LE BON VIEUX TEMPS
La milice sédentaire - Une armée de guerriers paisibles.
- La milice sédentaire
Une armée moins disciplinée, moins aguerri, que celle du général Boum était la milice
sédentaire du Bas-Canada dans le bon vieux temps.
Pendant tout le temps de son existence qui date au delà du commencement de ce siècle
jusqu'à sa disparition en 1862, cette milice n'a jamais vu la fumée d'un camp ennemi
ses soldats n'ont pas endossé d'uniformes et leurs gibernes n'ont point contenu de
cartouches à balle.
La milice sédentaire ignorait la sévérité des cours martiales, et elle ne déployait
jamais les plis glorieux d'un drapeau de régiment dans ses parades. Bref elle était aussi
pacifique et inoffensive que l'armée du bon roi d'Yvetot.
- La milice sédentaire canadienne à Montréal
Les miliciens canadiens n'étaient passés en revue qu'une fois par année, le jour de la
St-Pierre. A Montréal, la parade se faisait sur le Champ de Mars, sur la place Viger,
sur le carré de la rue St-Denis en face du jardin, sur le Champ de Mars, à l'extrémité
nord de la place Papineau, et dans d'autres endroits de la partie ouest de la ville.
Les soldats étaient notifiés huit jours avant la démonstration qui avait lieu dans la
matinée. Les ouvriers arrivait sur le terrain avec la livrée du travail. Chaque
compagnie se mettait en rang devant son capitaine pour répondre à l'appel des noms.
C'était un spectacle comique de voir le sergent à droite de la comagnie, portant
à la main le bidon en ferblanc contenant son repas du midi. Plus loin était le caporal
avec un paquet de quelque chose sous le bras. La moitié des hommes avaient des riflards
de coton vert, jaune ou rouge. C'était une bonne précaution à prendre, car la croyance
populaire est qu'il pleut toujours le jour de la fête de St-Pierre. Le gouvernement ne
fournissait ni armes ni uniformes aux miliciens et à leurs officiers.
Des colonels et des majors qui prenaient leur rôle au sérieux importaient d'Angleterre
les costumes de leur grade. Ces uniformes étaient d'ordinaires en insurrection contre
les proportions de leur corps.
Les colonels et les majors portaient un caban surmonté de plumes blanches et rouges, une
large ceinture rouge, un habit rouges garni de boutons dorés et des pantalons blancs.
Leurs épaules disparaissaient sous de larges épaulettes dont les frnages étaient
d'une longueur demesurée. Ces officiers dans leur uniforme d'apparat produisaient
l'effet de généraux d'opéra-bouffe. On aurait cru voir les généraux Pataquès et
Monbardos. Lorsque tous les miliciens étaient placés en rang d'oignons, le capitaine
procédait à l'appel. Tout soldat dont le nom figurit parmi les absents était passible
d'une amende de dix chelins, mais les officiers, qui n'étaient pas ferrés sur la
discipline, ne traduisaient jamais le soldat réfractaire devant le tribunal des juges
de paix chargés de faire exécuter les lois de la milice.
Parmi les colonels commandant la milice sédentaire de Montréal il y a cinquante ans nous
voyons les noms des colonels Edouard Martial Leprohon, Michel Patrice Guy, Jules Quesnel
et Alexis Laframboise.
Après l'appel des noms quelques commandants, histoire de s'amuser, faisaient marcher leurs
soldats pendant cinq ou six minutes. Les seuls mouvements du militaire canadien étaient la
marche et la volte-face qui s'exécutaient avec un ensemble des plus déplorables.
- La milice sédentaire canadienne dans les campagnes
Dans les campagnes, les miliciens s'assemblaient comme en ville une fois par année, le
jour de la St-Pierre, devant l'église paroissiale. Le capitaine,
qui se prenait au sérieux, portait ce jour-là le sabre de son père et obligeait tous
les soldats de sa compagnie qui possédaient des fusils de chasse, de parader avec ces
armes.
Après l'appel des noms, le capitaine faisait exécuter quelques évolutions faciles à ses
hommes, en donnant le commandement en anglais. Il fallait entendre écorcher la langue
anglaise par nos bons canadiens! La parade finissait par une fusillade.
Le jour de la St-Pierre les cultivateurs avaient l'habitude de planter des mâts devant
les résidences des capitaines et autres officiers. Les miliciens tiraient presqu'à bout
portant sur le mât qui à la fin de la cérémonie se trouvait noircie par la poudre.
Il y avait de drôles de types parmi nos officiers de milice de la campagne.
A Lévis les miliciens paradaient en face de la forge d'Ignace Samson. Le capitaine donnait
à sa compagnie le commamdement: "Tournez-vous, faites face à la boutique de G'nasse!"
A Terrebonne le capitaine ne portait ni plume ni crayon, lorsqu'il faisait l'appel
de ses hommes. Il se servait d'une épingle pour piquer la liste près des noms des absents.
Les cadres de la milice sédentaire portaient les noms de tous les citoyens âgés de
18 à 60 ans. Les miliciens cessèrent leurs parades annuellles en 1862 lorsque Sir
George Cartier présenta le bill de milice qui fit tomber son gouvernement.
La Patrie, lundi 17 novembre 1884, page 4.