- vendredi 24 septembre 1875, page 3
Cour du Banc de la Reine
Vendredi, 24 Sept, 1875.
La Cour s'ouvre à 10 heures, sous la présidence de l'Hon. Juge Ramsay.
MM Ritchie et Mousseau représentent la Couronne.
M. Bernard donne lecture du document nommant M. Chs. E Schiller aux fonctions de Greffier
de la Couronne, en remplacement de M. L. A. Desaulles.
Après les proclamations d'usage, les personnes suivantes sont assermentées pour servir
comme Grands Jurés durant ce terme:
Mathew M Gait, président; Firmon Corbeille, Charles Laurin, André Debrûle, Félix Bare,
Augustin Cantin, Bruno Loignon, Elie Asselin, Narcisse Quintal, Augustin Lalonde,
Charles S. Rodier, Jr; Augustin Lespérance, Alexander Theodore Hart, Wm Ramsay, Alexander
Forbes, Samuel Waddel, John Fairburn, John Fraser et John Craig.
La Cour lit ensuite l'adresse suivante aux Grands Jurés en langue anglaise et française:
MM. les Grands Jurés,
C'est pour remplir un des devoirs les plus importants de la vie civile que vous avez laissé
sur la sommation qui vous en a été faite, vos occupations ordinaires en cette saison des
affaires. Vous êtes appelés à prendre part à l'administration de la justice criminelle et
la tâche principale qui vous est dévolue est de discerner entre les différentes accusations
qui vous seront soumises, celles qui devront subir l'épreuve d'un procès. Dans le langage
de la loi cela s'appelle trouver une accusation "fondée" ou "non fondée".
Votre Président écrira sur le dos de tout acte d'accusation que vous aurez trouvé fondé
les mots "a true bill" et au dessous il signera; sur les actes d'accusation que
vous ne trouverez pas bien fondés les mots "no bill" et signera de même.
Afin de pouvoir conclur s'il y a lieu à déclarer fondé ou non fondé un acte d'accusation,
vous examinerez les témoins produits de la part de la poursuite. Il n'est pas nécessaire
de les interroger tous. Il suffira de constater qu'un crime a été commis et qu'il y a des
motifs raisonnables de croire que le prévenu est coupable du délit. Comme règle générale,
vous n'avez pas à examiner les témoins en faveur de l'accusé; vous n'êtes pas chargés de
faire son procès; votre tâche se borne à rechercher si les présomptions de la culpabilité
sont tellement fortes que l'accusé doit être assujeti à l'épreuve d'un procès public.
Le Grand Jury dans ses recherches doit jusqu'à un certain point s'écarter de la règle
que les simples présomptions d'interprêtent toutes en faveur de l'accusé. Il est de son
devoir de soumettre l'accusé à un procès même dans les cas où la preuve de la Couronne,
non contredite, n'est pas absolument conclusive. D'un autre côté, la possibilité de sa
culpabilité ne serait pas, dans tous les cas, une raison suffisante pour envoyer un
prévenu devant le petit jury. Il faut une preuve qui tende à l'incriminer personnellement.
Il n'est pas nécessaire que tous les Grands Jurés présents concourent dans la déclaration
que l'acte d'accusation est bien ou mal fondé. Sans doute, l'unanimité est désirable autant
que possible; mais le concours de 12 Grands Jurés suffit pour justifier l'endossement du
Président. Bien entendu, que s'il y a une grande différence d'opinion, le Président aura
bien soin de s'assura que son verdict a reçu réellement l'assentiment de 12 grands jurés.
Pendant que j'en suis à définir vos devoirs et la manière de les remplir, j'attire votre
attention sur le serment que vous avez prêté. Pesez-en bien les termes et soyez
strictement fidèles à ce qu'il vous est prescrit. Il trace de justes et sages règles de
conduite, règles que vous avez solennellement juré d'observer, et le serment n'est jamais
une affaire de forme soit qu'il soit donné en vue d'un acte futur ou pour appuyer
l'affirmation d'un fait. Quelquefois il arrive que le serment prêté par les Grands Jurés
est involontairement violé, le plus souvent ce sont des indiscrétions au sujet de ce qui
se passe dans leur chambre de délibérations. Vous devez tenir secrets les avis qui vous
sont donnés de la part de la Couronne et ceux que vous émettez vous-mêmes. Toute
communication des affaires qui viennent à votre connaissance confidentiellement en votre
qualité de Grands Jurés est en violation du serment que vous avez tous prêté.
Je regrette de ne pouvoir vous donner l'espoir que vos travaux seront de courte durée.
Un écrou malheureusement trop chargé réclame votre attention. La plus grande partie des
accusations mentionnées dans cette longue liste appartiennent à une espèce de délits
tellement fréquents qu'il n'est pas nécessaire de vous donner des instructions
détaillées à leur sujet.
Toutes dangereuses que soient les entreprises des criminels ordinaires, elles tombent dans
une insignifiance relative, comparées aux menées de fauteurs d'assemblées séditieuses
qui après avoir ameuté le peuple l'organisent en corps pour aller mettre en état de siège
l'autorité légalement constituée. Deux fois dans les quelques derniers mois, cette cité et
ses environs se sont vus menacés de désordres de cette nature.
Dans la première occasion une foule de gens ignorants, guidés par des démagogues audacieux
et égoïstes, qui cherchent à faire triompher leurs intérêts en soulevant les préjugés de
leurs dupes, s'est ruée sur l'Hôtel-de-Ville pendant que le Conseil délibérait sur
d'importants sujets concernant la santé publique, a interrompu la séance et même endommagé
la propriété de la Corporation.
Je ne sais si quelqu'un a été poursuivi pour ces désordres; mais une violation aussi
flagrante et aussi audacieuse de la loi se recommande naturellement à votre considération
même dans le cas où aucun acte d'accusation ne vous serait soumis.
La seconde émeute a peut-être obtenu, jusqu'à un certain point, les sympathies de plusieurs
personnes. On devrait cependant savoir que l'obéissance à une disposition positive ou
injuste de la loi n'est pas un acquiescement dans son principe. Si les individus peuvent
s'opposer à l'exécution de décrets de la justice parce qu'ils trouvent la loi mauvaise
ou parce qu'ils dénient le droit d'action
ou trouvent erroné le jugement du tribunal, la force brutale deviendrait le suprême arbitre
de toute question.
Un personnage éminent, non seulement par sa position, mais aussi par ses qualités
personnelles, longtemps éprouvées et universellement reconnues, a, dans l'exercice des
devoirs incombant à sa charge élevée, expliqué cette question dans un langage fait pour
être compris aussi bien par des malveillants que des enthousiastes. C'est le devoir de
tous ceux qui sont constitués en autorité de faire connaître à l'occasion leurs vues sur
des questions de cette nature, et ce devoir s'impose davantage à ceux qui sont chargés
de l'administration de la justice criminelle.
En parlant ainsi, je suis mû par le sentiment de ma part de responsabilité et par
l'obligation de vous rappeler celle qui vous revient.
Je regrette d'avoir à ajouter que ni dans l'un ni l'autre cas, il ne se soit trouvé une
force suffisante pour faire respecter la loi. L'absence de moyens préventifs est non
seulement une cause de tentation pour les malfaiteurs, mais elle conduit fréquemment à des
collisions regrettables, qu'avec un peu de prévoyance on aurait facilement pu éviter.
Le résultat d'un conflit entre la loi et la violation de la loi ne devrait jamais être
douteux. C'est autant régle d'humanité que de prudence.
Il ne me reste plus qu'à ajouter, Messieurs, que la Cour et ses officiers seront toujours
prêts à vous donner toute l'assistance possible dans l'accomplissement de vos devoirs.
- Lundi 27 septembre 1875, page 2
L'EMEUTE. - L'avocat de la Corporation, M. Roy, a terminé l'enquête au sujet du
soulèvement des anti-vaccineurs, et les dépositions de dix-huit témoins ont été soumises
au magistrat de police. Il est rumeur que la première chose qui sera faite maintenant à
propos de cette malheureuse affaire sera l'arrestation des citoyens qui ont agité l'opinion
publique sur la question, en parlant aux assemblées populaires convoquées dans le but
de s'opposer au règlement projeté de la vaccination compulsoire.
- mercredi 29 septembre 1875, page 2
ACCUSATIONS. - Hier avant midi, des actes d'accusations ont été soumis au Grand Jury
contre les prétendus chefs du double mouvement populaire qui a eu lieu au Conseil de Ville,
lors de la discussion du règlement relatif à la vaccine, et au cimetière catholique de la
Côte des Neiges quant M. Doutre avec ses amis s'est présenté en funèbre appareil à la porte
restée close, pour requérir la sépulture ecclésiastique en faveur de son mort si obscur
dans la vie, et devenu depuis si célèbre.
- mercredi 29 septembre 1875, page 2
PROTET CONTRE UNE PARTIE DE L'ADRESSE DE L'HONORABLE JUGE RAMSAY AU GRAND JURY.
Au Rédacteur de LA MINERVE,
Monsieur,
C'est avec regret que nous avons à exprimer notre désapprobation à une partie de l'adresse
de Son Honneur M. le juge Ramsay au Grand Jury, concernant l'émeute du Conseil-de-Ville.
Nous approuvons entièrement le savant Juge lorsqu'il dénonce la conduite de ceux qui ont
violé la loi en détruisant la propriété publique, mais nous protestons hautement contre
quelques unes des assertions faites par le savant juge qui, évidemment, étaient basées sur
de faux renseignements, et aussi contre les motifs qu'il prête gratuitement à ceux qui ont
exprimé publiquement leur désapprobation du règlement du Conseil, concernant la vaccination
compulsoire. Nous affirmons que nul homme n'a le droit de détruire la réputation d'autrui,
et que moins que personne, le Juge qui siège pour administrer à tous une justice égale,
ne peut s'arroger ce droit. Tout en admettant que le Juge doive dénoncer le crime, et
recommander l'arrestation de celui qui est soupçonner l'avoir commis, nous prêtendons
qu'il n'a pas le droit de stigmatiser et de déclarer coupable prématurément une personne
qui n'a pas encore subi son procès, surtout lorsqu'une pareille dénonciation est faite
par le Juge qui devra entendre la cause, en présence de ceux qui seront appelés à en
décider les questions de faits.
Le savant Juge a parlé de corps organisé pour résister à la loi. Nous affirmons
que pareille chose n'a jamais existé, et qu'elle ne sera jamais prouvée que par le
serment du parjure.
Le savant juge a aussi parlé de démagogues égoistes, cherchant à tromper le peuple
ignorant, dans le but de servir leur intérêt privé, sans égard aux inconvénients qui
pourrait en résulter pour les autres. Il est bon que le public sache que le plus grand
nombre de ceux qui se sont opposés au fameux règlement, sont des personnes qui ont vieilli
dans l'étude et les recherches de la science, et que tous, sans exception, ont toujours
joui de la plus haute respectabilité parmi tous.
La question n'était pas de savoir, comme le donne à entendre le savant juge, si quelques
démagogues égoistes réussiraient à tromper le peuple, pour servir leur intérêt personnel,
mais c'était de savoir si des hommes instruits et une population intelligente, devaient se
soumettre en demeurant silencieux, aux préjugés ou aux excentricités de quelques anglais,
lorsqu'on les menaçait, eux spécialement, d'un règlement absurde qui violait le domicile
et la liberté du citoyen.
Aujourd'hui, la question pour nous est de savoir si les élucubrations d'un enthousiaste
comme le conseiller Stephens doivent trouver un écho sur le banc des juges.
Nous sommes certains que le savant juge Ramsay a été induit en erreur par des informations
mensongères.
L'ASSOCIATION SANITAIRE ET DE SURVEILLANCE DES CITOYENS DE MONTREAL."
- lundi 11 octobre 1875, page 2
Cour du Banc de la Reine
14ÈME JOUR.
Samedi, 11 Octobre.
La Cour s'ouvre à 10 heures, sous la présidence de l'Hon. Juge Ramsay.
A l'ouverture de la Cour, les grands jurés déclarent qu'on leur a soumis des affidavits
relativement à l'émeute qui a eu lieu à l'Hôtel-de-Ville, au sujet de la vaccination.
Ils désirent laisser à la Couronne la responsabilité de tout nouveau procédé dans cette
affaire.
La demande des grands jurés est soumise aux avocats de la Couronne...
- mardi 12 octobre 1875, page 2
Cour du Banc de la Reine
15ÈME JOUR.
Lundi, 11 Octobre.
A quatre heures les Grands Jurés présentent les accusations suivantes comme fondées:
Philippe Masse, vol de moutons; Henri Césaire St Pierre et autres personnes mal
intentionnées pour tumulte et riot à l'Hôtel de Ville, et comme non fondées contre Charles
Thibault, Alfred Roy et le Dr. Joseph E. Coderre, même offense.
Les Grands Jurés sont ensuite déchargés.
- lundi 18 octobre 1875, page 2
COMMUNICATION
Montréal, 15 octobre 1875.
M. le Rédacteur,
Je vois dans la Minerve du 13 courant, que le procès de M. H. C. St. Pierre
est fixé à lundi prochain. Comme ce procès regarde spécialement l'association sanitaire et
de surveillance des citoyens de la cité de Montréal, nous invitons tous les membres et
amis de l'association, qui ont assisté aux différentes assemblées, à venir donner leurs
noms, comme témoins, pour la partie Est, chez les Dr. Coderre et Dagenais, et pour la
partie Ouest, à mon bureau, no. 231, rue St. Joseph, afin de prouver que jamais aucune
parole tendant à susciter une émeute, n'est jamais sortie de la bouche de M. St. Pierre.
Inutile d'ajouter que tous les citoyens ont intérêt, au nom de la vérité et de la justice
à venir laver ce monsieur de la souillure dont on veut flétrir son nom.
Votre, etc.,
P. A. ROY,
Sect.
- jeudi 21 octobre 1875, page 2
A PROPOS DE VACCINE - Le procès de M. H. C. St. Pierre, avocat, accusé d'avoir été
un des instigateurs de la scène tumultueuse qui eut lieu lors de la prise au considération
de la question de la vaccine obligatoire au Conseil-de-Ville, devait avoir lieu hier, mais
a été ajourné de nouveau à aujourd'hui; peut-être ne viendra-t-il devant la cour que
demain. Plusieurs témoins se sont offerts spontanément à la défense qu'on dit être armés
de toute pièce pour faire mettre l'accusation à néant. L'accusé sera défendu par MM.
Gédéon Ouimet, C.R., L. O. Loranger, W. H. Kerr, C.R., et D. MacMaster.
- jeudi 21 octobre 1875, page 2
Cour du Banc de la Reine
Mercredi, 20 Octobre 1875.
Présidence de l'Hon. Juge Ramsay.
Sur application de l'hon. M. Ouimet, C.R., le procès de M. H. C. St. Pierre, accusé d'avoir
porté le peuple à l'émeute, est remis à demain...
- jeudi 21 octobre 1875, page 3
Cour du Banc de la Reine
Jeudi, 21 Octobre.
SEANCE DE L'AVANT-MIDI
La Cour s'ouvre à 10 heures sous la présidence de l'Hon. Juge Ramsay.
MM. Ritchie et Mousseau, C.R., représentent la Couronne.
Henri Césaire St. Pierre, avocat, subit son procès. Il est accusé d'avoir porté le peuple
à l'émeute.
L'Hon. M. Ouimet, C R, MM Kerr, C R, L O Loranger et MacMaster, comparaissent pour la
défense.
Le premier témoin appelé est l'Echevin Geo Washington Stephens; voici un résumé de son
témoignage: Le 9 août dernier, je me trouvais à l'Hôtel de Ville, où il y avait séance du
Conseil. J'arrivai entre sept et huit heures, et je remarquai qu'une grande foule de
personnes se tenaient aux abords de l'Hôtel de Ville, sur le balcon où se trouve la porte
d'entrée du Conseil, qui est gardée par deux agents de police.Je vis M St Pierre qui me
demanda si je voudrais le laisser entrer en donnant un ordre à cet effet à un des
hommes de police. Je ne connaissais pas M St Pierre; je lui refusai ce qu'il me demandait.
En entrant, je remarquai que la salle du Conseil et le grand couloir qui y conduit, étaient
combles. Je vis alors que l'accusé était parvenu à entrer.
J'entrai dans la salle d'attente. Quelques instants après, j'entendis crier et applaudir
dans la salle des séances du Conseil. J'allai voir ce qui pouvait se passer et je vis
M St Pierre souriant à la foule qui l'acclamait.
Le témoin entra ici dans de longs détails sur la scène de désordres qui a eu lieu dans la
salle des audiences du Conseil, lorsque les membres eurent pris leurs sièges. Plusieurs
pierres furent lancées dans les fenêtres. Le témoin faillit même être blessé par une de
ces pierres.
Mes collègues et moi, continue M l'Echevin Stephens, avons gardé nos sièges jusqu'à ce que
l'Echevin Foster fut blessé à la tête par une pierre. On transporta M Foster dans la
chambre du Maire, où tous les soins nécessaires lui furent donnés. Pendant ce temps, il
nous fut impossible de siéger décemment, à chaque instant, nous étions interrompus par les
cris de la foule qui se trouvait dans le Conseil. Nous avons dû ajourner sans avoir pu
nous occuper des affaires ordinaires.
M. St. Pierre était assis à deux ou trois pieds de moi. Il souriait et échangeait des
signes avec plusieurs des personnes qui se trouvaient dans les galeries. Il semblait
être en excellents termes avec ces gens. Il fut impossible aux échevins de se faire
entendre durant la séance; dès que quelqu'un d'entre nous essayait de parler, des cris
et des huées lui fermaient la bouche.
La foule qui était dehors, faisait aussi un grand bruit et lançait des pierres. On aurait
dit qu'il y eût un complot tramé d'avance pour assaillir les membres du Conseil-de-Ville.
J'ai remarqué qu'au commencement de la séance du Conseil, une des fenêtres de la salle
était remplie de monde. Vers le milieu de la séance tout ce monde disparut, laissant la
fenêtre libre. Ce fut justement en cet endroit qu'on lança le plus de pierres. Cela m'a
paru si singulier, que j'ai cru alors que c'était un complot organisé d'avance.
Les pierres furent lancées par la foule qui se trouvait sur la rue St. Paul.
Cette scène de désordre dura pendant plus d'une heure et demie, jusqu'à ce que les échevins
eurent quitté leurs sièges.
Je suis sorti un des derniers de la salle, avec l'échevin Foster; la foule d'était alors
dispersée.
Interrogé par M. Kerr:
Les galeries de la salle du Conseil ont coutume d'être remplies d'auditeurs, seulement
lorsqu'il s'agit de règlements concernant les chemins de fer ou la vaccination. Depuis
9 ans que je suis membre du Conseil, je n'ai vu qu'une seule fois une foule semblable;
ce fut lorsqu'il s'est agi d'un règlement relatif aux bouchers. Cependant cette foule
n'était pas aussi tapageuse que celle qui entourait l'Hôtel de Ville le 9 août dernier.
Les deux globes furent brisés avant que la foule du dehors commença à lancer des pierres.
Je ne crois pas que les pierres lancées dans la salle et dans ma direction, m'étaient
spécialement destinées ainsi qu'à l'échevin David, car nous étions tous les deux opposés
à certaines clauses du règlement concernant la vaccination.
J'ai parlé une fois à M. St. Pierre pour lui dire que si j'en avais eu le pouvoir, je
l'aurais fait entrer. C'est la seule conversation que j'ai eue avec M. St. Pierre.
M. F. W. Penton, chef de police de Montréal.
Dans la soirée du 9 août dernier, vers 7 heures, je me rendis à l'Hôtel de Ville. J'étais à
fumer sur la galerie, quand l'échevin Bryson, est arrivé. Nous avons fumé pendant quelque
temps ensemble, quand le messager d'Arcy est venu nous informer que les galeries de la
salle étaient remplies. Je montai et je constatai, en effet, que les galeries étaient
remplies.
Le Conseil s'assembla et le maire adjoint prit le fauteuil.
Quelque temps après, la foule qui se trouvait dans la salle lança des cris de "non! non!".
Un des globes du gazelier de la salle fut brisé. Je suis convaincu que la pierre qui a
brisé ce globe a été lancée de la galerie. Peu de temps après que le Conseil fut assemblé,
le défendeur est entré dans la salle. A son arrivée, on s'est mis à crier, dans les
galeries, "St. Pierre! St. Pierre!" Le défendeur s'est avancé, a pris son chapeau d'une
main et a salué à droite et à gauche. Alors on a commencé à lancer des pierres. Je me
disposais à sortir avec mes hommes, quand le maire-adjoint me dit de rester qu'il y avait
autant de besoin de nous en dedans qu'au dehors. Quelque temps après, je demandai à M.
St. Pierre, s'il avait quelque influence de sortir et d'empêcher la foule de briser les
vitres de l'Hôtel de Ville. A ma suggestion, le défendeur est sorti. Le bruit n'a pas cessé
à la sortie du défendeur. Le bruit n'a cessé qu'après l'ajournement du Conseil.
Par M. L. O. Loranger:
J'étais dans la salle du Conseil depuis environ une demi-heure lorsque le défendeur y est
entré. Je suis demeuré dans la salle jusqu'après la séance. Ce n'est pas moi qui a permis
au défendeur d'entrer, je le jure positivement. Il pourrait se faire que quelque homme de
police eût permis à M. St. Pierre d'entrer dans la salle. Il y avait des hommes à la porte
et en haut de l'escalier pour empêcher la foule d'entrer par là. Il est à ma connaissance
que la foule a interrompu les séances du Conseil mais il n'y a jamais eu de chef.
La séance du Conseil a duré très peu de temps ce soir-là, environ une heure et demie à
deux heures. Je me rappelle qu'il y a eu une motion pour ajourner la séance. On a pris le
vote sur cette motion. Quelques échevins se sont opposés à cette motion.
On m'a informé qu'après que M. St. Pierre fut sorti, il a dit à la foule de ne pas lancer
de pierres.
M. Andrew Cullen, agent de police: Le 9 août dernier, vers 9 heures, on vint m'informer au
bureau de police, qu'une foule tumultueuse était à briser les vitres de l'Hôtel de Ville.
Je m'y rendis avec l'agent de police Murphy, sur notre chemin, nous avons arrêté une
personne ramassant une pierre. Nous l'avons conduite à la station, puis nous nous sommes
rendus à l'hôtel de ville.
Je suis monté dans la salle du Conseil, en cherchant à apaiser la foule, j'ai reçu une
pierre. Je n'ai pas vu le défendeur ce soir-là.
Par M. MacMaster:
Lorsque je suis arrivé à l'Hôtel de Ville, il y avait beaucoup de vitres de brisées. Quand
je suis arrivé, le Conseil était en séance depuis longtemps.
M. Joseph Richer, agent de police: Le 9 août dernier, vers sept heures et demie, je
descendais à l'hôtel de ville, je me suis rendu dans la salle du Conseil. Quelques minutes
après, je vis monter la foule dans les galeries. Environ un quart d'heure plus tard, j'ai
vu M. St. Pierre entrer dans la salle du conseil. Au moment de son entrée, les cris de
"voilà M. St. Pierre; voilà M. St. Pierre" se sont fait entendre dans les galeries, M.
St Pierre s'est assis et a salué poliment la foule des galeries.
On m'a donné l'ordre de prendre quelques hommes avec moi, d'aller à la porte ouest et de
ne laisser entrer personne. Nous avons trouvé la porte fermée. Une foule immense frappait
à coups doubles et demandait à entrer. Nous avons ouvert la porte, et je leur ai dit qu'ils
ne pouvaient pas entrer, qu'il y avait assez de monde. Vu qu'ils ne partaient pas, j'ai dit
aux hommes de police: "Venez avec moi, nous allons les faire reculer." C'est ce que nous
avons fait sans trop de misère. Cependant, nous n'étions pas encore rentrés, que les
cailloux pleuvaient par derrière nous, dans la porte et dans les fenêtres. Nous avons
refermé la porte et laissé trois ou quatre hommes pour résister aux coups.
J'ai ensuite regagné la salle du Conseil. J'ai d'abord entré dans la salle d'attente.
Trois ou quatre pierres ont été lancées dans cette salle pendant que je m'y trouvais. Ces
pierres étaient lancées du dehors. Il y avait aussi beaucoup de tumulte dans la salle du
Conseil. J'ai entendu une voix dire: "le voilà qui va passer." Cette voix partait des
galeries et s'adressait à la foule du dehors. J'ai compris qu'il voulait parler du
règlement de la vaccination. Deux ou trois minutes après, une pluie de cailloux est
tombée dans la salle.
Par l'hon. M. Ouimet, C. R.:
Je n'ai jamais vu autant de monde que ce soir là aux délibérations du Conseil. Quand je
suis arrivé, la séance n'était pas encore ouverte. Le Conseil a ouvert la séance comme
à l'ordinaire. Je ne puis jurer si la séance était ouverte, quand M. St. Pierre est entré
dans la salle. M. St. Pierre a salué poliment, mais je ne puis dire qui il a salué. Je ne
puis dire s'il a répondu au salut de quelqu'un de ses amis, qui se trouvait dans les
galeries. Je ne sais pas ce qui s'est passé dans le Conseil.
Je ne sais pas s'il y a eu des vitres de brisées du côté de la rue des Commissaires.
Je n'ai vu personne diriger la foule dans cette occasion, ni en dehors ni en dedans du
Conseil.
La Cour ajourne jusqu'à deux heures.
- vendredi 22 octobre 1875, page 2
Cour du Banc de la Reine
Jeudi, 21 Octobre.
SEANCE DE L'APRES-MIDI
L'Hon. Juge Ramsey monte sur le banc à 2 heures et quart.
M. Thomas Foster, Echevin: Je suis un des membres de la corporation. J'étais présent à la
séance du Conseil le 9 août dernier. J'arrivai à l'Hôtel de Ville vers huit heures et
dix minutes. Il y avait beaucoup de personnes sur la galerie de la porte d'entrée. La foule
encombrait aussi le passage. D'autres Echevins m'ont dit qu'il y aurait une émeute, si
l'on tentait d'adopter le règlement concernant la vaccination.
Le conseil a été obligé d'interrompre sa séance deux ou trois fois, vu le bruit que la
foule faisait au dedans et au dehors de la salle.
Les pierres lancées venaient de la rue St. Paul. Plusieurs fenêtres ont été brisées. Une
pierre m'a atteint à la tête. J'ai alors laissé la salle des séances et je me suis
retiré dans l'antichambre. La séance n'était pas finie quand j'ai été frappé. Je n'ai
remarqué aucun chef, dans la foule; seulement, j'ai vu des personnes faire des signes de
la main.
Par M. L. O. Loranger:
A ma connaissance, les minutes du conseil n'ont pas été lues. J'ai eu connaissance d'une
discussion qui a eu lieu sur la motion de l'Echevin Roy pour rejeter le règlement
concernant la vaccination, mais il y avait tant de bruit en ce moment là, que je ne pouvais
pas comprendre ce qui se disait. Je ne me rappelle pas qu'un vote ait été pris pendant que
j'étais dans la chambre.
MM. Patrick Murphy[?] et James Kehoe, agents de police, rendent des témoignages qui ne
jettent aucune lumière sur la cause.
M. John Redpath Dougall, propriétaire du Daily Witness, dit que M. St. Pierre lui a
apporté une lettre et lui a demandé la publication dans son journal. Cette lettre est
signée M. H. C. St. Pierre. Le témoin produit la lettre.
M. Alfred Narbonne, fabricant de chaussures:
Quand M. St. Pierre est arrivé, la foule l'a acclamé. Je sais qu'il s'est adressé au peuple
et leur a dit que ce qu'ils faisaient était mal. M. St. Pierre s'est efforcé de calmer les
gens en leur disant que ce n'était pas par de tels moyens qu'ils réussiraient à obtenir ce
qu'ils voulaient.
Par l'Hon. M. Ouimet:
Je sais que des pierres ont été lancées dans les fenêtres du magasin de M. Lesieur. Je n'ai
appris que ce matin que M. Lesieur est le beau-père de M. St. Pierre. D'après les actes
de M. St. Pierre, j'ai compris qu'il prenait la part du Conseil.
M. J. B. Cardinal, agent de police: - Le soir que l'émeute a eu lieu à l'Hôtel-de-Ville,
j'étais à l'Union St. Joseph. Le dimanche précédent, j'ai assisté à une assemblée que a eu
lieu à la Place St. Jacques. M. St. Pierre a harangué la foule à cette assemblée. Il a
parlé contre un règlement concernant la vaccination. Il a dit au peuple de se rendre à
l'Hôtel-de-Ville et de protester paisiblement contre ce règlement.
Par l'Hon. M. Ouimet:
Je crois aussi que M. St. Pierre a proposé que l'on signât des pétitions dans le but de
s'opposer à ce règlement. Je crois que le Dr. Craig était le président de l'assemblée.
M. Charles Glackmeyer, Greffier de la Cité de Montréal, lit à la Cour le procès-verbal de
la séance du Conseil qui a eu lieu le 9 août dernier. Le témoin dit que le Conseil s'est
ajourné en partie au cause du tumulte qu'il y avait au dedans et au dehors de la salle.
J'ai vu dit-il, M. St. Pierre arriver à la fin. Par ses gestes, M. St. Pierre semblait
vouloir apaiser la foule. Autant que je me rappelle, M. St. Pierre est parti de la salle
avant la fin de la séance.
Par M. Loranger:
Je me rappelle que l'on a remis des requêtes qui ont été présentées au Conseil. C'étaient
des protestations contre le règlement concernant la vaccination. Ces requêtes avaient été
adoptées à des assemblées tenues à la Place St. Jacques et au Carré Papineau.
Ici se termine l'enquête des témoins de la poursuite, puis la Cour s'ajourne jusqu'à dix
heures demain matin.
Les jurés sont assermentés et reçoivent la permission de laisser la Cour.
- vendredi 22 octobre 1875, page 3
Cour du Banc de la Reine
Vendredi, 22 oct. 1875.
Présidence de l'Hon. Juge Ramsay. L'Hon. Juge Monk est aussi présent sur le banc.
M. Mousseau, C. R., représente la Couronne.
On continue l'enquête dans la cause Regina vs. H. C. St. Pierre, avocat.
M. John Redpath Dougall, propriétaire du Daily Witness, soumet à la Cour une longue
lettre écrite par M. St Pierre et publiée dans le Witness du 13 et du 14 d'août
dernier. M. Bernard donne lecture de cette lettre, dans laquelle M. St. Pierre donne des
explications détaillées sur l'émeute.
M. McQuinten, inspecteur de la cité: J'étais au Conseil de Ville le 9 août dernier. J'ai
vu un des globes du gazelier brisé. Je crois qu'il était impossible que la pierre qui a
brisé ce globe vint de la rue. J'ai vu M. St. Pierre ce soir-là; il était assis à la droite
du maire.
Il y avait beaucoup de monde dans les galeries.
Le globe a été brisé de bonne heure dans la soirée.
M. le Dr. A. B. LaRocque: Je connais le défendeur, M. St Pierre. J'ai entendu parler M.
St. Pierre à une assemblée au marché Papineau, environ trois semaines avant l'émeute.
M. St. Pierre a parlé du règlement relatif à la vaccination, qui devait être présenté au
Conseil de Ville. Il avait en main ce règlement. Il commentait ce document. Il disait
qu'en vertu de ce règlement, on isolerait les malades, on vaccinerait de force les enfants,
et on irait dans n'importe quelle maison chercher des malades atteints de la petite vérole.
Au meilleur de ma connaissance, M. St. Pierre a invité ses auditeurs à se rendre à
l'Hôtel de Ville pour protester contre ce règlement. On ne m'a pas donné le temps
d'expliquer ce règlement à la foule.
Ici, M. le Dr. LaRocque entre dans une foule de détails sur ce qu'il aurait dit au Carré
Papineau, si on lui eût permis de parler.
M. Loranger: Je ne sais pas si la Cour permettra au Dr. Larocque de faire ici le discours
qu'il n'a pas pu faire au Carré Papineau.
L'Hon. Juge dit au témoin de se borner aux faits qui se rapportent à la cause.
Le témoin continue:
Je n'ai pas assisté à la séance du Conseil. On est venu me dire qu'il y aurait une émeute.
Par l'Hon. M. Ouimet:
Comme médecin, je suis d'avis que la vaccination doit être compulsoire. Je connaissais le
règlement concernant la vaccination, ce règlement était connu.
Le président de l'assemblée du Carré Papineau était M. l'échevin Roy. Je me rappelle qu'une
résolution condamnant le règlement a été unanimement passée. J'ai proposé une résolution
contraire, qui a été rejetée.
M. Bernard donne lecture de diverses résolutions propposées par MM. St. Pierre, Dr.
Coderre, Dr. LaRocque, etc.
M. le Dr. Larocque continue son témoignage.
J'ai commencé à parler, et l'on m'a interrompu en criant: "C'est assez! c'est assez!" J'ai
alors cru que je ne pouvais continuer. Je ne me rappelle pas si M. St. Pierre a prié la
foule de m'écouter. Je ne sais pas si c'est à cause du règlement ou à cause
de mon impopularité que l'on m'a empêché de parler. J'ai été invité à assister
à cette assemblée.
Le Dr. Carpenter, qui a secondé ma résolution, a pu parler; il a pu dire, je crois, ce
qu'il avait à dire.
Je ne puis pas jurer que M. St. Pierre ait invité la foule à se rendre au Conseil-de-Ville;
autant que je me rappelle, M. St. Pierre a dit à ceux qui l'écoutaient d'aller et de
protester contre ce règlement.
A cet endroit des procédés, l'Hon. Juge en Chef Dorion vient s'asseoir à la gauche de
l'Hon. Juge Ramsay.
Le témoin continue:
M. l'échevin Roy, MM. Thibault, St. Pierre, MM. les Drs. Coderre, Dagenais, Carpenter et
moi, autant qu'il m'a été possible de le faire, avons pris la parole. Je me rendais là pour
dire à l'auditoire de suspendre son jugement sur le règlement. C'est M. l'échevin McCord,
et M. le Dr. Dogdale[?] qui ont proposé le règlement. Je ne faisais pas partie du Bureau de
la Santé, mais j'assiste aux délibérations du département.
Je n'étais pas en faveur de tout ce que contenait le règlement. Je ne me rappelle pas que
le Dr. Dagenais ait invité la foule à se rendre au Conseil, M. l'échevin Roy a dit qu'il
avertirait les gens quand ce règlement viendrait devant le Conseil.
M. Henri Boivin: J'ai assisté à une assemblée du Carré Papineau, à laquelle parlait
M. St. Pierre. Il a invité les gens à se rendre à la Corporation comme de bons citoyens et
si le règlement venait devant le Conseil, de remarquer les échevins qui voteraient en
faveur et de les punir aux élections. Il leur a dit que le moyen d'obtenir quelque chose
était de se rendre là sagement, et de protester par des requêtes qui devaient être signées.
Il leur a dit de se tenir tranquilles et d'attendre que le projet vint sur le tapis afin de
remarquer les gens qui voteraient pour ou contre. Je ne me rappelle pas qu'il ait dit
autre chose. J'ai aussi assisté à une autre assemblée tenue à la place St. Jacques. Je ne
sais pas ce que M. St. Pierre a dit à cette assemblée.
Je me trouvais dans la salle du Conseil-de-Ville, le 9 août au soir. Il y avait une grande
foule et beaucoup d'excitation. Quand il a été quetion du règlement concernant la
vaccination, la foule a crié: "Passez-le de suite, passez-le de suite." J'ai vu M. St.
Pierre ce soir-là. Il a fait son possible pour calmer la foule.
Par M. Loranger:
Plusieurs orateurs ont pris la parole à l'assemblée du Carré Papineau. M. St. Pierre a
invité les gens à protester sagement contre le règlement, en présentant des requêtes. Je
me rappelle que M. St. Pierre a dit à l'auditoire d'écouter M. le Dr. Larocque. M. le Dr.
Larocque n'a pas parlé longtemps.
M. le Dr. Médéric Demers: Je connais le Défendeur depuis l'assemblée qui a eu lieu devant
l'église St. Jacques. M. St. Pierre a parlé à cette assemblée. Il a commenté le règlement
concernant la vaccination. Il a dit aux auditeurs de bien remarquer ce qui se passerait
au Conseil au sujet de ce règlement; mais il leur a recommandé de ne pas user de violence.
Il a dit qu'il n'entendait pas que les gens aillent faire du tumulte; il leur a dit d'en
imposer par leur bonne tenue.
Par M. Loranger:
L'assemblée de la place St. Jacques était très nombreuse. Je ne me rappelle pas si l'on a
interrompu M. St. Pierre pendant son discours.
La Cour s'ajourne à midi et quart jusqu'à 2 heures p.m.
- samedi 23 octobre 1875, page 2
Cour du Banc de la Reine
Vendredi, 22 oct. 1875.
Présidence de l'Hon. Juge Ramsay. L'Hon. Juge Monk est aussi présent sur le
banc.
M. Mousseau, C. R., représente la Couronne.
On continue l'enquête dans la cause de regina vs. H. C. St. Pierre, avocat.
SEANCE DE L'APRES-MIDI
L'Hon. Juge monte sur le banc à deux heures et quart.
Ici commence l'enquête des témoins de la défense.
M. l'Echevin Alfred Roy: J'ai convoqué une assemblée publique au carré Papineau, au mois
de juillet dernier. J'ai fait annoncer cette assemblée par tous les journaux. Le but de
cette réunion était de prendre en considération le règlement concernant la santé. J'ai
invité M. St. Pierre et d'autres personnes à venir parler à cette assemblée. J'ai aussi
invité MM. les Drs. Coderre, Dagenais, Larocque, Duhamel, M. Thibault; j'en ai peut être
invité quelques autres dont j'ai oublié les noms. C'est moi qui présidait cette assemblée.
J'ai commenté un peu le règlement. Je me rappelle avoir invité mes commettants à se rendre
à l'Hôtel de Ville. Je leur ai dit alors que je ferais circuler des requêtes priant le
Conseil de ne pas adopter ce règlement, parce que les citoyens présents déclaraient
unanimement qu'ils n'en voulaient pas. J'ai demandé aux citoyens de se rendre en foule
au Conseil à la première séance qui aurait lieu, pour prouver que la grande majorité des
citoyens ne voulaient pas d'un tel règlement. Je leur ai dit en même temps que du moment
qu'il y aurait une assemblée du Conseil convoquée, je le leur ferais connaître. Je leur ai
dit qu'ils devaient être paisibles au Conseil, que leur requête parlerait pour eux.
M. St. Pierre a pris la parole après moi. Il a discuté une partie du règlement clause par
clause. Il a recommandé aux citoyens qui n'étaient pas en faveur du règlement, de signer
les requêtes qui seraient mises en circulation dans le quartier; il leur a demandé de se
rendre au Conseil, d'y être paisibles. Il a terminé son discours en présentant une motion,
qui est la première de celles qui ont été lues ce matin. Il y a eu une motion en amendement
proposée par M. le Dr. Larocque, secondée par M. le Dr. Carpenter.
J'ai soumis l'amendement à l'assemblée et j'ai dit aux citoyens que M. Carpenter
représentait le maire, et leur ai demandé de l'écouter comme il le méritait. Le
Dr. Carpenter a pu parler autant qu'il le désirait, je pense. Le Dr. LaRocque a voulu aussi
prendre la parole. J'ai demandé à l'assemblée de le laisser parler, que ce serait lui
rendre justice et en même temps que ça éclaircirait la question. L'assemblée ne paraissait
pas disposée à l'entendre. Il n'a pu dire que quelques mots, et l'amendement a été rejeté
à l'unanimité.
MM. les Drs. Dagenais et Coderre et M. Chs. Thibault ont pris la parole. Voilà à peu près
ce qui s'est passé à cette assemblée. C'est moi-même qui a mis les requêtes en circulation.
J'étais à l'assemblée devant l'église St. Jacques, le 8 août dernier. Au meilleur de ma
connaissance, c'est le Dr Craig qui présidait cette assemblée. Je n'ai pas entendu
complètement tous les discours qui se sont prononcés à cette assemblée. J'ai remarqué M.
St. Pierre, lorsqu'il a été interrompu; j'ai cru comprendre qu'il disait aux interrupteurs:
"Si quelqu'un veut faire de la discussion, qu'il monte sur la tribune."
A part cela, l'assemblée a été très paisible.
A l'assemblée du Carré Papineau, je n'ai pas compris que M. St. Pierre ait dit à la foule
quelque chose qui l'ait portée à aller faire du bruit au Conseil de Ville. Si M. St. Pierre
avait dit à la foule: "Rendez vous au Conseil, et quand la question du règlement viendra de
l'avant, vous crierez "non! non", je l'aurais entendu.
J'étais à l'assemblée du Conseil de Ville le 9 août dernier, et j'occupais mon siège comme
échevin. Je suis arrivé au Conseil à 7 heures et demie. je suis resté dans la salle des
comités jusqu'à vers huit heures et quart, et je suis entré dans la salle des séances.
Je ne puis pas dire si M. St. Pierre était alors arrivé. Je l'ai vu, au meilleur de ma
connaissance, durant la lecture des minutes.
Le globe qui a été brisé se trouvait juste en face de mon siège. Cette pierre m'aurait
atteint, si le globe ne l'avait arrêtée. Je pense que la pierre venait de la rue.
(L'indisposition d'un petit juré fait suspendre les procédés pendant un quart d'heure.)
M. Roy continue ensuite son témoignage:
J'ai vu M. l'échevin Stephens ce soir-là; il avait l'air effrayé. Après les premières
pierres, il me semble que M. Stephens a dit à M. St. Pierre devant moi que, comme il
paraissait avoir quelque influence sur la foule, il devrait essayer de l'apaiser. M. St.
Pierre est alors sorti.
D'après ce que j'ai vu, je ne considèrerais M. St. Pierre comme chef des émeutiers, pas
plus que moi.
Il y avait des vitres de brisées dans toutes les fenêtres du côté de la rue St. Paul.
Par M. Mousseau, C. R., représentant la Couronne:
Je sais qu'à l'assemblée du Carré Papineau, M. St Pierre a dit à la foule de se rendre au
Conseil de Ville paisiblement. Je ne puis rapporter textuellement ce qu'il a dit; mais
c'est là le sens de ses paroles. Je suis d'opinion que lorsque l'on voit un grand nombre
de citoyens, qui ont signé des requêtes contre l'adoption d'un projet, venir en si grande
foule aux séances du Conseil, c'est qu'ils s'intéressent profondément à ce projet; c'est
qu'ils veulent que la mesure soit adoptée ou rejetée, selon ce que comportent leurs
requêtes.
J'ai toujours été à côté de M. St. Pierre au marché Papineau. Il n'a certainement pas
invité les gens, à cette assemblée, à se rendre à l'Hôtel de Ville et à faire du bruit.
Toutes les pierres qui ont été lancées venaient de la rue St Paul; du moins, c'est là mon
opinion.
Je ne puis pas jurer positivement que M. Stephens ait parlé à M St Pierre.
L'assemblée de la Place St Jacques a eu lieu vers cinq heures de l'après-midi. Au meilleur
de ma connaissance, je n'ai pas vu M St Pierre entre l'assemblée qui a eu lieu à la place
St Jacques et la séance du Conseil de Ville.
Par le Juge:
J'ai souvent entendu crier dans les galeries: "Pas de vaccination," ou des paroles dans ce
sens. Quand nous avons invité les citoyens, à l'assemblée du Carré Papineau, ce n'était pas
dans le but de leur faire crier de telles choses.
M. le Dr J Emery Coderre: J'ai assisté à toutes les assemblées qui ont eu lieu au sujet
de la vaccination. J'ai entendu M St Pierre parler à ces assemblées, au Carré Papineau et
à la place St Jacques. M St Pierre avait été invité à assister à ces assemblées. Dans
aucune de ces circonstances, M St Pierre ne s'est servi de mots pouvant porter le peuple à
l'émeute. M St Pierre a dit à la foule de se rendre au Conseil d'une manière paisible,
comme de bons citoyens.
Par M. Mousseau:
J'ai assisté à l'assemblée du Carré Papineau. M St Pierre n'a donné aux citoyens aucun
autre conseil que celui de se rendre paisiblement à l'Hôtel de Ville.
M. le Dr Adolphe Dagenais: J'ai assisté aux assemblées du Carré Papineau et de la place
St Jacques. M St Pierre n'a dit aucun mot pour ameuter le peuple; au Carré Papineau, il a
commenté quelques clauses du règlement en faisant voir l'odieux de quelques-unes et le
ridicule de quelques autres.
M O A Auger, huissier: J'étais à la séance du Conseil de Ville, le 9 août dernier. J'y ai
vu M St Pierre. Je suis resté dans la salle tout le temps que la séance a duré. J'étais
près de M St Pierre. D'après ce que j'ai pu comprendre, il a fait tous ses efforts pour
apaiser le trouble; je le jure positivement. J'ai entendu M l'échevin David dire à M. St
Pierre "C'est votre ouvrage, allez arrêter le tumulte." M St Pierre est sorti tout de
suite.
Après les plaidoyers, faits par M. L O Loranger et l'hon. M. Ouimet, de la part de la
défense, et M J A Mousseau, de la part de la Couronne, et l'adresse du juge aux jurés, ces
derniers rendent un verdict de "non coupable" sans quitter leurs sièges.
Et la Cour ajourne.