Vieux souvenirs et vieux monuments
- L'emplacement de la colonne Nelson
Notre chronique du "Bon vieux temps" rappelle beaucoup d'anciens souvenirs, et nous
voyons, par la reproduction qu'en fait la presse française, tant au Canada qu'aux
Etats-Unis, que ces réminiscences ne sont pas sans intérêt.
Notre article de ces derniers jours sur la colonne Nelson qui décore depuis tant
d'années la place Jacques-Cartier, devait nous amener naturellement à parler des
monuments de Montréal, tâche qui n'est pas très ardue, et pour cause.
A propos de Nelson, on sait que plusieurs étrangers, des historiens mêmes, ont pris
son monument pour celui qu'on aurait dû ériger à Jacques Cartier à cet endroit.
La statue du héros de Trafalgar est en effet si déplacée dans ce quartier français, sur
cette place française qui porte le nom même du découvreur du Canada, qu'on ne doit pas
s'étonner de l'erreur; combien de Canadiens ne se sont pas eux-mêmes demandé ce que
l'amiral anglais avait fait pour la ville ou le pays, pour que Montréal lui donnât la
plus belle place qu'elle possédât alors.
La seule explication à cette anomalie serait que la place Jacques Cartier se trouvait
en 1808 l'endroit le plus convenable pour un pareil monument.
On a aussi eu le soin de placer la statue de façon à ce qu'elle tourne le dos au fleuve,
de crainte qu'on put supposer que le monument avait été érigé en face et à proximité du
fleuve pour rapprocher l'amiral de son élément. C'est si naturel de voir dans cette
position un homme qui a passé sa vie sur l'eau.
Les zélés souscripteurs, loyaux sujets britanniques, n'ont pas plus songé à ce détail
qu'ils n'ont songé à placer le monument plus à l'ouest. Ils se sont emparé du meilleur
coin et personne n'a eu à répliquer... Il y avait encore loin de 37 en 1808.
Montréal possède peu de monuments, si peu, que, pour une ville de sa richesse et de son
importance, ce fait n'est pas à sa louange. Cependant si cela peut acheter sa négligence
ou son oubli, nous dirons qu'elle en a élevé deux à la royauté, mais à plus d'un siècle
d'intervalle. Il ne faut pas gâter les bonnes choses évidemment.
- Le buste de Georges III
Le premier était un buste de Georges III, don de Sa Majesté elle-même qui svait être
généreuse à l'occasion; le second est la statue de la reine Victoria placée de
la façon la plus avantageuse possible dans la rue McGill et que l'on a cependant peine
à reconnaître sous la métamorphose que lui a infligé le temps.
Un jour, (le premier mai 1775), des sujets ingrats et déloyaux ont peint en noir le
buste de Sa Majesté Georges III et lui ont attaché une pancarte qui acheva, avec la
peinture, de lui enlever toute la majesté qu'il aurait pu avoir d'abord.
Les auteurs de ce crime pendable ne furent jamais découverts.
- La colonne Nelson construite en 1809
Ce monument fut le premier que Montréal ait possédé. Plus tard, vers 1805,
presqu'immédiatement après la mort de l'amiral Nelson, on ouvrit à Montréal des listes
de souscriptions pour ériger le monument au vainqueur de Trafalgar.
Dans la première pierre, a été placée une plaque de plomb sur laquelle sont inscrits
les noms et titres du héros, la date de sa mort, 21 octobre 1805, les noms des membres
du comité qui a fait ériger le monument, celui de l'architecte, un M. Mitchell, de
Londres, de l'entrepreneur Wm Gilmore, et enfin de la date de la construction
17 août 1809.
Les gros canons de la place Jacques Cartier qui relèvent l'apparence de la colonne et
dont les affuts ont été déjà plusieurs fois renouvelés viennent d'être transportés sur
le Champ-de-Mars pour y subir encore la même opération.
- Monument McTavish
Un autre vieux monument moins connu et qui existe encore à Montréal est celui que les
héritiers McTavish ont érigé à la mémoire de ce riche citoyen, qui avait commencé
la construction d'un immense chateau sur le versant de la montagne. Cette construction
se trouvait à l'endroit où est aujourd'hui la maison princière de MM. Allan.
On voit encore le monument en passant par le chemin du parc. Bien que le corps de
M. McTavish ait été transporté en Angleterre, on n'a pas songé à faire disparaître la
vieille colonne de pierre grise.
Beaucoup de personnes savent que toute une légende se rattache au chateau de McTavish
dont le toit recouvert de cuivre a longtemps brillé au soleil entre les bouquets
d'arbres qui l'entouraient.
Ses proportions immenses, sa construction abandonnée, la mort soudaine et mystérieuse de
son propriétaire, ses histoires de revenants, etc., constituent un épisode que les
romanciers pourrait exploiter avec profit.
Nous aurons probablement l'occasion bientôt de parler du chateau de McTavish.
La Patrie, lundi 1er décembre 1884, page 1.