Ma première bonne! (1996) |
MON LIVRE D'IMAGES: Ma première bonne! (1996)La première fois que je la vis, elle portait un bérêt noir froissé, plaqué sur l'oreille gauche: qui donc avait ainsi voulu se payer sa tête? Petite, maigrichonne, les cheveux courts filassés, la figure fanée, pas plus que plus tard à soixante-cinq ans, elle n'était pas une tête à courir après! Elle venait de Saint-Anicet, la paroisse de Monseigneur Léger, m'apprit-elle, pour se donner quelque valeur. Même sa mère avait rendu un service à Madame Léger. - Et ton père? Son père, n'ayant pas honoré ses versements d'emprunt, avait perdu la terre qu'il cultivait avec ses dix enfants. Seule, la maison, bâtie de leurs mains, leur était restée. Chacun, maintenant, travaillait à droite et à gauche; quand il pouvait trouver de l'ouvrage. Elle, l'aînée, une pieuse voisine lui avait conseillé de se «donner» aux Soeurs de la Providence. C'était de leur couvent, à Montréal, qu'elle m'arrivait, remerciée après un an d'essai, sous le prétexte qu'elle n'avait pas «la vocation». Elle avait en main ma demande d'une «aide familiale». Demande, sans doute trop modestement exprimée pour laisser transparaître mon beau rêve d'une «gouvernante gentille». Modeste réponse aussi! Plus que modeste!
- La cuisine?
Bernard, endormi dans son carrosse près de nous, se réveillant au bruit de
nos paroles, elle ajouta Intérieurement, je pense : sans défense aucune! complètement démunie! Dans la rue! Que décider? Eh! bien, elle passera l'été avec nous, puis d'autres étés. Et ce sera l'une des bonnes actions de ma vie! Elle viendra à l'île Bizard. Elle se baignera avec les enfants dans le lac des Deux Montagnes. Elle cueillera les framboises, les fraises; elle surveillera la «vertu des tomates» en les retournant sur elles-mêmes pour les aider à mûrir; le soir, aux cultivateurs assis sur leur galerie, elle tiendra compagnie et chantera au grand bonheur des uns et des autres. Bien plus, certain automne, elle tirera d'un grand embarras une amie qui accouche de jumeaux, sans que l’échographie, peu pratiquée à l'époque, les lui eut révélés. Puis une autre la retiendra pour l'aider dans son déménagement... Et, de «patronne en patronne», dépannée, nous l'avons conduite à sa retraite qu'elle savoure à la Baie d'Urfé. Elle m'a avoué, avec un peu de malice, que la vie lui a enfin fait le don d'une bonne chambre, de distractions et de repos avec son groupe de l’«Âge d'or». |