Son discours de Richford |
Article incomplet en la possession de Suzanne Montel
transcrit par Jacques Beaulieu, tous deux arrières-petits-enfants d'Henri
Césaire Saint-Pierre Comme la "Patrie" le disait hier, c'est un Montréalais, M. l'avocat H. C. Saint-Pierre, C. R., qui a eu, cette année, l'honneur de prononcer le discours de circonstance à la cérémonie patriotique du 30 mai, devant le Frontier Post de Richmond, Vermont. La réputation de M. Saint-Pierre, comme orateur n'est plus à faire et nos lecteurs nous sauront gré de leur mettre sous les yeux quelques passages de ce beau morceau d'éloquence: "Chaque année," dit l'orateur, " au retour du printemps, à l'aurore de cette saison où la nature revêt ses vêtements de verdure semés de fleurs aux teintes les plus vives; quand la brise murmure dans la feuillée son chant d'amour et que les oiseaux remplissent les airs de leurs chants d'allégresse, vous oubliez pour un jour les scènes joyeuses qui vous entourent pour reporter votre pensée vers les scènes de tristesse et le deuil du passé. Avec la fidélité qui caractérise les soldats et les amis véritables, depuis trente-cinq ans, en cet anniversaire du 30 mai, vous avez chaque année pris le chemin du camp silencieux où nos compagnons morts dorment leur dernier sommeil, et vous avez déposé sur leurs tombes, avec l'expression de votre éternel amour et de vos regrets, des fleurs, emblêmes de ce bonheur qu'ils doivent goûter là-bas. .............. "Nous sommes réunis aujourd'hui pour nous entretenir de nos chers disparus et nous mettre, pour ainsi dire, en communion avec eux. Ah! c'est vrai, leurs lèvres sont à jamais closes, leurs voix à jamais éteintes; mais il me semble que leurs âmes, voltigeant autour de leurs tombeaux, nous ont suivis jusque dans cette enceinte et sont en ce moment parmi nous. Il me semble qu'en évoquant le souvenirs des grandes actions accomplies et de la grande cause défendue par eux, nous nous sentirons fortifiés par leur présence, comme aux jours où nous combattions à leurs côtés. Il me semble qu'inspirés par leurs secrets conseils, nous emporterons, en quittant cette salle, la résolution d'accomplir fidèlement le devoir qui nous incombe, c'est-à-dire de montrer à nos enfants et aux générations à venir, en leur mettant sous les yeux le noble exemple de ces héros, quel dévouement, quel héroïsme, peut engendrer l'amour de la patrie." L'orateur rappelle ensuite en quelques mots la nature du conflit de 1861. C'était, dit-il une guerre entre frères. "Les pères de la patrie avaient proclamé comme principe fondamental de la constitution que tous les hommes naissent libres et égaux; il s'agissait maintenant de savoir si une république fondée sur ce principe pouvait subsister."Puis M. St-Pierre cite ces paroles tombées des lèvres "du plus grand héros et l'un des derniers martyrs de la guerre," Abraham Lincoln, à l'inauguration du cimetière de Gettysburg: "Il y a quatre-vingt-sept ans, nos pères apportèrent sur ce continent une nouvelle nation, conçue dans la liberté et vouée à la propagation du principe de l'égalité des hommes. Nous sommes aujourd'hui engagés dans une grande guerre civile dont le résultat nous dira si une nation ainsi conçue et basée sur un pareil principe, peut exister longtemps. Nous foulons en ce moment du pied un des champs de bataille les plus importants de la guerre. Nous sommes venus consacrer une partie de ce champ comme place de repos final pour ceux qui ont ici donné leur vie pour la nation. .............. Nous devrions plutôt, nous les vivants, nous consacrer à l'accomplissement de l'oeuvre qu'ils ont noblement commencée? Nous devrions plutôt nous consacrer à l'exécution de la grande tâche qui nous incombe, et puiser dans le souvenir de ces mots glorieux un nouveau dévouement à la cause pour laquelle ils ont donné eux-mêmes la pleine mesure du dévouement; faire en sorte que leur mort n'ait pas été vaine, que la nation soit, sous l'oeil de Dieu, régénérée dans la liberté et que le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ne disparaisse pas de la face du monde." Je le répète, quelle idée, quel motif fit enrôler sous nos drapeaux, pour le soutien de l'Union, un si grand nombre de soldats venus de tous les pays? "Oh, je sais bien que les populations rebelles des États du Sud n'étaient pas sans amis; je ne suis pas surpris des cris de joie que l'on poussa par delà de l'Atlantique en songeant que la République américaine, minée par ses dissensions, serait peut-être un jour divisée en deux pays animés l'un à l'égard de l'autre d'une haine mortelle. Les hommes qui prédisaient alors la fin de la République étaient les rois et les aristocrates, ennemis du peuple par instinct, par éducation et par profession."Mais si les rois et les aristocrates faisaient des voeux pour la destruction de la République américaine, il n'en était pas ainsi pour le peuple. En effet, le peuple comprit qu'il avait dans ce conflit une cause à défendre, c'est-à-dire sa cause, la cause de la démocratie, et remué jusqu'aux entrailles par les chants nationaux de Columbia, il accourut de toutes les parties du globe, par centaines, par milliers, pour serrer ses rangs autour des "Stars and stripes", emblême glorieux et sacré de ses droits; pour prêter main forte aux gars d'Amérique et combattre et au besoin de mourir pour la défense de la Démocratie. "Alors comme aujourd'hui, il y avait dans la terre libre du Canada des hommes du peuple aux bras et aux coeurs généreux, et ces hommes, ne croyant pas faire preuve de déloyauté envers leur propre pays se portant au secours de la cause du peuple et de l'humanité, marchèrent de coeur gai au feu, côte à côte avec leurs frères des États-Unis. Camarades, j'en étais, avec beaucoup d'autres. Emportés par l'enthousiasme de notre jeunesse, nous avons combattu et versé notre sang pour la cause sacrée du peuple, l'abolition de l'esclavage, et la fumée des canons dissipée, le sang séché sur les chaps de bataille, nous sommes rentrés dans nos foyers, fiers d'avoir pu contribuer au triomphe de la liberté, au maintien du gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. M. St-Pierre esquisse à grands traits les origines de la nation américaine et compare l'Américain d'aujourd'hui au citoyen de l'ancienne Rome, qui faisait trembler les rois en proclamant son titre. Il montre la supériorité du régime politique américain sur tous ceux qui l'ont précédé. Rome, dit-il en substance, avait ses patriciens, son sénat; le peuple avait peu de choses à dire dans la direction des affaires publiques. Au temps de sa splendeur, Rome avait près de six millions d'habitants dont quatre millions d'esclaves. Même les notaires, en ces temps-là, étaient soumis à l'esclavage. La fameuse république de Venise n'était qu'une oligarchie au pouvoir de la noblesse. Seule la république américaine a pu donner au monde l'exemple d'un ouvrier tanneur, comme Grant, élevé au commandement d'un million de soldats, et d'un "fendeur de bois", comme ses ennemis appelaient par dérision Abraham Lincoln, élu à la présidence du pays. Il faut avouer toutefois, ajoute M. St-Pierre, que l'évolution du régime constitutionnel anglais au régime purement démocratique américain, était facile. L'excellence de la nouvelle forme de gouvernement frappe tout le monde. C'est la France qui se lève d'abord pour démolir ses anciennes idoles et briser les entraves que des classes privilégiées ont mises à son progrès... Rien ne lui résiste. Elle défie les coalitions, abaisse les tyrans... Puis, peu à peu, "les autres peuples d'Europe emboîtent le pas"; le système représentatif s'établit partout... Le portrait tracé par M. St-Pierre de la condition de la France et des autres pays d'Europe avant la Révolution mériterait d'être cité en entier. "On dira peut-être," continue l'orateur, "que la dislocation de la république n'eût pas nécessairement entraîné la chute de la Démocratie en Amérique, et que les sombres prévisions du président Lincoln étaient inspirées par ses craintes patriotiques plutôt que par un danger réel. Camarades, nul ne peut dire quels maux auraient pu suivre le démembrement de l'Union. Qui sait si les États de l'Ouest, une fois les prétendus droits des États reconnus, n'auraient pas, sous les plus futiles prétextes, suivi le funeste exemple des États du Sud. Toute maison divisée contre elle-même périra, dit l'Écriture; que serait devenue la démocratie dans toutes ces petites républiques, privées de la force et de l'assurance que fait naître l'union sous un même drapeau? ... Qui sait si quelque conquérant du Vieux-Monde n'eût pas envahi cette terre divisée pour y broyer sous son talon la plante mise en terre par les fondateurs de la République, et détruire à jamais le gouvernement démocratique?... Que serait-il advenu de la république mexicaine, quand l'empereur Maximilien commit l'audacieuse tentative d'imposer son joug à un peuple libre, si elle eût été alors divisée contre elle-même, affaiblie par la sécession? Le président Lincoln avait donc raison: en défendant l'Union, nous défendions notre propre cause, la cause du peuple, la cause de la démocratie. Nous avons combattu pour l'Union, afin d'assurer la conservation et le respect du titre de citoyen américain. |