DISCOURS DE M. H.C. ST PIERRE
à l'occasion de l'inauguration au Carré Viger
de la statue dédiée à Chenier
samedi le 24 août 1895
Ce discours improvisé, un parmi plusieurs qui furent
donnés ce jour-là, eut lieu comme tous les autres au Monument National
à cause de la pluie et fut
reproduit in extenso dans l'édition de mardi le 27 août 1895
du journal La Patrie aux page 1 et 2. Il a été transcrit par
Jacques Beaulieu, arrière-petit fils de son auteur. A été ajoutée
une numérisation de la statue elle-même telle que trouvée à la page 1 du
journal La Patrie, édition du 26 août 1895.
DISCOURS DE M. H.C. ST PIERRE
Monsieur le Président,
Mes chers compatriotes,
Comme mon ami David, j'ai appris ce matin seulement qu'on m'avait désigné comme
devant être l'un des orateurs de la circonstance; cependant je ne me plaindrai pas de
cette invitation quelque peu tardive. Pour parler des héros de 1837, pour parler de
Chénier surtout, je n'ai pas besoin de méditation, ni de recherches, il suffira de
mon âme, de mon coeur de patriote.
"A tout seigneur tout honneur" dit le proverbe: Messieurs, il n'y a pas ici de seigneur
mais je réclame l'honneur de payer aux héros de 1837 ma part du juste tribut de gloire et
de reconnaissance qu'ils ont si vaillamment mérité. Cet honneur je le réclame par droit
de naissance: celui qui vous parle en ce moment est le fils de Joseph St Pierre, l'un des
survivants de Chénier.
C'étaient de sombres jours que ceux de 1837; mais à la lueur des coups de feu de St Denis,
St Charles, St Eustache, à la lueur des incendies allumés par la vengeance et la haine,
on aperçoit les mâles et nobles figures des "patriotes;" mais parmi elles je n'en vois
pas de plus mâle, ni de plus fière que celle de Chénier. Ovide Perrault, l'un des chefs,
a combattu en brave à St Denis, il a sacrifié sa vie comme Chénier pour la cause de son
pays; mais il est mort au sein de la victoire et il a pu recueillir une partie de sa
récompense dans l'ivresse du succès. Pour me servir d'une expression connue il est entré
encore vivant dans sa propre apothéose. Chénier, lui, a combattu un contre trente, et,
bien que pour résister à une armée de trois mille hommes il n'eut autour de lui que
deux ou trois cents compagnons dont près de la moitié étaient sans fusil, il n'a pas
reculé d'une semelle. Certain d'avance de la défaite, il a bravé l'ennemi jusqu'au bout
et il est mort en combattant comme un brave, les armes à la main.
Quelle était donc la cause de cette émotion si profonde, de cette colère si sauvage qui
à cette époque dominait notre population?
Vous les connaissez nos bons habitants des capagnes. Existe-t-il au monde une population
aux moeurs plus douces, aux habitudes plus paisibles? Assurément pour les jeter dans un
pareil état d'effervescence et de fureur, il fallut que l'expression
[sic; l'oppression] fût bien cruelle, la provocation bien violente,
l'insulte bien humiliante et
bien intolérable. Ah! Messieurs, je le sais, il s'en trouve parmi nous qui,
jouissant aujourd'hui paisiblement de tous les avantages et de toutes les libertés que
ces hommes courageux nous ont conquis, semblent s'imaginer que ce qui existe de nos
jours a existé de tout temps, et ces gens si tranquilles, si impassibles dans leur
bien-être, on les entend traiter d'imprudents et de rebelles ceux-là même de qui ils
tiennent tous leurs droits politiques, et chez quelques-uns d'entre eux la licence et
l'abus du langage vont jusqu'à l'ingratitude, jusqu'à la stupide et basse satisfaction
d'insulter leur mémoire. C'est pour cela que de temps à autre il est bon de remettre
un peu sous leurs yeux quelques-unes des pages de notre histoire et de leur faire
apprendre de nouveau à ces bureaucrates de nos jours ce qu'ils n'auraient jamais dû
oublier.
Elle est longue l'énumération des griefs dont se plaignaient les Canadiens-français en
1837. Pour les mentionner tous il me faudrait abuser et de votre temps et de votre
patience. Il me faudrait vous dire tout ce que contenaient les "92 résolutions,"
ce puissant plaidoyer qui, dans le temps, reçut l'approbation de l'immense majorité de
nos concitoyens. Le gouvernement était composé du gouverneur que nous envoyait
l'Angleterre et d'un certain nombre de ses affidés qu'il appelait son conseil et qui
avec lui disposaient à leur guise des fonds de la province sans en rendre compte à
personne.
L'assemblée populaire étaient traitée avec mépris et ne semblait exister aux yeux de ces
maîtres insolents que pour voter les subsides dont ils avaient besoin. Le Conseil
Législatif nommé par la Couronne et formé des partisans les plus zélés du régime
existant a été surnommé "L'Assemblée des Vieillards Malfaisants". Le pillage le plus
éhonté des deniers publics se faisait presqu'ouvertement sans que les représentants du
peuple pussent y porter remède. Le peuple demandait des écoles, des chemins publics,
des routes à travers la forêt pour ouvrir la colonisation. Tout lui était refusé. En
revanche, ces messieurs du pouvoir, ligués ensemble par ce que l'Histoire a déjà flétri
sous le nom de "Family Compact", se taillaient des fiefs dans les plus belles terres de la
province et se distribuaient tous les emplois les plus lucratifs. En 1836, presque tous
les employés publics étaient d'origine anglaise, et malgré que la population du Bas-Canada
fut de six cent mille habitants dont cinq cent vingt-cinq mille d'origine française,
47 fonctionnaire canadiens seulement se trouvaient dans les bureaux publics, occupant les
positions les moins importantes et les moins lucratives, tandis que tous les autres
employés, au nombre de près de deux cents étaient d'origine anglaise.
Les Canadiens-français étaient traités partout non seulement comme les restes d'un peuple
conquis, mais méprisés comme des ilotes et comme une race inférieure. Et pourtant c'était
bien cette même race
(Suite à la 2e page.)
qui, en 1812, vingt-cinq ans auparavant, s'était battu vaillamment pour le Canada à
l'Empire britannique. Nous n'étions ni une nation conquise ni une race inférieure le jour
où le sang des Canadiens-français, versé à la défense du drapeau britannique, avait rougi
le même sol, coulé dans les mêmes sillons, sur les mêmes champs de bataille.
La Chambre d'Assemblée décidait-elle de faire connaître les griefs du peuple au roi et
au parlement anglais, que, sous l'inspiration des membres du "Family Compact", cette
pétition était immédiatement suivie d'une contre-pétition envoyée par le Conseil
Législatif, protestant contre l'action de la Chambre d'Assemblée du Canada et assurant
Sa Majesté et les Chambres Anglaises que la majorité de ceux qui composaient la Chambre
d'Assemblée ici n'étaient que des séditieux, et que tout le Bas-Canada était "le mieux
possible dans le meilleur des mondes".
Les juges faisaient partie de l'exécutif et par là, dans le cas où la couronne était
intéressée, devenaient accusateurs et juges en même temps. Pendant longtemps le peuple
souffrit en silence. Il se contentait de pétitionner et de protester sous la parole
ardente de celui qui, par un consentement unanime, on a surnommé le "Le Grand", l'orateur
Papineau, comme on le désigne encore dans nos campagnes, réunit sur divers points du
pays toute notre population. Il y eut l'assemblée des six comtés à St-Charles, l'assemblée
du comté du Nord aux Deux-Montagnes, l'assemblée de l'île de Montréal et de l'île Jésu
à St-Laurent, partout sa voix vibrante et chaude se fit entendre et son ardent patriotisme
fut acclamé.
Ah! on a désigné les patriotes de 1837 comme des révoltés; on les a stigmatisés comme des
anarchistes dangereux prêts à se ruer sur l'édifice social pour le renverser et le
détruire. On a lâchement calomnié notre population si paisible et si fidèle dans sa
coumission aux lois.
Que voulait Papineau? Il voulait qu'on respectât, dans le Bas-Canada, les principes de
justice et d'équité qui font la base même de la constitution anglaise et sans l'observance
desquels il ne peut résulter qu'oppression et tyrannie. On a fait une révolution en
Angleterre, et Charles Ier a porté sa tête sur l'échafaud parce qu'il avait voulu taxer
le peuple et disposer de son argent sans l'assentiment de ses députés. Ce qui en
Angleterre, disait Papineau, a été considéré injuste et intolérable au point de soulever
tout le peuple, de renverser le trône et de faire tomber la tête du roi sur l'échafaud,
ne peut être ni juste ni équitable dans une colonie anglaise, peuplée d'hommes libres et
de races intelligentes. Papineau voulait qu'on mit fin aux injustices criantes dont le
peuple était la victime, Et le peuple approuvait et le peuple passait des résolutions et
envoyait des pétitions.
Un jour on apprend que des mandats d'arrestations sont lancés contre Papineau, Girouard,
Lafontaine, Morin et les autres chefs qui avaient défendu les droits de leurs concitoyens.
On les accusait de "haute trahison." C'était le dernier outrage qu'on pût faire au peuple.
On voulait le priver de ses plus sincères et de ses plus dévoués défenseurs. Papineau
accusé de haute trahison par l'exécutif dont le juge en chef faisait partie, le peuple
voyait là une condamnation prononcée d'avance. C'est alors, mais alors seulement que le
peuple se groupa autour de ses chefs pour les défendre. C'est alors qu'on se battit à
St Denis, à St Charles et à St Eustache.
Nos bureaucrates d'aujourd'hui nous disent: Ce combat de St Eustache a été l'acte d'un
imprudent. Chénier aurait dû se soumettre et renvoyer ses gens dans leur foyer. Se
soumettre? C'est-à-dire livrer au bourreau et à l'échafaud M. Girouard le chef politique des
Cantons du Nord - que, lui, Chénier et ses compagnons avaient juré de défendre! se rendre
coupable d'un acte déshonorant de lâcheté et de trahison - jamais. Ceux qui parlent ainsi
ont des notions sur l'honneur, qui, assurément n'étaient pas celles de Chénier et des
patriotes qui l'entouraient. De son poste à St Eustache, il pouvait voir s'avancer vers lui
toute l'armée de Colborne. Que pouvait-il faire dit-on encore contre une armée de 3,000
soldats avec deux ou trois cents hommes qu'il avait sous ces ordres. Ce qu'il pouvait
faire? Un vrai français songe-t-il à reculer lorsqu'il s'agit de l'honneur? Allex demander
aux soldats de la dernière guerre, aux soldats de Weissemberg et de Reishoffen s'ils ont
compté leurs ennemis avant de les combattre. Chénier s'est comporté en héros, voilà ce
qu'il a fait. Au moment où le combat va commencer, il est entouré de ses compagnons armés
de simples fusils de chasse, plusieurs sont absolument sans armes et vont lui en
demander. "Attendez le commencement du combat, leur dit-il, ceux qui sont sans armes
prendront les fusils de ceux qui seront tués." Trait héroique s'il s'en fut jamais et
peut être sans exemple dans les annales de la valeur française.
Le combat commence en effet et less patriotes se battent comme des lions. Vous connaissez
le récit de cet écrasement. Chénier blessé, une jambe fracturée, met un genou en terre et
et continue de combattre jusqu'au moment où une balle le frappe en pleine poitrine et lui
traverse le coeur. Presque tous ses compagnons étaient déjà morts en braves à ses côtés.
Malgré les affreux malheurs qui furent la suite de cette défaite, le pays tout entier
s'enorgeuillit de la bravoure de ses enfants et de l'héroïsme de Chénier. Son nom est
devenu légendaire et depuis cette époque: lorsque parmi les nôtres on veut distinguer un
homme intrépide, on dit: "Brave comme un Chénier."
C'est parce que Chénier a été dévoué, fidèle, patriote et brave jusqu'à la mort que nous
lui avons érigé une stèle. C'est parce qu'il a été le Héros et le Martyr de la cause du
peuple que sa mémoire durera dans le souvenir de ses enfants plus longtemps encore que
le bronze qui a reproduit ses traits et le granit dans lequel on a gravé son nom.
Messieurs, le combat de St Eustache a été une défaite et une victoire.
Les patriotesd furent écrasés par le nombre, mais il apprit à nos ennemis que le vieux
sang gaulois coulait encore dans nos veines et qu'il était imprudent et dangereux de
pousser à bout une population naturellement portée vers la paix et la tranquilité; mais
jalouse de ses droits et décidée à les faire respecter.
Il leur rappela aussi que si la race anglaise a horreur de la servitude et de l'esclavage,
les descendants des Bretons et des Normands qui peuplent le Canada ne sont pas moins
qu'eux fiers de leur liberté et de leur indépendance.
Le sentiment public s'émut en Angleterre. Le Parlement qui pendant si longtemps avait
traité toutes nos plaintes avec indifférence; nous accorda enfin ce que pendant si
longtemps on avait en vain sollicité de lui: le gouvernement responsable et le droit par
le peuple de contrôler les affaires du pays.
La révolution fut complète et le "Family Compact" devint pour toujours une chose du
passé. Voilà quelle a été la victoire des patriotes.
Messieurs, la statue de Chénier n'est pas un monument érigé par la rancune dans le but
de perpétuer des haines qui n'auraient plus de raison d'être. Le souffle de près de
soixante années a passé sur les évènements dont je viens de faire le récit. Toute la
génération de cette époque a disparu; et lorsqu'une réparation aussi complète et aussi
éclatante nous a été faite, quel besoin aurions-nous de réveiller sous cette poussière
si longtemps accumulée les souvenirs douloureux d'un époque eet d'un état de choses
qui ne reviendront jamais? Non, le seul sentiment qui a inspiré ceux qui ont érigé ce
monument, ça été un sentiment de reconnaissance pour le Héros qui a sacrifié sa vie pour
les siens et dont le sacrifice nous a rendu la liberté. Ce n'est pas la défaite avec ses
haines que rappellera le monument Chénier, c'est la victoire avec ses joies et ses
apaisements; c'est l'avènement si longtemps attendu de l'ère de la liberté.
Messieurs, vous le savez, je ne suis pas un homme politique. Cette déclaration ne vous
portera pas à croire, du moins je l'espère, que je suis moins qu'un autre l'ami sincère
de mon pays et de mes compatriotes canadiens-français; mais elle vous convaincra
davantage que, n'ayant aucun intérêt politique à ménager, je me sens plus qu'un autre
à l'aise pour vous parler de ce que sont nos devoirs à à nous, Canadiens-français, sous
le régime qui nous gouverne actuellement et que nous avons librement accepté.
Nous faisons partie d'une confédération, et l'ancienne province du Bas-Canada - maintenant
la province de Québec - est la seule province où la langue française soit la langue du
pays. Certains gens,parmi nous, semblent être continuellement à l'affût pour voir si,
un jour ou l'autre, nous serons un peu moins Français que nos pères l'ont été. Il
existe même un groupe assez considérable qui, de temps à autre, jette vers le golfe
St-Laurent un regard anxieux, dans l'espoir d'apercevoir de loin, non pas le drapeau aux
trois couleurs, mais le vieux drapeau fleurdelisé du bon roi Louis XV. Ne vous bercez
pas d'un rêve aussi chimérique et, malgré le désir de ces braves gens de voir la
civilisation s'arrêter et rebrousser chemin pour nous reporter deux siècles en arrière,
soyez convaincus que le règne du roi Louis XV est fini pour toujours. Quant au drapeau aux
trois couleurs de la République Française, sa présence n'est guère plus à redouter pour
l'intégrité de la Puissance du Canada que celui des rois Bourbons.
Messieurs, lorsque le chevalier de Lévis eut racheté la gloire des armées françaises par
sa brillante victoire de Sainte-Foye, il fortifia son camp sous les remparts de la vieille
forteresse et attendit des renforts de la mère-patrie. Tous les jours, son regard se
plongeait dans l'atmosphère brumeux du fleuve Saint-Laurent, dans l'espoir d'y voir poindre
la voile qui devait apporter l'espérance. Cette voile de parut pas; ce fut une flotte
anglaise qui, après la bataille de Sainte-Foye, au printemps 1760, vint mouiller sous
les murs de la forteresse de Québec. Lévis, le désespoir dans l'âme, laissé sans
ressources, dût retraiter vers Montréal où, peu de temps après, le gouverneur français était
forcé de capituler. La voile française qui devait porter dans ses plis tant d'espérance
et de joie n'a jamais reparu, et ne reparaîtra jamais. Pendant plus d'un siècle, nos
pères ont attendu comme l'avait fait le chevalier de Lévis, et, comme lui, ont dû
abandonner tout espoir. Il est temps, pour nous, de nous débarasser de cette chimère et
de porter nos regards d'un autre côté.
Il y a quelques années, j'étais appelé à porter la parole à bord de l'un de ces navires de
guerre français qui viennent de temps à autre visiter nos rives. Je n'entends pas vous
rapporter tout ce que je dis alors au brave commandant à qui je m'adressais, mais je me
rappelle qu'après avoir indiqué le long de la route qu'il avait parcourue tous les endroits
où de hauts faits de guerre avaient illustré les armes françaises, après avoir rappelé à
son souvenir encore récent, toutes ces diverses localités, je terminai en disant:
"Commandant, vous avez vu tout cela, mais vous avez vu d'autre chose aussi: A Québec,
vous avez vu la citadelle gardée par une garnison dont presque chaque soldat est un
Canadien-Français; vous avez été reçu dans son palais par le gouverneur de la province
de Québec, un Canadien-Français qui vous a adressé la parole en français, vous avez vu
une chambre d'assemblée et un conseil législatif composée pour plus des trois quarts de
Canadiens-Français et discutant en langue française sur les affaires de l'Etat. Si vous
avez visité nos cours de justice, vous avez entendu les avocats anglais plaider en
français, vous avez vu le drapeau français flotter librement partout. Nous sommes vous
le savez les loyaux sujets de Sa Majesté la Reine Victoria, mais ne croyez-vous pas
commandant, que notre allégeance a été généreusement payée." L'officier français me
répondit:" Monsieur, vous jouissez de la liberté, gardez précieusement votre conquête:
je connais bien des peuples qui se compteraient heureux s'ils étaient aussi libres que
vous l'êtes."
Cette réponse était juste et précisément celle à laquelle je m'attendais. Soyons
Français, messieurs, mais soyons Français pour nous et non pas pour la France. Nous ne
devons rien à la France. Nos ancêtres ont versé pour elle le plus pur de leur sang. Pour
les récompenser le roi très chrétien qui alors était le maître de ses destinées à cédé
et vendu notre pays à l'Angleterre. Malgré que ce fut le voeu du gouvernement de la France
que nos pères deviennent des Anglais, ils sont restés Français malgré tout cependant, et
nous aussi resterons Français; mais encore un fois soyons Français pour nous-mêmes.
Soyons Français comme les Français de la Belgique sont Français, comme les Français de
la Suisse le sont également. C'est-à-dire avant tout aimons notre pays et nos concitoyens
quelle que soit leur origine. "Avaant tout, soyons Canadiens."
Les Ecossais, les Anlgais, les Irlandais qui nous entourent et qui forment avec nous la
population du Canada ne sont-ils pas eux aussi attachés au pays de leur origine? Ne
célèbrent-ils pas leur fête nationale comme nous fêtons notre Saint-Jean-Baptiste.
Restons fidèles à notre langue, à nos moeurs, à nos lois, à nos traditions, mais prenons
garde que ce ne soit au détriment de nos intérêts dans le grand tout qui s'appelle la
Pûiossance du Canada.
Prenons garde d'isoler notre province du reste du pays et de la priver par là se sa part
d'influence et de contrôle. Apprenons l'anglais; faisons apprendre l'anglais dans toutes
nos écoles; c'est la condition essentielle de la continuation de notre influence. Si
notre Laurier dont nous sommes à bon droit si fiers a réussi à devenir le chef du parti
libéral au Canada, c'est parce qu'il est devenu l'un des maîtres de la langue anglaise.
Pensez-vous que Laurier soit moins bon Canadien-français parce qu'il parle correctement
la langue de la majorité? Assurément non.
Pour un grand nombre d'entre nous, il semblerait que les limites de notre patrie se
trouvent circonscrites d'un côté par la Baie des Chaleurs et de l'autre par les frontières
de la province d'Ontario. Canadiens-français, mes compatriotes, ouvrez les yeux, regardez
autour de vous; notre patrie, elle s'étend d'un océan à l'autre: c'est un empire superbe.
Voilà notre patrimoine. Partout dans cet énorme territoire vous êtes chez vous.
Je voudrais que l'habitant de Toronto, de London, d'Halifax se sentirait comme parmi les
siens à Québec, à Montréal, à Trois-Rivières comme je voudrais voir le citoyen
Canadien-français de Québec ou de Montréal accueilli comme un compatriote, comme un frère
dans Toronto, London, Hamilton ou Halifax.
Messieurs, je termine.
Nous nous sommes réunis aujourd'hui pour rendre hommage à un grand patriote, à un ami
dévoué de la liberté. Je ne crois pas pouvoir lui rendre cet hommage d'une manière plus
vraie et plus sincère qu'en exortant mes compatriotes à profiter des avantages précieux
que son dévouement nous a conquis au prix de son sang; et je suis convaincu que si le
bronze qui nous représente ses traits pouvait s'animer de sa vie et de son patriotisme,
il nous dirait avec les accents du poète
Egaux par la vaillance,
Anglais et Français, Celtes et Germains
Peuples, formons une sainte alliance
Et donnons-nous la main.
Reproduction de la statue de Chénier
telle que parue en page un du journal
Le Monde Illustré édition du 7 septembre 1895
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