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Lettre du 21 août 1901

Correspondance d'Émery Beaulieu à Attala Mallette

Lettre du 21 août 1901



N. B. Les lettres à folios multiples ont été reconstituées en tenant compte de leur position dans la liasse de papiers, de la couleur de l’encre, la dimension du papier et la suite dans le texte; l’ordre n’est pas toujours certain; aussi le début de chaque folio est clairement identifié, ainsi que sa place présumée dans la lettre:


[Premier folio de deux pages 20 x 26 cm]
Montréal, 21 août 1901
À Mademoiselle Attala Mallette Sainte Martine. Ma Bien chère Amie,

Une affaire importante me doit appeler à Ste Martine, d’un moment à l’autre. Ce peut être ce soir, ce peut être demain, vendredi, dimanche ou dans le cours de la semaine prochaine. Je tiendrais beaucoup à vous voir durant ce voyage; je me permettrai donc de vous prier de remettre les sorties que vous pourriez avoir proposées; de m’attendre en dépit de tout, dussiez avoir encore quelque joyeux voyage à faire à Beauharnois.

Si j’insiste tant, c’est qu’outre le plaisir habituel que me cause votre présence, plaisir que vous avez pu constater vous-même, mainte & mainte fois, j’ai encore une raison particulière & très sérieuse, pour laquelle j’aimerais vous trouver à la maison, à cette occasion. Ajoutez que ce voyage ne devant durer qu’une journée, je n’aurai qu’une seule chance de vous voir, & que cette visite devant être la dernière avant l’ouverture des cours, ma douleur serait inconsolable, si vous me refusiez cette faveur. Encore une fois, je vous supplie de m’attendre, tous les jours, sans vous lasser : j’y tiens plus que vous ne pouvez vous imaginer.

«Me suis-je ennuyé depuis lundi, le 12», me demandez-vous. Je crois pouvoir répondre à cette question en vous disant ce que j’ai fait pour vous, cette journée même de lundi. Vous savez que je me suis, ce jour, rendu à Beauharnois, à pied, sur le chemin de fer; et je puis dire que j’ai fait le voyage en votre compagnie, tant la vivacité de mes souvenirs me rappelait nettement, distinctement, chacun de vos traits tant aimés, chacune de vos paroles qui savent si bien le chemin de mon coeur, chacun de vos sourires que vous avez l’art de rendre si séduisants. Aussi je fus très étonné & même quelque peu désappointé, quand je m’aperçus que j’étais arrivé à Beauharnois.

À peine arrivé, la conversation tomba sur vous. [Deuxième folio de deux pages 20 x 26 cm] Or, sachez que depuis longtemps, maman voulait savoir jusqu’à quel point je vous aimais; & que moi, j’évitais de me prononcer ouvertement: lorsque j’aime quelqu’un comme je vous aime, je ne me soucie pas de dévoiler mon coeur & ses secrets, je crains de profaner le nom de la personne adorée.

Dans tous les cas, maman sait maintenant à quoi s’en tenir; voici comme elle s’y prit.

D’abord, elle me dit que ma tante Hormigilde était venue lui rendre visite & qu’elle trouvait que j’allais trop souvent à Ste Martine «Lui qui passait pour si «smart»; il baisse maintenant dans l’estime des gens.» À cela je répondis que je profitais des vacances & qu’une fois les cours commencés, mes visites à Ste Martine seraient beaucoup plus espacées. Puis, elle me dit ce qu’avait été votre conduite, dans votre enfance, votre amour du jeu, votre aversion du travail et tant d’autres choses que vous connaissez mieux que moi. Je répondis que vous étiez bien changée depuis. Enfin, elle ajouta, en élevant la voix : «Écoute, Emery, tu l’aimes beaucoup trop, car elle ne sera jamais ta femme; tu apprendras quelque chose sur son compte, que je sais & qui m’a été répété; & ce quelque chose te fera comprendre qu’elle ne peut pas devenir ta femme.» Cette fois je ne répondis plus rien; mes yeux se voilèrent, mon coeur se serra douloureusement; Dieu! qu’il aurait été bon de pleurer; mais par respect humain, je me contins.

Le diner était servi; l’on se mit à table; j’essayai d’avaler quelques bouchées; mais ma gorge gonflée de sanglots retenait la nourriture au passage; et lorsque le dessert fut servi; n’en pouvant plus, je me cachai la tête dans les mains, pour retenir les larmes brûlantes qui voulaient à tout prix se frayer un passage; et finalement, sortant de table, je montai à ma chambre, je me jetai sur un prie-Dieu, & je pleurai & je priai, de tout mon coeur, de toute mon âme. Quel était donc ce «quelque chose» qui se dressait comme un obstacle insurmontable sur le chemin de mon bonheur; & les tableaux les plus noirs se déroulaient sous mes regards rougis par les pleurs. Qui sait, si vous ne me trompiez pas; n’aviez-vous pas dit, la veille, «Tant pis pour vous, si vous vous laissez tromper.»

Que j’ai souffert, mon Dieu! Enfin, une bonne prière à la Ste Vierge me donna le courage de descendre à la cuisine. Je pris mon Code Civil, j’essayai d’étudier, mais bientôt, je vins m’asseoir près de mère, attendant l’explication, de ce terrible quelque chose, sans toutefois oser le demander.

Enfin, maman me dit : «Ce que j’ai dit tantôt, n’était que pour connaître tes sentiments; & [Troisième folio de deux pages 20 x 26 cm] je vois maintenant que tu l’aimes beaucoup; je n’ai rien su & je crois qu’elle mérite bien d’être aimée, comme tu l’aimes.» Puis elle me donna de ces bons conseils que les mères seules savent donner.

Depuis lundi, le 12 et surtout depuis lundi le 19 j’en ai versé bien d’autres larmes; mais hélas, ces larmes avaient une cause trop réelle, & celle qui en était la cause ne les a pas encore séchées!

Dimanche passé, le 18, je suis allé à Ste Anne de Bellevue, voir mon ancien curé. Basse messe, grand’messe, vêpres, chemin de la croix ont occupé toute ma journée, sans néanmoins pouvoir chasser votre souvenir de ma pensée; et le soir, avant de me mettre au lit, j’ai relu vos trois dernières lettres que j’avais apportées pour me consoler & j’ai constaté avec peine que la moins affectueuse des trois était la dernière. Quant à vous, sans savoir exactement ce que vous faisiez dimanche soir, je sais bien qu’entre neuf à dix heures, vous n’étiez pas occupée à relire mes lettres.

Si vous voulez bien, ma bien chère Attala, nous allons repasser ensemble les marques d’affection que vous m’avez données depuis quelques temps. Primo – Vous m’avez ôté votre bague Secundo – Vous m’avez ôté votre photographie – Tertio – Vous refusez obstinément de faire poser votre portrait, par amour pour moi; Quarto – Vous promettez d’écrire jeudi; & sans l’ombre d’une excuse, vous retardez jusqu’à samedi, pour m’écrire une lettre toute courte, sans un élan du coeur. Quinto – Enfin, vous vous rendez dimanche à Beauharnois avec vos cousin & cousine; et vous trouvez le moyen de vous en revenir le soir avec M. Blais.

Méditez bien ce petit tableau, et vous serez guérie à jamais, je crois, de votre crainte de trop m’aimer.

Méditez bien ce petit tableau & vous ne direz plus que je ne crains pas de perdre votre amour ou que mes craintes sont chimériques.

Et si maintenant, en regard de ce que vous faites pour moi, vous voulez bien mettre toute ma conduite, depuis que je vous aime; si vous voulez bien réfléchir un peu sur toutes les preuves d’affection ardente, de tendresse enivrante que je vous ai données; si enfin vous voulez vous représenter l’intensité de mon amour pour vous, les beaux rêves que je basais sur votre fidélité, les serments enflammés de constance éternelle si sincères de ma part, & que je croyais aussi sincères dans votre bouche; vous parviendrez peut-être à vous faire une légère idée de ce que j’ai souffert, de ce que je souffre, de ce que je vais souffrir, à cause de votre amour.

Attala! vous ne savez pas le martyre que je subis en me voyant forcé de vous écrire de semblables choses. Ah! dussé-je le regretter toute ma vie, il faut que l’immense amour dont mon coeur déborde pour vous, se traduise une fois encore par des paroles affectueuses. O! mon Attala! mon Attala adorée! O! ma chérie, mon ange bien-aimée, ô vous mon seul bien, mon unique trésor, ma vie, tout [Quatrième folio de deux pages 20 x 26 cm] mon bonheur! Attala, Attala! est-il donc vrai qu’il ne me sera pas donné de vous prodiguer toute ma vie, ses noms d’amour; il ne me sera donc pas donné de les imprimer sur vos joues, sur votre front si pur, en brûlants baisers! ne pourrai-je donc jamais vous appeler mon épouse chérie, ma compagne adorée, ma divine consolatrice dans les épreuves de la vie!

C’est assez, c’est même trop! «Tant pis pour moi, si je me suis laissé tromper.»

Mais quelque soit le changement qui ait pu s’opérer dans votre coeur, il est une chose que je suis sûr d’y trouver encore, c’est la bonté; & à cette bonté, je m’adresse, pour que ce soir, après avoir reçu cette lettre de celui qui vous aime tant & dont le coeur est brisé de douleur à cause de vous, vous adressiez une fervente prière à la Vierge Marie, à cette Vierge à qui je demandais de me conserver votre amour, afin qu’Elle m’accorde du moins le courage, de supporter cette vue devenue si pénible pour moi.

Mon Attala, attenez-moi, je vous prie, chaque jour de cette semaine & de la semaine prochaine.

Mon Attala! écrivez-moi donc encore; écrivez-moi donc bientôt; ô vous! que j’ai si longtemps appelée mon Attala à moi seul, de grâce, n’abandonnez donc pas celui qui demeure toujours, avec le même amour,

Votre Émery à vous seule.








Jacques Beaulieu
beajac@videotron
Révisé le 22 juillet 2019
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