Mes racines / my roots

Henri Césaire Saint-Pierre


Adéline Albina Lesieur


Louis Émery Beaulieu


Joseph Bélanger


Geneviève Saint-Pierre


Jeanne Beaulieu Casgrain


Simone Aubry Beaulieu


Édouard Trudeau


Rolland Labrosse

Vers de jeunesse (1896-1898)

Louis Émery Beaulieu


Ce recueil, autographe, écrit très proprement dans un petit carnet de couverture dure noire de 4 3/4" par 3 1/4" à fermeture flexible au recto, est la propriété de Nicole Casgrain Farmer, petite-fille de son auteur, Louis-Émery Beaulieu. Il a été copié par Jacques Beaulieu, petit-fils de son auteur.

Petit recueil de vers

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À Hosannah

8 avril, 1895

I


Ô toi qui fus toujours ma douce providence,
Qui sur moi posséda la plus grande influence,
Ange de charité dont l'unique plaisir
Est de panser les coeurs et d'essuyer les larmes;
Ô toi qui dissipas mes craintes, mes alarmes,
Aujourd'hui je viens te bénir.

II


À l'époque où mon coeur assailli par l'orage
Des vives passions qui troublent le jeune âge,
Défaillant et meurtri ne savait que gémir,
Et poussait vers le ciel sa plainte lamentable,
Soudain tu m'apparus, et ton sourire aimable
Étouffa mon dernier soupir.

III


Que ma reconnaissance à tes bienfaits égale,
Par un dévoûment rare en tout lieu se signale!
Si jamais mon esprit perdait le souvenir
Des devoirs que m'impose une telle bonté;
Que le courroux du ciel, pour cette indignité,
Sans amis me fasse mourir.

______

Soirée sur l'eau


Au couchant le soleil projette sur les flots
Ses rayons expirants qui rougissent les eaux.
De la rive aussitôt, mille barques rapides
S'éloignent bondissant sur les ondes limpides.
Au fond de son esquif, étendu mollement
Le nocher s'abandonne au caprice du vent.
Par la brise du soir, la voilure est gonflée,
Le canot se balance, et la forêt troublée
Répète dans les airs, des nautonniers joyeux
Les cris et les chansons qui montent vers les cieux.
Soudain dans le silence au milieu des ténèbres
Enveloppant les eaux de leurs voiles funèbres
S'élève lentement vers le ciel étoilé
Un chant plaintif et doux par les larmes voilé.
Tantôt la voix s'élance en plainte déchirante,
Tantôt elle gémit comme une âme souffrante,
Tantôt elle s'échappe en cri de moribond,
Tantôt elle s'éteint dans un sanglot profond.
Un champêtre instrument, de ses notes plaintives
Accompagne ce chant qui réveille les rives.
Le nocher attentif, soudain est interdit.
La barque est au repos, les rames sont sans fruit.
Devant cette douleur, les âmes sont émues,
Tous les yeux sont mouillés, les larmes répandues
Témoignent hautement de la compassion
Que réveille partout sa lamentation.

Souvenir de Beauharnois.
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Épigramme

I


Si Dieu pour mes péchés, fais que je me marie,
Je veux, sur le tombeau de ma femme chérie,
Graver en lettres d'or qui frappent tous les yeux,
Un mot vraiment sublime, inspiré par les cieux:
«Ci-gît ma femme; oh qu'elle est bien,
Pour son repos et pour le mien.»

II


Certaine femme un jour, forte en réflexion,
Disait à son mari: «Quand je n'étais qu'amante,
Tu cherchais mon sourire et me trouvait charmante,
Et maintenant jamais un mot d'affection,
Me prouve ton amour, d'une façon frappante.»
«Mais, répond le mari, veuille un peu méditer.
La preuve la plus grande est bien de t'endurer.»

[III]


Dans un excès d'humeur, un amant furieux,
Apostrophait la femme, en mots injurieux.
Je comprends, disait-il, pourquoi sur cette terre
Dieu créa l'éléphant, le tigre, la panthère,
Le chacal, le lion; mais la femme, non pas.
Tout beau, lui dit-on, car Dieu songeait au trépas.
Il a créé la femme afin de rendre à l'homme
L'existence si dure, et si pénible en somme
Qu'il ne pût s'attacher aux choses d'ici-bas.

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Acrostiche sur Anna


Aux roses Dieu donna le prix de la beauté,
Ne trouvant nulle espère en charmes mieux pourvue.
Notre genre, dit-on, ne fut pas présenté:
Alors il eut raison; il ne t'avait pas vue.

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Acrostiche sur Flore


Fraîche rose des champs, ton calice vermeil,
L'emporte sur les fleurs, émaillant la campagne;
On chante ta splendeur qu'admire le soleil:
Rien ne t'est comparé, tu règnes sans compagne;
Et le beau teint de Flore est au tien tout pareil.

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À Mademoiselle A. E.
Acrostiche


À l'heure où la lumière indécise, expirante,
Lutte contre la nuit toujours envahissante,
Dans la douce pénombre où le monde est plongé,
Isolé, loin de vous, que de fois j'ai songé!
Notre radeau glissant sur la vague limpide,
Affrontant les écueils, le courant trop rapide;

Et bravant le danger de ces flots inconnus,
M'apparaissait alors, escorté de ses charmes.
Oh! c'est là le bonheur; ces plaisirs ingénus
Ne causent ni remords, ou cuisantes alarmes;
Doux instants fugitifs, ne reviendrez-vous plus.

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À Mademoiselle A. E.
«Souvenir»


Souvenez-vous de ce soir magnifique
Où je vous vis pour la première fois;
Souvenez-vous de la barque rustique
Où vous montiez avec moi sans effrois.
Souvenez-vous de cette balançoire
Où bien souvent, assis auprès de vous,
Dans mon bonheur, je ne pouvais pas croire,
Qu'on eut au ciel des instants aussi doux.
Rappelez-vous la source sulfureuse,
Témoin discret de nos jeux enfantins,
Et le grand chêne, à la ramure ombreuse,
Mêlant sa plainte au murmure des pins.
Garde longtemps mon souvenir, amie,
Malgré l'espace et le temps destructeur,
Je garderai le tien toute ma vie,
Au sein des maux comme au sein du bonheur.
Si dans le cours d'une longue existence,
Parfois hélas! je me sens défaillir
Pour recouvrer ma joie et ma vaillance
J'évoquerai ton heureux souvenir.

Publié par «Le Monde Illustré»
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À Mademoiselle A. E.
Chanson
Imitation du «Lierre»


Douce hirondelle à la course rapide,
D'un vol léger, tu t'éloignes gaiement.
Et ton caprice est pour toi le seul guide,
Dans tes ébats sous le bleu firmament.
Va retrouver, fidèle messagère,
Celle qui fait ma joie et mon bonheur,
Et redis-lui que près d'elle, j'espère,
Mourir un jour où s'attache mon coeur.

Facilement tu pourras la connaître
À son port noble, à ses yeux doux et francs.
Sans nulle crainte, en la voyant paraître,
Va te poser sur ses doigts caressants.
Dis-lui qu'en vain, je cherche à me distraire,
D'un souvenir qui m'a rendu rêveur,
Toujours vers Dieu s'élève ma prière:
«Fais que j'expire où s'attache mon coeur.»

Lorsque le soir, accablé de tristesse,
Je défaillis sous le poids des douleurs,
Ma voix répète, au sein de ma détresse,
Un nom béni, qui sait tarir mes pleurs.
Je me souviens de ces jours pleins de charmes,
Où son regard m'enivrait de bonheur,
Et je m'écrie, au milieu de mes larmes:
«Je veux mourir, où s'attache mon coeur.»

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Vers le passé


Lorsque l'astre du jour à l'horizon lointain,
Se cache dans la nue aux franges de carmin,
Et que la nuit funèbre en déployant ses voiles
Fait briller dans le ciel sa couronne d'étoiles;
Alors, j'aime à revoir, repassant sous mes yeux,
De mes ans révolus, les flots tumultueux.
Et, nautonnier tranquille après de longs voyages,
J'aime le souvenir des terribles orages.
J'évoque mes combats, mes cuisantes douleurs,
Mes plaisirs passagers au milieu de mes pleurs
Je te revois alors aimable jeune fille,
Cause de tous mes mots et pourtant si gentille.
Je revois ton regard aussi limpide et pur
Que l'eau crystalisée où se mire l'azur;
Et ta lèvre charmante où fôlatrait sans cesse
Un sourire rempli de joie et de tendresse;
N. B.: il manque la page de droite qui termine les vers qui suivent:
Et ton beau front rêveur
Comme un reflet des
Parfois à la
Des oiseaux gazouillant
Ou dans les mille
Dans leurs gémissements
Je crois entendre encor
Écho mélodieux de son
Souvent je la revois,
Lorsque je me pen
Sur sa lève trem
Qui faisait tressaillir
Que de fois dans ces jours
Disant dans ses regards
N. B.: il manque la page de gauche qui débute les vers qui suivent:
de l'existence humaine
les déboires, la haine.
épaule, en un doux abandon,
reposais ton front;
de ta vive prunelle,
d'une flamme nouvelle.
en ces rares instants
sous ces regards charmants
heure, il n'est plus ce délire,
souvent je désire.
cette fleur du printemps,
espoir des mes vieux ans.
arrachée à sa tige,
passés, et malgré le prestige
sur tout adolescent,
mes yeux complètement
où brillait la jeunesse,
De ces gentils yeux noirs, pétillant de finesse
Qui savaient de mon coeur les plus secrets chemins.
Enfant, si quelquefois, dans ces plaisirs mondains
Qui laissent le coeur vide et les âmes souffrantes;
Malgré le tourbillon des valses enivrantes,
Les sons harmonieux d'un orchestre brillant,
Accents, cadences du menuet grave et lent.
Soudain l'expression d'un désespoir farouche
Remplace en le glaçant, le rire sur ma bouche;
Attentive à la voix de ta tendre pitié,
Va remplir les devoirs qu'impose l'amitié,
Va prier pour celui dont la courte carrière
Est pleine d'amertume et de douleur amère.
Ton coeur de la colombe a l'aimable candeur,
Et ta prière peut, au trône du Sauveur,
S'élever sans effort ainsi que la fumée
Qui sort de l'encensoir haleine parfumée.
Sans le savoir, enfant, tu fis tout mon malheur,
Tu fus mon désespoir, ma profonde douleur,
Le venin qui toujours empoisonna ma vie;
Enfant que malgré tout, j'estime ma chérie,
Enfant au front candide, au coeur plein de bonté,
Qui toujours pardonnant n'a jamais détesté,
De ta compassion, j'implore une prière:
Oublie en moi l'amant, et ne vois que le frère.

Montréal, 10 février 1896
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À une amie


Je pense à vous quand la vermeille aurore
Vient outr'ouvrir la corolle des fleurs;
Quand du soleil les mourantes ardeurs
Ont disparu;... je pense à vous encore.

Montréal, 11 février 1896
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Acrostiche offert
à
Mademoiselle A. P.


Albertine, le monde est trompeur et cruel;
L'amertume et l'ennui sont de toutes les fêtes;
Buvant la coupe pleine on avale le fiel;
Et la couronne en fleurs souvent meutrit les têtes.
Rien qui parte du coeur, en ce monde sans foi
Tu l'as trop bien compris; le bonheur, la souffrance,
Inclinés sous le joug d'une impassible loi,
N'osent paraître au jour contre la convenance,
Et l'étiquette règne en tyran et en roi.

Pourtant à cette vie on s'attache sans cesse.
Aux jours de désespoir s'en mêle de si beaux!
Y eut-il sur la terre encor plus de tristesse;
Fallut-il supporter mille malheurs nouveaux;
En vous si je trouvais un coeur plein de tendresse,
Rien que votre amitié calmerait tous mes maux.

16 Février 1896
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À Mademoiselle A. P.
Souvenir précieux


Que ta main était douce à ma tête brûlante,
Lorsque tu te penchais sur mon lit de douleur,
Que j'étais inondé d'une joie enivrante,
Lorsque ton oeil jetait le trouble dans mon coeur!
Ce regard attendri cherchant sur ma figure,
À découvrir enfin quelques soulagements,
Et cette tendre voix semblable au doux murmure
De la brise du soir dans les pins frémissants;
Ces soins affectueux, cette délicatesse,
Attentive aux désirs que je n'ose exprimer;
Ont fait naître en mon coeur une vive tendresse,
Qui sous l'effet du temps, n'a fait que s'enflammer.
Un soir, tu t'en souviens, nous étions au spectacle,
Assis à tes côtés, j'étais triste et rêveur;
Ta sincère amitié recherchait quel obstacle
M'empêchait près de toi de goûter le bonheur
Tu me pressais en vain, je gardais le silence.
Soudain en sons plaintifs, la fanfare gémit;
Triste, elle s'élève en longs cris de souffrance;
De ces accents émus l'assistance frémit,
Et chacun se recueille en proie à la tristesse.
Alors ton doux regard sur le mien attaché,
Pensif et scrutateur, rayonnant de tendresse,
Demanda le secret jusqu'à ce jour caché.
Je me sentis faiblir! Puis avec une larme
Mon secret s'échappa! Tu compris sans effort
Ce language du coeur dominé par le charme
Répandu sur tes traits, ton front et tout ton port,
Le jour dans ma pensée et la nuit dans mon songe,
Je te voyais toujours; pardonne, je t'aimais!
Jour à jamais célèbre, ah! n'es-tu qu'un mensonge,
Ou la réalité qu'en vain je désirais?
Es-tu l'ère nouvelle, ouverte à l'espérance,
L'aurore des beaux jours qui vont couler sans pleurs?
Du sombre désespoir, es-tu la délivrance,
Le rayon de soleil qui réjouit les fleurs,
Le baume salutaire à mon âme souffrante,
La goutte de rosée et le léger zéphir
Qui redonnent la vie à la rose expirante?
Ou bien ne seras-tu pour moi dans l'avenir
Qu'une source de pleurs, de soupirs, d'amertume,
Un poignard douloureux qui transperce le coeur,
Un venin meurtrier qui lentement consume,
Un souvenir affreux symbole de malheur?
Mais pourquoi ces soupçons et cette inquiétude
Quand un sentier fleuri s'ouvre devant mes pas?
Sa bouche m'a donné l'entière certitude
De son sincère amour: cet accent ne ment pas!
Ô Dieu de ma jeunesse, Océan de clémence!
On l'a dit, je le sais, le monde est un désert
Brûlé par le soleil, où languit l'espérance,
Comme une fleur en butte aux aquilons d'hiver.
Le combat nous réclame au seuil de l'existence,
La lutte sera rude et le sort incertain;
Grand Dieu pour soutenir ma force et ma vaillance,
Pour que j'aille en avant, le front calme et serein,
Pour que je sois soumis sous la main de l'épreuve,
Pour que mon bras soit ferme et terrible, aux combats,
Pour que mon coeur soit haut, mon ardeur toujours neuve,
Que devant l'ennemi, je ne recule pas,
Conserve-moi toujours, Seigneur, cette tendresse,
Cet amour si suave à mon coeur ulcéré;
Qu'elle m'aime toujours! et malgré la détresse
Qui pourrait m'assaillir, je te glorifierai!

Montréal, 12 mars 1996

P.S.

Hélas! je me trompais, elle ne m'aimait pas!
Ah! malheur à ce jour qui vit naître ma flamme!
Enfant, tu te jouas du trouble de mon âme!
Eh! bien je te maudis! Ô mort, hâte tes pas!

Ce jour affreux du 13 mai 1996
______

À Mademoiselle G. D.


Garderez-vous un léger souvenir
De ce jeune homme à l'humeur intraitable,
Qui n'a jamais goûté plus grand plaisir
Que de railler la verve intarissable
Du sexe faible? Aurez-vous quelquefois,
Une pensée, un mot plein d'indulgence
Pour l'écolier au sourire narquois,
Qui bien souvent lassa votre patience?
Tout disparait dans le gouffre des ans!
Mais votre nom, vos traits et votre image,
Sauront survivre aux orages du temps,
Comme une épave arrachée au naufrage.

(Pour un album autographe)
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À Mademoiselle A. P.
La saint Patrice

Publié par «Le Monde Illustré»

Ah! ce jour fut affreux! cette douleur intense!
Amour, joie et bonheur, soudain tout a sombré!
Et dans le noir naufrage, un rayon d'espérance
Ne vint pas réjouir mon coeur désespéré!

Je m'étais dit: Enfin, voici l'instant proprice!
L'heure tant désirée a brillé dans les cieux!
Allons goûter près d'elle un moment de délice,
Et puiser à longs traits le bonheur dans ses yeux!

Loin de moi pour un jour, les misères du monde:
Gloire, succès, honneurs, désirs de s'élever!
Et savourer en paix la volupté profonde
De trembler auprès d'elle et de la contempler.

Oui je l'ai vue, hélas! je l'ai vue et je pleure!
Il faut tout oublier, elle ne m'aime plus!
Je l'ai senti trop bien en quittant sa demeure;
Ô mon Dieu! soutenez mes esprits abattus!

Son regard dans mon coeur répandait l'allégresse,
Mon âme s'enivrait de son sourire argentin;
Et sa voix résonnait comme le chant d'ivresse
Qu'entonne devant Dieu le brillant séraphin.

Sa bouche bien souvent m'a dit tout bas: Je t'aime!
Bien souvent la tendresse a brillé dans ses yeux!
Et, le coeur enflammé de cet aveu suprême,
Je croyais ressentir un avant-goût des cieux!

Hélas! qu'ils étaient doux à mon oreille avide
Les sons harmonieux de ta bouche sortis!
Plus rien ne m'attirait, l'univers était vide
Quand sur moi se posaient tes regards attendris.

Tu ne te souviens plus, toujours trop chère amie,
De nos serments d'amour scellés par un baiser.
Et toi qui fis longtemps le bonheur de ma vie,
Sans un remords au coeur, tu viens l'empoisonner.

Pourquoi plonger le dard dans la chair pantelante?
Au coeur blessé, l'oubli, c'est le baume et le miel.
Fuyez, vains souvenirs, chimère trop charmante!
Ô mes beaux jours, tombez dans le gouffre éternel!

Oublions son image et son nom et ses charmes!
Arrachons de mon coeur l'amour qui fait mourir!
Vivant sns espérance, on vit aussi sans larmes,
Je ne veux plus aimer, puisqu'aimer c'est souffir!

Montréal, 11 mars 1896
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À Mademoiselle A. P.
La marguerite


Gentille marguerite
Au calice argenté,
À la fidélité
Ta voix modeste invite.
Ô toi qu'elle choisit,
Au couvent, pour emblème,
Dis à celle que j'aime,
Que le jour et la nuit,
Mes pensées sont pour elle;
Dis-lui d'être fidèle,
Puisque je l'aime ainsi;
Redis-lui la promesse,
Qu'en un moment d'ivresse,
Elle fit de m'aimer
Tout autant que je l'aime.
Hélas! ce voeu suprême
Elle peut l'oublier!
Son amour est fragile
Et sa mémoire agile
À se débarasser
D'une image importune.
Ah! puisse la fortune
Enfin me seconder!
Gentille marguerite,
Montre-lui le mérite
De tout amour constant,
Et la honte profonde
Qu'attache tout le monde
Au mépris du serment.

Montréal, 25 mars 1896
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Désespoir

Publié par «Le Monde Illustré»

Maintenant que j'ai vu les astres de mon ciel
Disparaître un à un, dans une nuit livide;
Maintenant que pour moi, les fleurs n'ont plus de miel,
Que mon âme est sanglante et que mon coeur est vide;
Maintenant que l'amour a trompé mes désirs,
Que ma joie a sombré dans l'abîme des larmes;
Maintenant que les pleurs, les sanglots, les soupirs
Ont obscurci mes jours et ravi tous leurs charmes;
Et maintenant que j'aime, hélas! sans espérer;
À quoi bon, cher ami, tes mots pleins de tendresse?
Ah! je veux être seul pour gémir et rêver!
Silence, ô mon ami! respecte ma détresse!

Ce jour affreux du 13 mai 1896
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Réconciliation
À Mademoiselle A. P.

20 mai, 1896

Comme un léger zéphir qui frissonne au bocage,
Imprégné du parfum des roses d'alentour;
Comme le rossignol dont le tendre ramage
De la saison des fleurs annonce le retour,
Comme un chant du soir sur la plage,

Comme, dans la vallée, une fontaine pure
Qui, sous l'herbe fleurie et les chênes touffus,
S'écoule en répétant son éternel murmure;
Tes accents captivaient mes esprits suspendus.
Et tout chantait dans la nature;

Et tout semblait s'unir à ma joie enivrante,
Et mon coeur tressaillait, et l'étoile des cieux
Brillait plus vivement, et la lune tremblante
Prodiguait ses rayons sur nos fronts radieux,
Quand tu guéris mon âme ardente,

En me disant ce mot de mystère: «Je t'aime!»
Oh! pour ce mot béni, de ton âme venu,
Plus grand, plus précieux, plus doux qu'un diadème,
Qui me fit savourer un bonheur inconnu
Dieu te récompense lui-même!

Lorsque l'astre du jour commence sa carrière,
Les opaques brouillards, et les vapeurs des nuits,
De sa gloire irrités, offusquent sa lumière;
Mais bientôt s'élançant, aux regards éblouis,
L'astre embrase l'onde et la terre.

Ainsi les noirs chagrins amassés dans mon âme,
Le sombre désespoir qui me rongeait le sein,
L'amertume et l'ennui qui font que l'on réclame
La mort comme un bienfait, s'envolèrent soudain
Devant ton sourire de femme!

Ô l'amour d'une femme! ô don inestimable,
Ivresse qui nous porte aux palais étoilés,
Qui parfume la vie et la rend désirable,
Rose mustérieuse aux coeurs inconsolés!
Dans les douleurs, miel délectable!

Quand l'homme de l'Éden admirait sa compagne,
Ni le miel ni le lait coulant à flots pressés,
Ni du soleil levant les feux sur la montagne,
Ni les fleurs, ni les fruits, ne charmaient ses pensées.
Dieu lui fit don d'une compagne!

Mais, hélas! l'homme tombe et Dieu dans sa vengeance,
Le chasse, et contre lui déchaîne les malheurs;
Mais rappelant bientôt son antique clémence,
De son exil voulant adoucir les rigueurs,
Et lui conserver l'espérance;

Pour soutenir son âme au milieu de l'épreuve,
Pour cacher sous les fleurs les ronces du sentier,
Pour mêler le nectar au fiel dont Il l'abreuve,
Pour soutenir son front; enfin, pour lui verser
Dans l'âme une ardeur toujours neuve;

Dieu lui laissa la femme! Ô pour tant de misères
Qu'adoucirent vos soins; pour tant de coeurs broyés,
Guéris par vos douceurs, tant de peines amères,
Tant de chagrins cuisants d'un seul mot dissipés!
Ô femmes que vous m'êtes chères!

Souvenir de ce soir délicieux du 20 mai 1896
Représentation d'«Attila»
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Réconciliation

corrigée et publiée par «Le Monde Illustré»

Comme un léger zéphir qui frissonne au bocage,
Imprégné du parfum des roses d'alentour;
Comme un gazouillement d'oiseaux sous le feuillage,
Comme l'hymne des flots exppirant sur la plage
Comme le dernier chant du jour

Comme, dans la vallée, une fontaine pure
Qui, sous l'herbe fleurie et les chênes ombreux,
S'écoule en répétant son suave murmure;
Tes accents captivaient mon âme, et la nature.
Éclatait en concert joyeux;

Et tout semblait s'unir à ma joie enivrante,
Et mon coeur tressaillait, et l'étoile des cieux
Brillait plus vivement, et reine bienfaisante
La lune prodiguait sa lumière tremblante
Sur nos deux fronts si radieux;

Quant tu me dis ce mot de mystères: «Je t'aime!»
Oh! pour ce mot divin échappé de ton coeur,
Pour ce mot d'où jaillit une allégresse extrême,
Plus grand, plus précieux qu'un noble diadème
Que Dieu t'accorde tout bonheur!

Ô l'amour d'une femme! Ô don inestimable,
Ivresse qui nous porte aux palais étoilés,
Parfum de cet exil où le sort nous accable,
Baume délicieux au coeur inconsolable;
Nectar de nos jours désolés!

Montréal, 29 juillet 1896
______

À Mademoiselle G. B.
Acrostiche


Grâces, charmant sourire, attrait mystérieux:
Elle possède tout; sa couronne est complète.
On l'envie, on l'admire, on frémit sous ses yeux.
Rien ne manque à sa gloire; en tout lieu on la fête.
Gardez-vous, cependant, de rêver sa conquête:
Insensible à l'amour, à vos discours ardents
Avecque complaisance, elle prête l'oreille.
N'attendez toutefois de sa bouche vermeille
Aucun sentiment d'amour; c'est pour passer le temps.

Beaux jours de ma jeunesse, un moment j'espérai
Recouvrer à sa voix votre céleste ivresse:
Elle était si charmante! Espoir prématuré!
À son coeur elle sait commander en maîtresse.
Rien n'en put arracher le mot tant désiré.
Dieu! que la vie est sombre et morne sans tendresse!

Taunton, Mass.
20 avril 1897
Souvenir de notre dernier et bien triste entretien!
______

À Mademoiselle Imelda Hurtubise
Acrostiche

11 avril 1898

Il faut de frais pinsons, dont l'éclatant ramage
Mette un peu de gaieté, dans ce vallon de pleurs,
Et des papillons bleus, descendus d'un nuage,
Lutins formés d'azur pour se nourrir de fleurs.
Dans les ronces il faut rencontrer quelques roses.
Après les jours d'orage, il faut des rayons d'or.

Hélas! ce n'est pas tout! Au sein des jours moroses
Un coeur d'homme a besoin de quelque chose encor!
Rires, joyeux refrains, s'envolent comme une ombre
Tout s'éteint et tout meurt! Il faut aux coeurs ardents
Un bonheur plus solide. Il faut au coeur qui sombre,
Battu des flots rageurs, un port contre les vents.
Il nous faut de l'amour, des baisers, des serments;
Surtout de la constance! Et l'Auteur de la vie
En vous mit tout cela, n'est-ce pas, chère Amie.

Émery Beaulieu

11 avril 1898
Montréal




Jacques Beaulieu
Ce document a été mis en ligne le 9 juillet 2004
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Jacques Beaulieu
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Révisé le 19 juillet 2013
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