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L'autonomie provinciale (1948)

Louis Émery Beaulieu


Ce document, qui se trouve à la Bibliothèque Nationale du Québec, a été transcrit par Jacques Beaulieu, petit-fils de son auteur

 

L'Autonomie Provinciale

causerie prononcée à la radio, en 1948,

par

L. Émery Beaulieu, L. L. D. , C. R.

Doyen de la Faculté de Droit

Mesdames et Messieurs,

De toutes les questions discutées pendant la présente campagne électorale, il n'en est pas de plus importante que celle de l'autonomie des provinces et particulièrement de notre province de Québec à l'égard du pouvoir central.

Et d'abord, que faut-il entendre par l'autonomie provinciale?

L'autonomie n'est rien autre chose que la souverainteté interne d'un état par opposition à la souverainteté externe ou internationale. C'est le droit pour chaque province de se gouverner comme elle l'entend, d'édicter par l'entremise de sa propre législature, dans les limites fixées par la Constitution, les lois qui conviennent le mieux à sa culture, à ses traditions, à ses aspirations. En un mot, comme le disait l'Honorable Premier Ministre de cette province au banquet qui lui fut offert à Québec, c'est le droit d'être maître chez soi.

Il n'y a pas de doute qu'avant 1867 les diverses provinces qui formèrent la Confédération étaient toutes indépendantes les unes des autres et constituaient autant d'états autonomes et souverains sous l'égide de la Couronne Britannique. Chacune d'elles avait son territoire, sa population, son gouvernement.

En 1867, ces diverses provinces décidèrent de s'associer. Il y eut des conférences à Charlottetown et à Québec. Certains délégués proposaient l'Union Législative, qui, comme son nom l'indique, comporte une seule législature, un seul état. Mais, après discussion, l'Union Législative fut définitivement écartée et les résolutions de Québec, qui consacraient le système fédéral, furent adoptées. Ce qui caractérise ce système, tel qu'alors arrêté, c'est que le pouvoir fédéral est vraiment la créature des diverses provinces. Ce n'est pas du gouvernement central que dérivent les pouvoirs et prérogatives des provinces; c'est au contraire des concessions librement consenties par les provinces qu'est sorti le Gouvernement fédéral. Aussi le Conseil Privé a-t-il à maintes reprises reconnu que les provinces, états souverains avant la Confédération, sont demeurées des états souverains après la Confédération. Dans les matières énumérées à l'article 92 de l'Acte de l'Amérique Britannique du Nord, dit le Conseil Privé dans l'affaire de Hodge vs la Reine (A.C. vol. 9, 1883-1884, p. 117) : "la législature locale exerce un pouvoir souverain, et possède la même autorité que celle que possèderaient le parlement impérial ou le parlement du dominion, dans des circonstances analogues". Et Lord Watson, dans l'affaire de Banque Maritime et Receveur Général du Nouveau Brunswick dit: "Toutefois, pour ce qui est des matières que l'article 92 réserve spécialement à la législature provinciale, la province reste libre de tout contrôle fédéral et sa souveraineté est la même qu'avant l'adoption de la loi.", c'est-à-dire avant l'acte de l'Amérique Britannique du Nord.

- II -

Il y a plus: c'est une vérité historique que les résolutions de Québec sont la résultante d'un accord international entre quatre provinces qui se partageaient alors le territoire du Canada. Et c'est à ces résolutions que réfère le préambule de l'Acte de l'Amérique Britannique du Nord, lorsqu'il déclare que les provinces qui y sont mentionnées "ont exprimé le désir de contracter une union fédérale, pour ne former qu'une seule puissance (Dominion), sous la Couronne du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni." Née de l'accord des volontés de quatre provinces autonomes, la Confédération est donc essentiellement un pacte de nature contractuelle. Il est puéril de rechercher si ce pacte réunit toutes les conditions requises pour la validité des contrats du droit civil. Les conventions entre États sont d'un autre ordre. Elles relèvent du droit public.

Sans doute, l'accord fédératif est devenu une loi du Parlement impérial. Mais, pour reprendre le mot de l'un de nos hommes politiques, le rôle du Parlement de Westminster s'est borné à "authentiquer les clauses de l'entente fédérale canadienne".

Aussi Lord Carnavon, qui présenta le projet de loi à la Chambre des Lords, disait-il -et je traduis- "Les résolutions de Québec, légèrement modifiées, forment la base du projet de loi que j'ai l'honneur de soumettre au Parlement. À ces résolutions, toutes les provinces britanniques de l'Amérique du Nord ont adhéré et le projet de loi basé sur ces résolutions doit être accepté comme un traité d'union."

La doctrine que la Confédération est de la nature d'un pacte a été constamment proclamée, jusqu'à ces dernières années, par tous nos hommes publics, sans distinction de parti, de race ou de religion.

Elle est, d'ailleurs, sanctionnée par l'autorité judiciaire.

En 1932, Lord Sankey, parlant au nom du Conseil Privé, déclarait que l'Acte de l'Amérique Britannique du Nord - (traduction) - "contenait un compromis d'après lequel les provinces originaires ont convenu de se fédérer", et que "ni le processus d'interprétation ni les années ne devaient obscurcir les dispositions du contrat originaire sur lequel est basée la fédération." (In re: Regulations and Control of Aeronautics, in Canada - 1932, A.C., p. 70).

Et Lord Atkins, en 1937, commentant la distribution des pouvoirs entre le gouvernement central et les provinces, déclarait que cette distribution - (traduction) - "est l'une des conditions les plus essentielles, probablement la plus essentielle de toutes, du pacte interprovincial auquel l'Acte de l'Amérique Britannique du Nord a donné effet." (1937, A.C., p. 351).

Ceux qui, durant ces dernières années, ont soutenu que la Confédération n'est pas un pacte, contredisent la tradition politique, en même temps que la jurisprudence des tribunaux.

Si l'Acte de l'Amérique Britannique du Nord est un pacte à l'égard des provinces qui y souscrivirent originairement, il ne l'est pas moins à l'égard des provinces nouvelles qui y adhérèrent plus tard. Celui qui adhère à une convention existante est dans la même position que celui qui y a donné originairement son consentement, et nul ne peut prétendre qu'une seule province ait été contrainte, contre son gré, d'entrer dans la Confédération.

Du principe que le pacte fédératif est de nature contractuelle découle une conséquence certaine: c'est que ce pacte ne doit être modifié que du consentement unanime des provinces qui lui ont donné naissance. Toute modification introduite autrement constitue une atteinte au respect dû aux contrats et ne peut qu'affecter l'harmonie et la stabilité des relations interprovinciales.

Voilà donc les droits et prérogatives que nous garantit la Constitution. Et parce que notre Constitution est de la nature d'un pacte, quiconque entreprend de diminuer cet ensemble de droits sans le consentement de notre province attente à la Constitution du pays.

- III -

Et maintenant, cette autonomie est-elle en danger et les droits qui en découlent sont-ils menacés?

Le système fédératif, qui constitue incentestablement la formule politique la plus propre à protéger efficacement les minorités, est cependant affecté d'une faiblesse qu'on pourrait appeler congénitale. L'histoire nous apprend que, sous la pression constante de l'autorité centrale, ce système tend à se transformer graduellement en union législative et que les périodes de crise nationale sont toujours l'occasion d'empiètements nouveaux. Ce n'est qu'au prix d'une diligence continuelle que le pouvoir central peut être contenu. Et c'est aux minorités que protège le système fédératif qu'il appartient tout particulièrement de s'opposer aux empiètements destructeurs de l'autonomie provinciale.

Notre gouvernement fédéral n'a pas échappé à cette tendance envahissante. Il suffit de se rapporter trente-cinq ans en arrière pour se rendre compte du chemin parcouru dans le sens de la centralisation. Graduellement, mais sans un seul recul, le pouvoir central s'est efforcé de concentrer entre ses mains tous les pouvoirs législatifs, de drainer vers le trésor fédéral des sources de revenus qui, normalement, auraient dû être réservées aux provinces, d'accaparer de plus en plus toute la puissance économique et financière des provinces.

On sait que, parmi les matières qui, d'après l'article 92 de l'Acte de l'Amérique Britannique du Nord, sont réservées, - et réservées exclusivement, -

aux provinces, se trouve: "la taxation directe dans les limites de la province."

Il est vrai que, par ailleurs, l'article 91 de la même loi reconnaît au parlement fédéral le droit de prélever des deniers "par tous moyens ou systèmes de taxation". - Ces deux textes ne sont pas contradictoires; ils indiquent que les provinces auxquelles le texte confère l'exclusivité de la taxe directe doivent avoir un droit de priorité dans ce domaine.

C'est, d'ailleurs, ainsi que les parties au pacte fédératif l'ont compris. Jusqu'à la première guerre mondiale, le Gouvernement fédéral s'était abstenu de recourir à la taxe directe. Et, lorsqu'en 1917, fut établi l'impôt fédéral sur le revenu, le Ministre des Finances, Sir Thomas White, jugea bon de préciser que ce n'était là qu'une mesure provisoire, de la nature d'une mesure de guerre.

L'impôt sur le revenu", disait-il dans un discours prononcé à la Chambre des Communes durant la Session de 1917, "tombe sous la juridiction des provinces et se prête parfaitement aux besoins des provinces et des municipalités." (Débats de la Chambre des Communes, Canada, Session de 1917, vol. 11, p. 1482.)

Et dans une brochure qu'il publiait en 1921 sous le titre de:"The Story of Canada's War Finance", Sir Thomas White écrivait qu'il était d'avis que l'impôt sur le revenu devait, si possible, être réservé aux provinces pour leurs propres fins et pour les fins des gouvernements municipaux.

Établie comme mesure provisoire, cette taxe fédérale n'en persiste pas moins encore aujourd'hui.

Durant la même année 1917, le Gouvernement fédéral promulgua une ordonnance édictée en vertu de la Loi des mesures de guerre de 1914, aux termes de laquelle il était défendu à toute personne de contracter des emprunts à l'étranger, sans l'autorisation d'une commission nommée par l'autorité fédérale. L'ordonnance prenait, d'ailleurs, grand soin d'ajouter que les personnes auxquelles s'adressait la prohibition comprenaient, entre autres, les gouvernements provinciaux et les municipalités.

C'était là, manifestement, placer le gouvernement de cette province sous la tutelle d'une commission, créature du pouvoir central. C'était déléguer, en quelque sorte, à cette commission le droit de désavouer toutes les lois de cette province, comportant un emprunt. Cette mesure parut tellement draconnienne que le Gouvernement de Québec qui, à l'époque, était un gouvernement libéral, publia dans la Gazette Officielle du 5 janvier 1918 une proclamation déclarant que, dans son opinion, ces règlements excédaient les pouvoirs du parlement fédéral et que le Gouvernement de la province entendait les considérer comme illégaux, inconstitutionnels et sans aucun caractère obligatoire quant à la province de Québec.

Puis le Gouvernement fédéral fit main basse sur le système bancaire du pays. Jusqu'en 1934, il existait dans notre province plusieurs banques florissantes. Chacune possédait le privilège d'émettre du papier-monnaie et chacune détenait sa réserve d'or, garantissant sa circulation fiduciaire, ainsi que le remboursement des sommes dues aux déposants. Le commerce de banque était prospère et les citoyens de cette province bénéficiaient de cette prospérité.

Le pouvoir fédéral créa alors la Banque Centrale du Canada, devenue, peu après sa formation, propriété exclusive de l'État. Dès sa formation, la Banque Centrale du Canada s'empara des réserves d'or de toutes nos banques et, graduellement, elle s'assura le monopole de l'émission du papier-monnaie, avec les bénéfices appréciables qui en résultent. Les banques existent encore; mais elles ne sont plus que des succursales de l'État fédéral qui retient sa large part des profits résultant des opérations bancaires.

Jusqu'à tout récemment, nos ports nationaux étaient administrés par des commissions locales; il y avait la Commission du Hâvre de Montréal; celle de Québec; celle de Trois-Rivières. Il n'y a plus qu'une commission unique, contrôlant d'Ottawa toute l'administration et toutes les opérations des ports canadiens.

Mais les empiètements précédemment énumérés n'étaient que le prélude de ceux auxquels la guerre de 1939 devait servir de prétexte.

En 1917, c'est en s'excusant que Sir Thomas White envahissait le domaine de la taxation directe en établissant l'impôt fédéral sur le revenu. Durant la dernière guerre, c'est en maître que le Gouvernement fédéral s'y consolida. Sous la pression du pouvoir central, le Gouvernement de l'Honorable M. Godbout abandonna au fisc fédéral une partie importante du domaine de la taxation directe: impôt sur le revenu des individus, taxe sur le capital et les profits des corporations, taxe sur les chemins de fer.

Il y a plus. En 1941, pour la première fois depuis la Confédération, le Gouvernement fédéral imposa une taxe sur les successions. S'il est une taxe qui, de sa nature, est du ressort des provinces, parce que se rattachant à la propriété et au droit civil, c'est bien la taxe sur les successions. La succession est essentiellement une institution du droit civil. Ses règles ont pour objet d'assurer la transmission ds biens dans la famille et elles s'inspirent des principes juridiques qui régissent l'organisation de la propriété, la distinction des biens, les relations entre conjoints, ainsi que les relations entre ces derniers et leurs descendants. Ces problèmes relèvent du droit civil, et la province de Québec possède un système juridique qui lui est particulier, que nous avons droit de conserver. L'impôt, par une loi fédérale, ne peut pas être équitablement établi sur des régimes successoraux différents. Aussi la loi fédérale a-t-elle entrepris d'établir, pour les fins du fisc, l'uniformité successorale, en donnant de la succession une définition applicable à toutes les provinces. Mais les termes de cette définition, étrangers à la langue juridique de notre Code, sont inintelligibles pour les juristes de droit civil. Aussi, l'un de nos magistrats les plus distingués, feu P. B. Mignault, ancien juge de la Cour Suprême du Canada, exprimait l'avis dans The Canadian Bar Review, à la page 719 du fascicule de décembre 1941, que l'imposition de cette taxe était inconstitutionnelle et ultra vires.

Et que dire de toute cette législation par arrêtés ministériels ou règlements affirmant la primauté du Gouvernement fédéral dans toutes les matières se rattachant à la propriété et au droit civil et, comme telles, réservées aux provinces? Le Gouvernement fédéral a ainsi réglementé la vente des denrées et marchandises, y compris les produits agricoles, et il en a fixé les prix. Il a légiféré en matière de contrat de travail, rendant inopérante en grande partie notre Loi de la convention collective. Il s'est même arrogé la suprématie en matière de propriété immobilière et mis au rancart nos lois civiles concernant le louage de choses.

Mais, dira-t-on, les mesures dont vous vous plaignez ont été nécessitées par l'état de guerre et ne sont d'ailleurs que provisoires.

Le Canada a été en guerre de 1914 à 1918 et, cependant, la poussée centralisatrice de cette époque n'est pas comparable à ce qui s'est produit récemment.

Quant au caractère provisoire des mesures incriminées, observons que la guerre est terminée depuis trois ans et que les plus dangereuses de ces mesures, en autant qu'il s'agit de l'autonomie provinciale, sont encore en vigueur.

Et ce qu'il y a de plus inquiétant, c'est que le Gouvernement fédéral prétend s'arroger le droit de déterminer lui-même la durée "des circonstances critiques" ou de l'état de crise nationale qu'il invoque pour justifier ses empiètements sur les droits des provinces.

On sait en effet qu'en cas de crise nationale, comme par exemple le cas de guerre, le parlement fédéral peut légiférer sur des matières qui, d'après les termes de l'article 92 de l'Acte de l'Amérique Britannique du Nord, sont réservées aux provinces. C'est par l'application de cette doctrine que la loi fédérale des mesures de guerre de 1914 a été déclarée valide (Fort Frances Pulp & Power Co. vs Manitoba Free Press Co, - A.C. 1923, p. 695).

Par ailleurs, d'après la même doctrine, dès que l'état de crise nationale prend fin, les provinces recouvrent la plénitude de leur compétence législative. (A. C. 1923, pp 705, 706)

Ajoutons que, d'après la jurisprudence du Conseil Privé, l'état de crise nationale est un fait qui relève de l'appréciation des tribunaux (Fort Frances Pulp & Power Co. vs Manitoba Free Press Co, - A.C. 1923, p. 695; aussi A. C. 1922, Vol 1, p. 197/2000). Or le Gouvernement fédéral prétend, par sa loi de 1945 sur les pouvoirs transitoires résultant de circonstances critiques nationales (9-10 George VI, ch. 26), que, malgré la fin des hostilités, il lui appartient, à lui, de statuer qu'il existe encore un état de crise nationale et de fixer la durée de cet état de crise.

Mais la tentative la plus audacieuse faire pour détruire l'autonomie des provinces et les asservir à l'autorité centrale fut incontestablement la conférence fédérale-provinciale de 1945-1946.

Faisant suite au rapport de la Commission Rowell-Sirois, le Gouvernement central proposa aux provinces, réunies en conférence, de lui abandonner le monopole exclusif de l'impôt sur le revenu des particuliers, de l'impôt sur les successions et de l'impôt sur le revenu et le capital des corporations, et de reconcer aux subsides établis par la Constitution, en échange de subventions annuelles basées sur la production nationale.

Pour mesurer toute l'importance des taxes dont on sollicitait l'abandon, soulignons que la province de Québec, par exemple, a fourni au trésor fédéral durant les dernières années de la guerre, avec les seuls impôts sur le revenu des particuliers et des corporations, un montant d'environ $450 millions par année, soit un montant cinq fois plus considérable que tous les revenus du Gouvernement de la province durant la même période.

C'est une des prérogatives essentielles des États souverains de pouvoir prélever, par voie de taxation, de la manière qu'ils croient la meilleure, les deniers nécessaires un bon fonctionnement des services publics et à la mise en vigueur des lois adoptées par leur parlement, non seulement en vue du présent, mais en vue de l'avenir. À quoi servirait aux provinces de posséder les pouvoirs législatifs les plus étendus, si, par ailleurs, elles étaient empêchées de prélever les deniers que requiert l'exercice de ces pouvoirs? Et le gouvernement central qui s'approprierait toutes les sources de taxations, réduirait, en fait, les provinces à l'impuissance législative. Il est facile de constater que la province qui n'aurait d'autres sources de revenus que les subsides que lui verserait l'État central, cesserait d'être un État souverain pour devenir une espèce d'organisme gouvernemental inférieur, sous la tutelle de l'autorité d'où elle tirerait ses moyens de subsistance.

- IV -

Mais l'autonomie provinciale vaut-elle la peine d'être défendue?

Il ne paraît pas contestable que c'est là le seul moyen d'assurer aux minorités la facilité de se développer et de grandir conformément à leurs aspirations, à leurs caractéristiques nationales et à leurs conceptions religieuses. Mais il faut ajouter que c'est encore la condition essentielle du maintien de l'unité nationale et du progrès, dans l'ordre, du Canada tout entier.

Les résolutions de Québec ont été la résultante de longues et laborieuses délibérations au cours desquelles furent débattus les avantages et les désavantages respectifs du système fédératif et de l'union législative. Et elles ont été adoptées, parce que jugées les mieux appropriées aux conditions d'un pays peuplé par des races diverses, de formation différente, et dont les centres de population étaient, sont et seront séparés par de vastes espaces.

Il est un fait incontestable: c'est que l'accumulation des pouvoirs entre les mains d'un même groupe conduit à l'autocratie; tandis que la répartition des pouvoirs est une des meilleures sauvegardes de la démocratie.

C'est dans les pays totalitaires que se rencontre la centralisation dont la destruction fut l'un des principaux objets de la dernière guerre. Il serait illogique de la rétablir dans ce pays, à l'encontre d'un pacte qui a voulu précisément le contraire.

Ce qu'il y a de certain, c'est que la centralisation est une condition sina qua non du socialisme d'État et du communisme, et c'est là une raison additionnelle pour que la province de Québec affirme son irréductible volonté de maintenir l'autonomie des provinces: la sienne et celle des autres provinces. Les États-Unis d'Amérique ne sont-ils pas une confédération, dans laquelle chaque état est autonome et souverain? Le développement économique de ce pays, sa puissance et sa prospérité n'en font pas moins l'admiration du monde entier!

On invoque l'avantage d'une législation sociale, uniforme. Mais une législation sociale sera d'autant plus bienfaisante qu'elle s'adaptera davantage aux besoins, aux aspirations et aux traditions culturelles de la population à laquelle elle doit s'appliquer. Et les législatures provinciales, parce qu'en contact plus direct avec leur population respective, sont plus en état que le Gouvernement fédéral de déterminer le type de lois qu'il convient d'adopter. Dans ce domaine comme dans les autres, le meilleur système est, sans conteste, celui d'une coopération, respectueuse des prérogatives des provinces, entre le Gouvernement central et les Gouvernements provinciaux.

- V -

Et maintenant, l'Honorable Maurice Duplessis est-il en état de sauvegarder notre autonomie provinciale?

Voyons les faits. Dès 1936, lorsque la Commission Rowell-Sirois vint siéger à Québec, le Gouvernement de l'Honorable Maurice Duplessis se posa franchement comme défenseur de l'autonomie provinciale. Le mémoire du Gouvernement, exposé oralement et produit devant la Commission, défendait la doctrine de la souverainteté des provinces dans un langage aussi vigoureux que concis.

De 1936 à 1939, puis de 1944 à ce jour, la même thèse a été soutenue par l'Honorable Premier Ministre en Chambre et devant le peuple, en présence des autres Gouvernements provinciaux comme en présence des autorités fédérales. Toujours, cependant, l'Honorable Premier Ministre a pris soin d'ajouter qu'il était prêt à coopérer, dans l'intérêt national, ausi bien avec les autres provinces qu'avec le Gouvernement central, dans le respect des droits et prérogatives de chacun.

Signalons un fait peu connu. En 1944, fut passée la Loi des allocations familiales (8 George VI, chap 40). Le paragraphe 2 de l'article 4 décrétait que l'allocation devait cesser lorsque l'enfant âgé de six ans et physiquement capable ne fréquentait pas l'école ou ne recevait pas la formation équivalente prescrite par les règlements. C'était le préposé du Gouvernement fédéral et non le père de famille qui devait décider si l'enfant était physiquement capable d'aller à l'école. Et c'étaient les règlements fédéraux qui devaient prescrire la formation que devait recevoir l'enfant qui ne fréquentait pas l'école.

L'Honorable Premier Ministre se mit alors en relation avec les autorités fédérales et entreprit de sauvegarder les droits du père de famille sur l'éducation de ses enfants et l'autonomie provinciale en matière éducationnelle. Sans bruit mais sans relâche, il poursuivit son entreprise. Et finalement, s'il n'obtint pas tout ce qu'il demandait, il réussit néanmoins à faire modifier la disposition qui précède, de façon à faire reconnaître que l'allocation ne cesserait que si l'enfant ne fréquentait pas l'école selon les prescriptions de la loi provinciale, ou ne recevait pas la formation jugée équivalente "par les autorités compétentes en matière d'enseignement, désignées par la province."

Mais c'est surtout au cours de la conférence fédérale-provinciale de 1945-1946 que l'Honorable Premier Ministre démontra avec quelle vigueur et quelles ressources il savait défendre les Droits de la province. Il fut incontestablement l'âme dirigeante de la lutte contre cette formidable tentative de centralisation. L'expérience a démontré qu'il avait raison, tant au point de vue financier qu'au point de vue politique.

D'ailleurs, quelle meilleure preuve du rôle prépondérant que tient l'Honorable Premier Ministre dans la lutte pour l'autonomie provinciale que l'acharnement que mettent pour le combattre tous ceux qui favorisent la centralisation. À voir députés et ministres fédéraux dans la bataille, on croirait qu'il s'agit d'une élection fédérale. C'est que, vraiment, c'est la lutte du fédéral contre les provinces qui se livre actuellement. Au peuple de Québec de réagir pendant qu'il est encore temps!






Jacques Beaulieu
beajac@videotron
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