Lettre du 30 juillet 1901 | ||
Correspondance d'Émery Beaulieu à Attala MalletteLettre du 30 juillet 1901
N. B. Les lettres à folios multiples ont été reconstituées en tenant compte de leur position dans la liasse de papiers, de la couleur de l’encre, la dimension du papier et la suite dans le texte; l’ordre n’est pas toujours certain; aussi le début de chaque folio est clairement identifié, ainsi que sa place présumée dans la lettre: [Premier folio de deux pages 20 x 26 cm]
Montréal, 30 juillet 1901
À Mademoiselle Attala MalletteMon Attala Adorée, Tandis que vous trouvez peut-être bien court le délai que je vous ai donné pour m’écrire; tandis que peut-être avez-vous déjà décidé de ne pas m’écrire pour jeudi; moi, ne pouvant dominer l’ennui qui m’accable, impuissant à reprendre mes études avec courage, je viens chercher un peu de consolation en faisant un bout de conversation avec vous. Je savais, je savais que je m’ennuierais beaucoup, mais pouvais-je penser que je m’ennuierais autant. O! les douces paroles proférées par votre bouche chérie, o! les brillants regards de vos beaux yeux bien-aimés, o! l’ivresse causée par votre présence à mes côtés, o! les charmants tours de voiture en votre compagnie, les longs tête-à-tête, les serments d’amour, les projets enchanteurs d’un avenir à nous où nous serons toujours ensemble, nous aimant toujours: que je paie tout cela chèrement. J’ai goûté un bonheur sans mesure, mais ma douleur est maintenant elle aussi sans mesure. Lundi, en vous quittant, je n’ai pas couru aux chars comme vous pensez; non, quelque chose pressait encore plus que le train: c’était le secours du Ciel dont je sentais déjà un violent besoin. À peine vous avais-je serré la main pour une dernière fois que j’étais aux pieds de la Bonne Ste Vierge, la suppliant de me donner du courage, de prendre sous sa garde votre coeur tant aimé, que vous m’avez donné; la conjurant les larmes aux yeux de donner une bonne santé à mon ange tant aimé, à celle qui est tout pour moi, à vous, o! ma chère toute petite Attala, mon unique trésor, ma seule joie, ma vie! Puis, quand je me suis vu bien, bien seul, dans cette froide chambre de pension, je sentis le besoin de me plonger dans l’étude pour étouffer les sanglots qui me montaient à la gorge. Je me rendis à la chambre de mon compagnon d’études: pas encore de retour de sa vacance. Alors, ivre de douleur je sortis; longtemps j’errai à la pluie battante; mais toujours votre figure si bonne, si douce m’apparaissait partout, me faisant sentir plus amèrement, l’angoisse d’être loin de ma bien-aimée Attala. Je rentrai dans ma chambre, j’ouvris mon Code Civil, j’essayai d’étudier seul. Mon coeur se gonfla, mes yeux s’obscurcirent, de grosses larmes [Deuxième folio de deux pages 20 x 26 cm] chaudes, pressées coulèrent sur mes joues. N’en pouvant plus, je tombai à genoux et je priai, avec quelle ardeur! Ah! oui, j’ai foi, je crois que cette bonne prière sera exaucée. Aujourd’hui, mercredi, je reçois une lettre de vous, o! la meilleure des amies; moi qui n’attendait ce bonheur que le lendemain. Ce sont là de ces aimables surprises que votre bon coeur sait vous inspirer! Qu’est-il besoin de vous dire que cette lettre m’a causé une grande joie. Pourtant cette joie a été voilée par un nuage de tristesse lorsque je lus à la fin de votre messive que vous étiez obligée de terminer parce que vous aviez mal à la tête. Pourquoi donc avoir écrit puisque vous aviez mal à la tête? pourquoi n’avez-vous pas attendu d’être parfaitement reposée pour m’écrire. Ma Bien-Aimée, ma chérie, écoutez-moi bien! n’écrivez jamais à votre Émery quand vous êtes fatiguée, malade. Si votre retard à m’écrire me fait beaucoup souffrir, je souffre encore bien plus à la pensée que je puis être cause que vous altériez votre santé! Et ce mal de tête, n’est-ce pas qu’il était causé par un excès de couture? Mon Attala chérie, au nom du Ciel, prenez donc soin de votre santé! Plusieurs fois durant mon voyage, je suis revenu sur ce chapitre et toujours vous m’interrompiez en riant de mes alarmes: «Je ne suis pas malade», disiez-vous; «Je prends bien soin de moi!» et tout cela, dit d’un ton qui signifiait: «Je n’en ferai qu’à ma tête!» Mais, maintenant vous ne pouvez pas me faire taire, et n’écoutant que mon immense amour pour vous, je reviens à la charge, avec une nouvelle insistance. Vous n’êtes pas bien malade, je le sais; mais ne vaut-il pas mieux prévenir la maladie que d’avoir à la combattre. Et d’ailleurs, osez-vous dire que vous êtes très bien, alors que vous n’avez pas d’appétit, que vos beaux yeux sont entourés souvent d’un cercle sombre, alors que vos joues si roses il y a à peine quelques mois, sont maintenant pâles à faire peur. Si j’étais seul à vous faire cette remarque, vous pourriez croire que ma tendresse s’alarme sans raison. Mais tout le monde vous dit la même chose & le Dr. Hébert lui-même vous a fait remarquer votre pâleur excessive. Tenez, ma chérie, j’entends toujours raisonner à mon oreille cette parole de Mad. Bolduc: «Est-ce un teint de consomption.» Oh! je sais bien que vous n’êtes pas encore en consomption, mais cette malheureuse parole ne m’en a pas moins fait froid au coeur; et dans un tableau lugubre, j’ai entrevu mon Attala, mon beau chérubin blond, étendue sur une longue chaise de malade, languissante, dépérissant chaque jour, enlevée lentement mais sans merci à ma tendresse, à mes soins, à mes caresses. Attala, je sais que ce n’est là qu’un mauvais rêve; mais ce rêve peut bien devenir une réalité, si vous n’écoutez pas les conseils de mon amour. Vous avez bientôt vingt-un ans, c’est dire que vous êtes à un âge critique, à un âge où les maladies ont le plus de prise sur la constitution, à un âge où les jeunes filles surtout ont besoin de précautions, de soins excessifs. [Troisième folio de deux pages 20 x 26 cm] Ma bien aimée, vous êtes trop faible pour le travail que vous vous imposez. De grâce, soyez raisonnable; pourquoi à tout moment, prendre votre petite Annette dans vos bras, pour l’asseoir soit sur vos genoux, soit sur une chaise, quitte à la redescendre une minute après. Et pourtant, vous avouez qu’elle pèse beaucoup, qu’il faut que vous fassiez un effort pour la soulever! Voyoez, dans l’après[avant?]-midi de lundi, vous l’avez soulevée cinq ou six fois, sans compter les fois que je l’ai moi-même soulevée, pour vous éviter cette fatigue. Y avait-il quelque nécessité pour faire cela? Non! C’était tout simplement un caprice de la chère petite; c’était tout simplement pour l’empêcher de verser quelques larmes. O! ma chérie, ces larmes d’une enfant vous touchent-elles plus que les larmes sérieuses que verseront ceux qui vous aiment, quand vous serez malade & languissante; et votre coeur sera-t-il plus enclin à écouter les fantaisies d’Annette que les supplications angoissées de votre Émery. Ne la prenez donc jamais Annette, elle ne s’en portera pas plus mal, & vous, vous en serez bien mieux. Et quand elle sera bien convaincue que ses larmes ne vous décideront pas à la prendre, elle ne pleurera même plus. La chère petite, si elle savait qu’elle vous cause du tort, elle ne chercherait pas à se faire prendre ainsi. Et maintenant, Attala, pourquoi vous obstiner à laver & repasser le même jour. Ne pourriez-vous pas séparer ces deux ouvrages, les plus fatiguants de la maison. Enfin, non contente de travailler plus que de raison chez vous, il faut encore, employer les quelques instants que vous laisse l’ouvrage de la maison à aller coudre pour vos tantes, vos cousines, etc. Allez, allez, vous verrez comme elles vous seront reconnaissantes, vous verrez comme elles vous le rendront. O! Attala, Attala, vous êtes l’esclave d’un coeur trop bon; dans votre désir de faire plaisir à tout le monde, vous vous oubliez vous-même, & en vous oubliant, vous oubliez celui pour lequel vous êtes tout, celui qui ne vit que de votre vie & qui souffre de toutes vos souffrances. Ma mignonne petite reine! m’aimez bien sincèrement, m’aimez vous de toute votre âme? Oui! n’est-ce pas! Eh! bien prouvez-le moi, en prenant soin de votre santé. Voyez, avec quel empressement, je me suis rendu à vos moindres désirs, pendant mon dernier voyage; et cela, parce que je vous aime bien; vous qui prétendez m’aimer autant que je vous aime, qui craignez toujours de trop m’aimer ne céderez-vous pas à ce qui est bien plus qu’un désir, à ce qui est une ardente prière? Est-ce difficile d’aller dire à votre père qui est bien bon pour vous, à votre père qui vous aime tant, que vous vous sentez fatiguée, malade, que vous avez besoin de repos, de fortifiant. Vous voyant tous les jours, votre père ne s’aperçoit pas du changement qui s’opère dans votre figure chérie; ne vous entendant jamais plaindre, comment soupçonnerait-il que vous souffrez. [Quatrième folio de deux pages 20 x 26 cm] Mon adorée, comment pourrais-je croire que vous m’aimez, si vous refusez ce que je vous demande avec tant d’instance. Non, non, vous si bonne, vous ne me laisserez pas plus longtemps dans l’angoisse que me cause votre santé. Ô chérie, maintenant que je crois en votre amour, maintenant qu’il me semble impossible que la perfidie se trouve en votre coeur à côté des brillantes qualités que j’y ai découvertes il faut qu’un autre supplice vienne remplacer celui du doute: celui de l’inquiétude, le supplice de penser que vous ne m’aimez pas assez pour prendre tous les moyens de rester avec moi aussi longtemps que possible. Je vous l’avoue, en écrivant ces pages, j’ai pleuré à la pensée que peut-être elles n’auront aucun effet sur votre coeur & qu’elles ne pourront pas vous décider à vous conserver pour mon amour, à vous faire un point d’honneur de me montrer de belles joues roses, à mon prochain voyage. Attala, si ni la voix de la prudence, ni celle de mon affection ne peuvent vous convaincre, entendez une voix qui vous est encore plus chère: celle de votre mère qui veille sur vous du haut du Ciel. Que dirait-elle, si elle voyait sa fille chérie, si pâle, si faible? Quels soins ne vous prodiguerait-elle pas; quels conseils & au besoin quels ordres ne vous donnerait-elle pas. Mon Attala, je ne vous ai pas fait de mal au coeur, en évoquant ce souvenir? Non! pour nous chrétiens, la pensée de nos morts n’est pas sans consolation car nous savons, que d’ici où ils nous ont aimés, ils vont au Ciel pour nous aimer encore & pour mettre à notre service la puissance que leur donne le titre d’amis de Dieu. Oh! oui, votre mère ne vous oublie pas, pas plus que vous ne l’oubliez & elle vous rendra avec usure les soins que vous rendez à sa dernière couche de repos. Car laissez-moi vous le dire, lundi, après notre retour de la gare, j’ai été visité le champ des morts, & j’ai vite reconnu le terrain de votre famille, puisqu’il était le mieux entretenu, le plus propre. Comme j’ai compris que vos petites mains de fée avaient passé par là! O! ma chérie que c’est beau, ce culte de votre mère que vous gardez dans votre coeur! o! ma mignonne, que vous êtes riche en qualités; que je suis heureux d’être aimé de vous! Puissé-je être jugé digne de vous posséder toute ma vie! Ne m’abandonnez pas, je vous en conjure; et une dernière fois, je vous supplie de vous bien soigner, de vous ménager, de vous reposer. Vous me direz à votre prochaine lettre, que ma prière, mes larmes, mes supplications vous ont touchée & que vous êtes résolue à à vous montrer toute rayonnante de santé, à votre Émery, lors de son prochain voyage. J’ai reçu l’épreuve de notre photographie : je l’ai trouvée moi-même bien réussie. Vous êtes surtout parfaitement posée. C’est vous dire, sans flatterie, que vous faites un très joli portrait; vous n’aurez donc plus d’excuse pour ne pas vous faire photographier à votre prochain voyage à la ville. Quand recevrai-je une lettre de vous? Vous m’avez promis que j’en aurai une le 7 août, jour de ma fête, ce sera le plus beau cadeau que je puisse désirer. Cependant, n’écrivez pas trop long & même n’écrivez pas du tout, si vous êtes trop fatiguée. Votre santé m’est plus chère que la grande consolation de recevoir de vos nouvelles. Ma charmante Attala, laissez-moi vous répéter pour la millième fois que je vous aime de toutes mes forces; mon ange bien-aimée, soyez assurée que rien au monde ne peut m’empêcher de vous aimer. Oh! que j’ai hâte de pouvoir vous prodiguer le doux nom d’épouse chérie, de pouvoir couvrir de doux baisers ce beau front, ces belles joues qui seront miennes. Comme vous serez choyée, caressée par votre Émery qui vous aime tant. Ma Bien-Aimée, ne laissez jamais le doute pénétrer dans votre coeur. Vous avez confiance en moi, dites-vous. Eh! bien, je vous jure que votre confiance ne sera pas trompée. Et moi aussi, j’ai confiance en vous, o! ma bonne Attala; moi aussi je fermerai l’oreille à toutes les calomnies; l’on m’a dit que j’étais fou de vous aimer tant, que vous en aviez trompé beaucoup, que vous n’attendiez qu’une occasion pour me tromper moi-même. On me crie à chaque pas de me défier: mais en voyant la pureté de votre front, la limpidité de vos beaux yeux bleus, en découvrant chaque jour de nouvelles qualités dans votre coeur; comment pourrais-je vous croire capable d’une telle indignité. Non, non, mon Attala tant aimée ne me trompe pas, mais elle m’aime & c’est cet amour qui fait ma force, ma joie, mon bonheur, mon espérance, ma vie. Attala, Attala, quand donc serez-vous à moi tout seul, pour la vie! Attala! aimez-moi, aimez-moi, je ne puis plus me passer de votre amour. Mon Dieu! il faut finir. Hélas! j’éprouve en terminant quelque chose de ce serrement de coeur qui me fait tant souffrir quand je vous quitte. Pas de nouvelles de vous avant le 7, et peut-être devrai-je attendre plus longtemps! Dieu! que c’est long! Qu’importe, votre santé avant tout. Attala, ma bien-aimée, ma chérie, de grâce, prenez soin de vous; par pitié, ne m’abandonnez pas; aimez-moi, aimez-moi, moi je vous chéris comme un pauvre fou, je vous adore; pensez souvent à moi qui pense toujours à vous, écrivez-moi, dites-moi quand vous voulez me voir; priez, priez pour
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