- lundi 9 juin 1890, page 4
COUR D'ASSISES
Une cause de meurtre devant les jurés
Francesco Vitulla traduit à la barre
L'acte d'accusation - Les noms des jurés
La cour Criminelle a commencé ce matin le procès de Francesco Vitulla, un italien accusé d'avoir, le 23 mars dernier, poignardé un nommé Auguste Blache.
L'honorable juge Doherty présidait la cour.
M. St Pierre a été retenu pour la défense de l'accusé.
Les jurés suivants sont choisis et assermentés:
Joseph Pallum, Alfred Muir, Julien Bissonnette, Robt. C. White, John Parratt, Arthur O'Hearn, Thomas R. Flynt, David Hodge, Wm. M. Campbell, David Campbell, Félix Bertrand et Thomas Dunmore.
L'acte d'accusation dit que le nommé Auguste Blache est mort des suites d'une blessure infligée par le prisonnier à la barre, au cours d'une querelle dans une buvette tenue par un nommé Barré à Lachine. Dans la soirée du 23 mars, il appert que Barré avait eu une discussion dans sa buvette avec quelques-uns de ses pensionnaires. Blache et l'italien Vitulla se sont mêlés à cette discussion qui n'a pas tardé à dégénérer en querelle et Blache a été frappé d'un coup de poignard.
Transporté à l'hôpital Notre-Dame, Blache y est demeuré plusieurs jours sans changements notables, et finalement il est mort, et l'enquête a prouvé que sa mort avait été causée par le coup de couteau qu'il avait reçu. Le grand connétable se rendit alors à Lachine, et fit l'arrestation du prisonnier Vitulla.
Le premier témoin de la couronne est le coroner Joges qui produisit les pièces relatives à l'enquête qu'il a faite sur le corps de Blache.
Louis Bissonnette, député grand connétable qui a opéré l'arrestation de Vitulla, est appelé et produit le couteau avec lequel le crime a été commis. C'est un couteau-poignard, ayant une lame de 3 pouces de long.
Hercule Mathieu, un cocher de place, est l'un des principaux témoins de la couronne. Il dit: J'ai vu le prisonnier se battant avec un canadien français, et Auguste Blache est intervenu dans la querelle et a essayé de frapper le prisonnier qui avait un couteau à la main. Celui-ci a esquivé le coupen se baissant au moment où Blache s'élançait pour le frapper. Il s'est alors avancé vers Blache, qui s'est écrié aussitôt: Je suis poignardé! Le couteau est tombé à terre. J'ai vu le couteau deux ou trois jours plus tard chez Mme Blache. Une quinzaine de minutes environ avant cette scène Barré avait exhibé un revolver. Lorsque Blache a été poignardé, je suis allé immédiatement chez deux docteurs qui ont refusé de venir avec moi. Quelqu'un est ensuite arrivé avec un médecin. Blache était un ferblantier, âgé de 30 ans et marié. Il demeurait à Ste-Cunégonde. J'ai vu Blache couvert de sang.
A une heure la cour s'ajourne pour diner et à l'ouverture de la séance de l'après-midi, M. St-Pierre continue à transquestionner le témoin Mathieu.
Il demande ensuite à la cour d'émaner un maandat d'amener afin de faire venir à la cour Mélina Martin, qui a été assignée dans la cause et n'a pas comparu.
Félix Barré, hôtelier de Lachine, où la bagarre a eu lieu est appelé. Il dit: Le prisonnier était un de mes pensionnaires. Il est parti de chez moi le 24 mars au matin, le lendemain du crime. Il y avait chez moi à cette époque deux italiens, Vitulla et un de ses compatriotes, ainsi qu'un espagnol. Après avoir laissé ma maison, ils sont allés se pensionner, si je dois croire ce qu'on m'a dit, dans une autre maison de Lachine.
Blache était djà venu chez moi l'année précédente. J'ai vu le corps de Blache llors de l'enquête faite par le coroner au mois d'avril. C'est bien le même qui était chez moi dans la soirée du 23 mars. Le club de raquettes de Ste-Cunégonde avait loué une salle de dans et deux chambres pour ce soir-là. Blache n'est pas venu avec le club. Les membres du club sont arrivés entre 8 heures et demie edt 9 heures. Le prisonnier est venu me dire dans la soirée qu'il y avait deux hommes et deux femmes dans sa cha mbre. Madame Barré a envoyé une servante, je crois, à sa chambre; on n'a trouvé personne.
Le prisonnier est alors descendu à la barre et m'a insulté, en me gratifiant d'épithètes sonnantes. Il m'a dit que je tenais une mauvaise maison.
La cause se continue.
- mardi 10 juin 1890, page 4
COUR D'ASSISES
Suite des témoignages dans l'affaire Blache
Interrogatoire du témoin Barré
Après que M. Trenholme eut terminé l'interrogatoire du témoin Barré dans la cause de meurtre hier après-midi, M. St Pierre a interrogé le témoin qui dit:
Vitulla avait le droit de se défendre. Il avait plusieurs assaillants contre lui, et ils n'étaient que quatre pour se défendre. Blache était l'un de ceux qui avaient demandé la permission de jeter les Italiens dehors, ce qui fut refusé. Je crois que les assaillants étaient Canadiens-français. J'avais vu le couteau entre les mains du prisonnier auparavant, mais je ne sais pas qui s'en est servi dans cette soirée.
Blache et ses amis frappaient les Italiens à coup de ppied. J'ai vu Blache frappedr à coups de pied, mais je ne sais qui il a frappé. Lorsque Blache s'est écrié qu'il avait été poignardé, les deux Italiens et l'Espagnol avaient laissé la barre. Le coup de poignard a été donné probablement trois minutes après que Blache eut frappé l'Italien qui était à terre. Il a vu le prisonnier à Lachine plusieurs fois depuis le meurtre. Il n'a été arrêté que 5 ou six jours avant la mort de Blach, et il aurait pu s'échapper facilement s'il l'eut voulu.
Le prisonnier a pensionné chez lui durant 18 mois, et il a toujours été tranquille. Il ne s'est jamais chicané, si ced n'est avec la servante.
Léonardo Tomasi est cité comme témoin.
Question - Dans la soirée en question, aviez-vous ce couteau en votre possession?
M. St. Pierre objecte à cette question et dit que le témoin n'est pas obligé de répondre à une question qui serait de nature à l'incriminer. Si l'on permet cette question il demande que le témoin soit averti des conséquences qui pourraient résulter de sa réponse.
Le président du tribunal permet la question et le prisonnier dit qu'il n'avait pas le couteau et qu'il ne l'avait pas vu.
Le Dr Mount est appelé en témoignage. Il dit qu'il a fait l'autopsie. Blache est mort des hémorragies causées par la blessure qu'il a reçue.
La Cour s'ajourne à ce matin à 10 heures.
A l'ouverture de la cour ce matin, Joseph Leclaire, ferblantier, de Ste-Cunégonde, est cité:
Je ne connais pas le prisonnier. Blache était un de mes amis. J'étais à Lachine avec lui le 23 mars, à l'hôtel Barré. La chicane a commencé après que nous eûmes pris quelques verres de bierre à la barre. Blache frappa plusieurs personnes et s'écria tout à coup: "Il m'a dardé!" Le témoin se porta à son secours et il vit le blessé donner un coup de pied à son assaillant qu'il saisit et frappa à coups de pied. Le couteau tomba à terre. Je n'ai pas vu la figure de l'assaillant.
L'avocat de la couronne montre un couteau au témoin. Celui-ci dit qu'il est sembla ble à celui qu'il a vu ce soir-là.
Transquestionné par M. St-Pierre:
Je connais Hercule Mathieu. C'est le charretier qui nous a conduit à Lachine. Ils ont bu à l'hôtel. Je connais bien Blache qui est très fort. J'ai vu Blache qui se battait. Je n'ai pas entendu de discussion. Blache a étendu plusieurs Italiens à terre. J'ignore combien de Canadiens il y avait dans la barre.
Les médecins qui ont fait l'autopsie donnent leurs témoignages et la cour s'ajourne à deux heures.
...
A la séance de l'après-midi, Aquila Brunet est cité en témoignage. Il reconnait l'accusé et dit qu'il l'a vu s'avancer vers Blache. Quelques instants plus tard, on a entendu Blach s'écrier qu'il était blessé.
Madame Blache est ensuite appelée. Elle est le dernier témoin de la Couronne.
M. St-Pierre, à cet instant, dit qu'il s'agit d'abord de prouver si l'accusé à la barre est bien celui qui s'est servi du couteau, et si c'est lui, l'a-t-il fait pour défendre sa propre vie?
La cause se continue.
- mercredi 11 juin 1890, page 4
COUR D'ASSISES
Acquittement de l'Italien Francesco Vilulli
Après la preuve de la couronne hier après-midi dans le procès de Francesco Vitulli, les avocats ont renvoyé la cause devant les jurés sans plaidoiries et le jury a rendu un verdict d'acquittement.
Le prisonnier a été immédiatement libéré. Il a donné la main à tous ses amis qui l'entouraient et est parti avec eux.