- lundi 7 juin 1886, page 4
ASSISES CRIMINELLES
Audience du 7 juin 1886.
Présidence du juge en chef Sir A. A. Dorion.
MM. Schiller et Sicotte Greffiers de la Couronne.
On appelle les prisonniers et on leur lit les chefs d'accusation.
Patrick Monday, détenu de St Vincent de Paul plaide non coupable,
Pierre Levesque, a contre lui 3 chefs d'accusations, il plaide coupable à
l'accusation de tentative d'évasion, mais plaide non coupable à l'accusation de
tentative de meurtre.
Napoléon Cadieux plaide non coupable à l'accusation de tentative de meurtre et de
tentative d'évasion.
Napoléon Marcel plaide coupable à deux accusations de tentative de meurtre sur les
gardes Couvrette et McGillmin et à l'assusation de tentative d'évasion.
Alphonse Portelance plaide coupable à l'accusation de tentative d'évasion et non
coupable à l'accusation de tentative de meurtre.
Joseph Brouillet plaide coupable à l'accusation de tentative d'évasion.
Alphonse Desjardins plaide coupable à l'accusation de tentative d'évasion et à
l'accusation de tentative de meurtre.
Louis Viau comparaît à la barre.
Il plaide non coupable à l'accusation de tentative d'évasion et non coupable à
l'accusation de tentative de meurtre sur le député préfet M. Télesphore Ouimet.
M. H. C. St Pierre, C.R. comparaît pour ce dernier demande du délai jusqu'à demain pour
fixer le procès de Viau. On lui accorde jusqu'à deux heures P. M. Louis Viau a beaucoup
excité la curiosité des personnes présentes à la cour. A l'appel de son nom, tous les
regards se sont portés vers la barre et Viau s'est présenté la tête haute et l'oeil assuré.
Il paraissait très calme à chacune des accusations portées contre lui, après consultation
avec son avocat il répondait non coupable d'une voix forte.
La Cour accorde une entrevue du prisonnier avec Louis Viau afin d'établir ses moyens de
défense.
Le premier détenu qui subit son procès est Pierre Lévesque, accusé de tentative de
meurtre sur la personne de Ferdinand Chartrand, garde du pénitencier.
M. Aldéric Ouimet, C.R., avocat de la Couronne expose la cause aux jurés et établit
que Lévesque a essayé de tuer ou blesser grièvement le garde Chartrand.
Le premier témoin interrogé est M. Télesphore Ouimet, député préfet du pénitencier de
St Vincent de Paul. M. Ouimet est assermenté comme suit: j'agis comme préfet pro
tempore depuis le 24 avril, époque où fut blessé le préfet M. Laviolette, durant la
révolte des détenus. Je connais le prisonnier comme un détenu du pénitencier. Le prisonnier
fut reçu au pénitencier le 7 juillet 1885. Il y eut tentative d'évasion générale la veille
de Pâques 1886. Vers 4 ½ hrs p. m. le témoin était en dehors des murs dans la partie
sud est et entendit une décharge dans la partie sud-ouest du mur près de la tourelle No 3.
En entendant la décharge, il se transporta à l'endroit d'où était parti le coup.
En passant dans le jardin vis à vis le pénitencier, il vit une échelle accolée au mur,
les détenus Viau et Peters étant en haut. Le garde Chartrand était en haut du mur, dans
l'allée du gardien, ainsi que M. Kenny, jardinier.
Le garde Labelle était sur le mur à 150 pieds des personnes ci-dessus mentionnées. Ses
détenus Viau et Peters avaient déjà tiré plusieurs coups sur Chartrand et le témoin, lorsque
Lévesque apparut. Lévesque a tiré trois coups sur Chartrand et ce dernier tira avec sa
carabine sur le prisonnier, une balle traversant le chapeau du détenu. Lévesque avait un
révolver de calibre 38. Après avoir reçu la balle dans son chapeau, le détenu descendit
l'échelle.
Le prisonnier transquestionne le témoin mais il est impossible de saisir les questions qu'il
pose.
Ferdinand Chartrand, garde du pénitencier est assermenté et dépose comme suit:
J'étais dans le jardin du pénitencier lors de la rébellion. Je fus averti par la garde No 3
qui me dit qu'une échelle était placée près du mur.
Le premier que je vis monter sur le mur était Viau, le second était Peters. Je dis à Viau:
"si tu descends de là, tu n'iras pas plus loin, je te l'assure" voulant dire par là que
je tirerais sur lui. Viau entendant cela se retira. Pour donner l'alarme aux autres gardes,
je tirai un coup de carabine en l'air, Viau et Peters reparurent immédiatement ensemble en
haut de l'échelle armés de pistolet et tous deux tirèrent sur moi, sept ou huit coups.
J'entendis siffler chacune des balles.
Je ne vis point Lévesque tirer sur moi. Je ne le vis point non plus en haut de l'échelle.
C'est Viau qui m'a blessé. Je ne vis point le député préfet seulement que lorsque je
fut blessé. Je lui remis alors ma carabine. J'ai tiré deux coups sur les prisonniers et
un coup en l'air. Je n'ai vu que deux personnes en haut de l'échelle, c'était Viau et
Peters. Après avoir blessé d'autres coups ont été tirés sur moi. Je ne sais pas qui tira
alors. Tout cela s'est passé dans l'espace de 4 ou 5 minutes. Je suis encore invalide des
blessures que je reçus alors.
M. J. T. R. Loranger comparait pour le prisonnier sur la demande du juge et
transquestionne le témoin. Ce dernier déclare qu'il n'a pas vu Lévesque sur le mur. Les
derniers coups tirés sur lui ne pouvaient pas l'atteindre.
M. Ouimet C.R. pose au témoin quelques transquestions.
Le député préfet Ouimet rappelé dans la boîte des témoins, jure que lortsqu'il est arrivé
au moment même où Viau et Peters tiraient leur première décharge, que lorsque
Chartrand est tombé il donna l'ordre de tirer juste sur les détenus. Il jure aussi qu'il a
vu Lévesque tirer en même temps que Viau et Peters et que lui "Ouimet" était près de
Chartrand lorsqu'il est tombé.
Séance de l'après-midi
M. Ouimet déclare que la Couronne ne croit pas devoir poursuivre l'accusation d'assaut grave
sur Chartrand. Le juge ordonne au jury d'acquitter le prisonnier sur ce chef. L'accusé
déclare substituer un plaidoyer de coupable à son plaidoyer de non coupable sur
l'accusation d'assaut sur le garde Plouffe. La cour condamne l'accusé à deux ans de
pénitencier en sus de la sentence qu'il purge actuellement pour avoir tenté de s'évader.
La Cour réserve sa sentence sur la seconde accusation, celle d'assaut grave sur le
gardien Plouffe. Alfred Desjardins qui a plaidé coupable aux deux chefs de tentative
d'évasion et d'assaut grave sur un gardien est condamné à trois ans de pénitencier, en
sus de la sentence qu'il purge. La Cour réserve sa sentence sur le second chef.
Alphonse Portelance, qui purge une sentence de 4 ans de pénitencier pour vol, est
condamné à un an de plus pour tentative d'évasion. Joseph Brouillet déjà condamné à cinq
ans de pénitencier pour vol à Joliette est aussi condamné à un an de plus pour
tentative d'évasion.
Napoléon Martel sur qui pèsent trois chefs d'accusation est condamné à 3 ans de pénitencier
en sus de la sentence qu'il purge actuellement sur le premier chef d'accusation.
Le procès de Viau et de Munday est fixé à demain.
Le procès de Fermandez est fixé à demain.
On commence le procès de Métayer dit St. Onge.
- lundi 7 juin 1886, page 4
VIAU
Ainsi que nos lecteurs peuvent le voir dans notre rapport de la cour criminelle, Viau a
chargé M. H. C. St Pierre de sa défense. Ce dernier a eu une entrevue avec le forçat ce
matin pour établir les points de sa défense. Voyant l'intérêt que M St Pierre prenait à sa
cause, le forçat se prit soudain à pleurer comme un enfant: "Vous êtes le premier homme qui
me soit un peu sympathique depuis plus de 15 ans," dit-il.
Viau se propose d'adresser la parole lui-même aux jurés.
- mardi 8 juin 1886, page 4
ASSISES CRIMINELLES
Audience du 8 juin 1886.
Présidence de Son Honneur Sir A. A. Dorion.
A l'ouverture de la cour, M. Davidson fait motion pour que le détenu nommé Cochee[?] soit
amené de St Vincent de Paul à la cour, comme témoin nécessaire dans la cause de Viau...
Accordé
- mercredi 9 juin 1886, page 4
ASSISES CRIMINELLES
Audience du 9 juin 1886.
Présidence de l'Hon. juge en chef Sir A. A. Dorion. MM. A. Ouimet et
C. P. Davidson C.R. représentent la Couronne.
Joseph Hogue, condamné à 5 ans de pénitencier pour vol, plaide non-coupable à
l'accusation de tentative d'évasion et d'assaut grave sur la personne du garde
Bostock.
Daniel Hardell, condamné le 21 décembre 1885 à 14 ans de pénitencier pour homicide par
la Cour d'Assises d'Ottawa, plaide non-coupable à l'accusation de tentative d'évasion et
d'assaut grave sur la personne du garde Bostock. Procès fixé à demain. L'accusé demande à
la cour la permission d'assigner pour sa défense quatre forçats de St-Vincent de Paul
comme témoin. Le tribunal lui accorde cette permission à la condition de produire un
affidavit exposant les faits que les témoins devront prouver.
Les témoins qu'il demande sont: Thos. Yeoman, P. Duckett, W. Harris, Jos Carrière.
Adolphe Dagenais, condamné le 12 décembre 1885 à 4 ans de pénitencier pour vol avec
effraction plaide non-coupable à l'accusationn de tentative d'évasion et d'assaut grave
sur la personne de Wm. Bostock. L'accusé présente au tribunal la même requête que le
précédent. Requête accordée. Les témoins qu'il demande sont le garde Mazurette et les
forçats Deslauriers, St-Pierre et Paiement. J. B. Durocher accusé de tentative d'évasion
et d'assaut avec intention de meurtre plaide non-coupable.é Il déclare qu'il serait prêt
à subir son procès maintenant si on lui avait donné l'opportunité au pénitencier d'écrire
à Montréal pour avoir un avocat. En conséquence il demande un délai d'une journée. Accordé.
Les témoins suivants sont assignés pour sa cause.
Thos Yeoman, W.Wallace et J. McGovern, Alphonse Paiement accusé de tentative d'évasion
plaide non-coupable.
"Quand serez-vous prêt à subir votre procès? lui demande la cour. "Quand vous serez prêt
vous même" répond le forçat avec morgue.
Thos. Norman plaide non coupable aux deux accusations de tentative d'évasion et de
tentative de meurtre. Il demande de faire assigner les témoins suivants: Thos Yeoman, Wm
Harris et Pr. D. Duckett. John Fox (le fameux Fox) plaide non coupable à l'accusation de
tentative d'évasion. Il fait assigner comme témoins: Thos Brown, John Ritchie et James
Grady.
On appelle le détenu Bussières. Ce dernier apparaît à la barre.
On lui lit l'acte d'accusation déclarant qu'il a tenté de s'évader. Plaidez-vous coupable
ou non coupable? demande la cour. Le prisonnier ne répond pas. Il est sourd et muet.
On assermente alors un jury qui devra déclarer si le prisonnier est oui ou non sourd et
muet par malice ou par visite de dieu.
Le Frère Charette de l'Institutiion des sourds et muets du Côteau St Louis dépose qu'il
connait le prisonnier depuis 15 ans, qu'il le sait sourd et muet.
Le jury rend alors un verdict de "sourd et muet par visite de Dieu."
On assermente le même jury qui devra déclarer si le prisonnier a une intelligence
suffisante pour reconnaître le bien du mal. Le Frère Charette dépose encore que le
prisonnier est assez instruit pour comprendre. Le jury rend alors un verdict en
conséquence.
Le frère Charette explique alors par signes au prisonnier les deux actes d'accusations
portés contre lui: tentative d'évasion et assaut sur un des gardes. Le prisonnier répond par
signes qu'il plaide coupable aux deux accusations. L'hon. juge Dorion le condamne alors à 2
ans de pénitencier en sus du terme qu'il subit actuellement. Le prisonnier perd en même
temps ce qu'il a gagné par sa bonne conduite.
Le Grand Jury entre à ce moment dans la salle d'audience et rapporte un true bill
dans la cause de La Reine vs Louis Viau pour assaut avec intention de meurtre
sur la personne de F. Chartrand, garde du pénitencier.
Le Greffier appelle alors Louis Viau à la barre. Tous les regards se tournent de ce côté et
Viau traînant le boulet et portant la livrée du bagne apparaît à la barre. Il se cambre
fièrement et regarde l'assistance. De temps à autre il rejette la tête en arrière et
semble braver la cour. Bref, il a l'oeil intelligent et semble très confiant en lui-même.
On lui lit l'acte d'accusation et il répond avec aplomb: "Non coupable". On assermente alors
un jury et au moment où il vient d'être assermenté, M. H. C. St Pierre, entrant dans la
salle soulève une objetion.
Il déclare ne pas pouvoir procéder si on n'a pas les témoins essentiels, tel que le préfet
Laviolette et autres. Il dit qu'il ne croyait pas que la cause allait venir ce matin,
son client et lui n'en ayant pas été prévenus et fait en conséquence application pour que
le procès soit fixé à plus tard.
M. Ouimet en réponse à M. St-Pierre dit que lui-même a déclaré à M. St-Pierre que la cause
serait appelée ce matin.
L'honorable juge Dorion dit que l'application de M. St Pierre ne peut pas être admise vu que
le jury est assermenté. M. Ouimet explique alors les faits de la cause aux jurés et le garde
Ferdinand Chartrand étant assermenté, dépose en substance ce qui suit: "Je suis un des
gardes du pénitencier de St Vincent de Paul. Le 24 avril dernier, j'étais dans le jardin
près du mur d'enceinte, dans la partie sud du pénitencier avec M. Kenny et de plus avec 6
détenus que nous faisions travailler.
Je fus averti par un des gardes qu'une échelle était accolée au mur devant servir
probablement à l'évasion des détenus. Kenny et moi vimes l'échelle apparaître aau-dessus
du mur. Je vis deux détenus, Viau et Peters en haut de l'échelle. Je criai alors à Viau:
"Si tu descends, tu n'iras pas plus loin que le pied du mur."
Viau et Peters se retirèrent alors puis remontèrent. Je suis positif que Viau tira sur moi
avec un pistolet probablement volé à l'un des gardes. J'étais à une distance d'à peu près
60 pieds de l'échelle. 7 ou 8 coups ont été tirés sur moi. J'ai été blessé à la cuisse.
J'ai constaté que c'est Viau qui a tiré la balle qui m'a blessé. Ayant été blessé, je tirai
deux coups. A cent pieds de distance de moi, environ, se tenaient les gardes Labelle et
Ubalde Chartrand. Kenny, le jardinier, voyant qu'on tentait une évasion
s'était retiré avec les 6 détenus qui travaillaient sous nos ordres."
A ce moment un incident se produit en cour. Viau à qui rien n'échappe, s'adresse à la cour
et dit: "M. le juge, il y a là un des jurés qui dort, la cause est pourtant importante, je
désirerais que ce juré fut réveillé et déchargé." Toute l'assistance s'éclate de rire en
entendant cette interruption de la part de Viau.
Tous les regards se portent du côté du juré en question qui dort bel et bien. Un de ses
voisins le pousse et il lève les yeux tout ahuri de voir ce qui se passa autour de lui.
"avez-vous entendu le témoignage donné?" demande l'hon. juge Dorion. "Oui, répond
le juré. L'incident est alors clos et la cause continue. M. Ouimet, C.R. ayant fini de
questionner le témoin Viau demande à transquestionner lui-même le témoin, vu que
M. St-Pierre s'est retiré de la cause. La demande est accordée et Viau commence une série
de transquestions, qu'il pose avec une verve, un aplomb et une intelligence rares.
Il cherche à faire contredire le garde Chartrand en l'entraînant dans une foule de petits
détails. Les personnes avaient les yeux rivés à lui et pendant qu'il parlait on n'entendit
pas le moindre bruit. Il a simplement épaté l'assistance. De temps en temps, il prenait
des notes et lorsque Chartrand ne répondait pas à son goût, il lui disait avec animation:
"Répondez! Répondez directement aux questions que je vous pose. Pas de faux fuyant."
Au moment où il termine son interrogatoire, la cour ajourne à 3 heures.
SEANCE DE L'APRÈS-MIDI
On remarque dans la Cour la même affluence de curieux que ce matin et les commentaires
vont leur train sur la hardiesse, l'aisance d'allures et le sang-froid imperturbable de
Viau. Tout le monde s'étonne à juste droit du fait que la Couronne a sustitué l'acte
d'accusation incriminant Viau de tentative de meurtre sur la personne de M. le député
Ouimet à l'acte d'accusation l'incriminant de tentative de meurtre sur la personne du
garde Chartrand. Cet incident a été la cause que M. Saint-Pierre s'est retiré de la
cause.
M. François Couvrette garde du pénitencier de St Vincent de Paul est assermenté et dépose
comme suit: Le 24 avril dernier j'étais en devoir dans la boutique des tailleurs de pierre
du pénitencier de St Vincent de Paul.
L'instructeur des tailleurs est M. Isidore Therrien.
Il y avait 38 hommes dans la boutique des tailleurs de pierre le jour mentionné plus haut.
Le prisonnier était employé dans cette boutique-là, le jour susdit. Entre trois et quatre
heures le prisonnier vint demander à l'instructeur Therrien un ciseau à aligner disant que
le sien était cassé. C'était un prétexte pour se rencontrer avec Martel et Peters.
Viau et Martel venant de directions opposées, m'ont empoigné et m'ont lié mains et pieds,
me laissant étendu par terre. C'est Peters qui m'a lié les pieds. Viau m'a fouillé pour
avoir mon ppistolet. [A ce moment Viau déclare qu'il n'entend pas le témoin. La cour fait
répéter à ce dernier ce qu'il vient de dire.]
Le témoin exhibe son pistolet à la cour. Ce pistolet, déclare le témoin, porte à 20 pas.
Deux autres détenus attachèrent l'instructeur Therrien et le déposèrent à mes côtés. On a
enlevé les armes des autres gardes. Ceux des gardes qui ont été désarmés ont été attachés.
C'est Viau qui paraissait à la tête du mouvement. Quelques détenus empoignèrent le préfet
et l'entraînèrent où j'étais.
Peters lui lia les jambes et Viau lui enleva son pistolet. Un s'est alors écrié: "Délions
les jambes du préfet, il faut qu'il nous ouvre les portes.
Au moment de mettre sous presse, Couvrette continue à donner son témoignage.
- jeudi 10 juin 1886, page 2
Le procès Viau
Après avoir été sous presse, hier après-midi, on a continué à la Cour Criminelle, le
procès de Viau dont l'aisance d'allures et le sang-froid ont étonné tout le monde.
Il y avait foule aux deux séances de la Cour Criminelle, tellement qu'on a dû refuser
une foule de curieux.
Nous donnons cidessous la suite des témoignages les plus importants.
"Le garde Couvrette ayant donné son témoignage à la Couronne est transquestionné par Viau:
Ce dernier lui demande, entr'autres choses, si lui [Viau] et Martel n'ont pas essayé,
après l'avoir attaché, de lui donner tout le confort possible.
Le témoin lui répond: Vous avez eu le soin de me coucher dans le bran de scie pour que je ne
pusse rien voir de ce que vous alliez faire.
Plus tard, vous êtes revenu et avez dit aux autres détenus, en parlant de Plouffe. "Vous
n'avez pas trouvé son pistolet, vous autres; je le trouverai bien, moi, s'il en a un"
et en effet, vous le lui avez enlevé de la poche de son pardessus ou de son gilet.
C'est un nommé Jos Gauthier, un détenu, qui est venu me détacher. Le soir du 24, j'étais
de service dans le dortoir où Viau était. C'est mon collègue et moi qui avons allumé les
lampes. J'ai été allumer la lampe de Viau et il m'a dit: "Comment avez-vous trouvé ça de
vous avoir couché dans le bran de scie? Je lui répondis que je n'avais pas aimé ça.
Le Dr Brosseau, médecin et chirurgien de Montréal dit que lors de la tentative d'évasion
qui a eu lieu au pénitencier de Saint Vincent de Paul, il a été appelé à donner des soins
au garde Chartrand qui a été blessé. Il est positif que la blessure qu'a reçue Chartrand
a été causée par une arme à feu. La balle était celle d'un pistolet de gros calibre ou
d'uene petite carabine. La blessure pouvait être dangereuse car elle était tout près de
l'artère principale avoisinant le bras de l'abdomen.
Interrogé par Viau, il dit qu'il ne peut pas faire serment si la balle qui a atteint le
garde Chartrand était une balle de carabine mais elle était à peu près de la grosseur de
celle du calibre du pistolet soumis à la cour. Il n'a pas vu la blessure qu'à le garde,
mais il a vu celles du préfet Laviolette et il dit que les blessures de ce dernier et celle
du garde Chartrand ont été faites par des armes du mêmne calibre. Sur cet aveu, Viau
s'exclama: "Merci, M. Brosseau, c'est tout ce que j'ai à vous demander, c'est ce que je
voulais savoir, merci, monsieur."
Roch Labelle, un des gardes du pénitencier dépose qu'il a été de garde le 24 avril dernier,
à l'intérieur de la cour, jusqu'à 4.30 heures de l'après-midi. Quelqu'un lui apprit qu'il y
avait une révolte et qu'on travaillait à s'évader. C'est le garde F. Chartrand qui l'informa
de ça. Celui-ci se trouvait dans la cour centrale.
Le témoin a entendu la détonation des pistolets, il a reconnu Viau et Peters qui tiraient,
mais il ne peut dire lequel des deux a blessé Chartrand. Pendant cette attaque, le
sous-préfet se trouva entre le témoin et Chartrand, qui se tenait en bas sur le mur.
Chartrand s'est écrié tout à coup, "je suis blessé." Le sous-préfet lui a répondu:
"donnez-moi votre carabine." Le témoin a tiré deux coups de carabine sur les détenus qui
se trouvaient en haut de l'échelle.
Au bout de l'échelle, le témoignage a vu paraître d'autres capeaux, mais il ne put
distinguer si c'étaient des forçats, car on avait soin de ne pas trop se laisser voir.
Interrogé par Viau le témoin dit que lorsque Chartrand lui apprit que les forçats
cherchaient à s'évader il courut chercher une carabine et quand le sous-préfet lui a crié
de venir à lui, Viau était dans l'échelle, il lui voyait la tête. Il n'a pas reconnu
d'autre têtes que celles du prisonnier et de Peters. Il ne pouvait dire combien il y avait
de forçats dans l'échelle. Au meilleur de sa connaissance le prisonnier et Peters ont tiré
chacun deux coups sur le garde Chartrand qui se trouvait sur le petit mur à 100 pieds de
distance. Il ne peut pas dire si Viau et Peters ont été les premiers à apparaître dans
l'échelle, surtout il n'est pas positivement certain que c'est Viau qui a blessé Chartrand.
Le prisonnier dit au témoin: "vous visiez sur moi?" Oui, répondit celui-ci. "Et vous
n'avez pas pu m'atteindre ajouta Viau avec un air de satisfaction, même dans une position
convenable." Non, " réplique le témoin, car il arrive qu'on peut manquer son coup dans les
meilleures positions." Les carabines dont se servent les gardes peuvent porter à 600 verges.
Les gardes M. Chartrand et Antoine Plouffe sont ensuite examinés et ne révèlent
rien de nouveau.
Le garde Couvrette est de nouveau interrogé par la Couronne. Viau déclare n'avoir aucune
transquestion à lui faire.
Le charretier Jérémie Leblanc au service du pénitencier le 24 avril dernier, dit avoir été
saisi et garotté par Viau, Martel et Corriveau, qui l'ont ensuite désrmé.
Interrogé par Viau, il dit que ce sont Martel et Viau qui l'ont saisi. Viau d'abord et
Martel ensuite. Viau ne lui fait aucune menace, mais Martel l'a menaçé de violences.
Lorsqu'on l'eût garotté on l'a placé dans la tribune avec Plouffe, McKilwain et Couvrette.
C'est Levesque qui l'a transporté là. On ne lui a fait aucun mal. Viau; Martel, Durocher et
Corriveau étaient de ceux qui ont amené le préfet dans la tribune (boite). Le témoin
pouvait voir tout ce qui se passait. Il n'a pas vu les personnes qui adressaient des menaces
au préfet. C'est viau qui a désarmé ce dernier.
Après l'audition de ce témoin, l'avocat de la couronne déclare sa preuve faite. Le juge
demande à Viau s'il a des témoins à faire entendre, celui-ci répond que oui, si on veut lui
faire un procès équitable; ses témoins à entendre sont le garde Sanders et les détenus
Levesque, Martel et Durocher, puis le préfet Laviolette. Cette permission lui fut accordée,
mais la cour lui fait remarquer que M. le préfet Laviolette, à cause du mauvais état de
sa santé, ne pourra peut-être pas comparaître. Alors le prisonnier insiste en disant que
le témoignage du préfet lui sera d'un puissant secours pour faire sa preuve, car il est le
seul qui était bien à portée de voir ce qui se passait lors de la révolte.
Puis la cour ajourne.
- jeudi 10 juin 1886, page 4
LE PROCES DE VIAU
Nouvelles dépositions, - Viau adresse la parole au jurés, - Verdict.
Audience du 10 juin 1886.
Présidence de l'Hon. juge en chef Sir A. A. Dorion.
MM. Shiller et Sicotte, greffiers de la couronne.
MM. J. A. Ouimet et C. P. Davidson C.R. avocats de la Couronne...
On continue le procès de Viau. Ce dernier apparaît à la barre tout frais rasé, et tenand des
notes à la main.
Son premier témoin le forçat Jean-Baptiste Durocher est un anglifié
qui déclare ne pas parler français. Viau le questionne en anglais. "Durocher dit en
substance ce qui suit: Le 24 avril j'étais près de la nouvelle bâtisse dans la cour du
pénitencier. Une échelle fut appuyée sur le mur du côté sud. Viau et Peters montèrent les
premiers dans l'échelle. Cette échelle était dans la remise des tailleurs de pierre. Le
dernier sur l'échelle était Martel, Corriveau, Lévesque et Peters. En descendant de
l'échelle Corriveau lui dit qu'il croyait avoir tirer sur quelqu'un.
Viau et Peters remontèrent dans l'échelle après y être resté d'abord cinq minutes. Tous les
détenus sur l'échelle ont tiré à sa connaissance. Après que Peters et Viau furent descendus
la dernière fois de l'échelle personne d'autre n'y monta. J'ai vu Lévesque, Peters et
Corriveau tirer sur quelqu'un en dehors. Il ne sait pas qui était de l'autre côté des murs.
Je jure que Corriveau m'a dit qu'il avait tiré sur quelqu'un.
Viau déclare n'avoir aucune autre question à poser.
Transquestionné par M. J. A. Ouimet C.R., le témoin dit qu'il a travaillé toute la journée
du 24 avril seul dans la cour du pénitencier. J'ai vu le revolver dans les mains de Viau,
mais je ne l'ai pas vu tirer. J'attends mon procès.
J'ai été condamné trois fois au pénitencier. Une fois pour vol, une autre fois pour vol
avec effraction, une autre fois encore pour simple délit. J'ai été en prison une fois à part
cela pour vol.
Le garde Isaac Saunders est assermenté et dépose comme suit: Le 24 avril j'étais dans la
tour No. 2. Lorsque les prisonniers ont appuyé l'échelle sur le mur,
je les ai vus, j'ai tiré sur eux. J'ai vu Viau, Peters et d'autres, monter et descendre
l'échelle et tirer plusieurs fois. Je ne puis pas reconnaître ceux qui sont montés la 2e
fois, il y avait tant de monde. Je crois que Viau Lévesque et Corriveau tirèrent sur les
gardes en haut de l'échelle. Je ne puis jurer que Viau à tiré sur Chartrand étant à une
assez bonne distance des détenus. Viau remercie le garde Saunders de son témoignage.
Transquestionné par Viau. Je ne sais pas si le député préfet était dans le jardin.
Viau demande à questionner le député préfet Ouimet. Ce dernier est assermenté et dépose
comme suit:
"Quand Peters et Viau étaient sur le mur, j'étais près de Chartrand, je n'étais pas à
l'église quand le premier coup de feu a été tiré. Je jure que Lévesque a tiré en troisième
lieu. Viau a tiré 6 ou 7 coups. Levesque a tiré 2 fois. Je ne puis pas dire qui a blessé
Chartrand.
En transquestions par M. J. A. Ouimet C.R. Je suis positif que Viau a tiré du haut de
l'échelle.
Napoléon Martel, forçat du pénitencier est assermenté et interrogé par Viau.
J'ai pris part à la tentative d'évasion. Je suis monté dans l'échelle avec Corriveau,
Levesque, Viau et Peters. J'ai tiré entre l'échelle et le mur sur les gardes avec Peters et
Corriveau. Viau était en bas de l'échelle lorsque je tirai. Corriveau m'a dit qu'il pensait
avoir blessé un garde.
En transquestions par M. Ouimet. J'ai été condamné deux fois au pénitencier.
Viau demande à interroger le détenu Lévesque.
Ce dernier est assermenté et dépose comme suit: "J'ai été accusé par M. Ouimert d'avoir
tirer avec intention de meurtre sur le garde Chartrand.
Viau demande alors à entendre le préfet Laviolette. Le Dr Brosseau est assermenté et
déclare que le préfet n'est pas assez fort pour faire le voyage à Montréal.
En transquestion par Viau. "Les pistolets qui ont été exhibés à la cour me preuvent que
les blessures du préfet peuvent avoir été causées par eux.
Le garde Saunders est appelé à la boîte des témoins et déclare que le préfet Laviolette
n'était pas sur les lieux lorsque les prisonniers montèrent sur l'échelle.
A ce moment Viau dit:"
Je demanderais à la cour s'il y aurait un homme qui adresserait pour moi la parole aux
jurés, n'ayant pas les talents d'un orateur.
L'hon. juge Dorion répond qu'il ferait mieux d'adresser lui-même aux jurés.
MM. les jurés, dit Viau. J'ai quelque chose à vous dire. Beaucoup de dépositions ont été
prises.
Il y a eu beaucoup de contradictions. On à peu de sympathie pour moi.
Ma conscience me reproche rien, si j'avais voulu faire du mal au pénitencier, j'aurais pu
aisément le faire, mais ce n'était pas là mon intention. On a dit que j'avais tiré sur le
garde Chartrand. Vous avez sans doute entendu toutes les contradictions au sujet de cette
accusation. Là où on ne me voyait rien que le front, comment peut-on dire que j'ai tiré
avec intention de meurtre? C'est une impossibilité. J'ai fait venir des officiers du
pénitencier qui sont naturellement contre nous et eux qui étaient en meilleure position que
Chartrand ont dit qu'ils ne savaient pas si j'ai tiré. On ignore donc si j'ai tiré pui ou
non.
Par exemple on ne dit pas si l'on a tiré sur moi. Et je puis dire que c'est véritablement
miraculeux pour moi d'avoir échapper aux balles des carabines. Et lorsque j'ai vu mon
pauvre compagnon de malheur Corriveau (sensation) tomber à mes côtés alors qu'il cherchait
sa liberté, j'ai eu l'idée de me suicider: mais grâce à une bonne inspiration j'ai évité
de commettre ce crime.
Après être descendu de l'échelle j'ai pris la part du préfet Laviolette contre quelques
fanatiques. Il m'a remercié de l'avoir protégé. Une preuve que je n'ai pas tiré c'est que
si j'avais voulu tirer, j'avais devant moi quatre ou cinq gardes garottés dont les
pistolets étaient en ma possession. Viau rappelle ici aux jurés qu'il y a deux partis à
St Vincent, celui de M. Laviolette et celui de M. Ouimet. "Il peut se faire dit-il que
les gardes sur les murs, qui étaient des ennemis du préfet, aient tiré sur lui avec
intention de le tuer (mouvement). D'ailleurs il est déjà arrivé au pénitencier qu'un
garde a tué un autre garde. Je ne penses pas vivre bien longtemps au pénitencier, je sus
malade et l'ouvrage qu'on me donne altère de plus en plus ma santé.
Deux docteurs ont eu pitié de moi et m'ont recommandé à l'inspecteur Moylan, mais le
Dr Pominville est venu en accusateur dans mon cachot. Aussi je crois que le bon Dieu l'a
puni. Le soir même il se cassait une jambe (on rit).
J'ai déjà été puni assez sévèrement. On m'a enfermé dans le dongeon où il n'y a pas d'air.
J'ai une blessure sur la tête qui me fait horriblement souffrir et malgré cela on me fait
travailler. On s'étonne que je cherches à me sauver.
C'est pourtant tout naturel. On m'accuse d'avoir été le chef de la révolte. Trois heures
avant le temps je ne savais rien de ce qui se passerait. Viau termine son plaidoyer en
conjurant les jurés de bien peser le pour et le contre avant de condamner.
L'hon. Dorion fait alors la charge aux jurés. Il rapporte les faits de la cause. Le juge
conclut qu'en fait comme en droit Viau est coupable d'assaut avec intention de meurtre.
Le prisonnier parait d'après toutes les circonstances être le chef de la révolte. Après
quelques minutes de délibération le jury se retire puis rapporte un verdict de coupable
sur le premier chef d'accusation avec intention de commettre un meurtre.
SEANCE DE L'APRÈS-MIDI
Il y avait foule dans l'enceinte criminelle. Louis Viau à la barre! annonce le
greffier. L'assistance croit qu'elle va entendre la sentence du juge, sur l'accusation
dont il a été trouvé coupable, mais c'est pour lui lire un autre acte d'accusation, sur
lequel il aura à subir son procès. Au moment de mettre sous presse on procède à
l'examens des témoins.
- vendredi 11 juin 1886, page 2
LE PROCES DE VIAU
Nouvel acte d'accusation - Sentence du juge.
Séance de l'après-midi, 10 juin 1886.
Louis Viau reparaît à la barre pour subir son procès sous la prévention d'avoir tenté
de s'évader du pénitencier de St Vincent de Paul.
Il demande un jury parlant le français.
Les jurés suivants sont assermentés:
Isaïe Théoret, Aurélien Lavigne, Honoré Desforges, Siméon Legault, Julien Legault,
Antoine Gravel, Simon Meloche, Alphonse Lafontaine, Pierre Brault, Augustin Juneau, J. R.
Deganes, Xénophile Barbeau.
M. Ald. Ouimet, C.R., expose aux jurés les faits de la rébellion des forçats du
pénitencier, le 24 avril dernier et leur explique la part que le prisonnier a prise à
l'exécution du complot.
Le premier témoin appelé est Télesphore Ouimet, député-préfet du pénitencier de St
Vincent de Paul.
Il relate les différents incidents de la journée du 24 avril dernier au pénitencier de
St Vincent de Paul.
Transquestionné par le prisonnier, le détenu Peters était avecle prisonnier sur le mur
lorsqu'on tirait sur les gardes.
Lévêque a tiré deux coups sur les officiers. Peter a tiré quatre ou cinq coups. Il n'a pas
vu monter d'autres prisonniers sur le mur. Il a vu le prisonnier dans l'échelle. Le
prisonnier avait deux pistolets dans les mains. On a retrouvé cinq pistolets sur six.
Chaque garde a réclamé son pistolet à l'exception de Mcllwan.
Lorsque la police de Montréal est venue et lorsque le témoin est entré dans la cour du
pénitencier, le premier détenu qu'il a rencontré était Louis Viau. Il ne peut pas dire si
le prisonnier avait une arme à la main.
Le prisonnier demande au témoin. Pouvez-vous jurer que j'avais l'intention de m'évader
lorsque vous m'avez vu sur le mur?
Le témoin. - Oui.
Le prisonnier. - Comme ça, vous pouvez jurer que vous connaissez ma conscience. [rires].
Le témoin. - Oui.
M. Mazurette, garde au pénitencier, dit qu'il a vu le détenu Corriveau, occupé à défoncer
la palissade. Il avait autour de lui plusieurs de ses compagnons de chaines, mais il n'a pas
reconnu le prisonnier Viau.
Le garde McEllwain, dépose qu'il était en devoir dans la cour du pénitencier quand éclata
la révolte. C'est Viau qui le saisit par les deux bras en arrière; ce n'est pas lui qui
l'a attaché, mais il a aidé le détenu Martel à lui ôter son pistolet. On lui a fait des
menaces, mais il ne peut pas dire par qui elles ont été faites.
Après avoir été attaché, le témoin vit le prisonnier tenant deux pistolets dans ses mains.
Il a entendu Viau dire qu'il allait conduire le préfet devant lui afin de s'en faire un
rempart contre les gardes qui pouvaient tirer. D'après toutes les apparences, le prisonnier
cherchait à s'évader.
Interrogé par Viau, le témoin dit que le prisonnier n'était pas le seul à tenir alors
le préfet, il y avait aussi le détenu Cadieux et huit autres forçats. Il jure que Viau
étaient un de ceux qui tenaient le préfet, et il est positif aussi que c'est Viau qui a dit:
"Menons le préfet devant nous, et si les gardes font feu, ils tireront sur lui."
La couronne déclare son enquête close, et le prisonnier est appelé à faire sa preuve.
On demande au prisonnier s'il a des témoins à faire entendre, il répond que oui, et il fait
appeler le garde Sauders. Viau demande à Sanders: "M'avez-vous jamais entendu dire que je
désirais m'évader?" Le témoin répond que non. "C'est bien," dit le prisonnier, c'est tout ce
que je veux savoir de vous, merci.
Le prisonnier ajoute alors qu'il n'a pas d'autres témoins à faire entendre, le seul sur
lequel il pourrait compter, ce serait le préfet Laviolette, mais vu qu'on lui a déclaré, le
matin, qu'il ne pourrait comparaitre sans altérer sa santé, il n'insiste pas.
Alors le juge dit à Viau d'adresser la parole au jury. Viau répond: "J'ai déjà adressé la
parole au jury ce matin et je voudrais savoir si ce sont les mêmes jurés?" On lui répond
que non. Sur ce Viau parle à peu près en ces termes:
"Je ne croyais pas être obligé, MM. les jurés de vous adresser encore la parole vu que
j'avais déjà parlé ce matin. Je me trouve pris par surprise, car j'étais sous l'impression
que vous étiez les mêmes qui m'ont entendu ce matin. La Cour aurait pu m'en prévenir, alors
j'aurais songé à [?] mes témoins.
"Je dois vous dire que tous les témoins qui ont été interrogés ce matin se sont contredits.
Ils ont juré une chose quand l'avocat de la Couronne les a questionnés et ils ont répondu
tout le contraire aux questions que je leur ai posées. Tous ont dit que j'étais le chef
et cependant il n'y a pas un garde de service à l'intérieur qui puisse déclarer que je
commandais la révolte. Il ressort de tous les témoignages qui ont été donnés que je n'étais
jamais seul. Il y avait toujours, dans les diverses phases de la rébellion, sept ou huit
détenus avec moi et dans beaucoup de circonstances on ne m'a pas vu du tout. On n'a pu
prouver que j'avais fait du mal à qui que ce soit. Je n'ai pas plus tenté de m'évader que
les autres prisonniers, comme eux tous j'ai voulu simplement m'amuser.
"Le trouble a éclaté sans la moindre préméditation, avant les trois heures de l'après-midi,
aucun des détenus, pas même moi, y avait songé, seulement depuis quelque temps nous avions
à nous plaindre de la nourriture. On nous servait une "graisse" qui avait une couleur
noirâtre et une odeur nauséabonde. J'aurais peu être plus de choses à vous dire, mais vu
que j'ai été sous une fausse impression, comme je l'ai déjà dit en commençant, je ne puis
parler davantage. Pour vous il ne vous reste plus qu'à décider si je suis coupable ou
innocent, jugez-moi selon votre conscience."
Le juge fait son allocution, résume les faits de la cause en diant que tous les faits et
gestes du prisonnier étaient ceux d'un homme qui prend tous les moyens pour s'assurer
une évasion; il saisit les gardes, les garotte, les désarme, esclade un mur, et tire sur
les gardes, et il ne faut pas oublier que la tentative d'évasion est une faute très
grave, et toute la preuve qui a été faite est la charge du prisonnier.
Le jury rend un verdict de culpabilité.
Le greffier donne ensuite lecture au prisonnier d'un autre chef d'accustion, celui de
s'être évadé du pénitencier. On lui demande s'il plaide coupable ou non?
Il répond en hésitant: Je me suis évadé, mais c'est avec l'aide des gardes du pénitencier.
On m'a ouvert les portes et je suis sorti."
Alors vous plaidez non coupable? Oui, je suis coupable, puisque je suis sorti et j'étais
parti, tout le monde le sait, quand on m'a repris." Viau prononce ces dernières paroles
avec un éclat de rire.
Le juge demande au prisonnier s'il a quelques questions à faire à la Cour, car sa sentence
va être rendue?
"Oui, répond Viau", j'ai à dire que je n'ai pas eu un procès selon la justice. je devais
être libre, parfaitement libre tout le temps que ma cause a été instruite, la loi me
permettait cela, j'y avais droit comme tous ceux qui ont paru à cette barre aujourd'hui.
Cependant, on me tient ici depuis plusieurs jours, tout enchaîné, avec un boulet au pied,
et la preuve que je n'ai pas été pendant le procès qu'on m'a fait, la voici; puis passant
sa jambe droite par dessus la grille, il fait voir le boulet qu'il porte en disant: "ce
boulet pèse 11 livres et il ne m'a pas quitté un instant depuis que je comparais dans cette
cause."
Le prisonnier se plaint amèrement du régime rigoureux auquel il a été soumis depuis sa
tentative d'évasion qui a eu pour effet d'altérer beaucoup sa santé.
Le juge adresse la parole au prisonnier et lui dit que malgré l'objection qu'il vient de
lui faire, il se croit obligé de prononcer sur lui sa sentence. Il est inutile de
l'exhorter à entrer dans une vie meilleure, et de mieux faire à l'avenir, comme avec un
récidiviste de son espèce on n'a rien à espérer de bien de lui.
Puis il le condamne à 25 ans de détention au pénitencier, en expiation de sa tentative de
meurtre contre le garde Ferdinand Chartrand.
Viau reçoit sa sentence sans trop s'émouvoir. L'impression du moment disparue, il laisse
échapper un léger sourire.
La sentence sur les autres chefs d'accusation est suspendue.
Puis la cour ajourne à ce matin, à dix heures.