- mardi 12 mars 1889, page 4
COUR DU BANC DE LA REINE
Le procès de McGrath remis à lundi prochain
Son système de défense
Ce matin, un grand nombre de curieux envahissaient les couloirs du palais de justice,
pour entendre la célèbre cause de McGrath, accusé du meurtre de Holden, qui avait été
ajournée à ce matin. Leur attente a été de nouveau trompée, car à l'ouverture de la
cour, l'avocat de la Couronne, M. Trenholme, demandait un nouvel ajournement de la
cause, parce que deux témoins importants, le détective Carpenter et le constable
McMahon étaient absents de la ville en devoir professionnel et ne seraient pas de
retour avant la fin de la semaine.
MM. St. Pierre et McCormick, avocats de la défense, opposèrent fortement cette
motion et stigmatisèrent vertement la conduite de ces deux officiers de police qui
retardaient par leur absence une cause aussi importante que celle-là; d'autant plus que
la défense avaient des témoins qu'elle avait fait venir de loin et qui nécessitaient
des dépenses considérables.
La Couronne ayant consenti à se charger des dépenses de ces témoins, on remit la cause
à lundi prochain.
Comme cette cause intéresse beaucoup le public, nous croyons devoir publier la
défense que présenteront ls avocats du prisonnier:
On avait beaucoup d'ouvrage à l'hôtel Balmoral penant le carnaval et McGrath en sortait
tard le soir et s'y rendait de bonne heure le matin. Le soir en question il laissa
l'hôtel à 10 ½ heures et alla rencontrer sa femme au carré Victoria. Vers 11 ½ heures,
ils se rendirent à leur résidence. La chambre de Holden était adjacente à la leur et
peu après on vit arriver ce dernier avec la femme Jennie Roberts. Une querelle
commença entre Holden et sa femme et le prisonnier envoya chercher la police pour
mettre cette femme à la porte mais ne pût réussir vu qu'on n'avait pas de mandat.
Une autre querelle s'éleva entre la femme du prisonnier et Holden qui l'injuria de
la manière la plus brutale, insinuant qu'elle vivait en concubinage avec McGrath
et qu'elle ne valait pas mieux que la femme Roberts et il la souffleta. Le prisonnier
entendant ce qui se passait sortit de sa chambre et oubliant qu'il avait son rasoir
à la main, dans l'excitation du moment, en frappant Holden lui coupant la gorge
d'oreille en oreille.
Le Rév. R. J. Hobbs, de South Niagara est arrivé samedi dernier, en cette ville, ainsi
que MM. Cromley, maire de Niagara Falls et Skinner, marchand considérable du même
endroit, pour donner témoignage du bon caractère de McGrath qu'ils ont bien connu...
- lundi 18 mars 1889, page 4
McGrath devant les jurés
L'AFFAIRE DE LA RUE DES JURÉS
Le récit de la terrible tragédie...
Nous venons de sortir d'une affaire de meurtre qui s'est terminé par l'acquittement
de l'accusé Bensen et ce matin on appelle de nouveau une autre cause de meurtre.
Tout le monde se rappelle encore de la sanglante tragédie qui a eu lieu dans la rue
des Jurés et qui a coûté la vie au malheureux Holden.
L'accusé comparait à la barre dans une attitude digne, de nature à lui attirer toutes
les sympathies. Quoique mulâtre, on ne saurait découvrir en lui la moindre trace du
sang noir qui coule dans ses veines.
Après la lecture de l'acte d'accusation par le greffier on fait choix du jury suivant:
A. Mackenzie, W. Thornloe, Ralph C. Thornloe, C. W. Johnson, John Paterson,
J. Patterson, W. McLean, Jos. O'Clements, F. Peacock, Chas Tate, John Wallace et
M. Legallais.
MM. H. C. St Pierre et Duncan McCormick comparaissent pour l'accusé.
l'avocat de la Couronne, M. N. W. Trenholme, explique alors les circonstances dans
lesquelles s'est passée l'affaire.
Dans la nuit du 9 février dernier entre onze heures et minuit le nommé Holden arriva
à la maison de Mme Ennis, où il avait une chambre en face de celle du prisonnier au
coin des rues Alexandre et des Jurés. Il était en compagnie d'une femme du nom de
Jane Roberts.
Or il paraîtrait que le prisonnier et sa femme vexés de ce qu'il introduisit une
femme de réputation douteuse dans la maison seraient allés chercher la police pour la
chasser. Holden aurait fermé sa porte à clef et aurait commencé à injurier de la
manière la plus grossière et la plus outrageante la femme du prisonnier. La fille
Roberts voyant la tournure que prenaient les choses, serait sortie pour éviter la
discorde. La querelle commença de plus belle entre eux et finalement le prisonnier
serait venu à la rescousse de sa femme et aurait frappé à mort avec un rasoir le
malheureux Holden, qui tomba pour ne plus se relever.
L'avocat de la Couronne expose les faits avec beaucoup d'impartialité et admet qu'il
y a eu forte provocation de la part de la victime, mais qu'il n'était pas justifiable
pour cela d'agir comme il l'a fait.
Après un court exposé des faits, on fait appeler les témoins de la Couronne et de la
défense, et ordre leur est donné de se retirer dans une chambre sous la garde d'un
constable.
Le premier témoin appelé est le coroner Jones qui dépose que c'est lui qui a tenu
l'enquête à la morgue sur le corps du défunt Holden et produit les témoignages pris à
cette enquête.
Le grand connétable Bissonnette assermenté produit le rasoir à lui donné le 11
février dernier par le détective Carpentier.
Le Dr John Bell, dépose qu'il a fait un examen externe du corps du défunt Holden le
9 février dernier. Il était mort quand il est arrivé vers une heure du matin. Il
portait au côté gauche de la gorge un trou béant qui commençait à un pouce plus en
arrière que l'oreille gauche. Un filet de sang s'échappait encore de la blessure.
Elle a dû être causée par un instrument tranchant un rasoir par exemple.
La mort causée par une telle blessure est très rapide. Holden était étendu par
terre dans le passage de la maison portant le No. 74 rue des Jurés.
M. St-Pierre transquestionne longuement le témoin et lui demande comment la blessure
a pu être faite et comment le prisonnier a dû se servir de son arme. Le savant
practicien exprime l'opinion que la blessure a dû être faite de haut en bas et
transversalement.
Le témoin suivant est le détective Charpentier qui dit avoir, le 11 février dernier,
vers 3 ½ heures de l'après-midi, arrêté le prisonnier à Lachine, chez un nommé Clay.
Quand nous l'avons arrêté il a d'abord commencé par vouloir cacher son nom, mais n'a
offert aucune sorte de résistance. Il a admis s'être servi d'un rasoir qu'on trouva
dans ses poches, en le fouillant, pour frapper le malheureux Holden; mais il prétendit
avoir été provoqué de la manière la plus brutale. Sa femme avait été traitée par le
défunt avec la grossièreté la plus brutale et que ne pouvant supporter ces outrages,
il avait commis le crime dont on l'accuse maintenant.
Le constable McMahon dépose à peu près dans le même sens que le témoin précédent qu'il a aidé
à faire cette arrestation.
J. Stoneham est ensuite assermenté. Il demeurait lors de la commission du meurtre en question,
dans une chambre à côté de celle occupée par le défunt. Il se rappelle parfaitement bien tous
les détails de cette sanglante tragédie.
Dans la nuit du 8 au 9 février dernier, vers une heure du matin, il fut éveillé par le bruit
d'une querelle qui avait lieu dans le corridor et il entendit Mme McGrath, la femme du prisonnier,
qui reprochait au jeune Ennis de permettre à Holden d'amener une fille de mauvaise vie, Jane
Roberts, dans sa chambre. Le tapage continua pendant quelque temps et finalement on envoya quérir
la police.
Dans l'intervalle Holden avait fermé la porte de sa chambre, et il fut impossible à l'homme de
police d'y pénétrer; ce que voyant il s'en alla. Après cela le jeune Ennis ayant réussi à
persuader la jeune fiulle de s'en aller, il sortit avec elle pour la reconduire. Holden se
leva alors de son lit et vint trouver le témoin dans sa chambre pour lui demander une pipe de
tabac. Il avait l'air tranquille et comme si rien d'extraordinaire n'était arrivé. Après
avoir fumé une pipe de tabac il retourna dans sa chambre.
Peu après, il entendait une conversation entre une voisine du nom de Melle Murray et la femme
du prisonnier. Cette dernière diait: "C'est honteux, une telle conduite, introduire une
fille de pareille réputation dans une maison respectable," et autres expressoins du même
genre. Il entendit alors Holden lui répondre "mêlez-vous de vos affaires; puisque je paie ici,
j'ai le droit d'agir comme bon il me semble" et autres expressions que nous ne pouvons pas
reproduire dans notre journal...
Au moment de mettre sous presse Stoneham continue son témoignage.
- mardi 19 mars 1889, page 3
Coupable de "manslaughter"
Hier, M. St Pierre, l'avocat de la défense, offrit, à l'étonnement général,
un plaidoyer de "manslaughter" au nom de McGrath.
M. Trenholme - Je dois dire au nom de la Couronne, qu'en vue de la grande provocation
dont l'accusé a été l'objet, j'accepte ce plaidoyer.
Le juge, s'adressant à l'accusé: - Vous connaissez la nature du plaidoyer de
"manslaughter"?
Le prisonnier - Oui, Votre Honneur.
Le jury rendit un verdict en conséquence.
La sentence ne sera pas prononcée avant huit jours.
- mardi 26 mars 1889, page 4
McGRATH CONDAMNÉ A 14 ANS DE PÉNITENCIER
Ce matin, les juges Dorion et Church présidaient à la Cour du Banc de la Reine.
Le premier, au milieu d'un grand silence, fit appelé McGrath à la barre et lui
demanda s.il avait quelque chose à dire avant le prononcé de la sentence.
Le prisonnier d'une voix tremblante d'émition exprima la peine qu'il ressentait
pour le crime qu'il avait commis dans un moment d'excitation et sans la moindre
Le tribunal après avoir fait une revue succinte des faits de la cause dit que la
provocation de Holden n'était pas assez forte pour justifier de se porter à un crime
aussi grand que celui qu'on lui reproche. Il prendra néanmoins en considération
la requête adressée au tribunal en sa faveur par ses amis et ses bons antécédents.
Il est jeune encore et le tribunal espère qu'à sa sortie du pénitencier, où il sera
détenu pendant 14 ans, il se conduira de manière à faire oublier ce monstrueux
crime...