Eulogie à la messe commémorative du 12 mai |
Le père Édouard Trudeau, s.j., un de mes pères spirituels:HOMÉLIEpar Jean-Louis D'Aragon, s.j.(confrère de noviciat d'Édouard Trudeau, s.j.)Ces deux lectures bibliques et le psaume de pèlerinage vers Jérusalem, la patrie céleste, ont inspiré la carrière de notre frère Édouard. Suivant la vocation chrétienne et jésuite, il s'est considéré comme un pèlerin toujours en marche. Mais cette liberté du pèlerin avait un but, celui de bâtir là où Dieu l'appelait. Ce détachement à l'égard de toute installation stable exigeait de suivre le Christ, d'être un homme pour les autres. I. Le pèlerinL'Épître aux Hébreux évoque le cheminement d'Abraham et de ses descendants qui vécurent comme des « étrangers, des exilés », errant sans domicile, sans sécurité. Ils avaient quitté leur patrie et leur famille pour avancer vers l'inconnu. « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père et va dans le pays que je te montrerai. » (Gen 12,1) Tel est l'appel de Dieu à Abraham, modèle de toute vocation chrétienne: quitter toute sécurité humaine pour cheminer dans la foi, appuyé sur la seule Parole de Dieu. Ne jamais revenir vers le passé, mais avancer sans cesse vers la patrie. Cette errance, sans stabilité terrestre, correspond au renoncement si souvent proposé par le Christ. C'est une forme de pauvreté qui libère de toute attache, de tout esclavage. Cette liberté conditionne le don de soi-même pour servir. Le pèlerin est en marche vers des objectifs immédiats, qui sont seulement des attentes, des anticipations de l'objectif final. Le fondateur de la Compagnie de Jésus, saint Ignace, s'appelait lui-même le pèlerin. Son pèlerinage vers la Terre de Jésus fut son premier voyage hors de l'Espagne. Après ses études, il fit le voeu avec ses compagnons d'entreprendre de nouveau ce même pèlerinage. Incapable de remplir ce voeu à cause de la guerre, il se dirigea vers Rome avec ses compagnons. II reçut la confirmation de cette nouvelle destination dans une petite chapelle près de Rome, Notre Dame du Chemin, qui est à la source de la dévotion des jésuites à la Patronne des pèlerinages. Notre confrère Édouard Trudeau a vécu cette vocation typiquement chrétienne et ignatienne, avant même d'entrer chez les jésuites: après son stage chez les scouts, il fut routier au Collège Brébeuf avec le père Benoit, et en Europe avec le père Doncoeur. Au cours de sa première année de noviciat, il fit selon la coutume l'expérience du pèlerinage d'un mois, à l'aventure, ignorant vers quel lieu son carnet de pèlerin le guiderait. Peu après son entrée dans la Compagnie de Jésus, Édouard sollicita avec insistance d'être envoyé en mission. À l'époque la mission, c'était la Chine. Mais la guerre empêchant cette destination, Édouard s'offrit pour la mission de Russie, qui s'ouvrait à ce moment. De nouveaux obstacles bloquèrent la route vers le Collège Russe, le Russicum de Rome, et la Russie. Il dut patienter au Collège Jean-de-Brébeuf comme régent. Un an plus tard, on le réclama pour une toute nouvelle mission, qui avait commencé en 1945-46, l'Éthiopie. Il était le seul scolastique de ce premier groupe jésuite. Après une expérience de deux ans à Addis-Abéba (1946-48), il entreprit ses études de théologie à Montréal. Un an plus tard, il poursuivit ses études à Weston, près de Boston (1949 à 1952), où il fut ordonné prêtre. La 3e année de noviciat l'amena à Mont-Laurier (1952-53). Puis ce fut le retour en Éthiopie pour un séjour de huit ans (1953-61). Pour compléter ses études de doctorat en pédagogie, il revint aux États-Unis, à Columbia University (1963-64). Des circonstances imprévues lui fermèrent la route vers l'Éthiopie. Résigné, Édouard assuma à Montréal la fonction de directeur des études au Collège Brébeuf (1964-74), après avoir été momentanément assigné au Collège Sainte-Marie. Après un service de trois ans comme vice-provincial (1974-77), ii retourna en Afrique, non pas en Éthiopie cette fois, mais à Nairobi (Kenya, de 1977 à 1985), à Eldoret (Ouganda, de 1985 à 1988) et finalement à Kampala (Ouganda, de 1988-2003). Véritable pèlerin, Édouard n'a jamais joui d'un domicile fixe, sécuritaire. Il fut et demeura un routier, toujours en marche. II. Le bâtisseurLa liberté du pèlerin le prépare à servir là où le Seigneur le lui demande. Il est devenu disponible pour remplir les postes dans lesquels il rendra les meilleurs services. Édouard n'a pas voyagé comme un touriste, pour son agrément, mais pour bâtir à la gloire de Dieu. Après sept ans d'inculturation comme préfet à l'École Tafari Makonnen, (Éthiopie), il accepte la responsabilité de bâtir au Collège universitaire (Addis-Abéba) la Faculté des arts, dont il devient le doyen pendant quatre ans. Afin de servir en Éthiopie, Édouard avait dû suspendre ses études de doctorat. Ce n'est qu'en 1963 qu'il peut compléter son doctorat en éducation, à Columbia University, N.Y. Il a 46 ans! Une épreuve particulièrement pénible: Édouard ne peut retourner à Addis-Abéba en raison de la situation politique. Nommé préfet des études au Collège Jean-de-Brébeuf, il bâtit le pont entre le collège classique traditionnel et le cours collégial issu de la « révolution tranquille » ( de 1964 à 1974). Ce n'est plus la routine administrative, mais l'innovation dans la continuité. Par la suite, il assume la fonction de vice-provincial à l'éducation et au social (de 1974 à 1977). En 1977, les évêques des conférences épiscopales de l'Afrique de l'Est (représentant sept pays) réclament ses services pour bâtir l'Université Catholique de Nairobi. II faut obtenir une charte universitaire, prévoir les finances, construire des édifices, dresser des programmes et engager des professeurs. Âgé de 60 ans, Édouard remplira cette fonction pendant sept ans, jusqu'en 1984. En 1985, Édouard prend de nouveau la route pour aider l'ancien recteur de l'université qu'il avait bâtie. Celui-ci est devenu évêque de Moroto (Ouganda), dans la fin fond de la brousse. Édouard devient alors le conseiller de ceux qui bâtissent. III. « Un homme pour les autres »Compagnon de Jésus, Édouard Trudeau a suivi le Christ et s'est donné à sa suite. Pèlerin libre, il a bâti pour les autres. Cet idéal évangélique de service a été mis en lumière par le père Arrupe: « Le jésuite est un homme pour les autres ». Comme le proclame l'apôtre Paul, il ne vit pas pour lui-même, mais pour le Seigneur, il ne meurt pas replié sur lui-même, mais dans le Christ. Il pratique la loi de l'amour: «On ne possède bien que ce que l'on donne.» La mort est le moment ultime de vérité. Nous n'emportons rien à cet instant, nous sommes réduits à la pauvreté de notre nudité. Mais non! Nous emportons dans notre coeur l'amour que nous avons pratiqué et révélé au monde. Tout autour de nous, dans la nature et en nous-mêmes, s'opère indéfiniment le passage de la mort à une vie nouvelle. Le Créateur a inscrit partout cette loi du grain de blé qu'évoque Jésus, afin de nous convaincre que son disciple doit tout donner pour vivre transfiguré. Celui qui avance en âge, animé par la foi, livre progressivement à son Seigneur tout ce qu'il a reçu de lui pour lui prouver sa confiance et son amour. À Celui qui l'a aimé jusqu'au lavement des pieds et à la croix, le chrétien remet le don ultime de sa vie. Mais notre frère Édouard et tout jésuite ne meurt jamais seul. Dans cet acte d'amour suprême, il donne sa personne et sa vie, en union avec le Christ Jésus, qui s'est vidé lui-même jusqu'à la croix (Phil 2,6-11 ). Ce passage pénible vers la vie, nous le franchissons portés par le Seigneur. « Le Christ est en agonie, en chacun de nous, jusqu'à la fin des temps » Aussi les premiers chrétiens avaient raison de dire « Notre frère, notre soeur, s'est endormi dans le Seigneur. » Amen! Jacques Beaulieu Révisé le 16 septembre 2004 jacqbeau@canardscanins.ca |