LE BON VIEUX TEMPS
Les duels et les batailles il y a 40 ans.
- Baguarre en règle et duel par pugilat en 1836
Nos grands-pères étaient très chatouilleux sur le point d'honneur et les rencontres
singulières étaient assez fréquentes. De 1834 à 1837 les esprits étaient surexcités par
les articles passionnés de la presse libérale et les discussions acerbes entre
adversaires politiques amenaient souvent soit un duel en règle soit une rencontre à
coups de canne ou à coups de poigts.
En 1836 il y eut une baguarre assez sérieuse dans le théâtre de Molson, situé, comme
nous l'avons dit, à l'endroit où s'élève aujourd'hui l'aile Est du marché Bonsecours.
Le rideau venait de se baisser à la fin d'une représentation et l'orchestre jouait l'air
de God save the King, air de rigueur à la fin de toute soirée dramatique ou
musicale. Il y avait dans le parterre l'élite de la jeunesse du temps et plusieurs
officiers du régiment en garnison à Montréal. Aux premières notes de l'hymne national de
la Grande Bretagne, les militaires s'étaient décoiffés et, voyant que plusieurs patriotes
restaient impassibles aux accords de cette musique loyale, ils voulurent les forcer
à ôter leurs chapeaux. Il y eut une véritable mêlée dans le parterre, les coups de canne
pleuvaient drus comme grèle, les banquettes furent désarticulées pour fournir des armes
aux combattants. Il y eut des yeux au beurre noir, des nez grecs changés en nez camards
et plusieurs figures mises en compote.
Un M. Rodolphe Desrivières, un bel homme au torse herculéen qui ignorait ce qu'était la
peur, était au plus fort de la mêlée et son poing s'abattait comme une massue sur les
bureaucrates qui reprenaient un billet de parterre. En cette occasion il fut provoqué en
combat singulier par le Docteur Jones, chirurgien de l'armée anglaise. Le cartel fut
accepté sur le champ et la rencontre eut lieu sur la rue Notre-Dame devant l'ancienne
église anglicane, bâtie à l'endroit où se trouve actuellement le magasin de MM. Lavigne
et Lajoie.
Le combat se fit à coups de poings et dura peu de minutes. L'avantage resta au Canadien
qui mit son adversaire en marmalade. Disons en passant que Desrivières était renommé
pour sa force prodigieuse.
Plus tard des propos un peu aigres échangés au tribunal entre
deux avocats, M. W. C. Meredith, aujourd'hui juge de la Cour Supérieure, et M. James
Scott, amenèrent un duel sérieux.
Les deux adversaires se battirent avec des pistolets au pied de la montagne. M. Scott
fut blessé à la cuisse, blessure qui le rendit infirme pour le reste de ses jours.
- Duel mortel au pistolet en 1839
En 1839, M. Robert Sweeney, inspecteur des potasses, provoqua en duel le major Ward,
du 71ième régiment Royal, pour venger l'honneur de sa femme.
La rencontre eut lieu dans un bocage sur la rivière St. Pierre avec des armes à feu.
La balle de Sweeney traversa le coeur du major. Celui-ci, lorsqu'il fut atteint par le
plomb mortel fit un saut de trois ou quatre pieds en l'air et retomba foudroyé sur le
terrain. Une cinquantaine de personnes, dont plusieurs vivent aujourd'hui, ont été
témoins de ce duel.
- Duels au pistolet en 1836
Peu de temps avant la rébellion de 1837 il y eut un duel entre M. Ludger Duvernay et
M. C. C. Sabrevois de Bleury. Ce dernier était un patriote qui avait apostasié la cause
libérale pour devenir bureaucrate. La Minerve l'avait vertement tancé pour sa
défection, ce qui eut pour résultat un cartel en règle. Duvernay accepta le combat et
se rendit sur le terrain.
DeBleury avait plusieurs années de salle et passait pour un tireur redoutable.
Duvernay, qui était novice au pistolet, manqua son adversaire et reçut une balle dans la
cuisse.
Pendant les polémiques ardentes entre l'Avenir et la Minerve MM. Jos Doutre
et Geo E. Cartier se rencontrèrent sur le terrain, mais le duel n'eut pas lieu à cause
de l'intervention opportune de la polie.
Parmi les duels du bon vieux temps où il n'y eut pas de sang versé, nous mentionnons
ceux de M. Ramsay et Labrèche-Viger, Dessaules et Morin, et last but not least,
Globensky et Mathieu.
- Duel au pistolet à Québec en 1858
En 1858, M. Fournier, rédacteur du National de Québec, (aujourd'hui le juge
Fournier de la Cour Suprême) eut un duel sur les Plaintes d'Abraham avec M. Vidal,
rédacteur du Journal de Québec. M. Fournier essuya le feu de son adversaire et
déchargea son pistolet en l'air.
- Autre duel par pugilat en 1836
Parmi les combats singuliers qui eurent beaucoup de retentissement à Montréal en 1836
nous avons oublié de mentionner la rencontre à coups de poings sur le Champ de Mars, entre
M. Alfred Rambeau et Norbert Dumas. Ce fut une partie de boxe en règle, en présence d'une
centaine de personnes.
L'avantage resta à M. Rambeau qui fit passer un mauvais quart d'heure à son adversaire.
On parla longtemps à Montréal de ce duel célèbre. La victime de M. Rambeau fut le sujet
d'une chanson composée par un M. Amyot, typographe français à la Minerve, un
drôle de pistolet qui se promenait en habit à queue et en chapeau de castor pendant
les froids de janvier. La chanson eut beaucoup de vogue. Elle avait été composée sur l'air
de gai lon là, gai le rosier.
Ce matin un vieillard nous a chanté le couplet suivant qu'il a toujours retenu dans sa
mémoire:
Et pendant une semaine
Dumas s'est soulé,
Buvant à gorge pleine
Avec de Lorimier,
Gai lon là
La Patrie, jeudi 20 novembre 1884, page 4.