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Le Père Paul Bélanger, s.j.

Avec Lui dans la gloire

LE PÈRE PAUL BÉLANGER, S.J.

(1902 - 1990)

À Saint-Jérôme, le 27 décembre 1990, à l'âge de 88 ans, est décédé le père Paul Bélanger, S.J. De lui, je retiens trois traits principaux dont j'aurai l'occasion de parler davantage au cours de la présente nécrologie: 1° il fut homme de théâtre et metteur en scène incomparable; 2° il fut un prédicateur qui dépassait nettement la médiocreté et qui était soucieux de perfection tant pour la doctrine que pour la présentation; 3° il fut un promoteur infatigable de l' Apostolat de la Prière et aussi des Congrégations mariales.

La formation

Le père Paul Bélanger est né à Montreal, le 20 avril 1902, dans la paroisse Saint-Pierre-Apôtre; il fut baptisé le même jour. Son père se nommait Elzéar et sa mère, Émélie Hamel. Il poursuivit ses études au collège Sainte-Marie jusqu'en rhétorique, où il laissa le souvenir d'un élève sérieux et appliqué, qui ne manquait pas d'esprit. Le 30 juillet 1922, il entrait au noviciat du Sault-au-Récollet, accueilli par le père Guido Leclaire, maître des novices et sous le provincialat du père J.-M. Filion. Deux ans plus tard, il prononçait ses premiers voeux, en présence du père J.-P. Desjardins, recteur et célébrant.

Ses études suivront le cours normal: 2 ans de juvénat au Sault, 3 ans de philosophie et 4 ans de théologie au scolasticat de l'Immaculée, avec l'enseignement du catéchisme dans ses temps libres.

Le théâtre

Durant sa régence, d'abord au collège de Saint-Boniface, puis au collège Jean-de-Brébeuf, et ensuite au collège Saint-Ignace, il professe la versification, mais, dès ce moment, s'illustre comme modérateur du théâtre. Il excelle à dépister les jeunes talents, choisit admirablement les pièces, a le souci du fini, du détail bien fait et offre des représentations d'une très grande valeur artistique. Les élèves qui ont eu le bonheur d'évoluer sous sa direction en ont gardé un souvenir pour la vie et certains seront mordus de théâtre. Mais le père Paul n'était pas seulement artiste, c'était aussi un éducateur plein de tact.

II a résumé toute son expérience dans un article paru dans l'Entraide, vol. 17, 1934-35, p. 65-85, intitulé "Le théâtre sous le signe de l'éducation". Tous les aspects sont abordés avec précision et finesse. Cet article est un guide précieux pour ceux qui ont à diriger des jeunes dans l'aventure théâtrale.

Sa connaissance approfondie du théâtre et son talent littéraire se manifestèrent également dans deux pièces délicieuses. L'une, "Le Bonhomme rêve" - et ici le Bonhomme, c'est le fabuliste Lafontaine -, parue dans l'Entr'aide 20 (1937-38): 59-66. Il y a là-dedans un esprit de finesse et de nuance ravissant. L'autre pièce fut jouée en 1937 à l'occasion d'un départ missionnaire. Elle s'intitule "Quand s'éloignent les petites lumières". C'est loin d'être une pièce de patronage! On y trouve de la poésie, de la fantaisie et de l'idéal missionnaire. Mais le plus harmonieux mélange que l'on puisse imaginer.

C'est aussi vers cette époque qu'il ecrira dans l'Entraide plusieurs articles sur le scoutisme. Le scoutisme avait ses partisans comme ses détracteurs. Le père Paul fait d'utiles mises au point qui font preuve d'un sain réalisme.

Il est ordonné prêtre le 18 août 1935, au Gesù de Montréal, par Mgr Deschamps, évêque auxiliaire de Montréal. 11 fait son 3e an à Mont-Laurier.

Un entr'acte

Dès 1940, on le retire de l'enseignement et on l'envoie ministre et "socius" du maître des novices, tout en continuant de s'occuper de théâtre.

En 1942, i1 devient ministre des philosophes, sous-ministre de la maison et directeur de la revue pédagogique l'Entr'aide. En 1943, on le nomme vicaire, prédicateur et confesseur à l'église de l'Immaculée-Conception et modérateur de la L.I.C. paroissiale. En 1946, il est promoteur diocésain à Saint-Boniface pour l'apostolat de la prière et la Ligue du Sacré Coeur. Mais il prend de plus en plus d'importance comme prédicateur. De là i1 se rend à la résidence de Québec, comme promoteur de l'Apostolat de la Prière, tout en donnant les Exercices spirituels.

Le missionnaire "excurrens"

De 1950 à 1955, son pied-à-terre est à la nouvelle maison Bellarmin. Il donnera des retraites de tous genres en de nombreux endroits, tout en demeurant promoteur de l'Apostolat de la Prière, poste qu'il occupera jusqu'en 1955. Il retourne à la résidence de Québec, dans les mêmes fonctions.

Voici comment on le présente dans Jésuites canadiens, 1954, p. 13:

"C'est un homme de doctrine. Au courant des revues de spiritualité, des dernières publications, aucun problème ne lui échappe. On connaît ses recensions soignées dans Relations. Il sait être, à l'occasion, pour de plus jeunes confrères, un maître compréhensif dans l'art de la prédication. Autrefois vicaire à la paroisse de l'Immaculée-Conception, il assurait aux fidèles une prédication vigoureuse et captivante. Sa langue aux comparaisons sans cesse renouvelées révèle le dur travailleur qui prend toujours son métier à coeur."

De 1960 à 1967, il donne les Exercices spirituels à la Villa Saint-Martin, puis à la Villa Manrèse de Québec.

À Saint-Jérôme

De 1967 à 1990, il demeura à Saint-Jérôme, où il fit d'abord du ministère. Mais, à partir de 1978, sa surdité envahissante devait le confiner à la prière et au silence. On pourra lire à ce sujet la belle homélie du père Édouard Hamel qui évoque cette période.

Le père Paul aura eu toute sa vie le plus grand souci de la perfection. Certains diront qu'il était même perfectionniste. De plus, son extrême exigence aura pu mal le faire connaître. Car il avait un coeur d'or et un sens très fin de l'humour. De lui, on peut dire qu'il a vécu dans la plus grande fidélite à l'esprit ignatien. Il meurt dans l'année ignatienne oû il nous invite, nous aussi, à un profond ressourcement spirituel.


Jean-Paul Labelle, S.J.


Homélie pour les funérailles du père Paul Bélanger

(31 décembre 1990))

Les deux textes choisis pour les lectures (Rom 10, 8-17; Mt 13, 3-9) illustrent bien la vie et la carrière du père Bélanger, qui fut un prédicateur remarquable, éprouvé, à la fin de sa vie, par une surdité complète. Nous passerons donc des oreilles de ses auditeurs à celles du prédicateur.

La Bible ne cesse de nous répéter que le salut entre surtout par les oreilles. C'est pourquoi Jesus expliquera longuement la parabole du semeur. Étant l'organe de l'ouïe, c'est l'oreille qui reçoit l'enseignement, d'où le lien entre l'oreille et l'accueil de la Parole. Dans l'Évangile, "avoir des oreilles", c'est être apte à comprendre la Parole de Dieu. Élisabeth dira à Marie: "Dès que ta salutation a frappé mes oreilles." (Luc 1, 44). Dans son premier discours, saint Pierre cherchera à rendre ses auditeurs attentifs à sa parole en disant: "Prêtez l'oreille à mes paroles" (Act 2,14). Au contraire, les membres du Sanhédrin, entendant les paroles de saint Étienne, "poussèrent de grands cris en se bouchant les oreilles" (Act 7,57).

Souvent Jésus invite ses auditeurs à plus d'attention à sa parole: "Écoutez bien ce que je vais vous dire" (Luc 9,66), "Faites bien attention à la façon dont vous écoutez" (Luc 8,18). La guérison d'un sourd, rapportée par saint Marc (7, 31-37), survient au moment même où Jésus reprochait aux siens d'être durs d'oreilles et d'avoir le coeur endurci: "Vous avez des oreilles et vous n'entendez pas" (~ 8,18). Dans cet infirme, Marc voit le type du disciple sourd à la Parole. Si Jésus a ouvert les oreilles du sourd, c'est pour symboliser l'action de Dieu qui éveille l'oreille afin qu'elle puisse accueillir la Parole qui sauve.

Prédicateur de retraites, le père Bélanger savait, avec Paul, que, pour croire, il faut avoir appris, que pour apprendre il faut la prédication; que pour la prédication, il faut non seulement être envoyés, mais aussi savoir rendre la Parole attirante. Voilà pourquoi il assurait une prédication à la fois vigoureuse et captivante. Homme de théâtre, il savait mettre en pratique ce qu'il avait enseigné. Cultivé, plein de sensibilité et d'humour, il avait le don des formules concises, percutantes et souvent amusantes. En voici quelques-unes, dont je me souviens. "Pour bien comprendre certaines personnes, disait-il, il faudrait,qu'elles se promènent avec le portrait de leur père et de leur mère attaché au cou". à propos de son âge, il aimait répéter le vers célèbre: "Ce siècle avait deux ans". L'ancienne formule de réparation au Coeur de Jésus, que nous récitions au noviciat, l'agaçait: "Nous voudrions arroser de nos larmes tous les lieux où l'on vous outrage" y lisait-on. "Ça fait quand même beaucoup d'eau" remarquait le père Bélanger. "Après tout, nous ne sommes pas des pompiers." En 1934, il avait écrit un petit manuel à l'usage du directeur de théâtre. À propos du choix des acteurs, il suggérait: "élimination du petit lait d'abord; et classification de la crême d'après ses richesses." Voici les qualités qu'il exigeait des machinistes (aujourd'hui on dirait les perchistes). "Ils doivent être: carpes quant au bec, écureuils quant aux membres, anges quant aux moeurs."

Puis, survint l'épreuve de la surdité. Lui qui avait demandé aux autres d'ouvrir leurs oreilles, est devenu complètement sourd. Dans la prière Sume et Suscipe, saint Ignace nous fait dire: "Prenez, Seigneur Jesus... tout ce que j'ai et tout ce que je possède. Vous me l'avez donné: à vous, Seigneur, je le rends. Tout est vôtre, disposez-en selon votre entière volonté" (Ex. Spir., n. 224). Le Seigneur a pris le père Bélanger au mot: il lui a enlevé ses oreilles. il ne lui restait que de dire avec le saint homme Job: "Dieu avait donné, Dieu a repris: que le nom de Dieu soit béni" (Job 1, 21).

On s'est penché davantage sur le monde des aveugles - la nuit est ma lumière - que sur celui des sourds. Quand l'oreille externe se ferme aux voix de ce monde, l'oreille interne a plus de chance de s'ouvrir aux voix de Dieu et de découvrir la valeur du silence. Le philosophe Kierkegaard disait: "Si j'étais medecin, et qu'on me demandait un avis, je dirais: 'Créez le silence!' "

Le silence donne de la profondeur. Au fond, l'organe qui permet d'entendre la Parole de Dieu, c'est le coeur. On a dit: "L'amour est un oeil, et aimer c'est voir." On pourrait dire également: "L'amour est une oreille, et aimer c'est écouter." La personne humaine vaut ce que vaut son silence.

Marie, sur ce point, demeure le modèle insurpassé. Dans la liturgie byzantine, la fête de la Présentation de Marie (21 novembre) a pour titre la fête du silence de Marie! Le silence et l'écoute vont de pair. Marie, la silencieuse, est modèle de ceux et celles qui écoutent la Parole de Dieu: elle l'a conçue par l'oreille avant de la concevoir dans son sein quand elle a cru aux paroles de Gabriel. L'évêque syrien Jacques de Saroug (6e siècle), surnommé la flûte de l'Esprit Saint, dit que si les dames, en Orient, portent des perles comme boucles d'oreilles, c'est en l'honneur de l'Incarnation. Dans un délicieux poème, il fait parler ainsi la perle: "Si je suis fixée aux oreilles des dames, c'est pour honorer Celle qui a conçu la Parole par l'oreille, c'est en hommage de l'oreille de Marie qui a servi de porte d'entrée au Verbe de Dieu, la Perle de grand prix (Mt 13,46), envoyée par le Père dans le monde pour le sauver."

On peut bien être empêché, comme le père Paul, d'entendre les paroles humaines. Mais la pire surdité est celle du coeur, qui empêche d'entendre la Parole de Dieu. Seul le Seigneur peut nous guérir de notre surdité. Lui seul peut nous dire, comme au sourd de l'Évangile, "ouvre-toi" afin que nous soyons plus attentifs à la facon dont nous écoutons la Parole de Dieu.

Notre confrère le père Bélanger n'a plus de problème d'oreilles. Pour lui s'est accompli la promesse d'Isaïe:' "Les oreilles des sourds s'ouvriront" (Isaïe 35,5).

Je l'imagine bien assis près de quelque stéréo céleste, écoutant le Gloria in Excelsis de la messe des anges. En arrivant, il a retrouvé son compagnon d'études, co-novice et grand ami, le père Guy Laramée, décédé quelques semaines avant lui. Ensemble, ils auront fait quelques tours dans le ciel, en se rappelant des souvenirs d'antan.


Edouard Hamel, S.J.
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Jacques Beaulieu
beajac@videotron
Révisé le 22 juillet 2019
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