Copie de ce journal est en la possession
de Suzanne Montel, arrière-petite-fille d’Henri Césaire Saint-Pierre.
Il a été copié par Jacques Beaulieu, arrière-petit fils du même personnage.
Le Passe-Temps Littérature, musique, théâtre et mondanités
Vol. IV – No 87
Samedi, 23 juillet 1898
Silhouettes Musicales
M. H. C. Saint-Pierre
Je ne connais pas de besogne plus difficile que celle qui consiste à écrire,
sous la forme d’un article de journal, la biographie d’un personnage qui a une valeur réelle.
Lorsqu’il s’agit d’un inconnu ou d’un homme absolument nul,
la chose est aisée: on choisit au hasard les adjectifs les plus pompeux,
les plus sonores, les plus laudatifs, et on les accole au nom de lui à qui on
veut faire plaisir. Mais quand il est question d’un homme comme M. H. C.
Saint-Pierre, le procédé est impraticable. Outre qu’on ne peut sans péril
recourir aux formules d’usage, il faut éviter soigneusement tout ce qui peut
paraître forcé: on ne traite pas tout le monde de la même façon.
M. H. C. Saint-Pierre est un des hommes les plus populaires de Montréal.
Sa haute réputation d’avocat criminaliste s’étant dans tout le Dominion, et
même au-delà. Si donc j’avais à m’occuper du Maître parleur,
ma besogne serait simple: je tracerais le nom de M. H. C. Saint-Pierre
et je dirais à mes lecteurs: Vous en savez maintenant autant que moi.
Mais ce n’est pas de M. Saint-Pierre avocat ou orateur dont je vais
m’occuper ici, c’est de M. Saint-Pierre artiste, de M. Saint-Pierre chanteur.
À ceux qui ne connaissent pas de vue M. H. C. Saint-Pierre, on peut
fournir un portrait rapide et exact: Prenez le corps de Charlemagne et
placez dessus la tête de Henri IV, vous aurez une idée précise de sa
stature et de l’apparence physique du délicat artiste qui fait l’objet de
ses lignes. N’oublions pas d’ajouter qe la voix de cet homme vigoureux
répond à sa charpente et qu’elle a une puissance, une sonorité, une
chaleur et, au besoin, une douceur qui fait de M. H. C. Saint-Pierre un
séducteur d’autant plus irrésistible qu’on ne peut échapper au charme,
soit qu’il plaide, soit qu’il discoure, soit qu’il chante.
La réputation de M. H. C. Saint-Pierre comme chanteur est solidement
établie dans certains groupes, mais elle n’a pas une notoriété égale à
celle de son talent d’orateur et de criminaliste. Cela s’explique facilement,
car à part certaines circonstances particulières, comme une fête de charité
par exemple, M. Saint-Pierre ne chante que dans l’intimité. Mais aussi quelle
bonne fortune pour ceux qui peuvent l’entendre! Nul mieux que lui ne sait
donner l’expression juste; tour à tour tonitruant ou caressant, il chante avec
une égale justesse d’expression la tendre sérénade ou le chant belliqueux.
Il a un sens dramatique très exercé, et c’est cette faculté d’interprétation
rigoureusement juste qui constitue le grand talent de M. H. C. Saint-Pierre
et qui doit le faire ranger parmi les meilleurs artistes amateurs.
M. H. C. Saint-Pierre est un des fondateurs du choeur du Gésu, et il en
est aujourd’hui le doyen. Il exerce sur cette intéressante fondation une
influence très heureuse, et on lui doit une large part dans les essais
naguère tentés pour l’exécution des oratorios, le Paradis perdu
de Théodore Dubois et la Vierge de Massenet.
Cela peut étonner bien du monde qu’une société chorale, constituant
la maîtrise du Gésu, ait eu la louable audace d’aborder des oeuvres
aussi difficiles, mais ce qui étonne davantage, c’est qu’elle ait
admirablement réussi dans sa tentative.
Le PASSE-TEMPS ne pouvait se dispenser de placer M. H. C.
Saint-Pierre dans sa galerie, et nous regrettons seulement de
n’avoir pas le don d’écrire assez raffiné, pour traduire exactement
notre pensée au sujet du mérite artistique du personnage distingué
qui nous inspire cette courte chronique. |