Mes racines / my roots

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Procès de Napoléon Gauthier pour le meurtre

Napoléon Gauthier, accusé du meurtre de William David Monteith
(avec Pierre Gauthier, Antoine Poineau et J. Bte Poineau)

Dates du procès: 7 au 15 septembre 1885
Verdict: acquittement



  1. jeudi 27 août 1885, page 4
    L'affaire de Verdun
    Les accusés se livrent à la police. - Leur version

    On n'a pas été peu surpris, ce matin, à la police, de voir quatre jeunes gens venir se livrer aux autorités en se disant les personnes impliquées dans l'affaire de Verdun, qui a fait beaucoup de bruit depuis quelques jours.

    "Qui n'entend qu'une cloche n'entend qu'un son." Ce proverbe n'a jamais été mieux vérifié que dans ce cas-ci. Les jeunes gens donnent une version qui diffère dans des parties essentielles de celle des Monteith et qui démontre que cette affaire n'est pas un meurtre aussi atroce qu'on l'a raconté.

    Les prisonniers se nomment Napoléon Gauthier, Pierre Gauthier, J. R. Poineau et Antoine Poineau et sont âgés de 19 à 22 ans.

    Ils disent qu'ils revenaient de cueillir des cerises lorsqu'ils virent un verger, et s'y arrêtèrent mais immédiatement un jeune homme accourut vers eux en leur criant de s'en aller. Ils obéirent sur-le-champ, mais lorsqu'ils furent rendus sur le bord de l'aqueduc, en dehors de la ferme Monleith, ils virent que trois hommes, dont l'un armé d'une fourche, les suivaient et en même temps celui qui les avait apostrophés arrivait par devant, après avoir fait un détour et les attaquait sans aucune provocation.

    Se considérant en cas de légitime défense et voyant un de leurs adversaires avec une fourche, ils ne calculèrent pas leurs coups, d'autant plus qu'ils étaient physiquement les moins forts. La bagarre dura jusqu'à ce qu'ils furent désarmés et prirent la fuite. Ils n'ont su que par les journaux qu'ils avaient commis un homicide.

    Cette version est assez confirmée par le témoignage de M. Monteith, père, qui dit que son fils a couru faire un détour et traverser l'aqueduc sur un autre pont afin de rencontrer les quatre jeunes gens sur celui-ci où ils allaient eux-mêmes traverser. L'assaut aurait donc été commis en dehors de la ferme Monteith et non pas, comme on le disait, sur des gens pris dans le verger en flagrant délit de vol.

    Cela change considérablement la question, d'autant plus que les impliqués sont des jeunes ouvriers respectables, jouissant d'une bonne réputation. Deux sont employés à la fabrique de caoutchouc et les deux autres aux laminoirs de Montréal; ils résident tous dans la rue Workman, à Ste Cunégonde.

    Il y a une chose qui ne parait pas en faveur des Monteith, c'est qu'ils avaient l'habitude d'attaquer les gens qui passaient par hasard sur leur terre pour aller à la chasse et de leur enlever leurs fusils; ils se sont vantés à un reporter du Star d'avoir trois ou quatre de ces trophées dans leur maison. Etaient-ils ce jour-là à la recherche d'un autre fusil? C'est ce qu'il sera probablement difficile de savoir.

    Les accusés ont l'air des gens bien inoffensifs et on les prendrait difficilement pour des meurtriers.

    Le fait qu'ils se sont livrés disposera l'opinion publique en leur faveur. Ils ont retenu M. Saint-Pierre, avocat, pour leur défense et ils assisteront, ce soir, à la continuation de l'enquête du coroner.

    Napoléon Gauthier dit que c'est lui qui a donné le coup fatal.

  2. vendredi 28 août 1885, page 4
    Un jury en désaccord
    L'affaire de Verdun. - La majorité du jury est pour un verdict d'homicide.

    L'enquête du coroner dans l'affaire de Verdun s'est terminée hier soir, et comme le faisaient prévoir les déclarations des jeunes accusés qui se sont livrés hier, l'avantage est resté à ceux-ci.

    Le Dr Barnes a soumis son rapport de l'autopsie, établissant que la mort avait été causée par une compression du cerveau, à la suite d'un violent coup.

    L'agent Gladu raconta que les quatre accusés s'étaient livrés à lui et qu'ils lui avaient dit avoir été attaqués par plusieurs hommes au moment où ils traversaient un champ et allaient cueillir quelques cerises sauvages. L'un de ces hommes frappa Napoléon Gauthier avec le manche de sa fourche, et il s'en suivit une bagarre générale. Ils ont nié avoir pénétré dans un verger; ils n'en ont pas vu dans les environs.

    Le constable Bonneville corrobora son témoignage.

    On lut ensuite aux accusés les dépositions des Monteith pour leur demander si la version de ces derniers étaient correcte. Les accusés répondirent qu'ils n'avaient eu aucune connaissance de ce que MM. Monteith racontaient.

    Le jury se retira et au bout d'une heure, déclara qu'il ne pouvait s'accorder sur le verdict à rendre.

    On délibéra encore une demi-heure, mais sans plus de résultat.

    Le coroner congédia alors le jury et ordonna que les prisonniers fussent envoyés à la cour d'assises pour subir leur procès.

    Onze des jurés étaient paraît-il pour un verdict d'homicide et quatre pour un verdict de meurtre au premier degré.

    Il est probable que les prisonniers seront admis à caution.

  3. lundi 7 septembre 1885, page 4
    Cour d'assises
    7 septembre 1885.

    Présidence de l'honorable juge Baby.

    L'affaire Monteith a été portée devant la cour, ce matin, et le juge a donné ordre à M. Beaudry, ingénieur civil, de faire un plan de la locallité où la bagarre a eu lieu.

    M. St Pierre, avocat de la défense, a demandé que l'on permit à un des accusés d'accompagner l'ingénieur, mais l'avocat de la couronne s'y est opposé.

    La défense ayant insisté et produit des autorités à l'appui de sa demande, la cour a pris la requête en délibéré.

  4. mardi 8 septembre 1885, page 4
    Cour d'assises
    La cause Sheppard - L'affaire Monteith

    ...Napoléon Gauthier est ensuite traduit à la barre sous prévention de meurtre.

    Un jury français est assermenté et MM. Saint-Pierre et Barry occupent pour la défense.

    Gauthier est un des quatre jeunes gens qui ont eu une difficulté si grave avec les fils de M. Monteith, cultivateur de Verdun, le 21 août dernier. William David Monteith est le nom du jeune homme qui a trouvé la mort en cette circonstance.

    Le premier témoin entendu est le coroner Jones qui déclare avoir tenu une enquête sur la mort de Wm David Monteith et que le jury n'a pu alors s'accorder pour rendre un verdict.

    M. J. A. U. Beaudry, ingénieur civil, soumet ensuite le plan qu'il a fait de la propriété Monteith.

    M. Andrew Monteith, père du défunt, est appelé à donner son témoignage. Sa déposition est à peu près la même qu'il a déjà donnée à l'enquête du coroner.

    Le procès se continue cette après-midi.

  5. mardi 8 septembre 1885, page 4
    Un changement opportun

    M. Saint-Pierre, avocat, a obtenu, ce matin, que les témoins, à la cour d'assises, fussent placés, comme ils l'étaient autrefois, dans la boîte à droite du tribunal, afin que le prisonnier et l'avocat de la défense puissent entendre plus facilement leurs témoignages.

    L'année dernière, on avait cru faire une amélioration en plaçant le témoin entre le juge et le jury, de telle sorte que lorsqu'il parlait à l'un, il tournait le dos à l'autre; quant à l'avocat de la défense et au prisonnier on n'avait pas paru songer qu'ils avaient intérêt à entendre ce qui se disait et ils se trouvaient à telle distance du témoin qu'ils ne saisissaient presque rien.

    La cour, bien que de l'avis de M. Saint Pierre, n'a pas ordonné de changement permanent; vu l'importance du procès elle s'est rendue pour le présent à la requête qui lui était faite.

  6. mercredi 9 septembre 1885, page 4
    Cour d'assises

    ... Ce matin on a continué le procès de Nap Gauthier, accusé du mertre de Monteith.

    Le Dr Barnes dépose qu'il a donné des soins à Wm David Monteith, lorsqu'il a été blessé. Ce jeune homme est mort le jour de l'assaut.

    Le Dr Leblanc a fait l'autopsie, le lendemain, avec le Dr Barnes, et comme lui, a constaté que la mort est le résultat du coup reçu à la tête.

    T. Lesage, ingénieur civil, a visité le théâtre de la bagarre et trouvé la crosse de fusil brisé.

    Le sergent Deneen dépose qu'il a reçu au poste de la Pointe St Charles, le fusil brisé et le panier que portaient les accusés.

    Richard Monteith, un des frères du défunt, est ensuite appelé à déposer.

    Il raconte les faits absolument comme à l'enquête du coroner.

    Le procès n'a encore rien révélé que le public ne connaisse déjà. Chaque témoin de la poursuite est soumis à une transquestion très longue de la part des avocats de la défense.

    On n'apprendra probablement rien d'important avant l'audition des témoins de la défense.

    Le procès se continue cette après midi et durera probablement plus d'un autre jour.

    Le jury a passé la nuit dernière au palais de justice.

  7. jeudi 10 septembre 1885, page 4
    Cour d'assises

    Présidence de l'honorable juge Baby.

    On continue le procès de Nap. Gauthier dans l'affaire Monteith.

    John Monteith, un autre des frères du défunt, est entendu, mais comme les autres témoins précédents, sa déposition ne révèle rien de nouveau.

    Il dit que lorsqu'il est arrivé armé d'une fourche, le prisonnier l'a visé avec son fusil, qu'il a frappé alors le fusil avec sa fourche, l'a enlevé au prisonnier et lui en a donné un coup dans le dos.

    En transquestion, il dit que c'est lui et ses frères qui ont indiqué à un clerc du coroner les lignes d'un premier croquis des lieux que ce clerc a tracés après l'affaire. Il a vu ce clerc ensuite dans le bureau de l'ingénieur, qui a fait le croquis soumis à la cour.

    Le fusil était déjà cassé lorsqu'il l'a saisi, il ne l'a pas plié en l'arrachant des mains du prisonnier.

    Il n'a pas vu son frère ni aucune autre personne frapper le prisonnier ou ses compagnons.

    Geo. H. Yates, de la Pointe Saint-Charles, dit qu'il était dans le voisinage lorsque la bagarre a eu lieu et corrobore en grande partie le témoignage précédent. Cependant, il ne paraît pas pouvoir faire seul le récit de l'affaire et l'avocat de la couronne lui met presque les paroles dans la bouche, ce qui soulève de fréquentes objections de la part de M. St-Pierre qui dit que le témoin n'était pas là en cette occasion.

    Le témoin affirme qu'il était étranger à la famille Monteith et visitait cet endroit pour la première fois. Il était à cinquante verges des gens qui ont pris part à la bagarre et ne pouvait distinguer leurs traits. En revenant à la ville en voiture, il a dépassé cinq hommes qu'il a cru être ces gens.

    L'avocat de la couronne veut savoir s'ils étaient bien cinq ou quatre mais cette question soulève encore une vive protestation de la part de la défense et la cour prend note que le témoin a dit cinq.

    Il est soumis à une longue transquestion par M. Barry, un des avocats de la défense.

    Le procès se continue cette après-midi.

  8. vendredi 11 septembre 1885, page 1
    COUR D'ASSISES
    Séance d'hier après-midi.

    On continue la transquestion de Geo. H. Yates.

    Le témoin dit qu'il n'a eu de conversation avec personne, au sujet de son témoignage. Il a parlé aux Monteith depuis le commencement du procès, mais non de son témoignage. Richard Monteith est allé le chercher pour comparaître devant le coroner. Il jure qu'il n'a lu dans aucun journal le rapport des témoignages des Monteith, non plus que les rapports du coroner. Le témoin demeure au Canada depuis 2 ans et 3 mois.

    Le témoin reconnaît William Beaman, comme l'étranger qui était avec les Monteith, mais il ne peut dire son nom. Il n'a remarqué Beaman qu'après le retour des Monteith sur le bord sud de l'aqueduc. Il vit ces personnes pour la première fois lorsque le coup fut donné. Le témoin dit qu'il était alors de la lutte, en face de l'endroit où a eu lieu la rencontre.

    William Beaman, âgé de 17 ans, écolier, dit:

    Il connaissait le défunt. Ils étaient cinq sur la propriété Monteith. Le témoin dit qu'ils étaient à 80 ou 100 verges des pruniers. Le témoin est allé les voir. Il croit que William Monteith a été le premier à remarquer la présence des étrangers. Richard Monteith demanda au témoin d'aller avec lui de l'autre côté du pont en cas de difficultés. Ils sont partis et ont traversé le pont Manu.

    William Beaman dit qu'il a vu une personne ayant un contenu d'une main et une bouteille de bière de l'autre. Il lui a vu lancer la pierre à John Monteith. John Monteith a alors lâché la personne qu'il tenait et tous les deux ont pris la fuite. Cette personne avait aussi lancé son couteau à John Monteith mais il ne l'a pas atteint et le couteau tomba sur le sol.

    Andrew Monteith, père de la victime, vint alors au secours de son fils. Le témoin a vu ce dernier près de la barrière non loin de l'aqueduc. Lorsque les effets furent ramassés il les a vus, savoir le panier, le canon de fusil et la fourche. Il a ensuite aidé William Monteith, la victime, a se traîner auprès de ses frères et tous ensemble se sont rendus au pont, où William Monteith s'est jeté sur le sol. Ensuite lui et ses compagnons, l'ont aidé à se rendre chez lui. Ils ont fait de bout de chemin à pied et puis le reste en voiture. Il a vu le défunt dans l'après-midi au moment de sa mort et après sa mort.

    William Monteith était en parfaite santé dans l'avant-midi. Le témoin reconnaît Pierre Gauthier, un des prisonniers à la barre, comme faisant partie de la bande qui a assailli William Monteith.

    L'avocat de la défense, M. St-Pierre, déclare qu'il n'est pas prêt à examiner le témoin et demande que la cour ajourne à demain, afin de lui donner le temps d'aller examiner les lieux où le meurtre a été commis, ce qui lui permettra de procéder plus promptement et d'abréger l'enquête.

    Pour ces considérations, la demande est accordée et la cour ajourne à 4.30 hrs.

  9. vendredi 11 septembre 1885, page 4
    COUR D'ASSISES
    La défense dans l'affaire Monteith.

    La transquestion du jeune Wm Beaman a occupé la cour durant presque toute la séance du matin, aujourd'hui.

    Le témoin avoue qu'il a vu avant qu'il ne fut soumis à la cour le plan des lieux qui est exhibé pour le procès. Il dit n'avoir pas parlé du témoignage qu'il allait rendre avant de venir à la cour.

    On le questionne longuement sur la distance qui existait entre les acteurs du drame en question, au moment où ils se sont vus pour la première fois.

    Il dit que si Monteith, père ou fils, avaient crié au prisonnier et à ses compagnons de s'en aller ou quelque chose semblable, ils les aurait entendus.

    Il se contredit ensuite et reprend qu'il n'aurait pas entendu le père, qui était trop loin de lui. Il contredit plusieurs fois son témoignage d'hier.

    Lorsqu'on lui demande s'il était lui-même sur une charge d'avoine, le jour en question, il répond d'abord qu'il n'en est pas sûr, puis affirme qu'il n'y était pas.

    Richard Monteith est alors rappelé et avoue en réponse à M. Saint-Pierre que c'est lui qui a indiqué à M. Beaudry, ingénieur, les différentes lignes tracées sur le plan soumis à la cour et qu'il n'est pas sûr de certaines indications. Il est ensuite allé avec sa famille et le jeune Beaman au bureau de M. Beaudry pour vérifier le plan lorsqu'il eut été fait.

    M. Crawford, maire de Verdun, est appelé par le couronne pour essayer de prouver que les gens de ce village sont souvent victimes de vols de fruits et autres déprédations, mais la défense s'y oppose et la cour refuse de laisser faire cette preuve.

    La couronne déclare ensuite sa preuve close.

    La défense commence sa preuve par l'audition de Antoine Poineau, un des compagnons du prisonnier à la barre, lors de la bagarre.

    Le témoin est employé aux laminoirs de Montréal et demeure à Ste Cunégonde.

    Il dépose comme suit:

    "Je suis un des accués en cette cause. Avec mes compagnons, je me suis livré au magistrat de police qui nous a envoyés au coroner. Nous n'avions pas consulté d'avocat lorsque nous nous sommes livrés. Nous venions de voir dans un journal, la veille, la nouvelle de la mort de M. Monteith.

    Napoléon Gauthier et son frère sont venus me chercher, le 24 août au matin, vers huit heures, pour aller à la chasse avec eux dans le bois de la Côte St Paul. Je suis parti avec eux et mon frère, et passant par le chemin Napoléon, nous avons longé le canal et atteint le bois de la Côte St Paul, dans lequel nous avons pénétré profondément.

    De l'autre côté du bois nous avons trouvé des cerises et des prunes sauvages. Nous nous sommes arrêtés nulle part pour manger; nous n'avions pas apporté de nourriture avec nous. J'ai tué un oiseau de proie et Gauthier a rechargé le fusil qui était à deux coups. Nous avions ramassé une très petite quantité de prunes et à peu près la moitié de notre panier de cerises, à un endroit assez éloigné de celui où la bataille a eu lieu.

    Après trois heures, nous sommes revenus par le côté sud de l'aqueduc et avons trouvé des cerises sauvages dans un petit bois. Nous en avons pris et sommes sortis du bois.

    En traversant un champ ouvert, nous avons vu un homme brun à barbe noire, qui travaillait, en compagnie d'un jeune garçon, et qui nous a demandé en anglais ce que nous cherchions. Il était à environ un arpent et demi de nous.

    (M. Monteith, père, se présente et le témoin le reconnaît pour cet homme)

    "Allez-vous en, vous n'avez pas d'affaire ici." Clear away from here.

    Après l'ajournement

    Napoléon Gauthier répondit: All right Sir. Et nous partîmes.

    Le jeune Poineau dit ensuite. "Voilà une bande de gens qui nous poursuivent," et nous décidâmes de nous sauver. A dix pas passé le pont de l'aqueduc, nous nous croyons en [?] lors qu'un jeune homme arriva en venant à notre rencontre et nous cria: Hold on sons of b... Quatre autres en même temps arrivaient par derrière.

    Nous arrêtames, et celui qui avait parlé saisit le panier que le jeune Gauthier lui abandonna et nous dit de le suivre.

    Le prisonnier lui demanda pourquoi et il répondit: "Vous allez voir."

    Au même instant, les autres arrivèrent et l'un d'eux, retroussant ses manches, dit comme le premier: Hold on sons of b... Il frappa J. Bte Poineau, un autre frappa le jeune Gauthier et une bagarre s'ensuivit. Ce n'est qu'après les premiers coups que le prisonnier frappa Monteith avec la crosse du fusil.

    Le fusil ne fut pas cassé alors mais c'est en frappant un autre adversaire dans le dos que Gauthier le brisa. Le prisonnier se sauva alors car un des individus allait le frapper à la figure avec une fourche. Un autre criait: Go for him with the fork. Il aurait été atteint s'il n'eut paré le coup avec le canon du fusil qu'il tenait encore; il échappa alors ce canon de fusil.

    L'homme à la fourche courut après moi et je n'eus que le temps de sauter la clôture. J'entendis alors résonner la fourche qui avait été lancée contre moi sur la clôture.

    Vu l'heure avancée, nous remettons à demain la suite de ce témoignage.

  10. samedi 12 septembre 1885, page 4
    COUR D'ASSISES
    La défense dans le procès pour meurtre.

    La transquestion du témoin Antoine Poineau, hier après-midi, n'a rien changé au témoignage donné.

    Ce matin, un autre des accusés, Pierre Gauthier, frère du prisonnier, garçon intelligent, a été appelé et a donné un témoignage clair et précis qui jette un jour tout nouveu sur cette affaire.

    Nous résumons comme suit sa déposition en retranchant ce qui a déjà été dit:

    "Lorsque nous sommes partis pour la chasse, j'avais emporté le couteau produit ici pour couper des herbages, du baume, etc. Nous avons cueilli des cerises dans un bois. En sortant de ce bois nous avons vu un homme (M. Monteith, père) derrière une clôture, dans un champ que j'ai cru lui appartenir. Il vint vers nous et nous cria de s'en aller. Mon frère, le prisonnier, répondit: I'll go et nous partîmes.

    Vu la cloture, je croyais que nous étions en dehors de son terrain. Je n'ai vu là aucun prunier. Quelques minutes après, j'ai vu cinq hommes courir après nous et faisant un détour pour nous devancer et nous empêcher d'atteindre le pont vers lequel nous nous dirigions. Nous courûmes plus vite et traversâmes le pont; c'est alors qu'in individu est arrivé à notre rencontre et que les autres nous ont rejoints par derrière.

    Le premier saisit le panier de cerises que je portais et mon frère me dit de le lui laisser parce que cela ne valait pas la peine de se chicaner pour des cerises.

    Ce jeune homme saisit aussi le fusil de mon frère mais ne put le lui enlever. Un des autres frappa alors le jeune Poineau à la figure après avoir retroussé ses manches et dit: Hold on son of a b...! Celui qui avait pris le panier se lança sur moi et m'aurait frappé à la figure d'un coup de poing, si je ne me fus pas baissé rapidement. Mon frère vint à mon secours alors et frappa mon assaillant à la tête avec la crosse de son fusil.

    J'ai entendu le père Monteith crier, en désignant mon frère: Strike him! Strike him!

    Mon frère frappa ensuite dans le dos avec la crosse de son fusil celui qui avait attaqué le jeune Poineau; le fusil se brisa en deux. Un des individus lança ensuite une pierre à Poineau et un autre se précipita sur mon frère avec une fourche. Les autres criaient: Go for him with the fork!.

    Mon frère saisit la fourche lorsqu'elle était près de sa figure. L'individu la lâcha et ramassant le canon du fusil, que mon frère avait échappé en se défendant, lui en porta un coup dans les reins. La fourche fut ramassée par celui qui avait retroussé ses manches et avait été le premier à nous attaquer.

    Pendant que je courais, j'ai entendu mon frère me crier: "Viens me faire lâcher." Un des hommes le tenait par une main pardessus la clôture; ils étaient un de chaque côté. Mon frère et moi nous venions de sauter la clôture. Cet homme criait: Hurry up. I got one here!

    Je lançai vers lui le couteau que j'avais et il lâcha. Nous continuâmes notre fuite.

    A un arpent et demi plus loin, mon frère dit: "Laissez-moi ici, je ne puis plus courir." Il vomissait le sang. Je dis à Poineau en essayant de le porter: "Ne le laissons pas ici, car il va se faire assommer." Nous le trainâmes et plus loin, nous trouvâmes une mare d'eau où je le lavai. Il vomissait toujours le sang.

    Après un repos nous nous remîmes en route. La bagarre n'a duré que deux ou trois minutes.

    (On amène les Monteith. Le témoin reconnait Richard comme celui qui a retroussé ses manches; John, l'aîné, comme l'homme à la fourche; et il dit que William, le défunt, était aussi grand et peut-être plus gros que John. On le place entre les Monteith et il parait tout petit à côté d'eux.)

    Le témoin termine en disant qu'ils auraient peut-être été tués si son frère n'eut pas frappé vigoureusement. C'est Richard Monteith qui a été le premier agresseur.

    Comme l'autre témoin, il s'est livré de son plein gré.

    On appelle ensuite J. Bte Poineau, qui corrobore le témoignage précédent.

    Le procès se continue.

  11. lundi 14 septembre 1885, page 4
    COUR D'ASSISES
    Suite de l'affaire Monteith.

    John Jones, contr maître aux laminoirs de Montréal, est entendu pour témoigner que le prisonnier est un excellent ouvrier et qu'il n'était pas à son travail, le 24 août dernier, parce que l'atelier était fermé pour cause de manque d'ouvrage.

    D'autres citoyens de St Henri et de Ste Cunégonde, qui ont connu le prisonnier, donnent le meilleur témoignage sur sa réputation.

    Un dit que le père Monteith est un homme querelleur.

    M. J. A. U. Beaudry, ingénieur civil, qui a fait le plan soumis à la cour, dit qu'il y a onze arpents de l'endroit où travaillaient les Monteith au bord du canal. C'est Richard Monteith qui lui a indiqué les différents points marqués sur la carte.

    M. Beaudry avait compris qu'une des lignes devait indiquer un endroit un demi-arpent plus au nord mais que le père Monteith lui a dit de passer la ligne à l'endroit où se trouvaient les pruniers sauvages.

    De l'endroit où le témoin Yates dit avoir été, on ne peut voir le pont du canal, à cause des arbres et des broussailles; c'est à cinquante pieds au delà de la cloture de la corporation de Montréal.

    En transquestion, il dit qu'il est allé se placer à l,endroit où a eu lieu la bataille, et que de là, il était impossible pour les avocats de la défense, qui s'étaient mis à l'endroit désigné par Yates, de le voir, bien qu'il attirât leur attention par des cris.

    Adolphe Lapierre, cocher de place, confirme cette assertion.

    Le chef de police Benoît, de St Henri, Elie leclaire, MM. Lussier et Chatillon, citoyens de la même localité, connaissent les accusés pour des jeunes gens paisibles et n'ayant jamais eu de querelle.

    Elie Leclaire dit que, l'an dernier, il a été attaqué par une bande d'individus au milieu desquels était l'aîné des jeunes Monteith. Ce dernier l'assaillit en lui disant: "You son of a b... drop that gun. Il avait un fusil et allait à la chasse.

    La preuve de la défense étant close, la couronne amène plusieurs témoins en contre-preuve pour dire que les Monteith jouissent d'une bonne réputation.

    La cour ajourne ensuite. Les plaidoieries se font cette après-midi.

  12. mardi 15 septembre 1885, page 4
    COUR D'ASSISES

    UN PROCÈS DE HUIT JOURS

    L'ACCUSÉ ACQUITTÉ ET LIBÉRÉ

    La nouvelle de l'acquittement du jeune Napoléon Gauthier, accusé du meurtre de Wm David Monteith, a causé une véritable sensation en cette ville, aujourd'hui.

    Les plaidoieries des avocats, commencées à deux heures, hier après-midi, ont duré jusqu'à onze heures, dans la soirée, et ont été écoutées par une foule considérable. On prenait évidemment beaucoup d'intérêt à cette affaire et la preuve avait tourné toutes les sympathies en faveur du prisonnier et de ses compagnons, qui étaient sans contredit innocents du crime dont on les accusait.

    Cette défense, qui restera mémorable dans les annales de notre cour d'assises, a été un triomphe pour MM. Saint Pierre et Barry.

    Ce matin, le juge a fait le résumé de la cause et porsé clairement toute l'affaire devant les jurés, qui n'ont délibéré que vingt minutes et rendu un verdict d'acquittement.

    M. Saint Pierre a immédiatement demandé la libération des autres accusés sans procès et la cour a remis sa décision à une autre séance.

    Ce procès qui, depuis huit jours, occupe l'attention publique, pourrait suggérer bien des commentaires. Il parait clair comme le jour que ce ne sont pas les accusés qui en sortent le moins honorablement; la leçon devra profiter aux Monteith, dont la réputation de citoyens paisibles a considérablement souffert, dans la circonstance.

  13. mardi 15 septembre 1885, page 4
    COUR D'ASSISES
    Les autres accusés dans l'affaire Monteith libérés.

    A l'ouverture de la cour d'assises, cette après-midi, le juge Baby a fait droit à la requête de M. St-Pierre et ordonné la mise en liberté de Pierre Gauthier, Antoine Poineau et J. Bte Poineau, les trois autres accusés dans l'affaire Monteith...





Jacques Beaulieu
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