- L'assemblée au Champ-de-Mars
Hier soir avait lieu sur le Champ-de-Mars, la dernière réunion du Comité de la
Défense de Riel qui était en même temps, on peut le dire, la première du Parti
National. Une estrade avait été placée au centre du Champ-de-Mars par les soins de
M. Phaneuf et on remarquait sur la tribune: l'honorable H. Mercier, H. C. St Pierre,
L. O. David, A. E. Poirier, G. P. Kehoe, E. Tremblay, de St Hyacinthe, l'honorable
M. Laflamme, les échevins Préfontaine et Perreault, Geo. Duhamel et des représentants
des journaux locaux.
Nous ne croyons pas exagérer en affirmant que près de 20,000 personnes assistaient
à cette imposante assemblée et ont acclamé les orateurs et montré leur unanimité Ã
condamner la conduite honteuse des membres du gouvernement actuel et des journaux à leur
solde.
- Résolutions proposées par le comité de la défense de Riel
M. L. O. David monte le premier à la tribune et annonce qu'avant de donner la parole aux
orateurs, M. A. E. Poirier va lire les résolutions proposées par le comité de la défense
de Riel.
"Que l'exécution de Louis Riel est un outrage à la justice, à l'humanité et de plus un
outrage à notre nationalité, et que les ministres, les membres du parlement et les
journalistes Canadiens-français responsables de cette exécution méritent la réprobation
publique;
"Que ce fait déplorable montre quels dangers court la confédération, quels périls sont
suspendus sur nos têtes, et la nécessité d'adopter des vues politiques plus nationales
dans toute l'acception du mot;
"Que les journaux français, la PATRIE, la Presse et l'Etandard qui ont si
courageusement défendu la cause nationale, méritent l'appui et l'encouragement de notre
population, et que nous devons des remerciements au vaillant journal irlandais, le
Post, au Herald, au Witness et au New York Herald, qui tous
ont élevé la voix au nom de la justice et de l'humanité;
"Que les membres du comité remercient le peuple de sa confiance que n'ont pas abattu la
conduite et les calomnies infâmes de certains journaux et hommes publics et que le comité
a employé tous les moyens possibles pour sauver Riel et faire annuler le jugement rendu
contre lui;
"Que les ministres Canadiens-Français et ceux qui essaient de justifier leur conduite
doivent être considérés comme des traîtres, et que pour éviter qu'une semblable trahison
ne se renouvelle, la nation n'oubliera jamais le crime dont ils se sont rendus coupables;
"Que Louis Riel mérite une place au rang des martyrs politiques Canadiens Français;
"Que des services de requiem soient célébrés pour sa mémoire, et que la nation
adopte sa famille;
"Qu'une amnistie générale soit accordée aux autres métis et aux sauvages impliqués dans
la récente rébellion du Nord-Ouest, excepté ceux reconnus coupables de meurtre."
Ces résolutions interrompues par de nombreux et chaleureux applaudissements ont été
finalement couronnées par d'immenses hourrahs.
- Discours de L. O. David
M. L. O. David, président du comité de la défense de Riel monte ensuite à la tribune et
dit: "Le comité n'a pas voulu se dissoudre sans venir une dernière fois devant le peuple
pour pleurer avec lui la mort du patriote dont le pays porte aujourd'hui le deuil. Honte
au meurtier de Riel s'écrie l'orateur (Honte, répète avec lui l'assemblée.) Honte surtout
aux ministres Canadiens-français qui pour conserver leur portefeuille n'ont pas craint
d'avoir recours à la trahison et à la lâcheté (Honte), car c'est à eux comme au fanatisme
des orangistes qu'est due la mort de Riel. Honte aussi aux journaux français qui ont
approuvé et soutenu leur conduite infâme.
Riel a été pendu en dépit de l'opinion publique et des appels à la clémence partis non
seulement du pays, mais de tous les points de la terre où se trouvent des amis de
l'humanité.
Le crime et la trahison sont d'autant plus grands que le Général Middleton avait
formellement promis justice à Riel et que n'ayant pu le faire prisonnier il l'avait
supplié de se rendre lui-même.
Riel ne défendait-il pas d'ailleurs au nom des Métis, des sentiments et des principes
qu'ils avaient puisé dans notre histoire, et Lord Chatham n'a-t-il pas exalté ces
sentiments, lorsqu'ils disait, en 1775, que la nation Anglaise n'avait pas le droit de
condamner dans les Colonies les sentiments d'indépendance dont elle avait elle-même donné
l'exemple.
Après avoir loué la conduite des journaux Canadiens-français et du Herald qui
ont pris la défense de Riel, M. L. O. David, montre combien il serait dangereux pour le
parti national d'admettre dans son sein ces hommes dont les mains sont teintes du sang de
l'infortuné Riel (honte) et termine en comparant les dernières paroles de Lorimier, le
héros de 37 et de Riel, qui tous deux, n'eurent qu'un seul bien, leur coeur, et qui tous
deux le donnèrent à la patrie. (Applaudissements prolongés)
M. L. O. David propose enfin qu'Ã l'exemple des peuples anciens qui adoptaient les
familles des soldats morts pour la patrie, nous adoptions ceux de Riel qui nous les a
recommandé, et qui est mort en bénissant ses amis et en pardonnant à ses bourreaux.
(Appl.)
- Discours de l'honorable Honoré Mercier
L'honorable M. Mercier appelé à la tribune, explique que s'il n'a pas voulu faire
partie du comité de Riel, c'est à la prière de ses amis qui ont cru préférable que le
chef d'un parti politique ne prit pas part à cette défense, car les ennemis de ce parti
n'eussent pas manqué de voir dans son action un but purement politique.
Mais aujourd'hui, ajoute M. Mercier, aujourd'hui que le crime est consommé, qu'il me soit
permis au moins de venger sa mémoire.
M. Mercier remercie le comité de sa noble conduite et l'assure que les calomnies dirigées
contre lui n'ont fait que le rehausser dans l'estime publique.
L'orateur qui souffre d'un léger mal de gorge s'excuse de ne pouvoir parler plus
longtemps et invite le peuple à assister à la grande assemblée de dimanche. Que 100,000
citoyens s'y réunissent pour protester contre le crime commis par nos ministres sur un de
nos compatriotes.
L'hon. M. Mercier propose les remerciements suivants aux comités de la défense de Riel,
cette proposition est accueillie par de longs applaudissements:
"Les amis de la cause de la justice et de l'humanité remercient les membres du comité de
Riel du patriotisme et du dévouement dont ils ont fait preuve en défendant Riel, le chef
des Métis;
"Ces messieurs ont fait noblement leur devoir et le peuple les en remercie. Ils ont été
insultés par des lâches, mais ces insultes les ont grandis dans l'opinion de leurs
compatriotes, la reconnaissance publique les venge de ces injures proférées par le
fanatisme et le servilisme."
- Discours de George Duhamel
M. George Duhamel, prend alors la parole, et remercie M. Mercier au nom du comité, et
le peuple qui est venu en si grand nombre protester contre le crime de Régina. Nous sommes
vaincus et nous avons senti le poids des paroles du chef Gaulois "Vae Victis" Malheur aux
vaincus.
Riel vivant, ajoute l'orateur, eût pu être oublié un jour, il est immortel aujourd'hui, et
c'est l'échafaud où il a reçu la mort qui lui a servi de piédestal pour l'immortalité,
tandis que les ministres garderont aux mains la tache sanglante de Lady Macbeth.
Mais ce n'est pas aujourd'hui seulement qu'il nous faut protester, c'est au jour des
élections prochaines que nous devrons jeter à la face de ces ministres indignes, leur
déshonneur, et leur montrer que la nation qui peut pardonner une faute ne pardonne pas
aux lâches.
M. Duhamel termine en recommandant au peuple la plus grande modération. Les démonstrations
extérieures et les processions ne servent aujourd'hui qu'à faire naître des haines et des
dissensions inutiles, réservons-nous plutôt pour le jour des élections.
- Discours de l'honorable Laflamme
Après M. Duhamel, l'hon. M. Laflamme, monte à la tribune, et en termes énergiques
loue le courage montré par Riel jusqu'à sa dernière heure et condamne le gouvernement
auteur de sa mort. Les graves motifs qui ont fait naître la rébellion, devaient être assez
forts pour sauver Riel. Quand aux ministres Canadiens-français qui ont agi comme des
lâches, ils sont désormais indignes du nom de Canadiens-français. Le temps est passé
où une faction politique imposait ses lois et gouvernait le pays. L'orateur termine en
affirmant aux Canadiens-français que l'heure est venue de montrer leur union, et que s'ils
oublient jamais l'insulte qui vient d'être faite à leur nationalité, ils auront mérité
d'être gouvernés comme ils le sont aujourd'hui.
- Discours de H. C. Saint-Pierre
A l'hon. M. Laflamme succède M. St Pierre.
"Sursum Corda," "Haut les coeurs," s'écrie l'orateur à son début, ne nous laissons pas
abattre par le malheur qui nous frappe tous, par l'assassinat, car c'est un assassinat,
qui vient d'être commis. C'est par notre faute, par notre négligence que nous avons été
trompés, mais nos ennemis ne pourront plus nous duper maintenant, car ils portent au
front une tache sanglante et ineffaçable à laquelle nous les reconnaîtrons toujours.
Sans doute ils voudront comme quelqu'un que je connais et que je pourrais citer,
prendre une place parmi nous aujourd'hui, mais il est trop tard et nous ne devons pas
admettre dans nos rangs ceux qui ont été contre nous auparavant, et je le répète, j'en
pourrais citer de ces hypocrites (citez, citez) Eh bien! Messieurs, je citerai M. D.
Girouard, député de Jacques-Cartier qui, lorsque je voulus élever la voix pour défendre
Riel au banquet de Lachine, déclara qu'il allait quitter la salle. Il était contre nous
alors, il voudrait être des nôtres aujourd'hui, mais il est trop tard: Et d'ailleurs,
que perdrons-nous en perdant M. Chapleau dont le frère se fait bourreau et qui sont tous
deux les vils esclaves de ce vil hypocrite orangiste qui a nom sir John.
L'orateur recommande une fois encore au peuple de ne pas se laisser abattre, mais de
porter "haut les coeurs", et descend de la tribune au milieu de vifs applaudissements.
- Discours de A. E. Poirier
Il est remplacé par M. A. E. Poirier, dont le discours énergique et rempli d'éloquence
fait monter au plus haut degré l'enthousiasme du peuple assemblé.
M. Poirier retrace en termes émus, le long supplice infligé à Riel, les sursis trompeurs
dans le but de l'affaiblir, les appels à la clémence qui viennent se briser contre les
coeurs de pierre des ministres, et le courage de ce martyr qui comme la sublime victime du
Golgotha n'a que des paroles de paix et de pardon pour ses infâmes bourreaux.
La cause nationale est sanctifiée par le sang de Riel, et le traître Chapleau qui en
1874 et 1875 le défendait du meurtre de Scott, s'est aujourd'hui vendu à l'orangiste Sir
John qui voulait venger Scott sur le pauvre Riel.
N'oublions jamais cette page sanglante de notre histoire et unissons nous contre le
gouvernement pour venger la mort de notre compatriote, non par des processions, et par des
démonstrations, mais en formant un parti national qui réunira tous les partis et toutes
les nationalités pour la défense de la plus sainte des causes, "celle de la patrie
commune."
- Derniers discours et clôture
M. Préfontaine et Roy, prennent ensuite la parole, exprimant les mêmes sentiments que
leurs prédécesseurs à la tribune et recommandent la plus grande modération dans les
démonstrations extérieures, mais la plus grande fermeté dans la formation d'un parti
national.
L'assemblée, après avoir adopté les résolutions proposées, et la dissolution du comité de
la défense de Riel s'est séparée aux cris de Gloire à Riel; A bas les ministres.
Tous se sont donné rendez-vous pour dimanche prochain, après la messe au Champ de Mars.