Libéral et aspirant à la magistrature |
Découpure de journal daté du 3 mars 1899
appartenant à Suzanne Montel copiée par Jacques Beaulieu; cet article est trouvé dans le journal "La Patrie", numéro du vendredi 3 mars 1899, en page 3.
M. ST-PIERRE ET LA MAGISTRATUREUn article virulent de la "Petite Revue" contre le savant criminalisteVerte réplique de ce dernierAprès avoir lu l'article virulent publié hier, dans le dernier numéro de la "Petite Revue", contre M. H. C. St-Pierre, nous avons envoyé l'un de nos reporters auprès de ce monsieur pour savoir s'il entendait répondre à cet article. Nous donnons à nos lesteurs le résultat de cette entrevue: Reporter. - Avez-vous lu l'article publié contre vous dans le dernier numéro de la "Petite Revue"? M. Saint-Pierre. - Oui, un avocat libéral de mes amis me l'a montré hier. Reporter. - Avez-vous remarqué qu'on y dit que vous aspirez à être nommé juge? M. Saint-Pierre. - Ce mot "aspirer", tel qu'employé dans l'article dont vous me parlez, comporte une double signification. Tout avocat doit aspirer à la magistrature; ce doit être là le couronnement naturel de la carrière de l'avocat. J'ai cette ambition comme tous mes confrères doivent l'avoir. C'est, ce me semble, un sentiment bien légitime. Mais si par ce mot on a entendu dire que j'ai sollicité cet honneur, je répondrai au prétendu vieux "Rouge" qui a écrit cet article qu'il a avancé là une fausseté. Bien qu'il me soit arrivé fréquemment de me constituer gratuitement solliciteur pour les autres, jamais de ma vie je n'ai rien demandé pour moi-même. L'honneur d'arriver à la magistrature surtout n'est pas une chose qu'un homme qui a la conscience de sa dignité doit chercher à obtenir par des sollicitations ou en exerçant une pression au moyen des influences qu'il peut avoir à son service. Ce choix doit être laissé entièrement à la discrétion des ministres dont le devoir est de nommer celui qu'ils jugent le mieux qualifié et le plus digne. Reporter. - Avez-vous remarqué, M. Saint-Pierre, que l'auteur de l'article (qui, évidemment, est un avocat, puisqu'il prétend avoir consulté ses "confrères" les avocats libéraux), semble mettre en doute que vous soyez réellement un libéral. D'après lui, vous n'auriez jamais rendu aucun service au parti libéral. M. Saint-Pierre. - Votre question, si je tenais à donner des détails, me mettrait dans la nécessité de suivre l'exemple d'un de mes confrères qui, il y a quelques mois, nous faisait une longue énumération des services qu'il avait rendus au parti libéral. Je ne veux pas suivre cet exemple, et je ne donnerai pas de détails. Cependant, il faut bien que je me défende. Laissez-moi le faire en quelques mots. Pendant trente années j'ai travaillé pour mon parti, non pas avec ostentation mais aussi effectivement qu'il m'a été possible, et jamais avec l'intention de réclamer le prix de mon dévouement. Non, je ne réclame aucune récompense, pour la bien simple raison qu'en travaillant pour la cause libérale, je n'ai fait qu'accomplir ce que je croyais être mon devoir et suivre les dictées de ma conscience. Au commencement de ma carrière le hasard m'a mis en relation intime avec les chefs du parti conservateur. J'ai étudié ma profession sous Sir George Étienne Cartier et sous Sir John J. C. Abbott, qui, tous deux, m'ont honoré de leur confiance et m'ont employé à certaines époques, comme leur secrétaire privé. Plus tard, je suis devenu l'associé de l'honorable Gédéon Ouimet, à cette date premier ministre de la province de Québec, avec lequel j'ai toujours entretenu les plus cordiales relations. Lors de l'enquête tenue par la Commission Royale au sujet de l'affaire des Tanneries, j'ai comparu devant cette commission, comme avocat, pour l'honorable Gédéon Ouimet et pour feu Sir Adolphe Chapleau. Le comté de Jacques-Cartier, où j'ai passé les jours de mon enfance était à cette date un des boulevards du "toryisme": je n'ai pas besoin de vous en dire davantage, pour vous convaincre que si j'eusse voulu être conservateur, ma carrière politique était toute faite, et que cette position de juge à laquelle on me reproche de vouloir aspirer aujourd'hui, je l'occuperais maintenant depuis dix ou quinze ans, peut-être. Quelle a été ma conduite? J'ai refusé de me mettre sur la figure un masque hypocrite. Aussitôt qu'il m'a été possible de me dégager des liens qui m'avaient retenus jusqu'alors, dès mes premiers discours devant les assemblées populaires, je déclarai nettement ce que j'étais, c'est-à -dire un franc et sincère libéral. Je défie qui que ce soit de prouver que jamais, en aucun temps, en aucun lieu, je me sois déclaré autre qu'un sincère libéral, depuis trente ans que je m'occupe de politique. Après le renvoi du cabinet De Boucherville par le lieutenant gouverneur Letellier, je fus choisi par l'association libérale comme candidat de sir Henri Joly dans le comté de Jacques-Cartier. Personne n'osait s'aventurer à tenter la fortune contre cette forteresse que l'on considérait comme étant imprenable. Je me dévouai sans hésitation. J'y fis presque seul et à mes frais une lutte acharnée contre le notaire LeCavelier, l'adversaire le plus redoutable, à cause de son immense popularité, que jamais un libéral ait eu à rencontrer dans ce comté conservateur. Grâce à des causes que je ne tiens pas à faire connaître ici, (causes dont j'aurais bien pu rendre certains libéraux responsables), je fus défait par une assez faible majorité. Mais l'élan était donné, et plus tard, nous pûmes réussir à faire élire des candidats libéraux dans ce comté jusqu'alors inaccessible. Depuis cette date je n'ai jamais hésité à donner à mon parti le secours de ma parole, de ma plume, de ma bourse (selon mes moyens bien entendu) et de mon influence. Durant les dernières luttes, presque tout le personnel de mon burau a été pendant des semaines entières au service des candidats qui faisaient la lutte. Si les vieux libéraux ne m'ont pas vu à l'oeuvre, c'est qu'ils sont demeurés à la maison, voilà tout. Je ne vous dis pas ces choses-là pour insinuer que je mérite une récompense. Je n'en ai jamais demandée. Mais je ne puis m'empêcher de ressentir un peu toute l'injustice du reproche que l'on me fait. Pour être demeuré fidèle à mes convictions, je me suis aliéné des amis puissants et dévoués, je me suis fermé la porte au plus brillant avenir, -et cependant on a l'effronterie de venir me dire aujourd'hui: "Qu'est-ce que M. Saint-Pierre a donc fait pour le parti libéral?" Il y a une chose cependant que j'avoue ne pas avoir fait et qui, je n'ai aucun doute, aurait causé bien du plaisir à l'auteur de l'article et à sa demi-douzaine d'amis, si j'eusse voulu le faire: je n'ai pas été dans les clubs libéraux chercher à semer la discorde en déclamant contre Sir Wilfrid Laurier et contre les membres de son cabinet. Mais je m'aperçois que je vous retiens trop longtemps. Après tout, j'ai peut-être tort de m'occuper de ce qu'on dit de moi dans cette "petite feuille". Le premier article qu'elle publiait en première page de son premier numéro était une attaque des plus "outrageantes" contre Sir Wilfrid Laurier. Je n'ai certainement pas le droit à m'attendre à être traité avec plus de justice qu'on en a montrés contre le chef du parti libéral, le premier ministre du Canada. Dans cet article on dénonçait Sir Wilfrid comme étant tout simplement un conservateur. Pas plus que cela. Aujourd'hui, c'est mon tour, paraît-il, et on me traite de conservateur moi-aussi. Je me sens tout-à -fait à l'aise cependant, soyez-en sûrs et je consens bien volontiers à être conservateur à la manière de Sir Wilfrid et en sa compagnie. Je n'ajouterai qu'un mot en terminant: Si l'auteur de l'article en question veut bien avoir le courage de se nommer, j'irai vous voir à mon tour et alors j'aurai certaines choses à vous dire qui pourraient vivement intéresser vos lecteurs. Vous apprendrez par exemple qu'il existe dans notre ville de Montréal un certain monsieur qui voudrait bien se faire nommer juge, mais auquel malheureusement Sir Wilfrid ne paraît pas avoir pensé jusqu'à présent. C'est désolant. C'est un oubli inexcusable de la part de Sir Wilfrid, et vraiment c'est bien mal récompenser tous les services que ce monsieur lui a rendus depuis quelque temps surtout. |