Mes racines / my roots

Henri Césaire Saint-Pierre


Adéline Albina Lesieur


Louis Émery Beaulieu


Joseph Bélanger


Geneviève Saint-Pierre


Jeanne Beaulieu Casgrain


Simone Aubry Beaulieu


Édouard Trudeau


Rolland Labrosse

Une femme... Alice Parizeau

UNE FEMME... ALICE PARIZEAU (1997)

J'ai eu le grand plaisir d'avoir connu l'auteur du roman Une femme. Ma compagne de classe au Sacré-Coeur, Germaine, mon amie depuis toujours, était sa belle-mère. Elles avaient l'une pour l'autre plus que de l'amitié, de l'admiration; et, en commun, elles avaient une vivacité d'esprit qui éclatait souvent en propos inoubliables.

Ainsi à l’un de ses déjeuners mensuels du jeudi dont madame Germaine Parizeau avait l'habitude, en hiver, je me rappelle avoir entendu ces mots d'Alice au sujet de son jeune mari : «Jacek n'a qu'un défaut, il ne parle pas le polonais!» Une plaisanterie assurément et qui nous avait fait bien rire, le petit groupe que nous formions... Mais était-ce vraiment une plaisanterie?

Les années passèrent, faisant plus rares nos rencontres. La figure rousse d'Alice, à la fois rieuse et secrète, ne s'effaçait pas. Les facettes variées du personnage finirent par me questionner. Épouse invisible d'un politicien bientôt ministre, mère de deux enfants, hôtesse appréciée en ville et à la ferme, journaliste, professeur, écrivain : ses livres s'imposèrent nécessairement à ma curiosité. Je les lus avec intérêt. Le dernier, Une femme, m'a particulièrement impressionnée. J'en résumerai ici un chapitre et, pour le faire, il me faudra employer ses propres mots, tant il m'est apparu impossible d'en trouver d'autres aussi expressifs pour dire la peine profonde et cachée avec laquelle elle a vécu.

Nous sommes à l'été 1988. Malgré le cancer qui la ronge inexorablement, Alice quitte Montréal avec son mari pour revoir sa patrie une dernière fois. La voici à Varsovie. «J'aspire l'air de toutes les forces de mes poumons» écrit-elle. «Il est léger, parfumé à je ne sais quelles essences, mais pour moi il sent la Pologne!» l'odeur de son pays, la langue, cette merveilleuse façon de communiquer avec tous et chacun, crée en elle la sensation «dangereuse», dit-elle, d'être en famille. Soudain, cette simple réalité a plus d'importance que les liens du sang, que l'héritage biologique et jusqu'au nom qu'elle porte et qu'elle partage avec d'autres issus de la même couche.

Elle s'accroche au bras de Jacek, tant elle craint qu'il ne comprenne pas son bonheur, qu'il se sente traité en étranger, lui, l'être qu'elle aime le plus au monde, lui le Prince charmant qui l’est demeuré depuis leur première rencontre.

«Je m'étais soumise à l'avance, prête à le suivre au bout de nos vies» avoue-t-elle. Mais une fois mariée, elle découvrit le prix à payer, l'ennui de l'appartement vide où il l'avait enfermée sous le fallacieux prétexte qu'il pouvait lui apporter tout ce dont elle aurait besoin sur le plan matériel. Son tempérament de fille libre, orpheline dès le début des hostilités avec l'Allemagne (à peine avait-elle quatorze ans), ayant vécu la guerre, les camps, la déportation, acceptait mal l'institution du mariage. Jacek a dû assumer la vie avec une femme rebelle à la tradition. «Capable d'écouter, de comprendre et même de céder, il y a réussi parfaitement» dit-elle. «Sans cela, mon travail, mes colloques, mes séminaires, dont j'avais un besoin vital, n'auraient pas été possibles.»

Dans le soleil radieux de Varsovie, en ce dernier voyage, Alice, dont les jours sont désormais comptés, songe brusquement qu'elle a raté quelque chose d'essentiel à cause justement de ce lien trop cérébral installé entre eux, qui lui avait semblé à elle «la seule façon de mériter son estime et de ne pas le lasser comme tant de femmes légitimes dans une relation continue de couple».

Plus d'une question se pose à la lecture de ce roman autobiographique. Je ne répondrai qu'à celle qui m'a poursuivie. Hélas! non, ce n'était pas une plaisanterie! Quelle naïveté était donc la nôtre, amies de Germaine Parizeau?

Que Jacek n'ait pu parler le polonais n'a contribué qu'à augmenter chez Alice le sentiment d'être une exilée. Exilée, au point que ses activités n'avaient d'autre but que de glorifier non pas le Québec, qui l'avait pourtant adoptée, mais sa patrie, dont elle ne voulait pas admettre qu'elle en était rejetée, étrangère face aux politiques nouvelles.

Je rejette le jugement d'Alice sur elle-même : «Ma vie, en somme, aura été absurde». Non, sa vie a été héroïque : sur son passage, elle n'a laissé que le souvenir d'une femme chaleureuse, dont le contact était enrichissant.



Jacques Beaulieu
jacqbeau@canardscanins.ca
Révisé le 19 juillet 2013
Ce site a été visité 31628849 fois
depuis le 9 mai 2004