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du Barreau de Montréal
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Mes racines / My roots
Louis Émery Beaulieu
Ce document provient de La
Revue du Barreau, Tome 22, No 7 Septembre 1962;
pages 421 à 426.
Il a été rédigé par Jean-Jacques Lefebre.
Louis-Émery Beaulieu
Louis-Émery Beaulieu, conseil de
la reine, docteur en droit,
avocat depuis plus de soixante années,
ancien associé principal
de l'étude Beaulieu et Gouin, ancien
doyen de la Faculté de droit
de l'Université de Montréal, ancien
bâtonnier de la province,
ancien président de l' Association du
Barreau canadien et l'un
des premiers jurisconsultes de sa génération,
est décédé le 14
mai 1962 à sa demeure de l'avenue Roskilde,
à Outremont, après
une maladie de près de trois années.
Il était en sa 84e année.
Né à St-Isidore de Laprairie, le 7 août 1878,
du mariage de
Narcisse Beaulieu, agriculteur, et de
Vitaline Lécuyer, il était
encore enfant quand ses parents s'établirent
à Montréal.
Il avait fait de brillantes études
classiques chez les Jésuites,
au collège Sainte-Marie de Montréal,
y remportant tous
les honneurs de sa classe (B.A., 1889).
Il avait étudié le droit
à la Faculté de droit de l'ancienne
Université Laval de Montréal
(LL.L. summa cum laude, 1902).
Admis au barreau en juillet 1902,
il entrait aussitôt à
l'étude de Louis-Conrad Pelletier
( R. du B. 1961, p. 60 )
et Séverin Létourneau
( R. du B. 1950, p. 45 ).
En 1922, à la nomination de ce dernier, qui devint plus
tard (1942) juge en chef de la province,
comme juge à la Cour
du banc du roi, il devenait l'associé
principal de son étude
avec Me Léon Mercier-Gouin c.r., aujourd'hui
sénateur, et qui
compta, un temps, comme associés Gustave Marin,
( R. du B. 1953, p. 377 )
Paul Mercier,
( R. du B. 1943, p. 401 )
Me Édouard Tellier, maintenant juge
à la Cour supérieure,
le bâtonnier Bernard Bourdon c.r., Me
Maximilien Caron, l'un
de ses successeurs à la Faculté de droit, Me André
Montpetit, aujourd'hui juge à la Cour
supérieure, ses fils, Me
Henri Beaulieu, Me Jean Beaulieu, son
gendre, Me Jean Casgrain c.r.,
et un temps, son fils Paul, passé depuis
à la diplomatie.
L'étude avait eu longtemps comme conseils
l'ancien premier
ministre de la province, sir Lomer Gouin
(décédé en 1929) , et le
sénateur Rodolphe Lemieux (décédé en 1937) .
Ces dernières années, il avait réorganisé
son cabinet avec
ses fils, Jean et Henri, précités, et son
gendre, Me Casgrain.
Civiliste réputé dès sa jeunesse, et qui
excellait tant à la
consultation qu'à l'enquête et à la
plaidoirie, plaideur d'une
élégance et d'une diction impeccable, il
était tôt devenu avocat
des grandes affaires. Il avait conduit
des causes pendant quarante
années tant en première instance qu'en
appel et, avant
l'abolition des appels à cette juridiction,
il s'était rendu souvent
au Comité judiciaire du Conseil privé.
Tout naturellement il avait été amené
aux conseils d'administration
de sociétés commerciales et il avait siégé à ceux
de la Banque Provinciale du Canada,
du Trust Général du Canada et
du Mount Tremblant Lodge Ltd.
Il avait été le conseil,
en particulier, de la société immobilière,
le Crédit foncier
franco-canadien dont nous devons la
venue au Canada, circa 1887,
à un ancien premier ministre de la
province, sir Adolphe Chapleau.
Le directeur général de cette société
formula un jour son
admiration pour la sûreté comme pour
l'élégance de forme des
opinions de son conseiller juridique.
Nommé conseil du roi en 1914, il avait pris,
en 1917, son
doctorat en droit à son alma mater,
l'Université Laval, avec une
thèse sur la société commerciale.
Conseiller du barreau en 1918, il avait
été appelé à donner,
en novembre 1928, une conférence aux fêtes
du centenaire
de la bibliothèque du Barreau de Montréa1, et
il l'avait fait
porter sur le phénomène juridique, la coutume,
la loi et la
règle.
À l'apogée de sa carrière, dans les années 1930,
ses confrères
l'élisaient unanimement, en 1932, bâtonnier
de Montréal
et, la même année, bâtonnier de la province.
Un journaliste
éminent, Olivar Asselin, avait souligné son
élection en rappelant
qu'il était l'honneur de sa profession
« la première de notre
organisation socia1e; et qui s'honore en
nommant de pareils
hommes comme dignitaires ». Sa présidence
du Barreau avait
été caractérisée par la constitution d'un
comité d'étude sur la
loi corcernant les faillites et dont le rapport
recommandait avec
instance une modification de cette
législation, qui fut effectuée
par la suite.
Leg charges et les honneurs professionnels
devaient continuer
de s'accumuler sur sa personne.
À l'ouverture des tribunaux, en
septembre 1932, il avait
accueilli, entre autres, Me Ollivier Jallu,
bâtonnier de Paris.
En 1934, à l'occasion de la commémoration
de la première
exploration systématique du Canada, de
grandes fêtes eurent
lieu par tout le pays, en particulier
en la province de Québec.
Les juristes en profitèrent pour tenir
des Journées de
droit civil qui amenèrent au pays une
vingtaine de juristes des pays
de droit civil, dont une demi-douzaine
français, qui y présentèrent
des études. Le bâtonnier Beaulieu y avait été nommé
président et son discours d'accueil
aux délégués figure comme
introduction au beau recueil publié
par le Barreau de Montréal
en 1936.
( Le Droit civil
français, Livre souvenir
des Journées du droit civil français,
Montréal août-septembre 1934
)
Membre de l'Association Henri Capitant pour la culture
juridique française, il s'était rendu à
Paris en 1937 pour assister
à un congrès de l'Association, où il avait
présidé l'une des
séances.
Président de la section canadienne de
cette association, il
présida les déliberations de l'Association
tenues à Québec à l'été
1939, en présence de délégués des
barreaux anglais, américains,
français et canadiens. Il y présenta
une étude sur la communauté
de biens dans le droit civil québécois,
qui a été recueillie
dans les mémoires de l' Association du
Barreau canadien.
( The Community of
Property in the Law of Quebec,
in Minutes of proceedings of the
24th annual meting of the
Canadian Bar Association held at Quebec,
August 1939,
Ottawa 1940, pp. 59-69.
)
À l'avènement du gouvernement Duplessis
en 1936, Louis-Émery
Beaulieu était devenu le porte-parole, en
quelque sorte
officiel, du gouvernement de la province
sur les questions
constitutionnelles et fiscales, toujours
controversées en pays
fédératifs et qui surgissent périodiquement
des relations des
provinces avec l'État central. II en fut de
même au retour du gouvernement
Duplessis en 1944.
Des quotidiens de Montréal reproduisirent,
dans le temps,
au texte ou en larges extraits, les
opinions soutenues alors au
nom de la province, par son mandataire, et
l'on se prend à
regretter de n'en avoir pas constitué
dossiers et de ne pouvoir
s'y reporter à loisir.
Membre de l'Association du Barreau canadien
depuis plusieurs
années, il en était devenu, en septembre 1934,
vice-président
pour la province de Québec, de nouveau en 1936,
et vice-président
général au congrès tenu à Halifax en 1937.
Élu président général au congrès tenu à Vancouver au
mois d'août 1938, il présida le 24e congrès
tenu à Québec à
l'été de 1939, à la veille de la deuxième
grande guerre, qui
éclatait, une fois encore, sur le vieux
continent. À cette occasion,
l'Université Laval lui conférait un doctorat
honoris causa, en
même temps qu'au président de l'Association
du Barreau américain,
au chancelier du Royaume-Uni, lord Maughan,
au bâtonnier de Paris,
Me Jacques Charpentier, et au juge en chef du
Canada, sir Lyman Duff. Plus tard,
l'Université Bishop lui
conféra également un doctorat honorifique.
Professeur à l'ancienne Université Laval
de Montréal puis
à l'Université de Montréal pendant quarante ans,
il y enseigna
d'abord le droit romain, et pendant de longues
années, le droit
civil.
Devenu, en 1945, doyen de la Faculté de
droit à l'Université
de Montréal, il y retint l'enseignement
des obligations
pendant une dizaine d'années. De ses anciens
élèves, aujourd'hui
membres éminents du Barreau, attestent
garder un souvenir
indélébile de la profonde érudition comme de l'élégante
et impeccable diction du professeur.
Il avait fait partie de la Société
d'administration de l'Université
de Montréal, instituée par le premier gouvernement
Duplessis en 1937. II fut également, en 1934-35,
président de l'Association des Anciens
du Collège Sainte-Marie.
De même, il avait été l'un des collaborateurs
du sénateur Raoul Dandurand
( R. du B. 1942, p. 235 )
à la fondation du collège Stanislas de
Montréal. II en fut plusieurs années
vice-président du conseil
d'administration.
Il était resté le conseiller des religieuses
du Bon-Pasteur,
qui avaient été ses premières institutrices.
Il avait fait partie du cercle Unitas
(le réarmement moral
catholique).
L'un des premiers membres du Cercle universitaire de
Montréal, il en avait été le président en 1925.
( V. Bulletin des
Recherches historiques,
janvier 1954, p. 16)
I1 faisait encore
partie du club Winchester et du club de
golf Laval-sur-le-Lac.
Fort pieux, d'intense vie spirituelle, tôt
levé, sinon communiant
quotidien, il se rendait jusque dans ses
dernières années,
à la première messe de sa paroisse
de Saint-Viateur.
II était, de même, un fidèle des
retraites fermées annuelles
de l'abbaye Saint-Benoît-du-Lac,
institution dont il était
également un bienfaiteur.
Sur l'homme, le juriste, le
professeur, l'avocat, bref sur
la grande personnalité que fut
Louis-Émery Beaulieu, le juge
en chef de la province, l'hon. Lucien Tremblay
( V. Bulletin
des Anciens de Sainte-Marie,
juin 1962, XXIIe année, no. 2, et le
second à cette Revue)
s'est exprimé
brièvement, et M. le juge Bernard Bissonnette,
( R. du B., 1962, page 355)
de la Cour
du banc de la reine, son successeur
comme doyen de la Faculté
de droit, plus longuement.
Peut-on y ajouter une note personnelle.
L'auteur de ces
lignes vit bien souvent, depuis
trente ans, rue Saint-Jacques,
à l'heure du déjeuner, Louis-Émery
Beaulieu, déambulant seul,
lentement, l'air méditatif, concentré,
absorbé. Au-dessous de
la taille moyenne de sa génération,
mais bâti en force, le teint
mat, les paupières battues de ceux qui
ont trop lu, tout respirait
chez lui une profonde et unique vie
intérieure, indifférente
au monde extérieur.
Il avait épousé en mai 1903, à
Sainte-Martine de Châteauguay,
Atala Mallette, qui lui survit. II en
eut trois filles : Jeanne
(épouse de Me Jean Casgrain c.r.),
Gilberte (madame Jaque
Masson), et Thérèse (épouse de M. Léo
Boissonneault, vice-président
de la Compagnie d'électricité de Shawinigan); et
quatre fils: Me Jean Beaulieu et Me
Henri Beaulieu, avocats,
de Montréal, Roland, ingénieur, et Paul,
qui fut aussi admis
au barreau, auteur d'un essai,
Jacques Rivière (Paris, 1956),
un temps consul général à Boston,
aujourd'hui S. Exc. l'ambassadeur
du Canada au Liban (dont l'épouse, née Simone Aubry,
d'Ottawa, a un joli talent de peintre) ;
dix-sept petits-enfants
et trois arrière-petits-enfants;
une soeur, Céline ( madame Philippe Deland)
un frère, Eximer, d'abord comptable, plusieurs
années greffier à la Cour supérieure,
ce dernier, le père, entre
autres de Me Roger Beaulieu c.r., de Montréal.
Obsèques à l'église Saint-Viateur
d'Outremont, sa paroisse
depuis de nombreuses années, au milieu
de nombreux représentants
du monde juridique, universitaire et des affaires. II
a tenu à être inhumé près de ses père et
mère, à Sainte-Martine
de Châteauguay, au pied d'un Christ
de bronze, qui domine tout
le terrain et semble avoir été élevé en partie par
ses soins en mémoire des siens.
Issu d'une famille implantée à
Montréal depuis les débuts
du XVIlIe siècle, son père, Narcisse
Beaulieu (1839-1929) avait
épousé à Sainte-Martine de Châteauguay,
en 1862, Vitaline
Lécyuer (1842-1908). Son
aïeul paternel, Joseph Beaulieu
(1808-1886, décédé à Montréal) ,
natif de Saint-Laurent, près Montréal, avait
épousé en premières noces, à Saint-Eustache,
en 1832, Cécile
Payfer (fl. 1816-1860)
fille de Louis P., et
petite-fille d' Henri-Paul Payfer
(1739-1784, décédé à
Sainte-Geneviève), pionnier du nom
et qui s'y maria en février 1761 à
Catherine Éthier.
Son bisaïeul, Pierre Beaulieu
(fl. 1770-1832) originaire de
Saint-Laurent, et marié là même, en
septembre 1797 à Anne
Groulx, était fils de Joseph
Beaulieu (fl. 1732-1797).
Celui-ci
marié à Montréal en janvier 1752 à
Anne Boudrias (fl. 1735-1808),
était lui-même 1e fils du pionnier
Charles Beaulieu (fl.
1702-1760), qui avait épousé à Montréal
en 1726 Marie Auger
(fl. 1703-1752).
Le pionnier, Charles Beaulieu,
un cadet de famille, s'était
fait tisserand à Montréal. II était fils
de Michel Beaulieu (fl.
1680-1725) , avocat à Bayonne, sous le
Roi-Soleil, le Régent, et
Louis-le-Bien-Aimé.
Jacques Beaulieu
Ce document a été mis en ligne le 23 janvier 2004
jacqbeau@canardscanins.ca
http://canardscanins.ca/canins/roots/barreauleb.html
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