LE BON VIEUX TEMPS
Extraits d'une lettre d'un septuagénaire sur sa vie
- Son entrée au collège de Montréal le 1er septembre 1819
Je crois intéresser mes lecteurs en leur donnant aujourd'hui quelques extraits d'une
lettre écrite par un septuagénaire à un de ses amis racontant des faits qui se rattachent
au bon vieux temps: "Je suis entré au collège de Montréal le 1er septembre 1819. J'ai
suivi deux ans le cours français, un an le cours anglais et trois ans le cours latin
sous la direction de feu M. Roch, directeur de l'établissement. (M. Roch était un
ancien militaire qui avait quitté l'armée pour entrer dans les ordres. Il avait reçu dans
une bataille, un coup de sabre sur la figure, qui lui laissa une balafre.)
Mes confrères de classe, au meilleur de mon souvenir sont tous morts. Je ne me rappelle
pas les noms de tous, mais en voici quelques uns: M. Brunette, prêtre et curé du
Sault au Récollet, le docteur Masson, autrefois député du comté de Soulanges, M. Moreau,
notaire à Montréal, M. T. De Coigne, un des patriotes de 1837-38, qui monta sur
l'échafaud, M. Euscher, le juge Lafontaine et M. de Lorimier, un autre patriote de 1837
qui finit ses jours sur la potence.
Mes deux ans de cours français ont été faits sous la direction de M St Pierre, l'anglais
m'a été enseigné par un M. Macdonnell, laïque, frère d'un ecclésiastique qui est devenu
plus tard évêque dans le Haut Canada. Mes trois ans de latin sous la direction de
M. Weilbrenner, ecclésiastique de Boucherville et M. Viau, de Ste Geneviève.
Il y avait au collège en ce temps-là MM. Houde et Desrivières, deux prêtres venus de
France avec M. Roch. Ces deux messieurs faisaient le cours de philosophie.
J'aurai soixante-seize ans le 3 avril prochain.
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- Gracié le 23 septembre 1839
après avoir été condamné à mort lors des troubles de 1838
Vers 1826, j'ai commencé à étudier la profession de notaire chez feu le notaire
Bellefeuille qui tenait son bureau avec feu le protonotaire Coffin.
J'ai abandonné la profession pour l'agriculture et en 1848 je me suis établi à X...
comme hôtelier et huissier audiencier. J'étais de plus chantre dans l'église.
Avant la rébellion de 1838, je me suis jeté dans ce tourbillon avec les autres. J'ai été
arrêté, on m'a fait mon procès à la cour martiale par laquelle j'ai été condamné à être
pendu. Ce n'est qu'au bout de 10 à 11 mois que j'ai été gracié sur cautionnement de
£4,000.
Quelques mois plus tard, j'ai eu mon pardon de Notre Souveraine, écrit en date du 23
septembre 1839 sur parchemin de 30 pouces de longueur et 20 de largeur et signé en tête
par J. Colborne et Daly, pardon que je conserve soigneusement.
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- Chargé du service funèbre en mer du docteur Roger Daoust:
février 1850
En novembre 1849, n'ayant pas assez d'affaires pour employer mon temps, je me suis
décidé à faire le voyage de Californie avec cinq amis.
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A Panama, nous nous sommes embarqués à bord d'un voilier le Charlestown.
Nous sommes partis le 6 janvier, jour des Rois, pour San Francisco, trajet qui a duré
51 jours par les vents contraires, et pénible par la mauvaise nourriture qui nous était
fournie à bord.
Durant la traversée sont morts sept hommes dont le dernier était le docteur Roger Daoust,
père de feu Charles Daoust, avocat, autrefois membre pour le comté de Beauharnois.
Comme tous les autres qui sont morts avant lui, il a été enseveli dans un morceau de
voile avec un sac de sable aux pieds et déposé sur un madrier élevé à la hauteur de
l'entourage du vaisseau. Dans ce moment trois ministres américains se sont approchés du
mort, mais deux frères portant le nom de McBean, d'origine écossaise, natifs du Canada,
protestants eux-mêmes et que je connaissais d'ancienne date, disent à ces ministres
(dans le seul but de les mortifier car ils détestaient les Américains) qu'ils n'avaient
aucune cérémonie à faire sur le cadavre d'un catholique, alléguant que les catholiques
étaient assez assez nombreux à bord pour arranger leurs affaires. Très surpris de cette
injonction, ces ministres se retirent de bonne grâce, en s'excusant même.
Après cette grossièreté, pour se venger, bien entendu, ces McBean viennent me dire
qu'ayant toujours été chantre et presque prêtre, il me fallait chanter ce service.
Il a fallu me rendre à leur demande et chanter le service, aidé d'un jeune Morrison, frère
du curé de Saint Valentin.
Nous étions trois cents passagers à bord, la grande partie était des protestants, tous les
chapeaux bas. J'ai entonné le Reqiem et le plus grand respect a été observé
durant toute la cérémonie.
Aussi pour la première fois j'agissais à un service comme chantre et prêtre. J'en étais
fier et de plus outre les morceaux ordinairement chantés, je n'ai pas passé un un seul
Oremus ou un Dominus vobiscum.
La Patrie, mardi 24 mars 1885, page 4.