Le père Édouard Trudeau, s.j., un de mes pères spirituels:
Entré dans l'éternité
LE PÈRE ÉDOUARD TRUDEAU, S.J.
(1917 - 2003)
UN INDOMPTABLE OPTIMISTE...
Le 5 mai 2003, en l'église Saint-Pierre de Kampala, en
Ouganda, une foule d'Africains et de missionnaires se
réunissaient pour célébrer les funérailles du père Édouard
Trudeau. Et j'imagine que s'il avait pu planifier lui-même
ses propres funérailles, il n'aurait pas pu souhaiter mieux
que d'être enterré là où il a donné le meilleur de lui-même,
entouré de ceux et celles qu'il a aidés jusqu'à la dernière
minute de sa vie. On y a célébré ses funérailles, oui! Mais
bien davantage cette vie magnifique consacrée au Seigneur,
aux jeunes, aux pauvres.
Cette vie a commencé à Beauharnois le 29 juillet 1917.
Édouard a connu une enfance heureuse. Ils étaient cinq
enfants: Marthe, Pierre, Édouard, Louise et Louis.
Un jour, son père, qui avait fait ses études au
Collège Saint-Laurent, décida d'amener Édouard à Montréal
pour faire son entrée au collège où
il avait lui-même étudié. Mais, en route, il découvrit
le Collège Jean-de-Brébeuf. Les plans
changèrent et Édouard y fut inscrit. Des études qui
durèrent de 1930 à 1938.
La Russie? Non, l'Afrique!
En septembre 1938, il entrait chez les jésuites. Parmi
les facteurs qui ont certainement influencé
cette décision, notons son engagement dans le scoutisme,
les Congrégations mariales et la Saint-Vincent-de-Paul,
ainsi que l'accompagnement du père
Oscar Bélanger,le recteur du Collège. Dès
le juvenat, en réponse à une demande du père général,
Édouard s'offrait comme volontaire pour
la Russie. On songea sérieusement à l'envoyer au Collège
Russe de Rome. Mais la seconde
grande guerre de 1939 - 1945 fit avorter ce projet.
Ce collège, fondé pour préparer des jésuites à
travailler en Russie, le moment venu, fut fermé. On
lui dit d'attendre. Et l'attente se termina en
1946, lorsqu'on l'envoya en Éthiopie pour son premier
engagement missionnaire. Les premiers
jésuites étaient arrivés en Éthiopie en 1945, un an
plus tôt. Une régence de deux ans dans des
postes divers: surveillant de récréation,
assistant-directeur, enseignement au primaire, tout cela
à l'École Tafari Makonnen (T.M.S.) d'Addis Abéba.
Une quinzaine d'heures de travail chaque jour!
C'était la régence de ce temps-là!
Édouard Trudeau revenait au pays en 1948 pour ses études
de théologie: ce fut d'abord une année
au Collège l'lmmaculée-Conception de Montréal et puis
trois années à Weston Theological
College, près de Boston. II fut ordonné prêtre en 1951
par le cardinal Richard J. Cushing,
archevêque de Boston. Sa formation jésuite se termina
par le Troisième An à Mont-Laurier.
Dès 1953, on le retrouve à Addis Abéba, en Éthiopie,
comme directeur des études a l'école Tafari
Makonnen. Trois ans plus tard, il participe à la fondation
de l'University College of Addis Ababa,
comme doyen de la Faculté des Arts. Peu après, on le
nomme vice-président académique de ce
même collège universitaire, qui, en 1961, devient
Haile Selassie University. En tant que directeur
de l'Extension Department, il y assure l'organisation
des cours du soir.
Treize ans d'attente
L'exercice de ces diverses fonctions administratives
le convainc de la nécessité de se donner une
formation plus poussée en ce domaine. En 1963, on lui
accorde deux ans à cette fin. Le 25 mai,
il part donc pour New York, où il compte obtenir un
doctorat en administration universitaire. Au bout
d'un an, il a terminé tous ses cours. II ne lui reste
qu'à terminer sa thèse. D'accord avec le
provincial, il se prépare alors à retourner sans délai
à Addis Abéba, où il pourra compléter ce travail
de rédaction.
Mais voici que, à court de personnel, le même provincial
décide, à la dernière minute, de le retenir
au pays pour remplir la charge de préfet des études
au collège Jean-de-Brébeuf. Bouleversé,
attristé, mais obéissant, Édouard accepte cette
affectation imprévue, d'autant que, à ce qu'on lui
promet, ce ne sera que pour un an. En réalité, cela
dure dix ans, de 1964 à 1974. Chaque année
il écrit au père général, le père Pedro Arrupe, pour
renouveler sa demande des missions. Enfin, au
bout de dix ans, la réponse est positive: "Très bien,
vous pouvez retourner en Afrique!"
Soulagement. Mais, sur les entrefaites, au Canada
français, on change de provincial. Le nouveau
provincial, pris de court, met le grappin sur lui
juste avant qu'il parte: "Restez ici.
J'ai besoin de vous
comme vice-provincial à l'éducation!"
Ce n'est qu'en 1977,
après treize ans d'attente, que son désir
de rentrer en Afrique pourra être exaucé. À ce moment,
la présence des jésuites dans les collèges
a perdu de son importance: Édouard suggère simplement
d'éliminer le poste. On se rend à
l'évidence.
Pendant ces treize années d'exil, sans préjudice de
ses fonctions officielles, Édouard avait
néanmoins trouvé moyen de continuer à travailler
pour l'Afrique. Il avait offert ses services à l'ACDI
(Agence canadienne de développement international). À
ce titre, il avait collaboré à l'implantation
d'une école polytechnique au Sénégal. Après avoir visité
des écoles secondaires au Tchad, au
Gabon, en République Centre Afrique et au Congo, il
avait suggéré à l'organisme gouvernemental
d'investir davantage pour développer l'enseignement
des sciences dans ces écoles africaines.
Grâce à son influence, de nombreux jeunes Africains
étaient venus parfaire leur éducation au
Canada, plusieurs au collège Brébeuf, ou ils avaient
suivi des cours spéciaux en physique, chimie
et biologie. Ces activités bénévoles lui avaient
permis d'approfondir sa connaissance de l'Afrique
et d'établir de nouveaux contacts. Il s'impliqua
beaucoup au CECI (Centre canadien d'étude et de
coopération internationale), organisme non
gouvernemental fondé par le père Jean Bouchard, S.J.,
qui devint, en 1968, une corporation privée sans but
lucratif et dont le père Trudeau fut un des
membres fondateurs.
Retour définitif en Afrique
En 1977, la Conférence épiscopale d'Afrique de l'Est
(AMECEA) prépare la fondation d'un Institut
supérieur pour les études religieuses: Édouard Trudeau
est l'homme tout désigné pour en assurer
la planification. Ainsi, de 1977 à 1985, il vit à
Nairobi au Kenya, directeur de la planification de cet
institut bientôt transformé en une université: "Catholic
University of Eastern Africa". Une fois
lancée, cette université est remise aux évêques:
la mission d'Édouard est terminée.
Tout au cours de ce travail de planification, il
avait trouvé le temps de seconder d'autres projets:
aumônier au KTTC (Kenya Teacher Training College),
il aide les Soeurs de l'Assomption de
Nairobi, une fondation indigène, en quête de projets
capables de les amener à une véritable
autonomie économique: entre autres une plantation de
caféiers. Le père Trudeau leur trouve des
fonds. Et il devient pour elles, comme pour beaucoup
d'ailleurs: "Uncle Edward".
Le provincial des jésuites d'Afrique de l'Est dont il
dépend désormais lui demande, en 1985,
d'accepter l'invitation de l'évêque de Moroto, en Ouganda,
qui désire en faire le chancelier de son
diocèse et son secrétaire privé. II y travaillera
pendant trois ans, de 1985 à 1988. C'était chez les
nomades, les Karamojong. En même temps, il remplit la
charge de supérieur pour les cinq jésuites
qui travaillent sur le territoire ougandais.
En 1988-89, une résidence jésuite s'ouvre à Kampala. Il
quitte alors ses nomades de Karamojong pour résider
dans la capitale. Cette résidence est
officiellement inaugurée le 3 décembre 1989, fête de
saint François Xavier. On lui donne le nom
de Xavier House. De 1989 à 1992, les évêques confient
au père Trudeau la charge de trésorier de
la conférence épiscopale d'Ouganda. Tous ces postes
exploitaient au maximum ses talents
d'administrateur et de trésorier.
Au service des réfugiés et des plus démunis
Lorsqu'en 1992, il termine son mandat avec les évêques,
il continue à vivre dans la communauté
jésuite qui se développe à Kampala et il y sert
ses compagnons de multiples manières: tour à tour
ministre, économe, consulteur, réviseur des caisses,
et quoi encore? Mais la pièce de résistance
qui exigera le plus d'efforts et de dévouement fut la
création d'un Fonds de solidarité jésuite en
faveur des étudiants et étudiantes pauvres. Des milliers
de jeunes ont pu ainsi continuer leur
éducation grâce aux bourses d'étude ainsi constituées.
Ce fut son gros travail de 1992 jusqu'à
son décès. Il s'agissait d'aider les orphelins des
nombreuses victimes du SIDA ou encore les
jeunes réfugiés, ou les enfants de la rue: les envoyer
à l'école et voir qu'ils aient de quoi manger.
II y eut des années où ce nombre atteignit le millier.
Il tenait en mains leurs dossiers, et, sans
secrétaire, il les suivait, chacun et chacune. Ce qui
l'occupait tous les jours de huit heures à midi.
En après-midi, il s'occupait des affaires de la maison.
Ces dernières années sont celles qui l'ont
le plus touché. Car il a pris contact avec les personnes
les plus délaissées au monde: ces réfugiés
et réfugiées qui ont tout perdu. Des gens sans pays,
sans passeport, sans certificat de naissance...
Le 28 avril 2003, ii se sentit tout à coup faible et
tremblant. Croyant à une attaque de paludisme,
il prit les remèdes usuels et garda la chambre où
on lui apportait la communion. Le 1 mai, se
croyant un peu mieux, il se leva et se mit à table: mais
il s'écrasa sur place. On le transporta à
l'hôpital, aux soins intensifs. On le veilla toute
la nuit. Le lendemain, il reçut quelques visiteurs.
En fin d'après-midi, le 2 mai, ses compagnons jésuites
se réunirent à son chevet. On lui administra
le sacrement des malades, alors qu'il était encore à
demi-conscient. Suivit la récitation du chapelet
qu'il aimait tellement. Puis, très paisiblement, il
rendit l'âme à 19 h 40, entouré de ses frères
jésuites. Il allait avoir 86 ans le 29 juillet 2003.
Un jour, quelqu'un lui demanda s'il aurait pu être
mieux traité par la vie; sa réponse fut très
décisive: "Dieu a vraiment été le planificateur
paternel,
amoureux de toute ma vie. Il m'a toujours
accompagné dans mes activités apostoliques. Il est
toujours présent. Je n'aurais jamais pu planifier
ma vie de la manière merveilleuse qu'il l'a fait.
J'ai eu une dévotion spéciale à Notre Dame de la
Route. Dévotion qui a commencé quand j'étais routier
avec les scouts. Quand j'ai un problème,
je le lui confie. Et j'invite toujours ceux et celles
que j'aide à prier la Sainte Vierge."
Et il aimait répéter cette phrase du jésuite, Teilhard
de Chardin: "L'avenir est plus beau que tous
les passés."
Joseph-A. PAYEUR, S.J.
(Note: le père Payeur a oeuvré en Éthiopie de 1963 à 1978,
en Tanzanie de 1978 à 1985 et au Kenya de 1985 à 2000.)
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Funérailles du père Édouard Trudeau en l'église
Saint-Pierre de Kampala, Ouganda.
Le 5 mai au matin, le corps du père Trudeau fut exposé en
la chapelle de la résidence jésuite
Xavier House; les gens sont venus prier, chanter et
réciter le chapelet.
Vers 13 h 30, le corps fut exposé en l'église
paroissiale Saint-Pierre, jadis pro-cathédrale et sous
la responsabilité des Missionnaires d'Afrique
(pères Blancs). Les funérailles débutèrent à 14 h.
Trois évêques, quarante prêtres et une foule nombreuse
y participèrent. Une excellente chorale
ajoutait à la solennité de l'eucharistie présidée par
Mgr Christopher Kakooza, évêque auxiliaire de
Kampala. Les lectures de la messe furent Isaïe 58,6-10,
Matthieu 25,31-46 et on ya chante le
psaume 22. L'inhumation a eu lieu dans le cimetière
voisin de l'église; Mgr Paul Kalanda de Fort
Portal a présidé l'inhumation.