Le bon vieux temps
Souvenirs d'un octogénaire - Le pilori à Montréal
- Le supplice du pilori à Montréal vers 1835
Un citoyen octogénaire, possesseur d'une mémoire des plus lucides, causait ce
matin avec un reporter de la Patrie des us et coutumes du bon vieux temps.
La conversation tomba sur les peines infâmes infligées aux criminels à
Montréal entre 1830 et 1840.
La peine du pilori était alors appliquée très fréquemment aux personnes qui se
se rendaient coupables de délits du ressort des tribunaux de police
correctionnelle.
Le pilori était dressé en face de l'ancien palais de justice, à quelque pas à
droite de la fontaine de Neptune, entre le Palais [et] l'Hôtel de Ville.
C'était une plateforme qui avait une longueur de 12 pieds et une largeur
de huit pieds. Au milieu de cette charpente était un poteau mobile. Le poteau
avait deux bras formés chacun de deux planches qui se rejoignaient.
A travers ces planches, espèce de carcan, le condamné passait sa tête et ses
deux mains. La planche mobile se fermait dessus et le patient se trouvait
encarcané. Les bras du pilori étaient à environ quatre pieds de la plateforme
de sorte que le condamné avait le corps courbé pendant son exhibition à la
populace. Le bourreau, un nommé Humphries, était là avec son fouet et
obligeait les patients à tourner avec le poteau mobile.
Le pilori était disposé pour recevoir deux patients à la fois et le supplice
durait une heure.
Le pilori fonctionnait tous les vendredis matin, et l'affluence des spectateurs
était toujours considérable, si considérable que souvent, la circulation était
interrompue sur la rue Notre-Dame. Le marché était alors situé sur la place
Jacques-Cartier, et les mauvais plaisants, qui étaient très nombreux, y
achetaient des oeufs à raison de quatre sous la douzaine pour les lancer à la
figure des patients.
La population de Montréal était avide de ce spetacle et les fenêtres de la rue
Notre-Dame se louaient à raison de quinze sous par tête.
La peine du pilori était infligée aux individus coupables d'avoir tenu des
maisons malfamées ou d'avoir commis de petits larcins. Le tribunal correctionnel
qui condamnait ses justiciables au pilori était la cour des juges de paix.
Les juges de paix et des sessions de quartiers étaient alors MM. De Rocheblave
Austin, Cuvillier, Quesnel, Laframboise, Shuter et Lukan.
Le pilori a été aboli à Montréal en 1841.
Nous continuerons demain la publication des notes qui nous sont fournies par
le même citoyen sur ce qui se passait à Montréal dans le bon vieux temps. Nous
parlerons des pendaisons pour vol, du supplice du fouet et de la marque.
La Patrie, mardi 4 novembre 1884, page 4.
LE BON VIEUX TEMPS
La marque et le fouet. Le guet et le coin flambant.
- La pendaison à Montréal vers 1835
En 1830 la justice de Montréal faisait peu de cas de la vie d'un homme. On
pendait celui qui avait volé un cheval, une vache ou un mouton. Celui qui
commettait un vol domestique dont l'objet valait plus de deux louis sterling,
montait aussi sur l'échafaud.
Tous les vieillards de Montréal se rappellent l'exécution d'un jeune homme de
dix huit ans, trouvé coupable d'avoir volé à son maître une montre d'argent de
la valeur de $16.
- Le supplice de la marque à Montréal vers 1835
Le supplice de la marque était infligé dans les cas d'homicide seulement.
Le patient était marqué dans la paume de la main droite avec un fer rouge portant
les lettres G. R. (Georges Roi).
Le bourreau procédait à l'opération immédiatement après la séance de la cour.
Le prisonnier passait sa main dans un bracelet à charnière fixé à la cloison de
l'appartenant en arrière des Sessions de quartier. Le bourreau sortait d'une
chambre attenante à la première où il avait fait rougir son fer sur un réchaud.
Il appliquait trois fois le fer rouge sur la main du prisonnier. A chaque
application, le patient était obligé de crier: Vive le Roi! S'il ne proférait
pas ce cri de loyauté sa chair grésillait sous le fer jusqu'à ce qu'il se fut
exécuté.
- Le supplice du fouet à Montréal vers 1835
Le supplice du fouet se donnait aux criminels qui s'étaient rendus coupables de
petits larcins. Ceux qui devaient subir la flagellation étaient attachés par
les mains à un poteau planté près du monument de Nelson.Le fouet n'était ps
administré aussi cruellement que dans l'armée anglaise, car il arrivait
rarement qu'il y eut effusion de sang. Le fouet était le châtiment des voleurs,
des récidivistes et des propriétaires de maisons malfamées. Très souvent le
supplicié, après la cérémonie, chantait le coq devant la populace qui l'acclamait
en disant: Ça c'est un game!
- La police et le guet à Montréal vers 1835
La police de Montréal se faisait dans le bon vieux temps par trente "Watchmen."
C'était le guet municipal.
Le constable était armé d'un bâton bleu ayant environ cinq pieds de long.
Plusieurs de ces bâtons sont encore conservés dans la cour de police.
Le "watchman" portait à sa ceinture un fanal et il tenait dans sa main gauche
une crécelle qu'il agitait lorsqu'il voulait appeler un de ses confrères à
son secours.
La nuit le constable criait les heures et les demi-heures. Lorsque Montréal
dormait le guet criait l'heure et ajoutait "All is well".
Le père de M. Schiller, le greffier de la couronne, était autrefois capitaine
du guet à Montréal.
Les constables étaient alors souvent appelés à supprimer des désordres au célèbre
Coin flambant.
- Le Coin flambant de Montréal vers 1835
On désignait sous le nom de Coin flambant l'encoignure des rues Lagauchetière
et St Constant.
Deux de ses maisons existent encore aujourd'hui.
Le Coin flambant était composé de cinq ou de six maisons, érigées sur la
propriété Scott. Une de ces maisons était une auberge borgne et les autres
étaient occupées par des prostituées de bas étage. La nuit, il y avait toujours
des bagarres au coin flambant qui était le rendez-vous des matelots et des
hommes de chantier.
On s'y battait à coups de gourdins et à coups de couteau. PLus d'une fois les
rixes se terminaient par des meurtres.
On y rossait le guet et le désordre régnait en permanence. Les maîtresses des
maisons du coin flambant étaient en 1830 les nommées Cécile Boissel,
Louise Visée, Rosalie Pâquette et Mary Anna Pâquette. Ces noms ont figuré
plusieurs fois dans les archives de la cour des juges de la paix.
La Patrie, mercredi 5 novembre 1884, page 4.