Lettre du 10 avril 1902 | ||
Lettre du 10 avril 1902
N. B. Les lettres à folios multiples ont été reconstituées en tenant compte de leur position dans la liasse de papiers, de la couleur de l’encre, la dimension du papier et la suite dans le texte; l’ordre n’est pas toujours certain; aussi le début de chaque folio est clairement identifié, ainsi que sa place présumée dans la lettre: [Premier folio de deux pages 20 x 26 cm]
Montréal, 10 avril 1902
À Mademoiselle Attala MalletteAvec quelle joie, je trace votre nom chéri, ce soir, o! ma charmante Attala; j’ai passé une mauvaise semaine; par sympathie pour mon ange adorée, sans doute, j’ai été malade depuis plusieurs jours et ce soir encore, je suis si fatigué, si épuisé que vous me feriez assurément défense d’écrire, si vous étiez tout près de moi; mais je profite de votre absence, je vous écris quand même; et d’ailleurs je sens que rien ne peut m’être plus salutaire qu’un tendre entretien, qu’un affectueux tête-à-tête avec celle que j’aime tant. O! Attala chérie, comme vous me manquiez cette semaine, lorsque je me sentais si affaissé, si découragé! Vous dirai-je tous les rêves dorés que je faisais. Il me semblait parfois vous voir à mon chevet, vous entendre murmurer de tendres paroles qui me réconfortaient; je frissonnais parfois sous une caresse douce, chaude, affectueuse qu’il me semblait recevoir de vous & mon coeur bondissait d’ivresse sous un baiser que je rêvais avoir reçu de vos lèvres adorées. Avant-hier, o! ma chère petite Attala que j’aime tant, je ne pouvais pas dormir. En rangs pressés, les pensées, les ressouvenances du passé, les projets d’avenir se ruaient, se poursuivaient dans mon esprit; et c’était vous, toujours vous que je revoyais, que j’interrogeais, que je contemplais, que je regrettais; vous dans le passé, vous dans le présent, vous dans l’avenir. O! les charmes pénétrants de la première rencontre où moitié rieur, moitié sérieux, je vous disais mon admiration «Autant en emporte le vent!» Oui, le vent a emporté bien des choses depuis, il m’a emporté mon ami Morel, mais il n’a pu emporter, arracher la semence d’amour que vous aviez inconsciemment déposée dans mon coeur. Puis virent les premiers tressaillements d’amour véritable, d’amour sincère! Non! jamais, je n’oublierai le souper de chez mon oncle Joseph; toujours je me rappellerai, le mardi gras où nous dansâmes chez vous. Et ensuite, ce furent les serments d’amour éternel, les gages indéniables d’affection, de ma part, le don parfait de moi-même; puis ... hélas! ... oh! Attala! Attala! si vous m’aimiez, pourquoi m’avez-vous fait tant de peine. Malgré tout ce que je puis faire, ce dard reste [Deuxième folio de deux pages 20 x 26 cm] toujours là dans la plein béante & il semble que le temps ne parviendra jamais à fermer cette blessure. Certes, vous le savez, je vous aime quand même, je n’ai pas cessé un seul instant de vous aimer, mais ce souvenir met une teinte de tristesse dans la joie de mon amour, un sanglot dans mon coeur, une crainte dans mon âme. Attala! ma chérie, je vous aime, vous le savez, je vous chéris, je vous adore; je vous en supplie ne causez plus jamais à votre Émery, une semblable douleur. Ma Bien-Aimée, votre lettre n’est pas gaie, vous avez de la peine, mon cher ange adorée; comme je comprends bien votre position, comme je souffre de votre souffrance. Depuis cette missive, j’ai redoublé mes prières pour votre bonheur, ma chérie; j’ai supplié la Ste Vierge de prendre en main la cause de ma bien-aimée, de lui servir de mère tout particulièrement, puisqu’elle a permis que sa propre mère lui fût ravie; et je ne dis pas comme vous «Je ne sais pas si elle va m’exaucer!»; non, je sais moi qu’elle va m’exaucer; j’ai une confiance absolue en ma Divine Mère; ne m’a-t-elle pas conservé le coeur de mon Attala? ne m’a-t-elle pas accordée la santé de ma chérie? Pourquoi me refuserait-elle, cette fois? Attala, soyez assurée que vous serez heureuse, heureuse avec votre Émery qui vous aime chaque jour davantage, qui n’a qu’un désir, qu’une ambition: Vous choyer, vous caresser, vous appeler sa petite femme chérie. Et ne dites pas avec découragement qu’il va s’écouler encore «des années» avant que ce jour béni de notre union ne luise pour nous. À vous entendre on croirait un évènement qui va arriver quand nous aurons des cheveux blancs. Non! non! cela n’est pas, oubliez-vous donc que c’est dans quelques mois qu’avec l’aide de Dieu & l’encouragement de votre tendresse, je dois être reçu avocat. Et n’avez-vous donc pas confiance en Dieu, en la protection de notre Divine Mère qui protège tout particulièrement ceux de ses enfants qui conservent leur coeur pur; enfin ne croyez-vous donc pas à mon énergie, à ma volonté qui saura renverser tous les obstacles, qui saura se faire une position convenable, promptement, à tout prix. Je vois autour de moi, des jeunes avocats qui réussissent très bien, je les vois prendre femme une année, quelquefois neuf mois après être reçus, et j’ai conscience de n’être pas plus sots qu’eux, ni moins âpre au travail, ni moins anxieux de m’unir à celle que j’adore, que je chéris déjà depuis au-delà d’un an. Attala chérie, je n’admets pas que vous mettiez au pluriel les années qui nous séparent du jour où nous serons enfin l’un à l’autre, si vous voulez bien m’aimer, m’être fidèle, m’aider de vos prières, m’encourager de votre tendresse. Votre Émery vous aime trop pour attendre si longtemps. Son affection pour vous saura lui faire faire des prodiges; s’il le faut. Le monde est aux laborieux [Troisième folio de deux pages 20 x 26 cm] et je ne crains pas le labeur. Je ne crains qu’une chose, c’est votre abandon et cet abandon serait mon désespoir & ma ruine. Mon Attala chérie, ma bien-aimée petite reine vous ne savez pas, je ne puis pas vous exprimer combien je vous aime. Avec plus de vivacité que jamais, je sens la douleur d’être séparée de vous; je souffre, entendez-vous, je souffre affreusement d’être toujours privé de vous voir, de vous entendre, o! ma chérie, me répéter d’une voix si suave, si tendre que vous aimez bien votre Émery qui lui-même ne se contient plus d’amour pour son Attala adorée. J’ai tant pensé à vous cette semaine, où j’ai pu si peu étudié [sic] que mon imagination est tout enflammée, que mon coeur est tout embrasé, de tendresse délirante, d’amour enivrant, de désir insensés de vous voir, de vous couvrir d’ardents baisers, de vous accabler de brûlantes caresses, de vous posséder à moi, bien à moi, là, sur mes genoux, avec vos deux bras adorés autour de mon cou, vos lèvres attachées à mes lèvres, vos yeux brillants d’amour fixés sur les miens. Que ne donnerais-je pas pour voir de nouveau ce regard, ce sourire que vous m’avez adressés mardi soir, alors que nous étions côte-a-côte, au bout de la table, regardant les joueurs de cartes & que vous avez accompagné d’un si délicieux «M’aimez-vous?» jamais, jamais, vous n’avez mis tant de grâce dans vos regards, tant de tendresse dans un sourire, & jamais mon coeur n’a tressailli si vivement, sous un regard, sous un sourire. Et pourtant, c’est en pleurant que je suis forcé de vous répondre que je ne puis vous aller voir samedi. O! mon Attala, je souffre de vous refuser cette demande qui cadre si bien avec mes désirs les plus ardents. J’aime à croire que vous en éprouverez quelque contrariété, mais moi c’est une véritable torture qui me déchire le coeur à la pensée du bonheur ineffable que j’aurais goûté, auprès de vous. Hélas! j’ai perdu une partie de la semaine par maladie & les examens approchent avec tant de rapidité & le travail à faire est si vaste, que réellement je ne puis pas, je ne puis pas, sans craindre de compromettre mes examens, écouter les élans de mon coeur, les cris de mon amour. O! mon Attala adorée, plaignez-moi d’être ainsi condamné à vivre si longtemps sans vous voir; c’est moi qui en souffre le plus, vous le savez bien, car c’est moi qui aime le plus, moi qui aime trop! Priez pour que j’aie le courage; aimez-moi, je vous en prie, encore, chérie, encore davantage, pour que vous puissiez vous rapprocher de l’intensité de ma tendresse pour vous, ma mignonne petite Attala chérie. O! Attala de mon âme, combien je vous aime, mon Dieu, combien je m’ennuie de vous! Non cette vie ne saurait durer! Puissé-je être admis en juillet & nous aviserons [?] à améliorer cette position qui devient vraiment intolérable. Mon Attala! ne viendrez-vous pas bientôt à Montréal; n’aurai-je pas ce bonheur suprême de vous voir sous peu. Votre lettre n’en parle pas; que votre prochaine comble cette lacune. Venez vous reposer quelque jour ici; vous vous sentirez tellement aimé par votre Émery que vous ne pourrez faire autrement que de renaître à une nouvelle vie. Ma Bien-AImée, vous êtes complètement établie de votre indisposition de dimanche, n’est-ce pas? Hélas! je dois clore ce doux entretien, il faut que vous receviez cette lettre ce soir, elle est déjà en retard & j’ai bien peur que vous n’en profitiez pour me faire languir longtemps; Soyez bonne, chérie, pour
Votre Émery à vous seul
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