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La contreverse avec Mgr Fabre, archevêque de

La contreverse avec Mgr Fabre, archevêque de Montréal

L'année 1893 fut une année contreversée pour Mgr Fabre, archevêque de Montréal. En effet, il décida d'informer par lettre pastorale que tous les catholiques qui liraient la revue Canada-Revue seraient bannis des sacrements. Cela eut pour effet de réduire de façon significative son nombre de lecteurs. La revue chercha à se réconcilier avec Mgr Fabre mais sans succès. Elle décida ensuite d'aller en cour pour exiger que celui-ci indique exactement ce qu'elle devait faire pour que la décision ecclésiastique soit renversée. Tout ceci causa des propos libelleux de la part de prêtres contre les laïcs qui défendaient la revue en cour ainsi que contre plusieurs autres personnes mêlées à cette affaire, dont Louis Fréchette.

Ceci amena ce dernier à publier dans le journal La Patrie une lettre à Mgr Fabre qui est reproduite entièrement ici. Elle parut à la une de l'édition du samedi 11 novembre 1893 avec une gravure de l'auteur.




Lettre ouverte de Louis Fréchette à Mgr Fabre

:

A SA GRANDEUR

Monseigneur Chs Ed. FABRE

ARCHEVEQUE DE MONTRÉAL
MONSEIGNEUR,

Du haut de la chaire de toutes les églises du diocèse, en enjoint aux fidèles de soumettre à votre justice épiscopale tous les sujets de griefs qu'ils peuvent avoir contre aucun des membres du clergé soumis à votre juridiction, Vous avez daigné vous-même m'en faire l'invitation personnelle. Sans me préoccuper outre mesure de l'injonction, je sais apprécier l'invitation, et c'est pour me rendre à cette dernière que je me permets de vous adresser la présente lettre.

Vous me pardonnerez de la livrer au public; c'est afin de ne plus laisser aux journaux qui se donnent comme les organes du clergé et de la religion l'occasion de prétendre avec tant de logique, ainsi qu'il est arrivé tout récemment, que je n'ai jamais eu à me plaindre d'aucun membre du clergé, puisque je n'ai jamais formulé aucune dénonciation auprès des évêques.

Il m'est impossible de supposer que ce soit vous, Monseigneur, ni Son Eminence Mgr le cardinal Taschereau, qui ayez renseigné de cette façon ces organes de la religion et du clergé.

Mais comme il m'est impossible aussi d'appeler en témoignage soit Votre Grandeur, soit l'autre éminent prélat, je ne puis défendre ma véracité qu'en faisant un appel public à vos souvenirs, au moins pour un cas.

Veuillez croire, Monseigneur, que je le fais non seulement avec tout le respect que je dois à mon évêque, mais encore avec celui que chacun est heureux de vous accorder personnellement sans la moindre arrière-pensée.

Il ne s'agit que d'un seul cas en particulier, Monseigneur; car si j'avais dû me plaindre officiellement chaque fois que, obéissant à je ne sais quel mot d'ordre, un prêtre me diffamait soit du haut de la chaire soit en conversation privée, j'aurais peut-être donné autant de mal à mon Ordinaire, que certains de vos collègues de la province de Québec en donnent eux-mêmes à la Curie romaine.

Ce cas date de 1880.

Un révérend père sulpicien - qu'un de ses confrères appela un jour devant moi le Thibault du clergé - un grand prêcheur devant Dieu et surtout devant les femmes, qu'il réunissait en congrégation intime tous les vendredis, cessa un jour de faire de sa propre personne le sujet de ses discours édifiants pour s'occuper tout particulièrement de moi.

A cette époque cependant je ne m'étais pas encore "délecté à tirer la langue pour lécher les pieds d'une débraillée de théâtre", d'un "fille de coulisses"; d'une "dégoûtante actrice", d'une "hideuse juive"; je ne m'étais pas encore "mis à quatre pattes pour faire le cheval"; je n'avais pas encore fait le métier de "manger du saucisson le vendredi saint", et je n'avais pas encore essayé de "détrôner Jésus-Christ pour mettre Satan à sa place", suivant les expressions aussi chrétiennes que distinguées du R. P. Lacasse - un monsieur qui prétendra un de ces jours n'avoir jamais insulté personne.

Non, je n'étais pas encore coupable d'aucune de ces pécadilles, mais j'avais commis deux grands crimes: d'abord j'avais fait jouer un drame intitulé Papineau, en l'honneur du grand patriote qui fut le chef politique et l'ami intime de votre vénérable père, Monseigneur; et puis, de retour d'un court voyage en France, j'avais émis l'opinion audacieuse que la république y était assise sur des bases stables, et qu'un jour ou l'autre elle aurait l'appui même du clergé.

Le débordement fut homérique; mais le révérend messire dont il s'agit ici eut la palme.

Tous les vendredis, durant deux mois, il épuisa à mon adresse tout ce que son vocabulaire (le même que celui du R. P. Lacasse) contenait d'expressions haineuses et grossières.

Des membres de la congrégation me tenaient au courant; mais j'étais habitué à ces choses-là de longue date, et je laissai le brave homme écumer contre moi tout à son aise, sans daigner même l'honorer d'un coup de plume.

Mais tant va la cruche à l'eau...

Un jour, c'était la fête de la Toussaint - je vis arriver chez moi, toute en larmes, une personne chère de ma famille, qui venait d'entendre le même prédicateur, du haut de la chaire de Notre-Dame, me traiter de "Voltaire canadien" et me dénoncer comme un "misérable que les catholiques devraient chasser du pays, et devant qui toutes les portes honnêtes devraient se fermer impitoyablement."

C'est textuel, et toujours comme vous voyez, dans le style de messire Lacasse.

J'aurais pu, n'est-ce pas, envoyer un officier de police appréhender l'homme au collet; j'aurais pu tout au moins lui faire servir quelque cuisante sommation par un huissier de Sa Majesté - ce qui aurait ajouté un dossier de plus à son casier judiciaire.

Mais j'eus peur de vous contrister, vous Monseigneur, qui m'aviez toujours manifesté tant de sympathique bienveillance.

J'eux peur aussi de désobliger un autre prêtre de Saint-Sulpice, mon curé d'alors pour qui j'entretenais, depuis mon arrivée à Montréal, des sentiments de très affectueuse vénération qui durent encore.

Et je pris le parti de ne m'adresser qu'à vous, sinon pour obtenir une réparation, du moins pour demander votre protection pour l'avenir, dans l'intérêt de la sensibilité bien légitime et bien naturelle des miens.

Je me présentai donc à votre palais, Monseigneur, armé de toutes pièces contre mon agresseur, si vous vous souvenez bien.

Permettez-moi de résumer en peu de mots ce que je vous exposai alors avec calme et respect:

"Monseigneur, vous dis-je, j'ai toujours été et je suis encore un catholique pratiquant, et, je le crois, un citoyen sans reproche.

"Jeune avocat, à Lévis, pour avoir différé d'opinion, au sujet de la guerre américaine, avec un curé qui trouvait le moyen de faire accorder son titre de ministre de Jésus-Christ avec celui d'esclavagiste forcené, je vis ma clientèle étouffée dans l'oeuf par une avalanche de sermons qui ne s'arrêtèrent que le jour où le saint prêtre appris que j'avais quitté sa paroisse pour aller gagner mon pain comme journaliste aux Etats-Unis.

"A Chicago, je fus jusqu'au dernier moment l'ami le plus intime de mon curé, et vécus en relations suivies avec mon évêque; ce qui n'empêcha pas un prêtre de Québec d'écrire, sous sa signature, que j'avais apostasié."

(J'ouvre ici une parenthèse, Monseigneur pour vous apprendre, ou vous rappeler, que cet abbé si zélé pour le salut de mon âme est aujourd'hui sous le coup d'une des plus graves accusations qui puissent peser non seulement sur la tête d'un prêtre, mais sur la tête d'un homme.)

"Enfin, vous dis-je - je reprends mon récit - la nostalgie me ramena au pays, et croyant les vieilles haines éteintes ou lassées j'eus l'imprudence d'aller redemander des sympathies à ma ville natale.

"Que je connaissais peu certaines âmes!

"Ce que j'en ai subi de bordées! Elles sont encore légendaires dans l'endroit.

"Un jeune vicaire, dont les exploits édifient Québec en ce moment même, y applaudissait encore publiquement, il n'y a pas longtemps.

"Crève-faim! écervelé! coeur pourri! blasphémateur! apostat! révolutionnaire! serpent caché sous les roses! suppôt de Satan! tison d'enfer! ennemi de Dieu! assassin de Mgr Darboy! démolisseur de la colonne Vendôme! Garibaldi! Louise Michel!" etc.

Si les pamphlets du père Lacasse eussent existé à ce moment-là, Monseigneur, je n'eusse pas manqué de vous les indiquer - surtout le dernier - pour vous donner une idée du reste.

"Plusieurs prêtres, ajoutai-je - dont l'un a laissé une jolie réputation d'incestueux, et dont un autre est en train de créer un schisme non loin de Québec - allaient de maison en maison et s'adressaient aux femmes de mes partisans:

- "Comment, Madame! disaient-ils, allez-vous laisser votre mari voter pour un apostat, un homme qui a renié le Christ, qui a insulté la vierge Marie, qui a prêché avec Chiniquy, qui a été chassé de l'église canadienne et de la société St-Jean Baptiste de Chicago?"

"On fit plus, Monseigneur: on soudaya un faux témoin qui affirma tout ce qui précède sous serment."

(Le malheureux parjure m'a fait demander pardon depuis.)

- "Mais, me dites-vous alors, Monseigneur, que ne vous êtes-vous plaint aux autorités de votre diocèse?

Je vous répondis: - "Monseigneur, j'ai porté l'affaire devant l'archevêque de Québec. Les coupables nièrent, et il me fut répondu que leur parole valait la mienne. Là se borna l'enquête du grand tribunal ecclésiastique.

"Je dus donc vaincre sans aide et malgré tout. Malheureusement pour moi, la lutte était trop dispendieuse, et mon succès n'eut qu'un temps. Un dernier effort de l'ennemi m'écrasa, et je suis venu m'établir à Montréal, dans l'espoir qu'en renonçant à toute politique, j'échapperais aux persécutions cléricales.

"Or, Monseigneur, fis-je en concluant, voilà que ces persécutions recommencent de plus belle, et cela sans l'apparence d'une raison, sans l'ombre d'une provocation, sans même l'excuse des animosités de partis.

"Vous êtes maintenant au courant des faits; vous avez l'autorité pour agir, faites comme vous l'entendrez; mais voici mes armes, fis-je en vous passant un écrit que j'ai encore en ma possession; et je suis bien décidé à m'en servir, car je ne veux plus voir les miens revenir de l'église en pleurant.

"Le jour où j'apprendrai que le susdit messire a fait quelque nouvelle allusion à moi dans ses sermons, je vous en demande pardon d'avance, Monseigneur, mais je sévirai."

Vous m'écoutâtes avec bonté, et vous me fîtes la promesse - vous avez religieusement tenu parole, je le sais - de mettre fin à l'abus dont je me plaignais.

C'était peu, car le mal était fait, et j'aurais pu exiger une réparation poublique; mais, pour ne pas vous attrister davantage, je me contentai de cette demi satisfaction.

Le lendemain, mon digne curé, qui était malade au lit, me fit mander par feu l'abbé Desmazures; c'était pour m'offrir des remerciements en son nom et au nom de la communauté de Saint-Sulpice.

Or, Monseigneur, aujourd'hui comme en 1880, je viens vous dire - et cela publiquement, afin que les organes du clergé et de la religion ne prétendent plus que je n'adresse pas mes réclamations à qui de droit - je viens vous dire: "Monseigneur, voilà la calomnie cléricale qui se déchaîne de nouveau contre moi"; et cette fois une promesse de ne plus recommencer ne me satisfera pas.

L'injure et la diffamation ont pris la forme du livre; il faudra une réparation sérieuse.

Je vous dénonce donc, Monseigneur, le pamphlet intitulé: Dans le camp ennemi, signé par Z. Lacasse, O.M.I., et édité récemment par MM. Cadieux et Derome.

Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de demander votre permission pour poursuivre ces derniers en justice, car, bien que leur librairie porte le nom édifiant de Saint Joseph, cela ne doit pas être suffisant pour les ranger dans le clergé et leur faire participer des immunités ecclésiastiques.

Mais quant à M. le pamphlétaire lui-même, je commence par le traduire devant vous; j'aviserai, s'il y a lieu, à prendre d'autres mesures ensuite. J'exigerai une rétraction formelle de sa part.

Si j'avais traité moins chrétiennement - ou moins lâchement peut-être - le premier prêtre qui, par passion politique, m'a accusé d'apostasie, la légende ne se serait pas propagée de chaire en chaire et accréditée d'un diocèse à l'autre.

M. l'insulteur se croit peut-être à l'abri de toute responsabilité judiciaire, parce qu'il n'a pas eu le courage moral de me nommer en toutes lettres; mais qu'il se détrompe: les juges décideront si je suis assez bien désigné pour avoir le droit de demander justice.

Vous disiez dernièrement sous la foi du serment, Monseigneur, que nul prêtre de votre diocèse ne doit publier une ligne sans votre autorisation; or le pamphlétaire en question se vante, dans sa préface, d'avoir passé à pieds joints par-dessus cette autorisation.

Il était inutile pour lui de faire ainsi publiquement parade d'insubordination; car personne n'aurait soupçonné qu'un homme bien élevé eût pu prendre la moindre responsabilité dans la publication d'une oeuvre qui semble avoir été écrite moins par un prêtre que par un sauvage ivre.

Puisque je viens de faire allusion, Monseigneur, au témoignage que vous avez rendu dans le procès que le Canada-Revue a intenté contre Votre Grandeur, je ne veux pas écrire ma lettre sans vous demander la permission, non pas de contredire le moindrement vos déclarations en ce qui me concerne, mais simplement de rappeler à Votre Grandeur - pour faire disparaître une fausse impression chez le public - que, dans l'entrevue que j'ai eue avec elle, en compagnie de MM. Globenski et Lebeuf, je lui ai affirmé, avant toute chose, n'avoir aucun intérêt ni matériel ni autre dans la publication du journal censuré.

J'insistai tout particulièrement sur ce point, vous déclarant que j'étais simplement délégué vers vous par la compagnie propriétaire, dans le but de conciliation, et chargé, en enfant soumis de l'Eglise - ce fut mon expression - de prier Votre Grandeur d'indiquer ce qu'elle trouvait de répréhensible dans le journal, afin de savoir s'il était possible d'en arriver à une entente et d'éviter un plus long conflit.

Vos paroles prêtent à la supposition - et c'est, je n'en doute pas, involontaire de votre part - que je me suis présenté à vous, dans cette circonstance, non pas en simple délégué, mais en partie intéressée.

A quelqu'un qui lui en faisait la remarque, un de vos prêtres aurait même dit: "Qu'avait-il à se charger de cette mission, s'il n'était pas intéressé?"

Je me suis chargé de cette mission, Monseigneur, et l'on m'en a chargé pour deux raisons: d'abord parce que j'avais déjà servi d'ambassadeur auprès du Canada-Revue, dans les intérêts de votre archevêché, comme vous devez le savoir, (ce dont, entre parenthèses, jai été noblement remercié par votre Semaine Religieuse.)

Ensuite, l'exception spontanément faire en ma faveur, dans votre censure, relativement à ma collaboration littéraire au journal incriminé, me désignait tout naturellement comme trait d'union, ou tout au moins comme interprète, entre vous et ceux que vous aviez frappés à côté de moi.

C'est pour cela, Monseigneur, et non par aucun sentiment d'hostilité envers Votre Grandeur, que j'ai accepté de représenter auprès d'elle des hommes qu'un seul mot d'indulgence et de conciliation - je le croyais et je le crois encore - pouvait amener à vos pieds.

J'ai voulu faire du bien; mais, vous le savez comme moi, Monseigneur, on n'y parvient pas toujours, surtout quand on est contrecarré par certains hommes qui, bien que ministres d'un Dieu de paix, ne rêvent que plaies et bosses, bûchers, bataille, et extermination.

Voilà les vrais ennemis du clergé, Monseigneur: M. l'abbé Lacasse n'avait pas besoin de courir si loin pour en découvrir le camp.

Quelqu'un disait - et l'un de vos chanoines me le répétait, il n'y a pas très longtemps: - Une des preuves que la religion est divine, c'est qu'elle subsiste, malgré les efforts que tant de prêtres font pour la rendre odieuse.

Il avait peut-être raison.

Je termine cette longue lettre, Monseigneur, en vous demandant pardon pour mon franc-parler, et en vous réitérant l'assurance du dévouement et de la sincérité avec lesquels

j'ai l'honneur d'être, De Votre Grandeur, Le très humble et très obéissant Serviteur, LOUIS FRÉCHETTE.




Jacques Beaulieu
beajac@videotron
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