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Lettre du 15 janvier 1902

Correspondance d'Émery Beaulieu à Attala Mallette

Lettre du 15 janvier 1902



N. B. Les lettres à folios multiples ont été reconstituées en tenant compte de leur position dans la liasse de papiers, de la couleur de l’encre, la dimension du papier et la suite dans le texte; l’ordre n’est pas toujours certain; aussi le début de chaque folio est clairement identifié, ainsi que sa place présumée dans la lettre:


[Premier folio de deux pages 20 x 26 cm]
Montréal, 15 janvier 1902
À Mademoiselle Attala Mallette
Sainte Martine
Ma Charmante Attala,

Je lis et relis votre lettre et mes yeux se remplissent de larmes, chaque fois. Quelle suavité, quelle douceur même dans vos reproches, quelle bonté envers celui qui vous a fait pleuré! Ah! vous avez pleuré, petite bien-aimée, & je n’étais pas là pour essuyer vos larmes sous mes baisers & j’étais moi-même la cause de ces larmes; vous avez pleuré non pas sur mon absence, mais sur ma méchanceté. Cette larme, dont l’empreinte apparaissait sur votre dernière lettre, vous ne savez pas combien elle en a fait couler de mes yeux; j’ai baisé avec ivresse l’endroit où elle est tombé, & j’ai juré que ce serait la dernière que vous verseriez à cause de moi. Ma bien-Aimée, vous ne savez pas combien je souffre à la pensée d’avoir ainsi causé une peine à celle que j’aime plus que moi-même. Mon Dieu! que puis-je donc faire pour vous faire oublier cette faute; pour vous procurer un bonheur si grand que votre esprit ne puisse plus revenir sur le souvenir de cette néfaste soirée. Non ce n’est pas le fait d’avoir été remarqué par ces Messieurs de Ste Martine qui m’accable de tristesse, mais c’est uniquement le fait de vous avoir affligée, vous que j’adore, que je veux heureuse à tout prix, vous pour qui je suis prêt à tout; vous qui êtes tout pour moi.

Si vous m’aviez adressé de sévères reproches, j’aurais été tenté de répondre que ce n’était qu’une faible image d’une autre soirée où vous aviez eu tous les torts, sans même avoir l’excuse d’une promptitude qui vous emporte sans que vous sachiez trop ce que vous faites ni ce que vous dites. Mais devant une lettre si douce, qui me dévoile chez vous des qualités que je n’avais pas encore soupçonnées, devant cette tendresse, devant ces larmes, je ne puis plus me défendre. Je ne puis que pleurer. Mon Dieu que je suis malheureux d’avoir ainsi traité celle que j’adore. Car vous savez que je vous aime, vous savez que je vous chéris de toutes les forces de mon âme.

Ne dites pas que je n’aurais pas agi ainsi si je vous avais beaucoup aimé. Vous savez bien que je vous aime plus que je ne puis dire; mais «plus l’offenseur est cher, plus on ressent l’offense [Deuxième folio de deux pages 20 x 26 cm] Si Delle Simon, m’avait traité ainsi, je n’aurais même pas demandé d’explication, je me serais contenté de penser qu’elle ne savait pas vivre; si ma cousine Éva avait agit de la sorte, j’aurais été certainement affecté, mais là encore j’aurais pu dissimuler; mais ce coup qui de prime abord, ressemblait à une injure grave, venait de vous, de vous dont un seul sourire est inestimable pour moi; de vous dont la seule indifférence me fait étrangement souffrir, de vous dont la moindre taquinerie me fait mal au coeur; et vous auriez voulu que je reste impassible. Attala, soyez juste; dites que j’ai eu tort, que je me suis conduit d’une manière bien peu digne, dites que j’ai été ridicule si vous le voulez, mais ne dites pas, je vous en prie, que je ne vous aimais pas.

Ah! si vous aviez la moindre idée de ce que j’ai souffert avant cette scène regrettable, vous seriez peut-être plus indulgente, si vous saviez comme ce coeur que vous accusez est sensible, oh! si sensible qu’il gémit sous la moindre atteinte; si vous saviez enfin combien je déteste ces manière de campagne, cette familiarité de mauvais goût, ce sans-gêne insultant & r évoltant pour quiconque n’y est pas habitué. Non! jamais je ne pourrai me faire à ces gens qui s’asseoient sur les genoux des jeunes filles, sous prétexte qu’ils sont ivres, ou qui profitent d’une danse, pour voler un baiser; par ici on respecte la femme & je ne puis pas voir sans frémir quelqu’un manquer de respect à la femme que j'aime.

Et puis, croyez-vous qu’il ne m’était pas bien dur de constater qu’une fois le bal commencé, vous oubliez la promesse faite à celui qui vous aime tant de ne pas trop danser; pensez-vous qu’il m’était indifférent de voir avec quelle légèreté, avec quelle insouciance, vous vous exposiez à ruiner votre santé.

Toutes ces choses me faisaient souffrir depuis le commencement de la veillée; et mon coeur était déjà bien malade, lorsque je vins vous demander la faveur de la prochaine danse: «Engagée pour la prochaine.» «Alors ce sera la suivante.» «Oui.» Avec quelle anxiété j’attendis la fin de cette danse, j’avais tant de choses à vous dire. Enfin, elle se termina; je m’avance vers l’escalier, avec empressement, vous venez à ma rencontre; vous passez devant moi, au bras d’un autre danseur, & vous allez vous placer. Un ange n’aurait peut-être manifesté aucun mécontentement; mais je ne suis pas un ange et je protestai. Mais à quoi bon ramener votre pensée sur cet incident malheureux.

Je conviens que j’ai eu grand tort & je vous réitère la promesse faite sur ma dernière lettre: «Pareille chose ne se renouvellera jamais, jamais!» Rendez-moi cette justice que je garde bien mes promesses; je garderai celle-là comme les autres. Vous ne pleurez plus, ô mon ange chérie, parce que j’aurai été prompt? vous ne serez plus tentée de dire que je ne vous aime pas beaucoup; je vous ferai perdre le souvenir de malheureuses noces, par un redoublement d’affection, de soins, de tendresses, de gâteries!

Mon adoréee, je reviens finir cette lettre & il faut me hâter, car cette lettre doit partir ce soir, et il est tard. J’ai encore passé une partie de mon avant-midi à vous chercher une épinglette; j’en ai enfin choisi une au meilleur de ma connaissance: puissiez-vous l’aimer! Dans tous les cas je me suis réservé le droit de la changer, et je vous prie de me faire dire le plus tôt possible si mon goût satisfait votre goût, ou si je dois encore me mettre en quête de nouveau.

Mon Attala chérie, combien je vous aime, le savez-vous? le sentez-vous? En toute sincérité, je vous assure que mon amour s’accroit de jour en jour; plus je vous compare à d’autres jeunes filles que je connais, plus je vois que vous l’emportez sur elles toutes. À mesure que vous me laissez lire davantage dans votre petit coeur tant aimé, j’y vois de nouvelles qualités, qui de plus en plus m’assurent que je serai heureux avec cette volonté ferme & tenace que j’ai admiré tout d’abord en vous! «Je vous rendrai heureux à tout prix!» Songer que celle dont un mot suffit pour faire déborder mon âme de joie, consacrera tous ses instants, tous ses soins, toute sa tendresse à me rendre la vie heureuse; quel rêve! mon Dieu! quelle admirable perspective. Votre amour, o! chérie de mon âme, votre affection est ma vie, vos caresses, vos bons baisers seront ma félicité, et ne craignez pas que je m’en lasse, ne redoutez pas que je vous adresse le reproche d’être «tannante». Nous verrons qui se lassera le premier; ou plutôt nous verrons que ni l’un ni l’autre ne se lassera d’aimer, d’être aimé; de recevoir & de donner des caresses toujours nouvelles, des baisers toujours ardents. Puissiez-vous m’aimer alors comme vous m’aimez maintenant; être affable, gentille, ravissante pour votre époux, comme vous l’êtes pour votre ami; puissiez, o! mon beau trésor! o! mon seul bien! ne jamais laisser pénétrer dans votre âme, un amour étranger, ou même la seule pensée que vous pourriez être plus heureuse avec un autre qu’avec moi.Je prie et je prierai tous les jours, pour obtenir la grâce de vous posséder bien à moi seul, sans partage comme sans crainte. Ce jour sera le plus beau de ma vie : De ce jour datera mon amour; jusque-là ce n’est qu’un cheminement tantôt joyeux, le plus souvent pénible vers la réalisation de mes plus chers désirs.

Chère, chère Attala, mon seul bien, ma joie unique, aimez bien votre Émery; songez que dans vos petites mains si douces, si blanches, est placée la félicité de toute une vie; de grâce, ma toute charmante, soyez-moi fidèle, comme je vous le suis et soyez assurée que nous goûterons ensemble tout le bonheur dont est susceptible la vie du ménage.

Ma bien-aimée, nous avons un examen dans quinze jours, je vous demande une intention particulière; priez aussi, priez surtout la Ste Vierge qu’elle abrège le temps d’épreuve que nous traversons, séparés que nous sommes; aimez-moi bien, o! mon Attala; aimez-moi de plus en plus, si vous voulez que votre amour se tienne à la hauteur du mien. Une belle lettre je vous prie pour... oh! le plus tôt possible. Chère bien-aimée, si vous saviez combien je m’ennuie de vous & quelle joie me cause la vue de votre petite écriture.

Votre Émery, bien aimant.








Jacques Beaulieu
beajac@videotron
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