Notre frère, notre ami, le père Rolland Labrosse
a été brusquement rappelé vers le père durant le
temps pascal, durant la période où la liturgie
insiste de façon particulière sur la mort et la
résurrection du Christ.
Cette coïncidence peut être pour nous une source de
consolation. Elle nous aide a nous rappeler le
lien qui existe entre la vie et la mort chrétiennes
et la vie et la mort du Christ et son entrée dans la
gloire.
Mais pour y arriver, il nous faut reconnaître que
le Christ est ressuscité, croire qu'il a vaincu la mort
et qu'il associe nos vies à ses souffrances, à ses joies,
à sa mort, et que nous sommes destinés à
connaître comme lui la résurrection.
Autrement, la mort, que ce soit celle de quelqu'un
qui nous est proche, que ce soit celle que nous
appréhendons pour nous-mêmes, n'a plus de sens.
Nous n'allons nulle part. Nous nous sentons
dans la situation des disciples d'Emmaüs après
la mort de Jésus.
À la fin de la première lecture, nous avons
entendu saint Paul nous dire ceci:
Si nous avons mis notre espoir dans le Christ
pour cette vie seulement,
nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes.
Mais non! le Christ est ressuscité d'entre les morts,
pour être parmi les morts le premier ressuscité.
Les disciples d'Emmaüs étaient complètement désemparés.
Ils avaient perdu le Messie. Ils ont donc
quitté Jérusalem puisque celui en qui ils avaient
cru était mort. Dans une telle situation, il n'y avait
vraiment plus rien à faire.
Les disciples d'Emmaüs avaient mis toute leur
espérance en Jesus. Mais ils l'avaient mise pour cette
vie seulement. Ils croyaient que Jésus venait pour
établir un royaume terrestre. Et maintenant, Jésus
mort, ils ne comprennent plus rien. Que voulez-vous
qu'ils fassent? Ils étaient certains que ce Messie
qu'ils attendaient depuis si longtemps, ils l'avaient
enfin. Et voila qu'il meurt sur une croix. Nous
espérions, disent-ils à Jesus. Il s'agit de l'expression
d'un grand désarroi; ne plus espérer après avoir
cru, c'est terrible. "Nous espérions". Cette parole
m'a toujours semblé une des paroles les plus tristes
de l'Écriture. Avoir espéré, avoir cru et, finalement,
se trouver devant le vide... Il n'y a plus rien. C'est
la situation des disciples d'Emmaüs. Et pourtant, c'est
à Jesus qu'ils parlent. À Jésus ressuscité, à
Jésus vivant, à Jésus qu'ils regrettent et qu'ils ne
reconnaissent pas parce qu'ils ne sont pas encore
entrés dans son monde. Ils ne sont pas encore entrés
dans son monde parce qu'ils sont trop pris par
ce qu'ils ont perdu pour voir ce qui leur est donné.
Ils ont perdu un Messie à leur mesure, un Messie
terrestre. Et voici que leur est donné le Fils de Dieu
lui-même qui les invite à entrer dans sa vie, à le
suivre jusque dans sa glorification.
Le Seigneur peu à peu, par ses questions, les amène
à prendre conscience d'eux-mêmes. Il leur
permet ainsi de se libérer de cette affectivité
qui les aveugle. Les disciples d'Emmaüs se sentiront
transformés: "Notre coeur n'était-il pas tout brûlant
pendant qu'il nous parlait? Ils ont perçu, sans trop
le réaliser, que Jésus était là. Et, à la fin, ils
le reconnaîtront à la fraction du pain.
Quand ils ont reconnu la présence parmi eux de
Jésus ressuscité, il disparaît à leurs yeux. Ils n'ont
plus besoin de le voir. À l'avenir ils pourront
le rencontrer dans leurs frères et soeurs. Ils aimeront
leurs frères et soeurs comme ils aiment le Seigneur.
Ils recevront de leurs frères et soeurs de l'amour
et des attentions qui sont des manifestations de
l'amour de Dieu. Les disciples d'Emmaüs
retourneront à Jérusalem retrouver les apôtres,
les disciples et les femmes qui suivaient Jesus. Ils
retourneront dans l'Église parce qu'ils sauront
que c'est là que se trouve la présence du Seigneur.
Nous avons à reconnaître la présence du Christ.
Nous sommes chrétiens, pour la plupart d'entre
nous, nous avons été baptisés, nous avons la grâce
nécessaire pour vivre chrétiennement. Et nous
avons à faire connaître au monde ce que c'est
que la présence du Christ. Nous avons à témoigner
des oeuvres du Christ, c'est-à-dire à agir maintenant
à sa place, avec lui.
II y a des gens qui ne sauront jamais que le Seigneur
les aime parce qu'ils n'auront pas rencontré
quelqu'un qui les aime. Ils ne sauront jamais la qualité
de l'amour du Seigneur, parce qu'ils n'auront
jamais rencontré cette qualité chez les autres
autour d'eux. Nous avons une responsabilité les uns
à l'égard des autres.
Et je pense que le père Labrosse a vécu cela.
II est passé en faisant le bien. Il est passé en faisant
connaître l'amour du Seigneur. Bien souvent, simplement
par sa façon d'être. Car Dieu sait s'il en a
montre de l'affection et de la delicatesse! Je suis
certain que lors de vos rencontres avec lui vous
aviez l'impression d'être unique. Et vous l'étiez
de fait pour lui. On avait l'impression que cette
attitude
était chez lui le fruit d'une qualité naturelle.
Une qualité naturelle, c'est aussi un don de Dieu,
qui rend
plus facile le témoignage chrétien sur un point
ou sur un autre. Et le père Labrosse, conscient d'être
prêtre, religieux, chrétien, a grandement développé
cette qualité.
La présence du père Labrosse dans sa famille,
l'intérêt vrai qu'il manifestait pour tous les membres
de sa famille, les visites qu'il leur faisait, la joie
avec laquelle il les recevait, cela c'était le père
Labrosse! Il me semble qu'en même temps il donnait
un témoignage de l'amour du Seigneur. Chacun
comptait pour lui, chacun était quelqu'un pour lui.
C'est ce que nous sommes aussi pour le Seigneur
Jésus, le Seigneur ressuscité qui continue à vivre
parmi nous. Le père Labrosse, dans la famille, c'était
devenu un grand-père, qui s'intéressait à tout.
Et à mesure que la famille s'est agrandie, le coeur du
père Labrosse s'est agrandi.
Et les amis du père Labrosse... J'ai examiné le fameux
calepin du père Labrosse. J'en ai vu des noms
dans le calepin du père Labrosse... J'en ai vu des
numéros de téléphone et des dates d'anniversaires.
Le père Labrosse était toujours présent dans vos vies.
Et c'est comme ça qu'il pouvait vous faire
comprendre son amour personnel et celui du Seigneur.
II avait des relations personnelles, le père Labrosse,
et il savait aussi rendre personnelles les relations.
II était près de ceux qui pour lui avaient un nom,
et il était près aussi de ceux qui n'avaient pas de
nom, perdus dans l'anonymat d'un groupe. Il s'est
beaucoup préoccupé de trouver des vêtements
pour les démunis. Il s'était beaucoup intéressé à
la Saint-Vincent-de-Paul du collège. Et encore la
semaine dernière il recueillait des vêtements qu'il
allait porter dans des paroisses moins fortunées de
Montréal. Cela, ça manifeste son coeur. Pas seulement
pour ceux qui avaient un nom pour lui, mais
aussi pour ceux qui étaient anonymes. Tous sont
des fils de Dieu qu'il faut aimer et qu'on ne peut pas
abandonner.
Les anciens du père Labrosse... Ils lui rendent eux
aussi un témoignage. Les anciens du Collège
Saint-Ignace, ceux de Jean-de-Brébeuf et de
Saint-Boniface. Plusieurs des prêtres qui concélèbrent
ce matin sont de ces anciens.
Les visites du père Labrosse n'étaient pas que sociales.
Il transportait l'amour du Christ, l'intérêt
personnel du Seigneur. Il savait écouter les
confidences qu'on voulait bien lui faire et
les accueillir
avec la bonté et la compréhension du Christ.
J'ai ces derniers jours entendu des témoignages, qui
m'ont aidé à me faire une meilleure idée de sa
personnalité. La présence du père Labrosse auprès
de vous était bien souvent la présence du Christ,
d'un Christ compréhensif, d'un Christ qui vous
aborde avec un coeur miséricordieux, un coeur bon,
un coeur capable de comprendre les misères.
Il était un homme, un religieux, un prêtre, mais j'ai
le goût de dire aussi une légende. II était devenu
une légende par sa façon d'être présent aux autres.
Nous ne pourrons pas oublier cette manière-là.
II est retourné au Père pour attendre la résurrection.
Il a maintenant des moyens qu'il n'avait pas de
vous être présent. Jusqu'à maintenant il fallait
attendre un téléphone, une visite ou bien il fallait
réussir
aussi à l'atteindre au téléphone, car il était
souvent absent. Maintenant, vous pourrez vous adresser
à lui n'importe quand, à n'importe quel moment:
vous êtes sûrs que votre prière sera entendue et qu'il
saura la faire passer auprès du Père. II reste
au milieu de vous. Il vous a aimés, il continue à vous
aimer et à vouloir vous conduire au Seigneur.
Maintenant, ensemble, nous allons offrir pour lui
l'Eucharistie. Nous allons manifester notre présence
de chrétiens, de parents, d'amis réunis pour la
dernière fois autour de notre frère Rolland.