Deux lettres du procès Shortis |
Deux lettres autographes d'Henri Césaire
Saint-Pierre à son épouse durant le procès de Shortis à Beauharnois.
Ces deux lettres sont en la possession de Suzanne Montel,
arrière-petite-fille de l'auteur et ont été copiées par Jacques Beaulieu,
arrière-petit fils de l'auteur. La première lettre comprend un feuillet plié pour faire quatre pages et un demi feuillet non plié pour faire deux pages additionnelles, chacune numérotée et de 4.5 pouces par 7 pouces. Mercredi soir,
Ma chère petite femme,Pendant que toi tu songes aux toilettes qui te feront paraître la plus jolie femme possible, que tu penses au théâtre, à la musique, et peut-être à bien d’autres choses, moi je suis dans une chambre seul méditant à ce que je puis trouver de ressources pour sauver mon pauvre client de l’échafaud. Je ne suis pas sans espoir et je suis décidé à faire tout au monde pour réussir. La cause de Shortis va être une cause célèbre dans les annales du monde entier et surtout du monde scientifique. Quelle gloire rejaillira sur toi et sur nos enfants si je réussis! Nous allons manoeuvrer pour que les adresses au jury ne soient pas faites avant lundi. Nous avons dans la commission d’Irlande une preuve puissante de folie. Shortis a tiré sur des enfants. Il passait pour un fou en Irlande. Il est en preuve qu’il a fait une foule de choses qui l’aurait conduit à l’asyle si ses parents avaient voulu l’y mettre. En un mot, plus je songe à cette cause & plus je me persuade qu’il y a un bon espoir de le sauver. Le monde savant de tous les pays civilisés a les yeux sur nous. Je vais faire tout ce que je pourrai pour sauver mon pauvre client. Mon collègue est lui-aussi plein d’espoir. Je n’irai pas à Montréal samedi. Je vais passer la soirée avec Greenshields samedi soir et je me réserve ma journée de dimanche pour moi seul. je veux préparer mon discours et lui donner une forme convenable. Nous avons quatre experts de première classe en notre faveur. L’un d’Hamilton, un autre de Toronto, un autre de Kingston et le dernier de Montréal. Ce sont de véritables hommes de science. Des gens qui ont écrit des livres sur le sujet qui nous occupe. Tu n’auras pas honte de ton vieil ostrogoth, je t’en assure. Je te télégraphierai samedi si tu tiens à venir et tu pourras emmener quelques uns des enfants, les plus vieux si tu le veux. J’ai été surpris du résultat de la cause de Demers. Je comptais sur un acquittement facile. J’entends ici des conversations qui m’encouragent. Hier quelqu’un disait à l’hôtel en parlant de Shortis; «Le Maudit, il va échapper.» Tout cela peut-être t’intéresse assez peu mais pour moi, c’est comme le couronnement de mes travaux professionnels. Écris-moi pour me donner de tes nouvelles et pour me parler des enfants. Nous avons dîné ce soir chez mon adversaire Lorandeau. Je t’écris à la hâte. Bonsoir, ma petite femme. Ton mari qui t’aime.
Henri
Ma chère Albina,La deuxième lettre est écrite sur un feuillet plié pour faire quatre pages, chacune de 5 pouces par 8 pouces. Mardi 15 octobre 1895 La cause de Shortis menace de trendre les proportions de celle de Demers. Il me paraît évident que nous ne terminerons pas cette semaine encore. Le père Shortis a été examiné hier. C’était un spectacle qui faisait peine à voir. La mère a été examinée ce matin. La scène a été plus émouvante encore. Tout le monde avait les larmes aux yeux. La seule personne qui soit demeurée impassive est le prisonnier. Pas un muscle de sa figure n’a bougé; il est demeuré froid & indifférend [impassible à été biffé et remplacé par le dernier adjectif.], comme si toute cette affaire ne le concernait pas. C’est assurément l’accusé le plus extraordinaire que j’ai jamais rencontré. Le Docteur Anglais notre premier expert n’a pas encore terminé sa déposition et nous en avons trois autres à faire entendre. Notre preuve terminée, la Couronne fera entendre trois experts, à part quelques autres témoins. Tout cela nous mènera certainement jusqu’à la fin de la semaine. Avant d’adresser les jurés, nous avons à soumettre un argument sur la loi qui prendra une ou deux séances. Tu peux compter comme certain que les discours au jury n’auront pas lieu avant lundi. Je t’écrirai ou je te télégraphierai vers la fin de la semaine. Je vois par les journaux que l’ouverture de la Kermesse a été une brillante affaire. Fais attention à ta santé. Le Drill Hall est une véritable glacière et je redoute que tu y prennes le germe de quelque maladie. Je ne voudrais pas te voir perdre ta fraîcheur et ton joli teint. Je n’ai pas besoin de te recommander les enfants: je sais que tu en auras bien soin. Je vois que tu es dans le département de la lotterie. Tâche de gagner le gros lot. Si tu as besoin d’argent, fais-en demander au bureau. Donne-moi des nouvelles des enfants & de tout le monde. Je travaille tout le temps comme un nègre. Ton mari dévoué,
Henri
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