le témoin dit qu'il ne l'a jamais vu "en brosse."

    Il dit de plus qu'il n'a pas beaucoup fait attention à ce qui se passait à l'enquête du coroner vu qu'il craignait que le malade aurait pu le dénoncer comme le meurtrier.

    Tout ce que jai entendu, dit le témoin, c'est quand il a dit en parlant de Carlo: "En voilà un qui me "tombe dans l'oeil," mais ce n'est pas lui qui m'a frappé, il était plus petit que lui."

    Ce que je craignais surtout, c'était d'être accusé, et pour cela, j'écoutais attentivement ce que le moribond disait.

    M. H. C. St-Pierre demanda la production du pardessus que le jeune Linteau portait le jour de l'enquête, ce qui sera fait l'après-midi.

    Thomaso Colucchi, restaurateur de Montréal dit: "Je tiens hôtel depuis 15 mois. Mon hôtel est le refuge des Italiens. Je connais un peu l'accusé, j'en ai entendu un peu parler. Je n'étais pas à mon hôtel le soir du meurtre. C'était ma femme qui tenait l'hôtel. Deux constables sont allés lui demander d'aller à l'hôpital pour identifier le meurtrier. Il y avait environ sept italiens.

    M. McMahon dit à Linteau de regarder les personnes présentes et lui a demandé s'il reconnait parmi les personnes présentes quelqu'un qui a pris part à la bagarre. Il répondit qu'il reconnait Carlo, mais que ce n'était pas lui qui l'avait frappé, mais bien que c'était lui, Linteau, qui l'avait frappé.

    McMahon leur a d'abord dit: - Mettez vos chapeaux et placez vous autour du lit. Puis il a dit à Linteau, père: - Reconnaissez-vous celui qui vous a frappé? Linteau a répondu: - Je reconnais Carlo, mais ce n'était pas lui qui m'a frappé.

    En réponse à M. Quinn, il dit qu'il se rappelle bien des paroles de Linteau, vu qu'il craignait qu'il se trompât et ne le désignât comme meurtrier.

    MICHAELO ROSSO

    Journalier de Montréal, dit: Le prisonnier à la barre était en pension chez lui depuis quatre ans. Je ne sais pas qui a ouvert la porte au prisonnier. Je l'ai vu le matin. J'ai assisté à la confrontration de l'hôpital Notre-Dame. Je me promenais devant l'hôpital par curiosité et on m'a dit d'entrer. Ce sont des agents de police qui m'ont demandé d'entrer. Il était là avec les autres Italiens qui ont été assignés. J'ai vu le coroner MacMahon. Il a entendu dire au jeune Linteau: - J'ai frappé le prisonnier, mais il ne m'a pas frappé. Il dit qu'il ne peut pas raconter tout ce qui s'est passé vu qu'il comprend très mal le français.

    LE CORONER MACMAHON

    "J'ai tenu une enquête sur le corps de Linteau et j'ai fait venir autour du lit les Italiens afin de les faire identifier par le jeune Linteau.

    "Au milieu de ces Italiens, il y avait le prisonnier. Je leur ai demandé de mettre leur chapeau.

    "En réponse à ma question, Linteau a regardé autour de lui et dit en fixant Carlo: "Celui-là en était." Il ne paraissait pas sûr. De plus il a répondu à une ou deux questions que je lui ai posées.

    "Je lui ai demandé: Avez-vous frappé l'un d'eux? Il a répondu: Oui. Après cela il s'agissait du témoin Linteau. Je lui ai demandé: Lequel des quatre avait frappé son père? Il a répondu qu'il croyait que celui qui avait frappé son père était celui qu'il avait frappé le premier, que ce n'était pas le prisonnier, qu'il était plus petit.

    Le prisonnier a admis que ce razoir était à lui.

    L'accusé a admis qu'il avait perdu le razoir pendant la bataille. Je ne me rappelle pas que Linteau ait dit que ce n'était pas Carlo qui l'avait frappé, que c'était un plus petit. Il a aussi dit qu'il se rappelle que le jeune Linteau avait pris part à la bagarre.

    J'ai attiré l'attention du jeune Franza sur le fait que le le jeune Linteau a dit qu'il croyait que celui qui avait frappé son père était celui qu'il avait frappé lui-même le premier et que celui là était plus petit que le prisonnier Carlo. Nous avons arrêté le jeune Linteau autant que nous avons pu.

    James Reid, lieutenant de police a identifié les distances entre la galerie et l'endroit où le meurtre a eu lieu...

  6. vendredi 12 mars 1897, page 6

    LE MEURTRE DE LA RUE MONTCALM
    La déposition de l'accusé Ciarlo
    La preuve de la défense terminée - Les adresses
    On attend un verdit ce soir

    La séance d'hier après-midi a été des plus intéressantes, car c'est l'accusé lui-même qui a été témoin. Son témoignage qui va être très long a vivement intéressé l'auditoire.

    Après avoir été assermenté, Pasquali Carlo, dépose et dit:

    "Je jure que le premier de janvier dernier, à sept heures et demi du soir j'ai reçu la visite de mes trois compagnons et que je suis parti avec eux à dix heures du soir.

    "Nous avons passé par les rues Ste Catherine, St-Laurent, Craig, St-Dominique, Craig, Jacques-Cartier et Lagauchetière.

    "Nous avons rencontré le jeune Linteau près de la rue Beraudry; alors Colucchi s'est écrié:
    - Hello, Joe, donne-moi la main!
    - Est-ce que quelqu'un de vos amis n'a pas dit au jeune Linteau: veux-tu te battre?
    - Non.

    Le prisonnier déclare de plus que quand ils ont rencontré le jeune Linteau, ils marchaient sur la chaussée et que lui marchait sur le trottoir.

    "J'avais les mains dans les poches de mon paletot, alors le jeune Linteau s'écria:

    "Que voulez-vous?" et j'ai répondu: "Que veux-tu, toi-même; pourquoi nous as-tu appelés?

    Le témoin a aussi remarqué que la victime du meurtre se tenait dans un coin noir.
    - Qu'est-il arrivé ensuite?
    - Aussitôt que j'ai mis le pied sur le trottoir, le jeune Linteau s'est précipité sur moi et m'a frappé à deux reprises différentes. Le père Linteau est venu à la rescousse et m'a aussi donné deux coups de poing en arrière de la tête. Alors je suis tombé à la renverse. Mes trois compagnons vinrent à mon secours et le razoir quie je portais dans ma petite poche d'en haut est tombé par terre comme je me relevais sur mes pieds.

    "Je fus frappé de nouveau par le père Linteau, je tombai de nouveau. Je me relevai avec peine et je m'enfuis sur la rue Lagauchetière. Les autres continuaient de se battre.
    - Quand avez-vous constaté que vous aviez perdu votre razoir?
    - C'est seulement quand je fus rendu à ma maison de pension.
    - Vous en êtes vous servi durant la bagarre?
    - Non, jamais.
    - Quand vous êtes vous aperçu que vous aviez perdu votre chapeau?
    - J'était alors rendu rue Lagauchetière. Puis je me suis rendu de nouveau dans la cour de Linteau pour retrouver mon chapeau. Mes compagnons se battaient encore et moi je suis parti immédiatement pour l'hôtel de Colluchi.
    - Quelles sont les personnes que vous avez rencontrées là?
    - J'ai rencontré Tronardo Franza et Léonardo Colluchi.
    - Que leur avez-vous dit?
    - Je leur ai dit que j'avais été battu et que j'avais perdu mon chapeau. Les amis que j'ai rencontré là m'ont offert de venir avec moi à la recherche de mon chapeau. Nous nous sommes rendus sur la scène de la bagarre; nous avons cherché en vain, allumant des allumettes.

    C'est alors que Franza a proposé d'aller chercher un agent de police pour tâcher de retrouver le chapeau perdu.

    "Nous avons rencontré deux agents de police sur la rue Jacques-Cartier. Ils sont venus avec nous, mais il nous a été impossible de rien trouver. Les agents de police ont refusé de regarder dans la maison.

    . "Alors je suis revenu à la maison avec Franza par la rue Beaudry, Ste-Catherine et Ste-Elizabeth. J'ai laissé Franza à la rue Marie-Joseph.
    - Qui vous avait prêté un chapeau?
    - C'est Antonio Coito.
    - Que s'est-il passé ensuite?
    - Je me suis couché aussitôt que je fus rendu à la maison. Je me levai le lendemain matin vers 8 heures. Aussitôt après m'être habillé, deux agents de police entrèrent dans la maison, accompagnés de Franza. Ils me demandèrent si je n'avais pas perdu un chapeau. J'ai répondu que oui, et ils m'ont dit d'aller avec eux.

    "Rendu à la station, j'ai reconnu mon chapeau. On m'a alors dit d'attendre quelque temps. L'agent de police sortit de nouveau avec Franza pour trouver ses compagnons de la veille.

    "C'est alors qu'on m'a mis dans un cachot. Il était un peu plus de midi et je fus informé quelques temps après que quelqu'un avait été poignardé la veille.

    On ne m'a pas interrogé avant et j'ai cru aussitôt qu'on m'avait arrêté parce que j'avais pris part à la bagarre.

    "Le dimanche matin, on me conduisit à l'Hôpital Notre Dame, devant le coroner MacMahon et le jeune Linteau. J'ai remarqué, il avait une blessure à l'oeil droit.

    "Ne parlant pas le français, je ne pouvais pas comprendre ce que le jeune Linteau disait, mais par les signes qu'il faisait, j'ai compris qu'il me désignait comme celui qui l'vait frappé.
    - Aviez-vous un poignard sur vous?
    - Non. J'avais seulement mon razoir et je suis dans l'habitude de le porter.
    - Aviez-vous l'intention de vous battre ce jour-là?
    - Non.
    - Aviez-vous déjà vu ce poignard avant aujourd'hui?
    - Non, jamais.

    Puis la séance a été ajournée à ce matin.

    SEANCE DE CE MATIN

    On continue toujours le procès de Carlo. Ce procès est très long, bien plus long qu'on l'avait espéré. Il ne reste plus que deux jours pour terminer la semaine, mais on compte bien finir demain soir, peut-être ce soir.

    Le premier témoin est

    L'ACCUSÉ CARLO

    Il est interrogé par M. Archambault.

    Après que Fioriti lui eut montré son poignard, ils sont allés boire ensemble et à une seule place, rue Wolfe. Il était à peu près 11 hrs moins dix quand ils ont pris leur dernière consommation. Il avait les mêmes habits qu'il porte aujourd'hui.

    Il n'a montré son razoir à personne. Il ne savait même pas qu'il l'avait dans sa poche. Il dit que quand il oublie de mettre son razoir dans sa boîte, il le met dans sa poche. Il n'a pas été question de cela devant le coroner.

    On présente le rasoir à l'accusé qui montre à la Cour comment il portait son rasoir, dans la petite poche d'en haut.

    "C'est seulement quand je me suis couché que je me suis apperçus que j'avais perdu mon rasoir; avant d'en venir à cette conclusion, j'ai regardé dans la boîte où j'avais l'habitude de le mettre.

    "Au cours de la bataille, le jeune Linteau m'a frappé deux fois, Le père aussi m'a frappé; mais je suis tombé immédiatement.

    "Tout le temps que je me suis battu, on s'est servi du poing, d'ailleurs, je n'ai pas tout vu, car j'étais sur le trottoir.

    En réponse à M. St Pierre, il dit qu'ils se conduisaient assez paisiblement, cependant, comme ils avaient bu un peu, ils étaient un peu gais. Il n'a pas eu de conversation avec Linteau avant la bagarre. C'est Linteau qui lui a dit: - "What do you want?" J'ai répondu par la même question. C'est Linteau qui a frappé le premier et c'est moi qui ai reçu le coup.

    Le président du tribunal lui pose plusieurs questions, mais le témoin ne dit rien de nouveau et s'en tient à ce qu'il a déjà dit.

    On rappelle de nouveau Antonio Collanchi. Ce témoin a déjà comparu. Il ne parle ni anglais ni français. C'est lui qui, en sa qualité de garçon de restaurant sur la rue Ste-Catherine a servi les consommateurs.

    Le témoin était présent le 3 janvier dernier à la confrontation des Italiens à l'hôpital Notre-Dame.

    Il n'a rien compris de ce qui s'est dit; il a seulement compris quand on leur a commandé de mettre leurs chapeaux. Et le témoin ne dit rien de plus.

    JOSEPH MOUTON. - Epicier de Montréal, étant assermenté dépose et dit: Je connais l'accusé depuis 4 ans, c'est un homme paisible qui jouit d'une bonne réputation.

    La défense déclare alors sa preuve close, il y avait enconre plusieurs témoins de la défense à faire entendre, mais la cause a déjà été trop longue. Cependant, M. Archambault fait venir encore un témoin dans la boîte, ce témoin n'est autre que M. Alphonse Armstrong, qui a déjà été entendu dans cette cause.

    Il dit que la maison de Linteau est plus près de la rue Dorchester que de la rue Lagauchetière sur la rue Montcalm. Il a vu les Italiens qui couraient. "Je n'ai pas dit cela dans mon examen à l'enquête préliminaire, parce que je croyais la chose sans importance."
    - Avez-vous entendu les Linteau les appeler?
    - J'ai entendu les Linteau parler, mais je ne sais pas ce qu'ils disaient.

    Par M. Archambault:
    Saviez-vous si ce sont les Linteau qui parlaiednt, qui appelaient?
    - Non.

    Par M. St Pierre:
    - C'était du côté des Linteau que sont parties ces paroles?
    - Oui.

    Pour la deuxième fois M St Pierre déclare la preuve de la défense terminée et cette fois M. Archambault a aussi fini.

    La cour est ajournée pour quelques minutes afin de permettre aux avocats de se préparer aux adresses au jury.

    Le premier discours au jury a été prononcé par M. St Pierre, il a d'abord parlé en français puis en anglais. Au moment où nous allons sous presse, M. Quinn termine son adresse en anglais et M. Archambault lui succède et parle en français.

    Selon toutes les probabilités, il y aura un verdict ce soir.

    Les jurés ont l'air bien fatigués; comme on le sait ils sont enfermés depuis lundi et le congé qu'ils auront ce soir ou demain le plus tard sera bien mérité.

  7. samedi 13 mars 1897, page 8

    LE MEURTRE DE LA RUE MONTCALM
    LES PLAIDOIRIES
    Verdict cet après-midi

    Ainsi que nous l'avons dit hier, la journée a été consacrée aux adresses au jury.

    M. St Pierre avait une très rude tâche vu qu'il avait à parler à un jury moitié anglais, moitié français; ce qui nécessitait deux discours. M. St-Pierre a commencé à parler, hier matin, à onze heures moins le quart et il a parlé jusqu'à quatre heures.

    M. Quinn lui a succédé en anglais et a parlé jusqu'à six heures.

    Ce matin, lorsque le jury a pris place dans ses stalles, il avait l'air tout joyeux de voir que c'est son dernier jour de reclusion.

    Au moment où nous allons sous presse, M. Archambault termine son adresse et le juge Wurtele commence à faire le résumé des débats.

    A moins qu'il n'y ait desaccord entre les jurés, le verdict sera prononce cet après-midi...

  8. lundi 15 mars 1897, page 6

    L'ITALIEN CIARLO ACQUITTE
    Le meurtre de la rue Montcalm
    FIN D'UN PROCES CELEBRE
    Réjouissance dans la colonie italienne

    Samedi à onze heures, à la séance de la cour criminelle, M. le juge Wurtele, président du tribunal, a adressé la parole aux jurés dans l'affaire de l'italien Pasquale Ciarlo accusé d'avoir tué le nommé Linteau et a fait un résumé très élaboré de la cause en français et en anglais.

    Le juge a parlé pendant près d'une heure et a passé en revue les différents incidents de l'affaire et cela très en faveur du prévenu.

    Ce dernier paraissait très calme et regardait attentivement le jury pendant l'adresse du juge.

    Il était une heure et demie quand les jurés se sont retirés dans leur chambre pour délibérer. A deux heures et quart les jurés sont rentrés en cour avec un verdict de "non culpabilité."

    En apprenant qu'il était libre Ciarlo a adressé d'un signe ses remerciements aux jurés et au juge puis il a serré avec effusion les mains de son éloquent défenseur.

    Nous croyons intéresser nos lecteurs en insérant ici la péroraison du plaidoyer que M. H. C. St-Pierre a fait pour l'accusé:

    "Je vous l'ai déjà dit, messieurs, il y a des gens qui semblent être nés sous une étoile néfaste, qui deviennent le jouet du sort et les victimes des ciconstances les plus inattendues et les plus étranges.

    Quel exemple plus frappant pourrais-je vous fournir que celui que nous offre la présente cause? Voici un jeune homme de vingt-deux ans, dont la conduite a toujours été exemplaires; pas le moindre reproche ne peut lui être adressé: Il a été sobre, honnête, paisible, bon et obligeant pour tout le monde, et pourtant, à la suite d'une étrange série de circonstances où son rôle n'a été que celui de victime, on le trouve devant un tribunal criminel forcé de répondre à une horrible accusation de meurtre et de défendre non pas sa liberté, mais même sa vie. En lisant tous ces faits on serait tenté de les prendre pour la création fantaisiste d'un romancier.

    Mais la Providence était là qui veillait pour protéger.

    La Providence, messieurs, c'est le regard de Dieu et Dieu qui nous voit n'a pas voulu permettre qu'un innocent fut condamné.

    Messieurs, il y a cinq ans, ce jeune homme quittait le sol de sa patrie, le ciel bleu de sa belle Italie, pour venir vivre au Canada et devenir l'un des nôtres. Pendant qu'il se livrait avec ardeur au travail ardu de l'homme qui gagne sa vie de ses mains, son souvenir s'est souvent reporté au-delà des mers, vers son pays natal où il avait laissé une mère qui l'adorait.

    Dans un moment, messieurs, cette mère dévouée attend avec serrements de coeur indicibles le résultat de vos délibérations.

    Ah! vous n'hésiterez pas, vous ne prolongerez pas plus longtemps le martyre de cette pauvre mère, et aujourd'hui même, avant le coucher du soleil, à travers le vaste océan volera vers l'Italie la joyeuse nouvelle que vous avez rendu son fils innocent à la liberté."

    Après l'audience, les Italiens ont serré la main de Ciarlo avec effusion.






Jacques Beaulieu
jacqbeau@canardscanins.ca
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