Textes lus aux funérailles de Madeleine Cusson
prière universelle
- Pour Madeleine Cusson Saint-Pierre, notre mère, notre grand-mère,
notre belle-mère, notre amie, notre parente,
BĂ©ni sois-tu Seigneur JĂ©sus.
- Pour l’intelligence et la curiosité remarquables, vastes,
subtiles de cette femme que nous avons aimée;
- Pour son intuition imparable qui n’avait besoin que
de notre allô au téléphone pour diagnostiquer immédiatement,
plus d’une fois à notre stupéfaction, l’état précis dans lequel nous étions;
- Pour l’humour irrésistible, le sens de la répartie exceptionnel,
les rires interminables qu’elle a provoqués, le plaisir festif qu’elle a engendré;
- Pour l’angoisse qui, avec la cigarette, aura été la compagne de sa vie;
- Pour la beauté que cette détresse a générée à chacun des instants de ses
quatre-vingt sept ans, neuf mois et sept jours d’existence,
BĂ©ni sois-tu Seigneur JĂ©sus.
- Pour le respect, l’émerveillement de la nature et de la ville
qu’elle a passionnément contemplées partout et sous toutes ses formes;
- Pour la douceur de la nostalgie chaque fois ressentie devant la splendeur
d’un coucher de soleil;
- Pour sa difficulté de vivre, son amour de la vie et de tous les enfants,
en commençant par sa petite-fille adorée Marlyatou;
- Pour toutes ses innombrables peurs, y compris, surtout et
premièrement la peur d’avoir peur;
- Pour la richesse de sa personnalité éclatante,
BĂ©ni sois-tu Seigneur JĂ©sus.
- Pour les, au moins, cinquante et un milles repas qu’elle nous a
cuisinés avec amour, dont quarante-cinq milles, au moins des moins,
demeurent mémorables et pour le thé que nous prenions en famille les
après-midi vers les quatre heures et demi, moments heureux entre tous
auxquels elle tenait comme à la prunelle de ses yeux… et nous aussi;
- Pour son appartenance indéfectible à la nation canadienne-française
dans un mode de vie conséquent, qui l’a portée, sa vie durant, à encourager
les siens et à sillonner le Québec encore et encore, en toutes saisons, avec
un bonheur sans cesse renouvelé;
- Pour sa passion du français qui touchait à la sublime poésie aux
derniers temps de sa vie quand l’oubli meublait sa tête chaque jour
davantage;
- Pour son exceptionnel sens de la séduction, illuminé d’un sourire
absolument craquant auquel bien peu d’humains, hommes ou femmes,
peu importe l’âge, ont pu résister;
- Pour son chic fou, qui portait les modes et les dépassait, généralement
ponctué de la touche souveraine d’un collier de perles et d’un haussement
de sourcils en guise d’acceptation dans le miroir avant de daigner nous éblouir,
BĂ©ni sois-tu Seigneur JĂ©sus.
- Pour sa générosité, son sens de la fête et du partage, sa tolérance et
son ouverture d’esprit, mille fois manifestés;
- Pour son amour de l’art, de tous les arts, qui lui a apporté ses réconforts
les plus constants et son plus grand soutien spirituel;
- Pour les hommes de sa vie, son fils, son père, son mari, qu’elle a
aimés intensément;
- Pour les femmes de sa vie, sa mère, sa petite-fille, ses filles, ses
amies, qu’elle a aimées profondément et beaucoup au téléphone;
- Pour la douceur des derniers jours et la douceur de la mort de Madeleine
Cusson Saint-Pierre, qu’elle a vécus dans la tendresse et l’amour des siens,
BĂ©ni sois-tu Seigneur JĂ©sus.
louise saint-pierre, 29, 30, 31 mars, 1er avril 2007
ACTE DE FOI
Elle croit des choses qu’on ne lui a jamais dites
Ni même murmurées à l’oreille
Des extravagances telles qu’on frissonne
Elle s’imagine tenir dans sa main droite
La terre ronde rude obscure
Comme une orange sanguine qui luit
La vie est douce et profonde
Hommes et femmes s’aiment à n’en plus finir
Quant Ă la joie des enfants elle claironne
Comme soleil Ă midi
Ni guerre ni deuil
Ce monde est sans défaut
Le chant profond qui s’en échappe
Ressemble aux grandes orgues
Des cathédrales englouties
Tout cela palpite dans sa main
Rayonne Ă perte de vue
Tant que le cœur verse sa lumière
Telle une lampe suspendue
Au-dessus des villes et des champs.
Anne Hébert, Poèmes pour la main gauche, Boréal, 1997
LA FILLE DE L'ĂŽLE
Il m'a donné le pont de l'île,
Les goélands et la marée.
Puis, il est parti vers la ville
Et je me suis mise Ă pleurer...
Pourquoi, pourquoi, le pont de l'île
Des plumes blanches et la marée,
Ce sont des choses inutiles
Ă€ fille qui se meurt d'aimer ?
Moi, j'ai deux bras, faits pour Ă©treindre
TĂŞte d'enfant et moutons blancs ;
C'est pas que je voudrais me plaindre,
Mais j'envie celles qui vont aux champs...
Je reste seule, amont la cĂ´te,
Avec mon île et la marée,
Mon bel ami a fait la faute
De croire que j'étais une fée.
Pourtant, il sait que mes Ă©paules
Soulèveraient gerbes de blé,
Il sait que j'abattrais le saule
Pour bâtir maison à son gré.
Il s'est penché dessus ma couche,
Il m'a saoulé de mots d'enfants,
Il a juste effleuré ma bouche,
Comme fait le vent, le vent qui ment.
J'échangerais ma poésie
Pour la tĂŞte de mon ami,
Dans mon tablier de semaine
Je la mĂŞlerais Ă mes peines.
C'est cette longue solitude
Qui creuse trous devant mes pas ;
Ah! si seulement sa main rude
Pouvait venir chasser tout ça...
Oui, j'échangerais mon île jolie
Pour un grand malheur avec lui...
FĂ©lix Leclerc
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